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Les risques du métier : être conservateur de bibliothèque dans une ville annexée par l’Allemagne national-socialiste

Catherine MAURER

Professeure d’histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg

Josef ou Joseph Lefftz a traversé les quatre périodes qu’a connues la Bibliothèque Nationale et Universitaire (BNU) de Strasbourg au XXe siècle : celle de la Kaiserliche Universitäts- und Landesbibliothek (KULB), celle de la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg, celle de l’Universitäts- und Landesbibliothek (ULB), enfin, à nouveau, celle de la BNU1. Si l’on veut en entreprendre la biographie, on peut dire que, dans le contexte du renouveau de l’entreprise biographique incarné par les travaux d’Alain Corbin, Michelle Perrot ou encore Christian Chevandier2, Joseph Lefftz occupe une position intermédiaire. Il ne s’agit évidemment pas d’un personnage célèbre, mais pas non plus d’un parfait anonyme. Plus exactement, il a connu son quart d’heure warholien de célébrité, quart d’heure dont il se serait sans doute bien passé : en raison de sa fonction de conservateur de bibliothèque à l’ULB sous l’occupation nazie, il a en effet été frappé par une procédure d’épuration après le retour de l’Alsace à la France en 1945. Comme toute procédure, celle-ci a généré des documents administratifs et des enquêtes qui sont autant de sources pour l’historien d’aujourd’hui. Ces sources, conservées aux archives de la BNU, permettent de reconstituer le destin d’un homme confronté non seulement aux changements d’appartenance nationale qui ont marqué l’Alsace au XXe siècle mais aussi à l’implantation du régime national-socialiste.

L’ENTRÉE DANS LA CARRIÈRE

Josef Lefftz est né le 14 avril 1888 à Obernai, alors que l’Alsace est allemande. Les papiers qui établissent son identité nous disent qu’il est fils de vigneron et catholique. On peut supposer qu’il est le premier de sa famille à suivre une scolarité secondaire, à Obernai d’abord, puis à Sélestat, où il obtient l’Abitur (baccalauréat) en 1908, à vingt ans donc. Dès le semestre d’été 1908, il commence des études de « philologie classique et allemande » à l’université de Strasbourg. Il s’y serait aussi initié à la théologie et à la philosophie. Après quatre ans d’étude, en décembre 1912, il passe son examen d’État pour devenir professeur dans l’enseignement secondaire. Dès janvier 1913 et pour une durée d’un an, il est nommé enseignant stagiaire au Gymnasium (lycée) Wimpheling de Sélestat. En mars 1913, il est dispensé du service militaire. Le 2 janvier 1914, à la fin officielle de son stage, il prête serment dans la perspective d’entrer dans la fonction publique3.

Avant même la fin de ce stage, Lefftz s’est engagé dans une voie parallèle. En avril 1913, il demande en effet à la KULB de l’accueillir comme Bibliotheks-anwärter (aspirant-bibliothécaire) non rémunéré « pour pouvoir poursuivre au mieux ses travaux dans le domaine de l’histoire de la littérature et de la civilisation alsacienne »4. Le 1er août 1913, il soutient en effet sa thèse dans ce domaine, plus précisément sur la littérature populaire en Alsace5. Et le 21 octobre de la même année, le Kurator de l’université de Strasbourg accède à sa demande : à partir du 1er janvier 1914, il sera employé comme Bibliotheksanwärter. Un document de 1914 émanant du directeur de la bibliothèque Georg Wolfram indique que Lefftz est un employé sérieux et travailleur qui a donné toute satisfaction et que son emploi peut être prolongé en 1915, en étant désormais rémunéré6. Josef Lefftz prend alors le titre de Bibliotheks-Assistent, avec des émoluments s’élevant à 1 800 marks par mois. Mais la guerre a éclaté. N’ayant pas fait son service militaire, Lefftz est d’abord affecté à l’hôpital militaire d’Obernai7. Dès le 2 décembre 1914, il peut reprendre son travail à la bibliothèque, avec en 1916 un salaire s’élevant à 2 000 marks et en 1917 à 2 300 marks8. À partir d’avril 1917, son exemption complète prend fin et il est alors affecté à Fulda, en Hesse, où il est bientôt chargé de la bibliothèque de l’hôpital militaire. À partir de novembre, il est à nouveau affecté à Strasbourg, dans le bataillon de forteresse du service de santé. Il ne revient à la KULB qu’à la fin de la guerre, en novembre 19189.

Lefftz a alors trente ans. Né alors que l’Alsace était allemande, sa « socialisation » s’est faite entièrement dans le cadre allemand : il a fait ses études secondaires au Gymnasium ; il a fait des études classiques à l’université, études couronnées par un doctorat obtenu à l’âge de 25 ans, qui lui donne le droit de porter le titre si prisé en Allemagne de Doktor ; il est l’auteur de plusieurs publications uniquement en allemand ; il est entré dans la fonction publique allemande (Beamtenlaufbahn), avec une « réorientation » du métier de professeur vers celui d’assistant-bibliothécaire ; enfin, pendant la guerre, il a été mobilisé dans l’armée allemande. Son dossier conservé à la BNU ne nous donne pas d’information sur la catégorie dans laquelle il a été classé lors du retour de l’Alsace à la France en 1918-1919. Il a probablement été « réintégré de plein droit dans la catégorie de Français » en tant qu’Alsacien de souche10. Un document plus tardif nous indique d’ailleurs qu’il est de nationalité française « par réintégration11 ». En tout cas, il ne semble pas avoir été touché par les mesures qui conduisent à renvoyer tous les fonctionnaires et employés allemands de la KULB devenue BNU : 21 d’entre eux sur 33 au total auraient été concernés12. Il est vrai aussi qu’il n’est encore qu’assistant de bibliothèque ou auxiliaire. En mars 1920, une notice individuelle complétée en partie de sa main témoigne de son excellente connaissance de la langue française. Elle précise également que Lefftz assure des « services satisfaisants. Ses connaissances en philologie germanique rendent son concours particulièrement utiles13 ». L’un des objectifs du document est en effet de proposer la candidature de Lefftz pour le grade d’officier d’académie : il s’agit des actuelles palmes académiques, décernées notamment aux membres éminents du corps enseignant et à ceux dont les travaux sont utiles à l’instruction publique, comme par exemple les conservateurs de bibliothèque. La désormais « Bibliothèque Nationale et Universitaire » dépend d’ailleurs du ministère de l’Instruction publique. Dans l’Alsace du temps, il est sans doute particulièrement important de disposer d’un tel titre, afin de pouvoir se prévaloir d’un brevet de « bon Français14 ». Lefftz obtient le grade demandé en 1923. Depuis 1919, il est marié à Jeanne Etterlin.

Sa carrière se poursuit sans heurt apparent dans le cadre français. En mars 1920 également, il est nommé bibliothécaire en titre avec effet à partir « du 1er janvier 1920 », effet avancé très rapidement à partir « du 1er octobre 191915 ». Son ancienneté de traitement, préalablement fixée au 1er janvier 1918, est rapidement avancée au 1er juillet 1914, ce qui correspond à peu près à la date à laquelle il a été embauché pour la première fois à la KULB comme aspirant-bibliothécaire et lui permet d’accéder à un échelon plus élevé. Lefftz progresse ensuite régulièrement dans les échelons de la fonction publique française, ce qui lui est sans doute utile financièrement car il est en charge d’une famille nombreuse : quatre enfants naissent dans la famille Lefftz-Etterlin entre 1920 et 1929, avec malheureusement le décès de deux d’entre eux en 1927 et 1938. Et le désormais Joseph Lefftz atteint la première classe des bibliothécaires au 1er janvier 193416.

Il y a cependant eu un premier accroc dans cette réadaptation en apparence exemplaire. En 1931, plusieurs échanges entre le directeur général des services d’Alsace et de Lorraine et l’administrateur de la BNU, Ernest Wickersheimer, indiquent que Joseph Lefftz a transmis à des collègues allemands, en particulier Klemens Löffler, directeur de la bibliothèque universitaire de Cologne, des informations sur la BNU, ce qu’il n’aurait pas dû faire. La première lettre du directeur général des services, datée du 16 mars 1931, indique que

Conformément à l’avis exprimé par M. Schmidt, inspecteur général des bibliothèques et des archives […], il y a lieu de prendre une sanction ‒ mais très légère, à l’encontre de M. Lefftz : vous voudrez bien, en conséquence, donner à ce fonctionnaire un avertissement [souligné dans le texte], c’est-à-dire la première des peines réglementaires prévues par l’article 74 de la loi du 31 mars 1873, qui est seule applicable à M. Lefftz, agent du cadre local17.

En dépit de cet avertissement, il semble que Lefftz ait « récidivé ». Une lettre du 22 décembre 1931, toujours du directeur général des services d’Alsace et de Lorraine, évoque « plusieurs faits regrettables imputables à M. Lefftz », faits dont on ne connaît pas exactement la teneur mais dont l’administrateur lui-même a rendu compte. Le directeur général ajoute :

J’ai l’honneur de vous faire connaître que j’ai été péniblement surpris des nouvelles fautes professionnelles reprochées à M. Lefftz qui ne semble pas avoir compris la portée de l’avertissement que, sur mes instructions, vous lui avez donné en mars dernier ; je vous demanderai de bien vouloir le lui faire savoir en lui communiquant copie de la présente lettre. Je veux bien admettre que M. Lefftz ne s’est point rendu compte de la gravité de ses communications ; cependant, j’estime que sa manière d’agir appelle une sanction. Je vous prie, en conséquence, d’infliger un blâme à M. Lefftz, seconde peine réglementaire prévue par l’article 74 de la loi du 31 mars 1873 ; vous lui rappellerez qu’un fonctionnaire est tenu à la plus grande discrétion, qu’il ne peut omettre de tenir ses chefs au courant de tout fait de service et vous lui ferez remarquer que ses fonctions réclament plus spécialement des qualités de tact et de prudence18.

On ne dispose pas d’autres renseignements sur cette affaire qui ne semble pas être allée plus loin. Elle n’empêche pas Lefftz de devenir bibliothécaire de première classe en 1934 puis, en 1936, de déposer une demande de palmes d’officier de l’instruction publique (grade obtenu après au minimum 5 ans d’ancienneté dans le grade d’officier d’académie). Son dossier comporte alors l’avis suivant, formulé par le même administrateur, Ernest Wickersheimer :

s’acquitte avec beaucoup de zèle et de conscience des diverses tâches qui lui sont assignées à la bibliothèque. D’autre part, ses connaissances spéciales font de lui un auxiliaire précieux des personnes qui viennent se documenter à la bibliothèque sur des parties touchant à l’histoire littéraire de l’Alsace et au folklore alsacien. Il a publié dans ces deux domaines des ouvrages estimés19.

Déjà, il semble donc que la formation aussi bien allemande que dialectophone de Lefftz, sans préjuger de ses intimes convictions, ni de son imprudence, lui attire aussi bien des blâmes que des éloges. Mais il n’est pas encore au bout de ses peines.

INCONSCIENT, IMPRUDENT OU MITLÄUFER20 ?

En septembre 1939, un courrier du contrôleur général de la Sûreté nationale au lieutenant-colonel juge d’instruction auprès du tribunal militaire de Nancy indique simplement que « le nommé Lefftz Joseph » se trouverait à Clermont-Ferrand « où ont été transférés les services de l’université de Strasbourg21 ». Lefftz est en fait à Gap avec sa famille ; c’est là que, début octobre, recherché donc par la Sûreté nationale, sans que le dossier nous permette de connaître la raison exacte de cette recherche, il est arrêté et conduit à Nancy où il est emprisonné aux côtés d’autonomistes et de séparatistes alsaciens dont Karl Roos. En témoigne une lettre de son épouse datée du 31 octobre 1939 et adressée à l’administration de la BNU qui ignore où se trouve son collaborateur. Jeanne Lefftz écrit alors : « je sais au moins où il est et je suis relativement calme, car je connais assez mon mari, qui ne vit que pour son travail pour savoir qu’il est innocent. J’ai confiance en la justice, mais pour lui et pour nous, c’est une dure épreuve que nous avons eu à traverser après tant de malheurs que nous avons déjà eus22. » Ce n’est qu’un peu plus de sept mois plus tard, au début de juin 1940, qu’elle peut écrire à Ernest Wickersheimer :

Enfin je puis vous donner une bonne nouvelle : mon mari est revenu. Il a bien maigri (12 kg) car physiquement, moralement et intellectuellement il a beaucoup souffert. L’essentiel est qu’on se soit enfin décidé à le laisser revenir et qu’il ait eu l’occasion d’anéantir ces basses intrigues. […] Mon mari est en lib. prov. [sic] pour raison de santé et l’instruction se poursuit pour les autres23.

Lefftz est toujours en congé pour raisons de santé à Gap lorsque le 8 septembre 1940, comme les autres fonctionnaires français, Lefftz « déclare sur l’honneur n’avoir jamais appartenu à l’une des organisations définies à l’article 1er de la loi du 13 août 1940, portant interdiction des associations secrètes. Je prends l’engagement d’honneur de ne jamais appartenir à une telle organisation au cas où elle viendrait à se reconstituer24 ».

Pour éclairer la suite de son parcours, on dispose dans les archives de la BNU de plusieurs documents rassemblés dans le cadre de l’enquête ouverte en 1948 par la cour de justice du Bas-Rhin et par la commission d’épuration de l’académie de Strasbourg. Il s’agit d’une part de documents établis par l’administration allemande pendant la période 1941-1945 proprement dite et reproduits dans le cadre de l’enquête, d’autre part de notes réalisées a posteriori pour instruire le dossier par Ernest Wickersheimer et par Lefftz lui-même à la demande de la direction des bibliothèques de France. Il faudrait les compléter par d’autres documents, conservés notamment aux archives départementales du Bas-Rhin, mais une première approche est possible. La procédure d’épuration qui touche Lefftz peut être rapprochée de celle concernant les universitaires en France : François Rouquet montre que cette dernière fut sévère en nombre d’individus concernés, comparable à celle de la police ou de la magistrature qui furent les administrations les plus épurées. En même temps, elle fut relativement clémente en termes de sanctions puisque dès avril 1947, les sanctions légères (blâme, avertissement, déplacement d’office) furent effacées25. On verra que le cas de Lefftz correspond imparfaitement à ce schéma.

Si l’on consulte les documents issus de l’administration allemande, on constate que Lefftz, à peine revenu en Alsace en septembre 1940, a demandé un congé pour raison de santé et l’a obtenu26. Ensuite, un courrier daté du 18 juillet 1941 et dû au Kurator27 de l’université à nouveau allemande de Strasbourg informe Lefftz qu’il est pressenti pour faire fonction de directeur (Direktor) de l’ULB à partir du mois d’août suivant en cas d’absence de Julius Hartmann, devenu directeur en titre tout en continuant de diriger la bibliothèque de Göttingen28. En mars 1942, ayant le titre d’Oberbibliothekar (bibliothécaire en chef), Lefftz est proposé pour une promotion à la fonction de premier conseiller de bibliothèque (Bibliotheksrat) et de directeur de la section alsacienne (Elsass-Abteilung). Sans doute rédigé par Hartmann, le document fait état des mérites scientifiques et des « persécutions » dont Lefftz a été l’objet pendant la période française parce que « les résultats de son travail, en faisant la preuve de la civilisation purement germanique de l’Alsace, suscitaient la réprobation29 ». Le texte indique également qu’aussi bien les qualités scientifiques que l’attitude politique de Lefftz pendant la période française ont été reconnues par l’octroi du titre d’Honorarprofessor de l’université de Strasbourg (il aurait obtenu ce titre le 24 novembre 194130). En septembre 1942, un courrier du Kurator de l’université de Strasbourg adressé à Hartmann indique que Lefftz, en raison de sa « qualité » de Nanziger, emprisonné en même temps que Karl Roos, exécuté par les Français en février 1940 et devenu martyr de la cause nazie en Alsace31, a obtenu la nationalité allemande32. Pour cette raison, sa demande de promotion à la fonction de premier Bibliotheksrat, qui n’est toujours pas effective sans doute parce que Lefftz n’avait pas encore la nationalité allemande en bonne et due forme, est renouvelée. En janvier 1943, un courrier de Robert Ernst, maire de Strasbourg, à Hartmann formule l’espoir que Lefftz, à la suite des indications transmises par Hartmann et compte tenu de « ses mérites politiques tout particuliers », obtiendra bientôt sa nomination comme directeur suppléant de Hartmann33. Ernst espère également que Lefftz pourra devenir directeur de la « bibliothèque régionale du Rhin supérieur » qui, selon le Gauleiter Robert Wagner, devait être créée au sein de l’ULB34 : ce n’est plus l’expression de « section alsacienne » qui est utilisée.

Au début du mois de juillet 1943, un courrier de Hartmann au Kurator de l’université de Strasbourg indique que Lefftz est désormais détenteur de la nationalité allemande intégrale et des droits qui y sont afférents et qu’il peut donc être accepté dans le corps des fonctionnaires. En conséquence, Hartmann demande que Lefftz soit nommé à vie premier « conseiller de bibliothèque » (ce qu’il n’était donc pas encore) et intégré totalement à l’administration de l’ULB35. Il demande également que Lefftz fasse fonction de directeur en cas d’empêchement du directeur en titre, Hartmann, et qu’il soit définitivement nommé chef de la « section alsacienne ». Ce n’est effectivement plus l’expression de « bibliothèque régionale du Rhin supérieur » qui est utilisée : entre temps, Wagner a dû abandonner le projet. Les choses traînent encore et ce n’est finalement qu’au début du mois de mars 1944 que Lefftz est nommé officiellement premier conseiller de bibliothèque, suppléant permanent du directeur en titre et chef de la section alsacienne36. Il avait cependant le salaire correspondant au poste de premier conseiller depuis le 1er septembre 194237. Désormais pleinement intégré à la fonction publique allemande, il doit prêter serment. Auparavant, en août 1943, et conformément à la procédure alors en vigueur, son dossier avait été complété par des documents attestant de son « sang allemand » : un acte de naissance de son épouse et les actes de naissance de ses deux grands-mères38. Dès novembre 1941, son directeur, Hartmann, confirmait son origine « aryenne » jusqu’à ses arrière-grands-parents39.

Si nous avons donné le détail de ces pièces, c’est pour aider à comprendre pourquoi, dans le contexte qui suit immédiatement le départ des Allemands de Strasbourg, Joseph Lefftz a pu apparaître comme plus que suspect de collaboration avec l’administration nationale-socialiste, et cela en particulier aux yeux d’officiels venus de la France « de l’intérieur », qui n’évaluaient pas toujours très clairement la situation spécifique de l’Alsace annexée de fait à l’Allemagne nazie. Pourtant, dès le 16 septembre 1944, le commissaire de la République soulignait dans une note au gouvernement : « Les Allemands ont nommé à des emplois un certain nombre d’Alsaciens. Cette nomination ne devra pas, à elle seule, être considérée comme un signe d’indignité, sauf bien entendu s’il s’agit d’emplois de caractère nettement politique40. » Dans le cas de Lefftz, la barque a dû paraître particulièrement chargée : en témoigne le courrier que le directeur de cabinet du préfet du Bas-Rhin adresse au recteur le 26 juin 1945 à partir du dossier qui lui a été transmis par le bureau de documentation de la 10e région militaire, avant même le rassemblement des pièces qui vient d’être évoqué.

Ce dossier est accablant pour lui [Lefftz], il reconnaît dans une lettre adressée au Dr. Ernst, maire allemand de Strasbourg, dans sa biographie et en troisième lieu dans les principales affaires auxquelles il fut mêlé, qu’il a toujours travaillé pour le germanisme en Alsace. Son arrivisme ressort aussi de ce travail. Il reconnaît avoir évité soigneusement d’écrire en français. Ses relations étroites avec Karl Roos, avec le traître abbé Brauner sont nettement établies. Une notice établie par une personne sûre et renseignée montre que Lefftz s’est mis avant 1939 comme après l’occupation au service du germanisme et de la germanisation de l’Alsace dont il s’était fait un champion – folklore, germanisation des noms, conférences en Allemagne, chaire à l’université de Strasbourg. Il est même dénonciateur de Will, son ennemi qui fut révoqué par les Allemands. Le chef du bureau de documentation demande sa révocation immédiate. Son dossier est transmis à la cour de justice41.

Une note d’Ernest Wickersheimer, l’administrateur français de la BNU rétabli dans sa fonction à Strasbourg, datée du 24 août 1945, est en revanche beaucoup plus positive pour son ancien collaborateur :

À partir de 1936 et pendant les années suivantes, j’ai été frappé de l’inanité de certaines accusations portées contre M. Lefftz et j’ai acquis la conviction que celui-ci n’était mêlé à aucune activité dangereuse pour la sécurité française. Aussi, lorsqu’en octobre 1939, j’appris qu’inculpé de menées antinationales il avait été arrêté et écroué à la prison de Nancy, j’exprimai ma sympathie à Mme Lefftz et l’assurai que j’étais prêt à témoigner en faveur de son mari, soit au cours de l’instruction judiciaire, soit au cours des débats qui devaient se dérouler à Nancy. Je n’en eus pas l’occasion et M. Lefftz fut mis en liberté provisoire au printemps de 1940, mais mon opinion n’a pu être que confirmée par l’entretien que j’ai eu avec lui en septembre 1940, à la veille de son retour en Alsace. Depuis lors je n’ai eu connaissance d’aucun fait nouveau susceptible de la modifier. Lorsque je revins à Strasbourg en décembre 1944 [après la libération de Strasbourg], je ne constatai dans le personnel de la Bibliothèque aucune animosité à l’égard de M. Lefftz42.

On peut évidemment objecter que Wickersheimer n’était pas le meilleur des témoins puisqu’il n’était pas à Strasbourg entre 1940 et 1944. Mais il disposait sans doute d’informateurs sur place, comme par exemple le bibliothécaire en chef Régula dont le nom revient à plusieurs reprises dans les documents à notre disposition. Quoiqu’il en soit, du 1er septembre 1945 au 31 décembre 1946, Lefftz bénéficie de plusieurs congés maladie en bonne et due forme, sans doute dans l’attente d’être fixé définitivement sur son sort43.

En avril 1947, l’inspecteur général Pierre Lelièvre, adjoint au directeur de la Direction des bibliothèques de France, après avoir reçu une longue note concernant Lefftz « en même temps qu’une haute personnalité scientifique intervenait en sa faveur », demande à Wickersheimer une « note très précise sur les activités de M. Lefftz au cours de l’occupation44 ». Nous ne savons pas si cette « note très précise » a été utilisée dans le cadre de l’enquête de justice visant Lefftz. En tout cas, longue de 15 pages à la dactylographie très serrée, elle figure dans le dossier de la BNU45. Elle a très certainement été préparée par des entretiens avec Lefftz qui a aussi laissé à l’administration de la BNU plusieurs plaidoyers pro domo, parfois assez véhéments, en français comme en allemand (ces textes ne sont malheureusement pas toujours datés). Globalement positive, elle répond point par point et de manière très précise aux accusations, parfois fantaisistes, qui ont été portées contre Lefftz.

À propos de son emprisonnement à Nancy : Lefftz aurait été libéré par les Français et non « par les Allemands par ordre de Hitler46 ». Il ne se serait ensuite pas empressé de rentrer en Alsace et c’est sur les instances de certains de ses amis et à la dernière minute qu’il aurait fait le trajet de Gap à Strasbourg. À la bibliothèque, il aurait trouvé un climat exécrable du fait de l’action du directeur provisoire Schmitt-Claden et de son adjoint Will, qui était déjà en très mauvais termes avec Wickersheimer. Ce que l’on connaît par ailleurs du personnage de Schmitt-Claden incline à suivre les arguments de Wickersheimer47. Ce dernier minimise cependant quelque peu la place de Lefftz en le présentant comme un « simple bibliothécaire », ce qui ne correspond pas à l’image transmise par les documents allemands. Lefftz aurait ensuite contribué à l’amélioration de l’atmosphère à la bibliothèque, surtout après le départ de Schmitt-Claden pour lequel il a beaucoup œuvré48. D’un point de vue politique, toujours d’après Wickersheimer, Lefftz aurait été intégré au groupe des Nanziger sans qu’on lui demande son avis et serait ainsi devenu à son corps défendant membre du parti nazi. Il n’aurait cependant fait preuve d’aucun militantisme dans ce domaine :

Il n’a assisté à aucune réunion de bloc ou de cellule, n’a pris part à aucune marche de propagande, même lorsque des fiches de contrôle l’y invitaient expressément et que toute excuse était jugée d’avance inadmissible. Il ne se laissa jamais rééduquer (umschulen), il n’est jamais allé dans le camp de rééducation de Rippoldsau, où le personnel de l’université était convoqué chaque année. Il n’a jamais porté l’insigne du parti à la Bibliothèque, même après que le Gauleiter eût imposé à tous les fonctionnaires comme un devoir impérieux le port de cet insigne49.

À propos de son titre d’Honorarprofessor : Lefftz ne l’aurait aucunement demandé et ce titre lui aurait été accordé pour le dédommager de ne pas avoir obtenu la direction effective de la bibliothèque. Par ailleurs, ce titre n’était pas du tout équivalent à celui de professeur titulaire et Lefftz aurait été quasiment contraint de l’accepter pour l’utiliser comme couverture, compte tenu de son obstination à l’encontre de Schmitt-Claden. Le Rektor de l’université allemande de Strasbourg, Ernst Anrich, peu suspect d’indulgence à l’égard des nostalgiques de l’Alsace française, indique d’ailleurs que Lefftz aurait refusé de faire un cours sur la « culture populaire (Deutsche Volkstumskunde) dans l’Oberrhein (Rhin supérieur) », s’élevant constamment contre le concept d’Oberrhein que défendait le Gauleiter Wagner. Par ailleurs, l’utilisation de ce titre lui aurait permis de faire échapper son fils à l’incorporation de force et de venir en aide à plusieurs personnes menacées de déportation ou déjà déplacées, à des prisonniers de guerre français, à des incorporés de force, en hébergeant même certaines de ces personnes au péril de sa sécurité et même de sa vie : Wickersheimer donne ici différents exemples. Plusieurs des personnes concernées témoigneront d’ailleurs lors du procès de Lefftz. Ce dernier est même venu en aide à Wickersheimer, en lui permettant de protéger une partie de ses biens : « le directeur Hartmann se laissa persuader par Lefftz de mettre à l’abri dans son propre appartement l’importante bibliothèque privée du docteur Wickersheimer, ainsi que sa riche collection de tableaux, avec l’intention de les conserver jusqu’au retour de leur propriétaire français ». À propos de la germanisation des noms exigée par l’administration nazie : Lefftz a effectivement servi d’expert dans ce domaine, en raison de ses compétences en culture alsacienne et sur la demande des Allemands. Mais il aurait utilisé toutes sortes de ruses pour démontrer que certains noms, à l’évidence français, étaient en réalité allemands, faisant apparemment avaler autant de couleuvres à plusieurs fonctionnaires allemands. Wickersheimer donne ici plusieurs exemples précis et parle même d’une action de quasi sabotage de la part de Lefftz50. De plus, Lefftz démissionne de cette fonction d’expert en mai 1943.

À propos de ses activités scientifiques : Wickersheimer indique qu’elles étaient aussi appréciées par « les milieux français autorisés et compétents » avant 194051. Il rappelle habilement ici que Lefftz avait été nommé officier de l’instruction publique, sur la proposition de Wickersheimer appuyée par le recteur d’académie, et interprète l’épisode de l’avertissement et du blâme des années 1930 de la manière suivante : « Seule une critique malveillante et des calomnies avaient créé à Lefftz, avant 1940, des difficultés. » En revanche, ses travaux n’auraient pas été appréciés par les nazis :

Le premier volume du Recueil de chansons populaires [alsaciennes] qui était imprimé en 1939 ne put paraître parce que la Gauleitung avait constaté que le Recueil contient « un très grand nombre de chansons servant à la glorification de Napoléon Ier et de son armée et des chansons sur la Révolution de juillet et Charles X, plus une version allemande de la Marseillaise, etc. » (Lettre du Cabinet particulier du Gauleiter au Directeur des SS et de la police Kaul (…) datée du 13.12.4052).

Lefftz refusa d’exclure de son volume un seul des chants incriminés et la publication en fut dès lors interdite53. Il continua aussi à signifier son opposition à la théorie de l’Oberrhein utilisée « dans un esprit de propagande politique ». Enfin, ce n’est que contraint et forcé que Lefftz aurait accepté la nationalité allemande, de même que toute sa famille54 ; et celle-ci aurait fait preuve d’une attitude pro-française : aucun activisme nazie de Jeanne Lefftz en dépit des nombreuses sollicitations dont elle aurait été l’objet, désertion du fils incorporé de force, fréquentation par la fille, Marie-Thérèse55, de familles « dont les sentiments français étaient bien connus ». Dans tout cet argumentaire, Wickersheimer reprend assez fidèlement les arguments de Lefftz dont nous avons connaissance, en leur donnant une orientation moins passionnée. L’ensemble donne une impression de véracité parce que Wickersheimer s’appuie à plusieurs reprises sur des documents authentiques, qui ne sont malheureusement pas présents dans le dossier que nous avons exploité. Il permet aussi d’entrevoir la complexité de la situation alsacienne, différente de celle de la France occupée, même s’il faut rester prudent, comme nous y invite François Rouquet, face à un dossier où la profusion d’informations peut éventuellement masquer les tendances à la victimisation.

En tout cas, l’administrateur de la BNU, qui voulait visiblement disculper le plus possible son collaborateur, n’a pas totalement convaincu : en 1948, Lefftz est finalement mis à la retraite d’office à partir du 1er mars alors qu’il n’en a pas encore l’âge et la mesure est clairement indiquée comme ayant été prise dans le cadre de la procédure d’épuration administrative56. Il y a eu aggravation de la peine par rapport à la décision du conseil supérieur d’enquête de l’académie de Strasbourg qui, en juillet 1947, avait décidé qu’un blâme devait être inscrit à son dossier mais que l’intéressé devait être maintenu dans ses fonctions et à son poste57. Lefftz peut cependant bénéficier de sa pension et aucune autre peine ne lui est infligée : il a peut-être ainsi bénéficié des mois qui se sont écoulés depuis le courrier virulent du directeur de cabinet du préfet du Bas-Rhin en 1945, même s’il est bel et bien sanctionné. L’affaire ne s’arrête cependant pas là : dès la notification de la décision, Lefftz dépose un recours auprès du Conseil d’État. Ce n’est que le 29 juillet 1953 que l’arrêté du 11 mars 1948 est annulé, officiellement pour « excès de pouvoir58 ». Lefftz peut alors reprendre son service à la BNU, jusqu’à sa retraite en bonne et due forme en 1956 : il a alors 68 ans. En dépit d’une santé parfois fragile et des tribulations qui viennent d’être décrites, Joseph Lefftz ne décède qu’en 1977, dans sa 90e année.

Sa mémoire telle que l’on peut la mesurer aujourd’hui sur Internet est un peu à l’image du personnage et en reflète en partie le destin, même si c’est de manière apaisée. Joseph Lefftz a en effet les « honneurs » de Wikipédia aussi bien du côté français que du côté allemand mais la notice allemande est nettement plus développée. Et il bénéficie du côté allemand d’une notice avec photographie sur le site du Johann-Peter-Hebel-Preis du Land de Bade-Wurtemberg, distinction qu’il a obtenue en 1967 pour l’ensemble de son œuvre, après le prix Mozart de l’université d’Innsbruck… C’est sans doute la seule célébrité que Lefftz se serait souhaitée même si Wikipédia comme le site du Johann-Peter-Hebel-Preis évoque sans commentaire et avec une erreur de date la procédure d’épuration. Son cas illustre les compromissions mais aussi les formes de résistance culturelle auxquelles nombre d’Alsaciens ont été confrontés durant les années de l’annexion de fait : réponses différentes mais parfois formulées par un même individu, dans le cadre d’une entreprise totalitaire qui avait d’autres objectifs, notamment à court terme, qu’une « simple » occupation59.

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1 Voir Bibliothèques. Strasbourg, origines-XXIe siècle, dir. Frédéric Barbier, Paris, Éditions des Cendres, 2015.

2 Alain Corbin, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot, sur les traces d’un inconnu 1798-1876, Paris, Flammarion, 1998 ; Michelle Perrot, Mélancolie ouvrière : “Je suis entrée comme apprentie, j’avais alors douze ans”, Lucie Baud, 1908, Paris, Grasset, 2012 ; Christian Chevandier, La fabrique d’une génération. Georges Valero postier, militant et écrivain, Paris, Les Belles Lettres, 2009.

3 Personal-Nachweisung, 2 janvier 1914, Archives de la BNUS (désormais ABNU), dossiers des personnels, dossier Joseph Lefftz (abrégé ensuite en DJL).

4 Lettre du Kurator (représentant du ministère) de l’université de Strasbourg à l’administration de la KULB, 21 octobre 1913, ABNU, DJL, traduit de l’allemand.

5 Die volkstümlichen Stilelemente in Murners Satiren, Strasbourg, Wissenschaftliches Institut der Elsaß-Lothringer im Reich, 1915 (Einzelschriften zur Elsässischen Geistes- und Kulturgeschichte, vol. 1), réédition à Francfort-sur-le-Main, Diesterweg, vers 1938.

6 Document sans titre et sans date en gothique manuscrit (sans doute un brouillon), ABNU, DJL.

7 Lettre de Joseph Lefftz à l’administration de la KULB, 7 août 1914, ABNU, DJL.

8 Voir divers documents dans ABNU, DJL.

9 Voir divers documents et dossier établi dans la perspective de l’obtention du grade d’officier d’académie, mars 1920, ABNU, DJL.

10 Voir Catherine Maurer, « Entre liberté et contrainte : l’itinéraire de Théophile Wagner (1843-1926) de l’Alsace à Paris et de Paris à l’Alsace », dans Autorité, liberté, contrainte en Alsace. Regards sur l’histoire d’Alsace XIe-XXIe siècle, dir. Élisabeth Clementz, Nancy, Éditions Place Stanislas, 2010, p. 241-249, p. 247.

11 Notice individuelle, sans date (années 1920), ABNU, DJL.

12 Voir Laurence Buchholzer, « De l’Allemagne à la France 1918-1939 », dans Bibliothèques…, op. cit. [note 1], p. 259-290, p. 261.

13 Dossier établi dans la perspective de l’obtention du grade d’officier d’académie, mars 1920, dernière page, ABNU, DJL.

14 C’est aussi le cas de Théophile Wagner : Catherine Maurer, « Entre liberté et contrainte… », art. cit. [note 10], p. 247.

15 Arrêtés des 31 mars et 28 octobre 1920, ABNU, DJL.

16 Le dossier Lefftz ne contient que le projet d’arrêté qui n’est pas encore daté (ABNU, DJL). Une notice individuelle ultérieure confirme que Lefftz a bien bénéficié de la promotion indiquée.

17 Lettre du directeur général des services d’Alsace et de Lorraine à l’administrateur de la BNU, 16 mars 1931, ABNU, DJL.

18 Lettre du directeur général des services d’Alsace et de Lorraine à l’administrateur de la BNU, 22 décembre 1931, ABNU, DJL.

19 Notice établie dans la perspective de l’obtention des palmes d’officier de l’instruction publique, 14 mars 1936, ABNU, DJL. Une notice individuelle ultérieure confirme que Lefftz a bien obtenu la distinction indiquée.

20 Dans le processus de dénazification mené par les Alliés en Allemagne à partir de 1945, la catégorie de Mitlaüfer était la quatrième des cinq catégories dans lesquelles était classée la population : celle de ceux qui n’avaient pas participé activement aux crimes du régime nazi mais n’avaient pas non plus fait preuve d’une résistance significative.

21 Courrier du contrôleur général de la Sûreté nationale au lieutenant-colonel Laroubine, juge d’instruction auprès du tribunal militaire de Nancy, 15 septembre 1939, ABNU, DJL.

22 Lettre de Jeanne Lefftz à Marie Kuhlmann (? ; le courrier est en tout cas adressé à une femme collaboratrice de la BNU ; Marie Kuhlmann supervisait alors le déménagement des collections de la BNU en Auvergne), 31 octobre 1939, ABNU, DJL.

23 Lettre de Jeanne Lefftz à Ernest Wickersheimer, 3 juin 1940, ABNU, DJL.

24 Note manuscrite de Joseph Lefftz, 8 septembre 1940, ABNU, DJL. La loi du 13 août 1940 visait au premier chef les loges maçonniques : à propos de Bernard Faÿ, professeur au Collège de France et administrateur général de la Bibliothèque nationale sous le régime de Vichy, voir : Antoine Compagnon, « Le chargé d’affaires du gouvernement français pour les questions maçonniques », dans Le cas Bernard Faÿ. Du Collège de France à l’indignité nationale, Paris, Gallimard, 2009, p. 92-114.

25 François Rouquet, « Mon cher collègue et ami ». L’épuration des universitaires (1940-1953), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 52-54 et 159-160.

26 Attestation du chef de l’administration civile en Alsace, 1er octobre 1940, ABNU, DJL. Le congé est accordé du 1er octobre au 31 décembre 1940.

27 Le Kurator est le représentant du ministère de l’Éducation du Reich au sein de l’université allemande de Strasbourg.

28 Courrier du Kurator de l’université de Strasbourg à Joseph Lefftz, 18 juillet 1941, ABNU, DJL. Sur Julius Hartmann, voir Catherine Maurer, « La Seconde Guerre mondiale (1939-1945) : deux bibliothèques, dans et hors Strasbourg », dans Bibliothèques…, op. cit. [note 1], p. 291-307, p. 301-307.

29 Note à la signature illisible, sans doute due à Julius Hartmann, 24 mars 1942, ABNU, DJL, traduit de l’allemand.

30 Allgemeiner Umlauf, ABNU, AL 52 020-05.

31 Sur les Nanziger et Karl Roos, voir Lothar Kettenacker, Nationalsozialistische Volkstumspolitik im Elsaß, Stuttgart, Deutsche Verlagsanstalt, 1973 (traduction française : La Politique de nazification en Alsace, Strasbourg, Istra, 1978). D’après une note en français rédigée par Lefftz lui même, ce dernier aurait été emprisonné à Nancy « en tant que spécialiste des questions alsaciennes pour travaux folkloriques prétendus germanophiles. » Mais le commandant Barnier, expert du tribunal militaire de Nancy, aurait conclu : « aucun mot qui put paraître antifrançais » (ABNU, DJL).

32 Courrier du Kurator de l’université de Strasbourg au directeur de l’ULB, 26 septembre 1942, ABNU, DJL.

33 Courrier de Robert Ernst à Julius Hartmann, 25 janvier 1943, ABNU, DJL. C’est à partir du mois de décembre 1942 qu’Ernst se préoccupe à nouveau du sort de Lefftz, notamment en ce qui concerne sa nomination comme directeur suppléant.

34 À propos du projet ambitieux de Robert Wagner d’Oberrheinbibliothek, voir Peter Borchardt, « La Bibliothèque Universitaire et Régionale de Strasbourg entre 1939 et 1945 », à paraître dans les Actes du colloque Les bibliothèques scientifiques dans les territoires contrôlés par l’Allemagne nazie (Strasbourg, 21-22 novembre 2008) dirigé par Catherine Maurer et fondé sur son article « Die deutsche Bibliothekspolitik im Elsass : zur Geschichte der Universitäts und Landesbibliothek Strassburg 1871-1944 », dans Staatliche Initiative und Bibliotheksentwicklung seit der Aufklärung, dir. Paul Kaegbein et Peter Vodosek, Wiesbaden, Harrassowitz, 1985, p. 155-213.

35 Courrier de Julius Hartmann au Kurator de l’université de Strasbourg, 5 juillet 1943, ABNU, DJL.

36 Courrier du Reichsministerium für Wissenschaft, Erziehung und Volksbildung au Kurator de l’université de Strasbourg, 9 mars 1944, ABNU, DJL.

37 Courrier du Kurator de l’université de Strasbourg à Julius Hartmann, 23 mars 1944, ABNU, DJL.

38 Note sans doute établie par Hartmann et transmise au Kurator de l’université de Strasbourg faisant état de la deutschblütige Abstammung de Joseph Lefftz en raison des actes de naissance transmis, 21 août 1943, ABNU, DJL.

39 Attestation signée par Julius Hartmann, 14 novembre 1941, ABNU, DJL.

40 Citation dans Alphonse Irjud, « L’épuration en chiffres », Saisons d’Alsace, 1945, 127, 1995, p. 233-239, p. 233. Le même article précise que, quelques mois plus tard, le commissaire de la République incitait toujours à la prudence à propos de la procédure d’épuration en Alsace.

41 Courrier du directeur de cabinet au nom du préfet du Bas-Rhin, 26 juin 1945, ABNU, DJL. Une mention manuscrite indique que ce courrier a été transmis le 4 août 1945 à l’administrateur de la BNU, Ernest Wickersheimer.

42 Note non signée de Wickersheimer, 24 août 1945, ABNU, DJL.

43 Plusieurs documents dans ABNU, DJL.

44 Courrier de Pierre Lelièvre à Ernest Wickersheimer, 17 avril 1947, ABNU, DJL.

45 Elle est intitulée « Le cas Lefftz » et n’est pas signée. Il s’agit sans doute d’une copie de la note originale adressée à Lelièvre. Sauf indication contraire, toutes les citations qui suivent sont extraites de cette note.

46 C’est ce que confirme la lettre de Jeanne Lefftz citée supra n. 23.

47 Voir Peter Borchardt, « La Bibliothèque universitaire et régionale de Strasbourg entre 1939 et 1945 », et Matthieu Funtsch, « Albert Schmitt – Morand Claden (1895-1967) et les bibliothèques scientifiques alsaciennes pendant la Seconde Guerre mondiale », à paraître dans les Actes du colloque Les bibliothèques scientifiques., op. cit. [note 34].Voir aussi Catherine Maurer, « La Seconde Guerre mondiale… », art. cit. [note 28], p. 299-300.

48 Le personnel de la bibliothèque a ensuite apporté son témoignage en ce sens. Une note en français due à Lefftz indique que, d’après une indication du Commissaire du gouvernement (sic) du 10 septembre 1947, Lefftz « a certainement contribué à l’éviction finale du nazi Schmitt-Claden qui fut remplacé par un Allemand modéré » (ABNU, DJ).

49 Dans la note en français qu’il a rédigée, Lefftz précise que Robert Ernst aurait indiqué au ministre badois Schmitthenner, dans une lettre du 23 janvier 1941, « Dr. Lefftz n’est pas un national-socialiste et n’en sera jamais un, il ne rendra jamais service au parti » (ABNU, DJ, traduit de l’allemand par Lefftz).

50 Ainsi, Lefftz, qui ne pouvait pas méconnaître le nom courant en Alsace de Maurer (qui signifie maçon), parvient tout de même à démontrer que le nom « Masson » a des racines germaniques, venant de Thomasson (fils d’un Thomas) et qu’il est donc tout à fait justifié de l’utiliser…

51 Il faut cependant rappeler que tous ces travaux étaient rédigés en allemand.

52 Lettre traduite de l’allemand par Wickersheimer.

53 D’après la note déjà évoquée de Lefftz, l’ouvrage fut même mis au pilon (ABNU, DJ).

54 Ce n’est pas tout à fait l’impression qui ressort des documents administratifs allemands présents dans le dossier de la BNU, en tout cas en ce qui concerne le cas personnel de Lefftz.

55 D’après la note déjà évoquée de Lefftz, Marie-Thérèse Lefftz, pourtant « rentrée à 12 ans en Alsace annexée et forcée de fréquenter l’école nazie », aurait réussi « à 17 ans la deuxième partie du baccalauréat [français] en session normale [souligné dans le texte original] (1945) avec mention » (ABNU, DJ).

56 Voir arrêté du ministre de l’Éducation nationale, 11 mars 1948, et lettre de Julien Cain, directeur des bibliothèques de France, à Ernest Wickersheimer, 30 avril 1948. Wickersheimer avait tenté d’obtenir un sursis pour la mise à la retraite de son collaborateur, en vain (ABNU, DJ).

57 Courrier du président de la commission supérieure d’enquête pour l’académie de Strasbourg au recteur de l’académie de Strasbourg, 2 juillet 1945 (ABNU, DJ).

58 Arrêt du Conseil d’État du 25 juillet 1953 (ABNU, DJ).

59 Voir à ce propos les réflexions stimulantes de Marie-Claude Vitoux, « Un itinéraire de recherche : entre hasard(s) et nécessité », Les actes du CRESAT, Revue du Centre de Recherche sur les Économies, les Sociétés, les Arts et les Techniques, 12, 2015, p. 29-49, surtout p.43-45.