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Palacio real de Madrid, Catálogo de la Real Biblioteca, tomo XII : impresos del siglo XVI

Madrid, Patrimonio nacional, 2014. 3 vols : vol. I (A-H) : 929 p ; vol. II (I-Z) : 990 p ; vol. III (índex) : 362 p ; 4°

Christian PÉLIGRY

Depuis près de vingt-cinq ans, sous la direction de María Luisa López-Vidriero, la Bibliothèque du Palais royal de Madrid poursuit avec bonheur son travail de modernisation, d’inventaire, de conservation, d’exploitation et de mise en valeur de ses importantes collections. Elle occupe une place privilégiée, dans le cadre du Patrimoine national d’Espagne, aux côtés de plusieurs autres établissements prestigieux qui forment, avec elle, comme une ancienne et noble famille : bibliothèques de l’Escorial, du couvent de las Descalzas reales et du couvent de la Encarnación (Madrid), du couvent Santa María la Real de Las Huelgas (Burgos) et du couvent Santa Clara de Tordesillas. La base IBIS regroupe d’ailleurs les données correspondant aux richesses bibliographiques du Palais royal de Madrid et de ces quatre derniers monastères. Destinée tout d’abord à l’usage particulier de la famille royale au moment où la dynastie des Bourbons, en la personne de Philippe V, succéda à la Maison d’Autriche en 1713, la Real Biblioteca est devenue aujourd’hui non seulement un conservatoire de premier ordre où abondent les trésors bibliographiques et muséographiques, mais aussi un lieu de recherche incomparable grâce aux nombreux instruments de travail mis à la disposition du public, qu’ils soient diffusés en ligne ou publiés sur papier, les uns n’excluant pas les autres. C’est ainsi que les manuscrits (notamment les livres de chevalerie et les manuscrits d’Amérique), les incunables, les ouvrages de musique, les grandes reliures, les documents graphiques (cartes, dessins et gravures) ou encore l’impressionnante correspondance du comte de Gondomar qui comporte près de 20 000 lettres, ont fait l’objet, au cours des deux dernières décennies, de recensements spécifiques. La publication trimestrielle Avisos, parvenue au seuil de son vingt-troisième anniversaire, permet d’ailleurs de suivre, au fil des mois, les activités de cette belle institution qui a entrepris depuis 1992 un effort considérable pour informatiser l’ensemble de ses collections.

Si l’on s’en tient aux seuls imprimés, la Real biblioteca peut s’enorgueillir de posséder quelque 300 000 volumes dont 60 000 relèvent de la période artisanale du livre. Le présent catalogue, né sous les auspices du Patrimonio nacional, recense les imprimés du XVIe siècle qui s’y trouvent conservés : il constitue, avec ses deux volumes de notices et son volume d’index, le douzième tome d’une série de publications commencée au début du XXe siècle. Bien que versées dans la base de la bibliothèque et interrogeables à distance, les 5 845 notices de ce répertoire ont bénéficié du concours de l’ars scribendi artificialiter pour une meilleure diffusion au sein de la communauté scientifique : les livres du XVIe siècle, à l’instar des incunables dont ils abandonnent progressivement les caractéristiques jusqu’au milieu du siècle, ne méritent-ils pas, eux aussi, les honneurs d’un catalogue fait d’encre et de papier ? Il faut donc se réjouir de cette initiative, peut-être empreinte de nostalgie, mais qui rendra à coup sûr les plus grands services aux bibliothécaires, aux bibliophiles, aux libraires et aux chercheurs. En ouvrant les premières pages du catalogue, on découvre avec émotion une discrète dédicace à la mémoire de Concha Lois, récemment disparue, qui mit toute sa générosité et sa compétence, pendant trente ans, au service de la Bibliothèque nationale d’Espagne dont elle dirigea le Département de Référence de 1998 à 2011.

Il ne s’agit pas d’une simple liste d’ouvrages sommairement décrits mais d’un vrai catalogue où les titres longs, les adresses et les dates d’impression sont suivis d’une méticuleuse collation qui met en évidence les signatures, les erreurs de pagination, les frontispices, les initiales gravées et autres illustrations, les marques typographiques, les colophons, les pièces liminaires ou encore la disposition du texte sur deux colonnes. Les titres grecs sont translittérés et l’on mentionne l’existence des éditions bilingues (par exemple latin/grec, latin/hébreu, latin/arabe), en précisant aussi, chaque fois que cela s’avérait nécessaire, la langue utilisée (portugais, catalan, valencien, allemand, flamand). Quant aux particularités d’exemplaires, elles devraient satisfaire la curiosité des amateurs les plus exigeants : notes marginales, signalement des reliures et marques de possession viennent en effet compléter de façon très heureuse les descriptions bibliographiques qu’elles enrichissent de leurs harmoniques. Certaines œuvres ont même fait l’objet d’un soin particulier, comme la Bible polyglotte d’Alcalá et celle d’Anvers (nos 749 et 750), les Pragmatiques de 1598 (n° 2008) ou l’Histoire d’Espagne de Garibay (n° 2394). L’état physique de chaque volume n’échappe pas non plus à l’attention du catalogueur qui signale les taches d’humidité, les trous de vers, les déchirures portant atteinte au texte, voire les parties du livre qui ont été restaurées. Quid melius ? En dernière analyse, le très copieux volume d’index de 362 pages permet d’appréhender le contenu du catalogue sous huit angles d’observation différents : index onomastique, index des titres, classification par matières (sujets ou mots-clefs), liste des imprimeurs, éditeurs et libraires, lieux d’impression (par pays et par villes), énumération des possesseurs et des noms cités dans les marginalia, liste des relieurs, enfin classement chronologique des éditions décrites.

Même si la traditionnelle répartition en cinq catégories de nos libraires d’Ancien régime n’a pas été retenue ici, il est possible, en parcourant le catalogue et en croisant les informations que nous fournissent les multiples index, d’appréhender le caractère encyclopédique de cette collection qui s’est formée en grande partie sur plus de deux siècles : prégnance forte des auteurs de l’Antiquité, des philosophes et théologiens du Moyen Âge, des humanistes de la Renaissance (y compris hétérodoxes), ou encore des théologiens, mystiques, moralistes et maîtres de la spiritualité espagnole du XVIe siècle ; les grands écrivains du Siècle d’Or y font bonne figure, qu’ils soient historiens, poètes ou romanciers ; d’autre part le Droit et la politique ne le cèdent en rien aux travaux de lexicographie ni aux publications sur l’architecture, la médecine, la pharmacie, l’astrologie, l’astronomie, les mathématiques, l’art de naviguer ou la science militaire, sans oublier les récits de voyages, la découverte et l’exploration de l’Amérique. Il convient aussi de remarquer, en consultant l’index « matières », le nombre relativement élevé des livres illustrés qui représentent environ 9 % de l’ensemble. L’examen de la provenance géographique des ouvrages n’en présente pas moins d’intérêt car près de 32 % des éditions recensées sont originaires d’Italie, 26,5 % d’Espagne et 21 % de France. Ces trois pays méridionaux totalisent donc à eux seuls 80 % des livres du XVIe siècle conservés dans la Real Biblioteca. Viennent ensuite la Suisse (6,22 %), l’Allemagne et la Belgique presque à égalité (5,98 % et 5,93 %), le Portugal (1,52 %), la Grande-Bretagne (0,39 %) et le Mexique (0,08 %). Si l’on envisage à présent la représentativité des idiomes utilisés, on ne peut que constater, après avoir effectué quelques sondages, la prééminence du latin (autour de 54 %) ; les principales langues vernaculaires qui occupent la deuxième, troisième et quatrième place sont, par ordre décroissant d’importance, l’espagnol (environ 21 %), l’italien (entre 17 % et 18 %), puis le français (2,5 %) dont la présence paraît étonnamment faible.

Les nombreuses annotations manuscrites apposées sur ces exemplaires, qu’elles soient laconiques ou prolixes, parfois touchantes, toujours inattendues, constituent autant d’éclats de vie qui nous font pénétrer dans l’intimité des hommes ou des femmes qui les ont possédés : ainsi cette supplique d’un habitant de Candeleda, le 3 mars 1573, pour que l’on aille d’urgence rendre visite à sa sœur en danger ou en difficulté (notice 556) ; ou encore cette reconnaissance de dette d’Alonso Hernán, habitant de Ségovie, en faveur d’un chanoine, fils de Martín de Covarrubias, le 30 octobre 1566 (notice 1755). Chacun de ces volumes, au-delà du message qu’il nous délivre ou de l’histoire qu’il nous raconte, a donc sa propre histoire inscrite dans l’espace et dans le temps. Les rois d’Espagne et les membres de la famille royale ont bien souvent laissé leurs marques sur les ouvrages qu’ils ont hérités de leurs prédécesseurs ou dont ils ont enrichi leur bibliothèque : Carlos IV, par exemple (avec quelque 1 300 références), Fernando VII (avec plus de 2 000 références), Alfonso XIII (165) ; mais on ne saurait non plus passer sous silence plusieurs autres personnages éminents dont les collections sont venues se fondre dans la Real Biblioteca : Gregorio Mayans y Siscar (1699-1781), Francisco de Bruna y Ahumada (1719-1807), Manuel Antonio de Campuzano y Peralta, comte de Mansilla (1728-1786), Joaquin Ibañez García, chantre de Teruel (1720-1787), et surtout Diego Sarmiento de Acuña, comte de Gondomar (1567-1626) qui fut l’ambassadeur de Philippe III à Londres de 1613 à 1622 : il n’existe pas moins de 768 références concernant ce dernier dans l’index des possesseurs.

Remercions, en terminant, María Luisa López-Vidriero et toute son équipe pour avoir accordé une place de choix à la vêture du livre, car il n’est pas si fréquent de trouver, dans un catalogue de bibliothèque, des descriptions aussi scrupuleusement précises et détaillées. Cet intérêt pour les reliures s’était déjà manifesté il y a une dizaine d’années à l’occasion d’un colloque international organisé au sein de la Real Biblioteca, suivi quelque temps plus tard, en avril 2012, par une exposition de 457 pièces exceptionnelles relevant du Patrimonio nacional. Parmi la vingtaine de noms figurant dans l’index du catalogue, nous retiendrons surtout celui de Santiago Martín Sanz qui fut au service de la maison royale au cours du premier quart du XIXe siècle : les quelque 1 400 reliures signées qui sont sorties de son atelier, le plus souvent « en pasta valenciana » de couleur marron ou verte, ornées d’une bordure florale, donnent incontestablement une grande unité aux collections sans engendrer pour autant de la monotonie. Une reliure en maroquin rouge de Jean-Claude Bozérian le Jeune (notice 4465) fait figure d’exception dans un tel environnement !

Cette récente publication ne vient-elle pas confirmer les propos d’Anatole France dans le Crime de Sylvestre Bonnard : « Je ne sais pas de lecture plus facile, plus attrayante, plus douce, que celle d’un catalogue » ? En tout état de cause, les informations recueillies aussi bien sur le site de l’établissement qu’en parcourant les Avisos ou en feuilletant les publications de la Real Biblioteca dont ce catalogue des imprimés du XVIe siècle constitue le dernier fleuron, semblent se croiser et s’entrecroiser pour former comme une toile au maillage serré qui révèle, avec de plus en plus de finesse et de précision, les trésors accumulés depuis les premières lueurs du XVIIIe siècle, dans l’enceinte du Palais royal de Madrid.