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Shanghai, Bibliothèque de la ville de Shanghai, Anthologie de documents à caractère biographique conservés à la Bibliothèque de Shanghai

Shanghai, 2015, 284 pages ISBN : 978-7-5325-7880-1

Chen JIE

Shanghai, Université Fudan

À l’occasion d’un vaste projet de valorisation des documents à caractère biographique, qui constituent un fleuron méconnu de son immense patrimoine, la Bibliothèque de Shanghai publie une Anthologie qui tient lieu de catalogue d’exposition. Publication d’autant plus précieuse que la manifestation n’a duré que le temps d’une semaine. Trois grands types de documents sont concernés par cette anthologie, qui tous avaient fonction de témoignages biographiques de personnalités vivant pour la plupart au XIXe et au début du XXe siècle. Les premiers d’entre eux s’appellent en chinois Nian Pu (« chronologies »). Il s’agit d’écrits présentant la vie d’une personne année après année. Le genre est attesté depuis la dynastie des Song (960-1279), mais s’est considérablement développé sous le règne des Qing (1636-1912). Souvent, l’auteur de ces chronologies était un descendant de l’homme dont il entendait immortaliser le souvenir. Du fait de l’attention que leur ont accordée les intellectuels de la fin de l’Empire et du début de la République, la valeur historique des Nian Pu fut rapidement reconnue par les chercheurs, et les érudits n’ont pas tardé à s’intéresser à cette production et à l’alimenter. Quelques-uns, comme XIANG Shiyuan ou QIN Hancai, ont signé de nombreuses Nian Pu consacrées à des hommes illustres du passé, proche ou lointain. Une partie d’entre elles ont été présentées dans l’exposition. La composition de telles chronologies biographiques supposait un long travail de recherches en amont, leur valeur documentaire est donc particulièrement grande. Ainsi de la Chronologie de M. WANG Liutan, rédigée par XIANG Shiyuan (1887-1959). WANG Liutan (1839-1916) est un mandarin ayant voyagé dans sept pays européens (France, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Autriche, Hongrie, Belgique) en tant que membre d’une délégation diplomatique dirigée par XU Jingcheng, ambassadeur de l’empereur GUANG Xu. Il a laissé plusieurs journaux dans lesquels il a noté ce qu’il a vu et vécu durant ce long voyage dans un monde que les Chinois ignoraient alors très largement. Le journal que le mandarin a tenu pendant son séjour en Allemagne est aujourd’hui perdu, alors que notre érudit, né environ un demi-siècle après, devait l’avoir sous les yeux lorsqu’il composa cette chronologie, puisque le séjour allemand du délégué chinois y est décrit en détail, jour après jour. La Chronologie de M. WANG Liutan complète ainsi nos connaissances sur les premières impressions des Chinois sur l’Europe. Enfin, on pouvait rédiger sa propre chronologie, de sorte que celle-ci devenait une autobiographie. Un quart des chronologies exposées relèvent de ce genre. Les Nian Pu pouvaient également constituer une production graphique remarquable, étant souvent manuscrites et calligraphiées. Quant aux Nian Piu imprimées, elles furent parfois illustrées, à l’exemple des six tomes du Hong Xue Yin Yuan Tu Ji (Traces d’une vie illustrées), autobiographie du mandarin mandchou WANYAN Linqing (1791-1846). Elle contient jusqu’à 240 gravures d’une remarquable exécution.

Le deuxième type de documents relève de la catégorie des ephemera, et peut être rapproché de productions comparables dans certaines cultures occidentales. Il s’agit des annonces de décès (Fu Gao). En chinois le terme désigne aussi bien des feuilles volantes, imprimées ad hoc, que la famille du défunt adresse à ses proches, que de simples annonces parues dans la rubrique nécrologique des journaux. Mais les plus riches Fu Gao sont des recueils qui réunissent les textes correspondant aux différentes étapes des funérailles traditionnelles, rendant hommage au défunt à la faveur de notices (parfois complétées par de véritables biographies) et d’éloges funèbres. Lorsque le défunt est un homme de lettres, on n’hésite pas à y inclure une liste de ses œuvres. Un recueil ainsi constitué nécessite un temps de préparation plus important. C’est pourquoi il ne paraît que plusieurs mois, voire un an après les obsèques. Ces recueils, pour riches qu’ils soient, n’ont pourtant été imprimés qu’à un petit nombre d’exemplaires, et ont connu une diffusion restreinte. Leur conservation fut donc aléatoire ; les quelques milliers de Fu Gao conservées par la Bibliothèque de Shanghai constituent la plus belle collection de documents nécrologiques de Chine. Elle a été constituée à la faveur d’une collecte active de la part de ses conservateurs, alors même que ce type d’ « impressions domestiques » et de documents du « for privé » était mal considéré par le pouvoir communiste. En général, le responsable de l’annonce de décès est un membre de la famille du défunt, un ami proche ou un disciple. Mais à partir du début du XXe siècle, suite au mouvement dit de la « Nouvelle Culture22 », de plus en plus de Chinois refusèrent de respecter scrupuleusement le protocole funéraire traditionnel. Pour eux, la cérémonie funéraire était souvent organisée par l’établissement qu’ils avaient servi pendant leur existence ou une partie de celle-ci. À l’issue de la cérémonie, un « recueil commémoratif » ou « un numéro spécial commémoratif (d’un journal) » – les deux réalités sont couvertes par le terme de Fu Gao – était publié. Il contient non seulement les éléments traditionnels, mais aussi les témoignages du déroulement de la cérémonie. Quand il s’agit d’un défunt célèbre, ces « recueils commémoratifs » se multiplient, pour manifester l’ampleur de la communauté investie dans l’hommage rendu à son héros, une communauté qui peut s’étendre à la nation tout entière.

Les derniers documents à caractère biographique sont des épitaphes épigraphiques. Dans la culture funéraire chinoise, on distingue deux types d’épitaphes : les unes sont gravées sur la tombe, et portent un éloge du défunt ; les autres sont gravées sur une stèle elle-même enterrée, couverte par une autre pierre, vierge celle-ci de toute inscription. Plusieurs inscriptions de ce second type, contenant des éléments biographiques, sont exposées à la Bibliothèque de Shanghai. Elles nous renseignent notamment sur la généalogie de la famille du défunt, sur l’origine de son patronyme. Sous l’Empire, quand mourrait un grand mandarin, on était autorisé à dresser une stèle de taille importante sur laquelle était gravée une notice biographique, parfois assez détaillée. La langue chinoise désigne cet objet du terme de « stèle sur la voie tombale » (Shen Dao Bei), car elle est installée sur une voie qui mène à la tombe. Chance inouïe pour les amateurs d’histoire et les chercheurs : les inscriptions de la Shen Dao Bei de LI Hongzhang, le mandarin le plus connu à la fin de la dynastie des Qing, le seul à qui les diplomates européens d’alors faisaient confiance, sont pour la première fois reproduites en intégralité dans cette belle Anthologie.

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22 Mouvement culturel animé, entre 1915 et 1919, par les lettrés chinois ayant fait leurs études en Europe ou au Japon (déjà occidentalisé). Ceux-ci critiquaient violemment la tradition et l’autorité absolue du confucianisme.