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Les contrefaçons du Dictionnaire de l’Académie française au XVIIIe siècle : Nîmes et Avignon

Isabelle TURCAN

Professeur des Universités (Université de Lorraine), Membre junior honoraire de l’Institut universitaire de France (1997-2002)

Nul n’ignore la réputation dont a joui la série des éditions officielles du Dictionnaire de l’Académie française, de sa pré-édition de 1687 à la huitième achevée en 1935, la neuvième étant encore en cours. Ce dictionnaire fut d’abord conçu comme un outil de rayonnement de la culture française sous la monarchie absolue, dans une Europe francophile où la langue française s’était imposée comme langue de communication savante, dans la continuité du latin. Or, un recensement et une étude des éditions de ce dictionnaire parues à des dates et sous des adresses autres que les officielles, permet d’en mesurer la réputation, le succès en terme de librairie, et les enjeux linguistiques, culturels et politiques. Le nombre impressionnant de contrefaçons, identifiables dès 1687 et 1695, puis tout au long du XVIIIe siècle, et même encore au début du XIXe, nous révèle les attentes et le goût du public cultivé, passionné par la vie des mots et par la façon dont les lexicographes, les imprimeurs-libraires les ont enregistrés dans leurs dictionnaires et parfois leurs Suppléments. En témoignent en particulier les contrefaçons données sous les adresses de Nîmes et Avignon, assorties ou non d’un « Supplément des mots de la Révolution… ».

LES ÉDITIONS ACHEVÉES DU DICTIONNAIRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Les éditions du Dictionnaire de l’Académie française (1694-1935) constituent un vaste corpus textuel diachronique s’étendant du XVIIe au XXe siècle dans lequel nous devons distinguer les éditions officielles, reconnues par l’Académie, et les publications sous adresse douteuse.

Les éditions officielles achevées ont paru respectivement en 1694, 1718, 1740, 1762, 1798, 1835, 1878 et 19351. Nous en avons donné une édition électronique sur un cédérom pour les réunir, précisément afin que le public puisse bien les distinguer des contrefaçons. Ces éditions officielles, qui constituent un corpus fermé, sont consultables soit de façon individuelle, soit associées selon les dates souhaitées, soit confrontées toutes les huit sur un même écran, ce qui permet de comparer la nomenclature et les articles sur plus de trois siècles2.

Les éditions non officielles recensées à ce jour3 constituent un corpus plus délicat à apprécier que celui des éditions officielles, un corpus ouvert à de nouvelles découvertes, faute de certitude absolue d’exhaustivité face à des exemplaires susceptibles d’avoir échappé à notre enquête. Rappelons que, dans l’histoire du livre ancien, tout exemplaire est un objet unique fabriqué de façon artisanale, et susceptible de comporter des différences notables par rapport à l’édition à laquelle il est supposé appartenir. Voici les principales dates et adresses des éditions que nous avons recensées et consultées :

– 1687, Francfort, contrefaçon de la pré-édition de Paris 1687 ;

– 1695, Bruxelles, contrefaçon de la première édition de 1694 ;

– 1765, Paris, Libraires associés, contrefaçon de l’édition de 1762 ;

– 1765, Avignon, contrefaçon de l’édition de 1762 ;

– 1772 et 1776, Lyon, Duplain, contrefaçons de l’édition de 1762 ;

– 1772, Paris, Saillant et Nyon, contrefaçon de l’édition de 1762 ;

– 1786, 1787, 1788, Nîmes, Beaume, contrefaçons de l’édition de 1762, avec ou sans supplément4 ;

– 1777, Avignon5, contrefaçon de l’édition de 1762 ou de l’édition de Nîmes ? ;

– 1792, Paris et Lyon chez Delamollière6, contrefaçon de l’édition de 1762 ou de l’une de celles de Nîmes/Avignon ? ;

– 1798-1811 et 1798, 1832, Paris, contrefaçons de l’édition de 1798 qualifiée de « révolutionnaire », avec ou sans supplément ;

– 1822, 1825 et 1829, Paris, contrefaçons de l’officielle édition de 1798 ;

– 1835-1856, Paris ;

– 1836, Bruxelles, A. Wahlen, rue des Sables, contrefaçon de l’officielle sixième édition de 1835, avec une préface extrêmement critique et surtout, à la fin du second tome, une publicité pour le « Complément du Dictionnaire de l’Académie Française7 » annonçant « près de 100 000 mots » en « à peu près 12 livraisons de 5 feuilles in-4°, du même prix et entièrement conformes au Dictionnaire même, de manière que l’on pourra faire relier le tout en un seul volume » !

On aura compris combien ce vaste ensemble éditorial est complexe : les dates figurant sur les pages de titre ne sont pas forcément fiables et les adresses masquent souvent des ateliers obligés de pratiquer la contrefaçon pour se maintenir sur le marché du livre : ce sont les « presses grises », ainsi dénommées par François Moureau8.

LES CONTREFAÇONS DANS L’HISTOIRE DU LIVRE : RAPPELS

Le principe de la censure royale sous l’Ancien Régime consistait à n’autoriser la publication d’un ouvrage, quelle qu’en soit la nature (littéraire, religieuse ou historique), qu’après délivrance d’un privilège du Roi en général précédé d’approbations émanant des services chargés de la censure a priori, ou au moins, depuis le XVIIIe siècle, d’une permission. Cette situation contraignante pour les auteurs et surtout pour les imprimeurs-libraires a entraîné en toute logique des contournements aux règles établies par la Monarchie. Rappelons simplement ici l’obligation pour tout imprimeur-libraire de respecter la législation, l’obtention des approbations et du privilège dont les textes devaient être reproduits partiellement ou in extenso avec les dates et noms des signataires au début ou à la fin de l’ouvrage imprimé ; de disposer de ses propres caractères et ornements typographiques ; de mentionner, dès la page de titre de tout ouvrage imprimé sous ses presses, son adresse précise et la date de publication. Ces obligations légales portent à considérer la partie inférieure d’une page de titre comme la « carte d’identité » de la publication. La prise en compte des moindres détails textuels et typographiques présents sur la page de titre invite l’historien à apprécier cette « carte d’identité » comme fiable ou suspecte. C’est le cas pour bon nombre d’éditions du Dictionnaire de l’Académie française ne portant pas l’adresse de Paris associée aux noms de libraires reconnus par les instances monarchiques, avec un intitulé accrocheur tel que « Nouvelle édition… », alors même que l’Académie française a toujours pris soin de préciser le statut numéral de chaque édition officielle par rapport aux précédentes : « deuxième, troisième édition », etc. On connaît d’ailleurs les noms des imprimeurs-libraires ayant officiellement travaillé en accord avec l’Académie Française, notamment grâce à l’étude précieusement documentée de Paul Delalain9 ; ce n’est pas le cas, malheureusement, pour les éditions et retirages non officiels.

LES ÉDITIONS DU DICTIONNAIRE DE L’ACADÉMIE PORTANT L’ADRESSE DE NÎMES

L’exemple des contrefaçons du Dictionnaire de l’Académie française portant l’adresse de Nîmes est particulier car, parmi les exemplaires que nous avons recensés, nous disposons actuellement de quatre cas : deux cas présentent l’adresse de Nîmes, respectivement avec les dates de 1786 et de 1788, le nom de P. Beaume, mais des ornements typographiques provenant nettement de l’imprimeur d’Avignon Jacques Garrigan10, l’un avec supplément, l’autre sans ; un tirage officiel, reconnu par l’Académie, portant l’adresse de Nîmes et la date de 1786 ; enfin un autre tirage avec les mêmes indications, mais contesté. C’est notamment grâce au témoignage de l’imprimeur-libraire nîmois, Pierre Beaume, que nous apprenons pourquoi la quatrième édition officielle du Dictionnaire de l’Académie Française, celle de 1762, a suscité tant de contrefaçons en format in quarto, un format moins coûteux à réaliser, plus facile à transporter. L’« Avis de l’imprimeur », P. Beaume, publié sur son édition portant l’adresse de Nîmes avec la date de 1786, est particulièrement précieux puisqu’il explique pourquoi et comment le phénomène des contrefaçons s’est développé (a), pour ensuite louer l’entreprise d’un collègue d’Avignon (b), avant de dénoncer un lyonnais, lui aussi responsable de contrefaçons (c) :

(a) Malgré quatre éditions consécutives du Dictionnaire de l’Académie Françoise, faites à Paris en 1694, 1718, 1741 & 1762, cet ouvrage étoit peu connu dans la plupart des provinces du Royaume. Le format in-folio, qu’on avoit toujours adopté dans ces différentes éditions, rebutoit le lecteur par sa cherté, & rendoit même l’usage de ce livre fort incommode.

(b) Pour remédier à ce double inconvénient, un imprimeur d’Avignon entreprit de réduire les deux volumes in-folio de l’édition de Paris, en deux volumes in-quarto sur plus petit caractère, en suivant exactement cette même édition de Paris. L’ouvrage parut sous cette nouvelle forme en 1765, & fut rapidement enlevé. La beauté de l’exécution, & la commodité du format en déterminèrent le débit : l’usage en fit connoître le mérite & l’utilité.

(c) Un libraire de Lyon en donna une seconde édition in-quarto en 1772 ; mais au lieu de suivre exactement celle d’Avignon, il s’en écarta totalement, en mettant en caractère romain, ce qui devoit être en caractère italique, & confondit par-là l’explication & la définition de chaque mot avec les phrases que l’Académie a composées exprès pour achever d’en expliquer la signification, faire comprendre quel en est le vrai sens, les différentes acceptions dans lesquelles il peut être employé, & avec quels termes il peut être joint. Malgré le vice de cette exécution, le mérite de l’ouvrage l’emporta, & l’édition, quoique tirée à très-gros nombre, fut épuisée en très-peu de temps.

Le même libraire en donna une troisième édition en 1776, dans laquelle on trouve les mêmes défauts qu’à la précédente, & plus mal exécutée encore quant à la partie typographique.

« Une troisième édition en 1776 » : comprenons bien, il s’agit d’une troisième contrefaçon !

Pierre Beaume reste discret sur l’identité de ses collègues. Qui étaient donc ces imprimeurs-libraires d’Avignon et de Lyon ? Pour Avignon, le plus connu était Jacques Garrigan, établi place Saint-Didier, dont le matériel typographique est aisément identifiable. Pour Lyon, nous avons effectivement pu consulter les exemplaires des deux éditions de l’imprimeur-libraire lyonnais, qui ne semble pas s’être caché, Joseph Duplain, et affiche son adresse, rue Buisson, à la date de 1772 comme à celle de 1776 : les volumes que nous avons pu examiner ne comportent aucune reproduction de privilège11. Nous avons par ailleurs eu l’occasion de consulter, dans une collection privée, deux exemplaires de ces mêmes éditions de 1772 et 1776 portant l’adresse de Duplain à Lyon, mais comportant des ornements rappelant ceux des presses de Garrigan. L’étude est en cours.

Pierre Beaume était bien conscient d’une situation contre laquelle il s’est porté en faux, lorsqu’il a précisé, toujours dans le même Avis :

Le Public se plaignoit hautement de voir ainsi défigurer un Ouvrage aussi utile, & qui par sa nature, demande l’exactitude la plus scrupuleuse dans l’exécution. Nous lui en présentons une nouvelle Edition, dans laquelle nous avons tâché d’éviter les défauts des précédentes. Nous avons d’abord rétabli la forme primitive de l’Ouvrage […] Nous avons suivi l’Edition d’Avignon de 1765, ligne à ligne & mot à mot ; mais nous ne nous en sommes pas entièrement rapportés à la fidélité de cette Edition ; nous avons eu soin de relire nos Epreuves avec l’attention la plus scrupuleuse sur la dernière Edition de Paris, faite sous les yeux de l’Académie, & cette précaution nous a mis en état de corriger plusieurs fautes qui s’étoient glissées dans celle d’Avignon, & de restituer des phrases entières qui y avoient été omises ou corrompues. […]

La contrefaçon d’Avignon datée de 1765 a bien copié une édition de Paris, mais laquelle ? La contrefaçon de 1765 portant la signature indéfinie de « Libraires associés », révélatrice par l’absence de précision de l’identité des libraires, ou bien l’édition autorisée de l’Académie française imprimée à Paris en 1762 ? Il s’agit plutôt de cette dernière, « faite sous les yeux de l’Académie » ; mais nous devons garder à l’esprit que l’Académie pouvait ne pas forcément voir d’un mauvais œil la réédition de son dictionnaire par des libraires du sud de la France, pour une meilleure diffusion en province, bien que l’institution n’ait aucun intérêt à léser ouvertement le monopole de son imprimeur-libraire officiel établi à Paris. C’est ce que révèlent les annotations manuscrites figurant sur un précieux exemplaire.

La Bibliothèque de l’Institut de France conserve en effet un exemplaire portant l’adresse de Nîmes avec la date de 1786 et le nom de Pierre Beaume, tirage comportant la reproduction du privilège daté de l’édition officielle de 1762, « Registré à Paris, ce 28 février 1761 », signé « G. C. SAUGRAIN, Syndic12 ». Ce témoin apporte de précieuses informations : d’abord, ce tirage comporte une page de faux titre – « DICTIONNAIRE DE L’ACADÉMIE FRANÇOISE, AVEC UN SUPPLÉMENT CONTENANT les Mots, adoptés par l’usage, qui ne se trouvent point dans le Dictionnaire de l’Académie, extraits d’un Ouvrage Imprimé chez l’Etranger, en l’année 1786. » – intitulé que nous avons déjà rencontré13 ; mais surtout, le volume porte une note manuscrite du début du XIXe siècle dressant le bilan des éditions connues du Dictionnaire de l’Académie française (a) pour signaler le consentement tacite de l’Académie face aux contrefaçons (b)

(a) 1ere Ed. 1694. in fol. / 2e Ed., 1718. 2 V. fol. / 3e Ed., 1740. 2 Vol. fol. / 4e Ed., 1750. 2 V. fol. réimprimée sans augmentation en 1762. / [Biffé] 5e Ed. 1762, 2 vol. fol. / 5e Ed., 1798. / J’ignore le format. / L’Institut national prépare (en 1801) la 6e Edn /

(b) Toutes les éditions in-4° ne sont point approuvées de l’Académie, mais elle a consenti tacitement à leur publication. Quelques Imprimeurs se sont passés des Additions qui n’avoient point l’assentiment de l’Académie. […]

Dans son Avis, Pierre Beaume insiste sur la qualité de son matériel typographique, du papier et de l’exécution pour mettre en valeur son édition face aux contrefaçons :

Toute l’édition est faite sur caractère neuf de M. Fournier le Jeune de Paris ; nous y avons employé du papier fin, du poids de 22 à 23 liv. la rame ; nous avons veillé avec le plus grand soin à l’exécution typographique, & enfin nous n’avons rien négligé pour la rendre aussi belle & aussi correcte qu’il nous a été possible. Nous prions le public de vouloir bien la distinguer des précédentes, & nous lui laissons le soin d’en apprécier le mérite.

De fait dans une « Lettre Circulaire à tous les Libraires du Royaume, en date du 13 Octobre 1785 », Jean-Jacques Vidaud de La Tour, directeur général de la Librairie, a écrit :

Je suis informé, Monsieur, qu’on vient d’imprimer chez l’étranger le Dictionnaire de l’Académie Françoise, & qu’on tente de répandre dans le Royaume cette contrefaçon. Les ordres les plus sévères ont été donnés pour l’arrêter partout où on la trouvera, & la mettre au pilon. Je vous préviens que vous vous exposerez à toutes les peines portées par les règlements si on la trouve chez vous ; & pour que vous ne puissiez pas être surpris, & la confondre avec l’édition que M. Beaume, imprimeur à Nismes, en prépare actuellement avec privilége, je vous adresse un modèle de cette édition de M. Beaume, dont les soins typographiques, & la beauté de l’exécution méritent encouragement. Il vous sera aisé d’en faire la comparaison avec l’édition contrefaite […].

Mais il faut prendre le soin de lire encore un dernier texte pour mesurer davantage l’importance accordée par Pierre Beaume à la qualité de facture de son édition : un « Avis de l’imprimeur sur ce supplément » figure au verso de la page de titre intérieur du Supplément au premier volume du Dictionnaire de l’Académie françoise contenant les mots… Or, le texte de cet avis se trouve aussi sur des exemplaires douteux… Retenons, dès à présent, les précisions suivantes concernant le soin apporté à la réalisation d’une édition et la façon dont il fallait alors agir face à la concurrence déloyale :

En donnant Notre seconde Edition du Dictionnaire de l’Académie Françoise, nous crûmes devoir conserver le Millésime de la première, faite en l’année 1778 […]

Un Imprimeur Etranger vient de nous contrefaire cette seconde Edition, sous la date de 1786, & non content de l’avoir contrefaite, dans la vue de nous porter le plus grand préjudice possible, il y a joint un Supplément à la fin de chaque volume. Nous nous sommes procuré un Exemplaire de cette Contrefaçon pour l’examiner. Nous l’avons trouvée remplie de fautes, & très-mal exécutée quant à la partie Typographique.

Mais connaissant combien le charlatanisme s’est introduit, de nos jours dans le commerce de la Librairie, & combien le Public est porté à préférer les Editions qu’on lui annonce avec des Augmentations, sans examiner si elles sont bien ou mal faites, pour rendre la Nôtre aussi complète que la Contrefaçon dont nous venons de parler, Nous avons cru devoir y joindre le Supplément qui se trouve à cette Contrefaçon ; & nous avons lieu d’espérer, de la justice du Public, & de celle de MM. Les Libraires, que notre Edition, privilégiée, & supérieurement exécutée, aura la préférence, sur une Contrefaçon furtive, incorrecte & prohibée […]

Si ce texte nous confirme bien qu’on ne peut se fier aux dates (« sous la date de… »), nous retiendrons surtout combien la surenchère des augmentations a joué un rôle important dans l’histoire des contrefaçons d’ouvrages recherchés du public.

Pourquoi la quatrième édition du Dictionnaire de l’Académie française, celle de 1762, a-t-elle été ainsi subitement si concernée par ces ajouts, ces augmentations sous forme d’un « Supplément » ?

La période pré-révolutionnaire a porté en elle tant de notions nouvelles, tant de mots dont le sens a progressivement évolué que le dictionnaire représentatif de la langue commune devait en rendre compte, en offrir les exemples, les témoignages. Or, comme l’Académie française n’était vraisemblablement pas prête à enrichir son dictionnaire ni à donner sa cinquième édition – celle qui verra le jour en 1798 –, les imprimeurs-libraires de province en ont profité. Le plus habile a été celui qui a su obtenir le consentement de l’Académie, Pierre Beaume, mais il a subi, lui aussi, le préjudice des contrefacteurs : indice révélateur de l’engouement du public pour le genre que représentait le dictionnaire, témoin privilégié de la vie des mots en relation avec l’évolution culturelle de la société. La pratique de la lecture s’est répandue et, avec le format in-quarto, la diffusion des contrefaçons à un coût moins élevé que les éditions originales, le livre a progressivement perdu son caractère d’objet précieux pour conquérir de nouveaux publics et s’imposer davantage comme référence des usages.

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1 B. Quemada, Le Dictionnaire de l’Académie française et la lexicographie institutionnelle européenne, Actes du colloque international des 17, 18 et 19 novembre 1994, Paris, H. Champion, 1998. Isabelle Turcan, « La construction de la base informatisée des huit éditions officielles achevées du Dictionnaire de l’Académie française, 1694-1935 », dans Construction et utilisation de grands corpus. Les grands corpus diachroniques, actes du colloque organisé par Hélène Huot, Université Paris VII, 24-27 septembre 1997, parus dans la Revue française de linguistique appliquée, juin 1999, vol. IV, 1 (Grands corpus : diversité des objectifs, variété des approches), p. 47-55.

2 Le Dictionnaire de l’Académie française. Les huit éditions officielles achevées, 1694-1935, consultables sur un même écran, réunies dans un cédérom unique, avec possibilités multiples d’affichages, de requêtes et de récupération des résultats. Présentation historique et critique par I. Turcan. Éditions Redon, Marsanne, 2000. Diffusion : Paris, Le Robert, 2004.

3 Nous ne signalons ici que les éditions dont nous avons pris connaissance directement, en bibliothèque ou dans des collections particulières.

4 Ce supplément fera l’objet d’une étude comparative spécifique, du fait de variantes textuelles dès l’intitulé. Ainsi sur un exemplaire portant l’adresse de Nîmes, 1786, lit-on : « Supplément au premier volume du Dictionnaire de l’Académie Françoise contenant les Mots, adoptés par l’usage, qui ne se trouvent point dans le Dictionnaire de l’Académie, extraits d’un Ouvrage Imprimé chez l’Etranger, en l’année 1786 ». Précisons déjà que la date est inexacte et que l’authentique édition de P. Beaume n’a été commencée qu’en 1787 et terminée en 1788.

5 Exemplaire conservé à la bibliothèque de l’Université de de Nancy, XD 4720.

6 B. U. de Nancy, XD 5163 : le texte de la préface diffère de toutes les éditions précédentes avec notamment la publicité suivante : « Le Dictionnaire de l’Académie, malgré ses imperfections, a toujours été fort estimé. Nous avons travaillé sur ce fonds, et nous offrons au Public le Dictionnaire le plus étendu et le plus complet qu’il y ait » ; de fait on apprend aussi qu’il s’agit d’un « Nouveau Dictionnaire François, composé sur le Dictionnaire de l’Académie Françoise, enrichi de grand nombre de Mots adoptés dans notre Langue depuis quelques années, et dans lequel on a refondu tous les Supplémens qui ont paru jusqu’à présent ».

7 « Contenant tous les termes de Littérature, de Rhétorique, de Grammaire, d’Art dramatique, de Philosophie, de Linguistique, d’Histoire, de Sectes religieuses, de Chronologie, de Mythologie, d’Antiquités […] auxquels on a joint : le Vieux Langage, le Néologisme, la Géographie ancienne et moderne, un Traité complet d’étymologie. » : bref, tous les domaines qui avaient été rejetés par l’Académie elle-même !

8 Les presses grises. La contrefaçon du livre, XVIe-XVIIIe siècles, éd. F. Moureau, Paris, Aux amateurs de livres, 1988.

9 Paul Delalain, Les Libraires & imprimeurs de l’Académie française de 1634 à 1793, Notices biographique, Paris, Alphonse Picard et fils, 1907.

10 Imprimeur dont les ornements se retrouvent également sur une édition du Dictionnaire de l’Académie française portant la date de 1772, l’adresse de Lyon et le nom de l’imprimeur Joseph Duplain.

11 Notamment à la bibliothèque municipale de Lyon, cotes 109298 (1786), 167425 et SJ BC 20251-52 (1778), à celle de l’Institut de France, et à la BnF, 33347077 (1772), 33347078 (1776).

12 D 4201.

13 Cf. supra, note 4.