Book Title

Annika Haß, Der Verleger Johann Friedrich Cotta (1764-1832) als Kulturvermittler zwischen Deutschland und Frankreich. Frankreichbezüge, Koeditionen und Übersetzungen

Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 2015 (Zivilisationen & Geschichte, 33), 254 p.

Claire GANTET

Université de Fribourg, Suisse/Universität Freiburg, Schweiz

Lancée par Michel Espagne et Michael Werner en 1985, la recherche sur les transferts culturels est désormais âgée d’une génération. À l’origine, elle s’attachait à la constitution de disciplines (comme la philologie) au XIXe siècle dans le contexte de l’affirmation des États-nations. Tandis que Michel Espagne l’appliquait à l’ère pré-nationaliste et à une région – la Saxe au XVIIIe siècle –, Hans-Jürgen Lüsebrink fécondait cette approche par l’histoire du livre et l’histoire de la traduction, en lançant avec York-Gothart Mix une vaste étude sur les almanachs francophones diffusés dans l’espace germanophone entre 1700 et 1815, puis, avec York-Gothart Mix et Christophe Charle, un ample programme de recherche sur la circulation des textes et critiques littéraires ainsi que des traducteurs en Europe entre 1750 et 1900. Étudiante de Hans-Jürgen Lüsebrink, Annika Haß a consacré son travail de maîtrise à l’éditeur Johann Friedrich Cotta, dans lequel elle a de la même façon croisé la problématique des transferts culturels, l’histoire du livre et la recherche sur les traductions. Elle fonde son travail sur l’étude des références à la France dans le programme éditorial de Cotta, connu en particulier pour avoir été l’éditeur de Johann Wolfgang von Goethe et de Friedrich Schiller.

Les cinq premiers chapitres présentent le corpus constitué par Annika Haß. Ils mettent en évidence l’importance des références à la France. Dans la bibliographie de la maison d’édition Cotta élaborée par Bernhard Fischer, ils constituent un cinquième des titres, contre 1/15e pour le latin et au plus 1/25e pour l’anglais. Cotta diffusa en coédition avec des éditeurs français d’importants périodiques francophones ou consacrés aux échanges franco-allemands, ainsi les Archives littéraires de l’Europe, la Bibliothèque germanique, l’Almanach des Dames ou les Französische Miscellen, mais aussi de nombreuses monographies. Les coéditeurs de Cotta étaient soit des éditeurs alsaciens (ainsi Treuttel & Würtz), soit des Allemands résidant à Paris pour y vivre la Révolution française, soit des éditeurs parisiens auprès desquels il entretenait un représentant permanent, Alexander Schubart. Quant aux ouvrages publiés par Cotta seul faisant référence à la France, il s’agit de traductions (pour 40 %), de périodiques (35 %), d’ouvrages en français (17 %) et d’œuvres bilingues (8 %) destinées au marché allemand. Tandis que le programme de recherche sur les traductions du français vers l’allemand entre 1770 et 1815 initié par Hans-Jürgen Lüsebrink et Rolf Reichardt avait mis en évidence un apogée dans les années 1790, Annika Haß relève une croissance continue des traductions comme des œuvres faisant référence à la France dans les monographies éditées par Cotta, avec deux pics, en 1805-1810 et en 1820-1824. Les ouvrages les plus demandés sont de toute évidence des méthodes de langue, des grammaires et des récits de voyage, brefs, des textes pratiques liés aux transferts culturels.

Les ouvrages consacrés au moins pour partie à Napoléon constituant la majeure partie des traductions publiés du français en sol allemand entre 1815 et le début des années 1820, la figure de Napoléon suscita naturellement un grand nombre de titres publiés par Cotta, analysés rapidement dans le chapitre six. Le duché du Wurtemberg ayant été élevé par Napoléon en royaume en 1806, il est évident que le stuttgartois Cotta ne pouvait que lui vouer un intérêt particulier. Très hétérogènes vers 1800, les ouvrages qu’il publia furent à partir de 1820 nettement favorables à l’empereur des Français. De nombreux collaborateurs de Cotta, ainsi Friedrich Ludwig Lindner, Albrecht Lebret et Therese Huber, étaient en effet des admirateurs de Napoléon. Cotta pouvait aussi se fier aux informations transmises depuis Paris par Jean Alexandre Buchon qui y négociait ses contrats, et aux traductions élaborées par Theodor von Haupt et Joseph von Theobald.

Le dernier chapitre, consacré aux traducteurs en tant qu’intermédiaires culturels, constitue le cœur du travail. Annika Haß y présente trois traducteurs, très différents les uns des autres, mais dont aucun ne vit que de la traduction : le naturaliste stuttgartois pronapoléonien Albrecht Lebret (1778-1846) ; l’officier et publiciste Markus Theodor von Haupt (1784-1832), actif à Dijon puis Paris ; un antinapoléonien enfin, l’officier de métier Joseph Apollinaris Honoratus von Theobald (1772-1837), lequel, en conséquence de lourdes fautes de traduction, finit par rompre toute relation avec Cotta.

La conclusion résume le propos et relève l’évolution des traductions. Les critères esthétiques jouèrent un rôle croissant non seulement dans la théorie et la critique de la traduction, mais aussi dans sa pratique. Soucieux d’intensifier ses relations avec la France et d’étoffer son réseau franco-allemand, l’éditeur Cotta fut un intermédiaire de taille dans les relations franco-allemandes autour de 1800, en un temps marqué par l’antagonisme armé et l’affirmation nationale. L’ampleur du « programme » franco-allemand de Cotta manifeste l’ouverture pérenne d’une élite encore fidèle aux idéaux des Lumières.

Annika Haß a réalisé un travail de maîtrise très informé, fondé sur de nombreuses sources, y compris des correspondances manuscrites. Il s’agit bien sûr d’un premier ouvrage et il comporte les défauts des publications précoces, en particulier la lourdeur scolaire. L’analyse très descriptive est centrée sur le corpus et ne le dépasse guère pour faire parler l’époque et ancrer l’action de Cotta en particulier dans le contexte socioculturel spécifique du Wurtemberg. Johann Friedrich Cotta est aussi connu comme un pionnier des presses modernes, un entrepreneur et un diplomate. En quoi ces activités guidèrent-elles la volonté de faire pont avec la France ? Une appréciation informée et critique de la problématique des transferts culturels aurait été souhaitable. Cet ouvrage exhume néanmoins tout un pan d’œuvres largement oubliées.