Book Title

Claudia Fabian (éd.), Das handschriftliche Erbe der griechischen Welt : Ein europäische Netzwerk. Vorträge des internationalen Symposiums “Griechische Handschriften in der Bayerischen Staatsbibliothek” am 5. März 2013 und weitere Beiträge zur aktuellen Erschließung und Erforschung

Numéro spécial de la revue Bibliothek und Wissenschaft (47), Wiesbaden, 2014. 195 p. ISBN 978-3-447-10305-3

Matthieu CASSIN

Institut de recherche et d’histoire des textes, CNRS, UPR 841

Bien des bibliothèques dans le monde conservent des manuscrits grecs pour lesquels on ne dispose pas de catalogue, ou seulement de catalogues vieux d’un voire de plusieurs siècles. Rares sont cependant les institutions qui parviennent à réaliser un tel catalogage dans des délais raisonnables, surtout lorsque les fonds sont importants. C’est pourtant le cas de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich, dont le fonds Cod.graec. comporte à ce jour 650 numéros, ce qui en fait la première collection de manuscrits grecs d’Allemagne. Le seul catalogue disponible pour l’essentiel du fonds était jusqu’à il y a peu celui d’Ignaz Hardt, paru en 1806-1812, et qui couvrait les cotes 1 à 574. En 1987 fut lancé le projet d’un nouveau catalogue, dont les premiers fruits virent le jour entre 2002 et 2004, avec la publication d’un volume d’histoire du fonds jusqu’en 1803 et de deux premiers catalogues (K. Hajdú, Cod.graec. 110-180 ; V. Tiftixoglu, Cod.graec. 1-55). Ces dernières années ont vu la parution de trois autres volumes (K. Hajdú, Cod.graec. 181-265, 2012 ; M. Molin Pradel, Cod.graec. 56-109, 2013 ; F. Berger, Cod.graec. 575-650, 2014). Il reste donc maintenant un peu plus de la moitié du fonds à décrire, et la chose paraît en bonne voie (voir p. 30, pour la répartition des manuscrits restant).

Il importe aussi de souligner que ce catalogage a été l’occasion de l’une des plus grandes découvertes textuelles dans le domaine grec – et même plus largement dans le domaine de la littérature antique – depuis plusieurs dizaines d’années : le 5 avril 2012, Marina Molin Pradel redécouvrit, dans le manuscrit Cod.graec. 314, 29 homélies sur les Psaumes d’Origène, transmises anonymement, dont l’édition vient d’être publiée par Lorenzo Perrone et plusieurs collaborateurs19. La découverte est capitale ; elle augmente considérablement la part des œuvres d’Origène, et en particulier des homélies, qui nous est accessible dans la langue d’origine. L’importance de ce corpus nouveau est clairement mise en lumière par L. Perrone dans ce volume (« Der Origenes-Fund der Bayerischen Staatsbibliothek : Die 29 Psalmenhomilien von Cod.graec. 314 »).

Divers anniversaires et achèvements ont conduit à réunir, le 5 mars 2013, un colloque à la Bayerische Staatsbibliothek de Munich, qui fut l’occasion de faire le point sur cette entreprise de catalogage, d’en mettre en évidence les acquis principaux, mais aussi de fournir quelques lumières sur d’autres fonds de manuscrits grecs conservés dans l’espace germanophone. L’ouvrage comporte un article introductif, dans lequel P. Schreiner brosse un rapide tableau de l’histoire du catalogage des manuscrits grecs depuis l’Antiquité, puis trois parties principales : 20 ans de catalogage sur nouveaux frais des manuscrits grecs de la Bayerische Staatsbibliothek ; trois études d’un ou plusieurs manuscrits du fonds ; des aperçus sur quatre collections allemandes (ou autrichienne) de manuscrits grecs.

Le volume s’ouvre, après les divers éléments introductifs, par une étude de P. Schreiner, « Geschichte der griechischen Handschriftenkatalogisierung : Ein überblick » ; parcourant toutes les époques depuis l’Antiquité, l’auteur propose un rapide aperçu des différentes phases du catalogage des manuscrits grecs, depuis les simples listes de livres jusqu’aux catalogues scientifiques contemporains. C’est dans le premier catalogue des manuscrits du fonds Vat. gr. de la Biblioteca Apostolica Vaticana, publié en 1923 par Giovanni Mercati et Pio Franchi de’ Cavalieri, que P. Schreiner reconnaît, classiquement, le point de départ du catalogage moderne, prenant en compte toutes les dimensions du livre et de son histoire, alors que l’intérêt résidait jusqu’alors surtout dans le repérage des textes et de la date du manuscrit. L’étude s’arrête cependant au seuil de la période contemporaine et n’approfondit pas les tendances actuelles20.

La première partie comprend une contribution de C. Fabian, « Die Codices graeci Monacenses : Ein überblick über den Bestand und seine Erschließung » : l’auteur rappelle les grandes étapes de la constitution du fonds de manuscrits grecs de la BSB, avant de présenter en détail les différentes phases du nouveau catalogage, depuis la prise en charge de la description scientifique par la bibliothèque en 1965, puis la mise en route effective du catalogage des manuscrits grecs en 1991-1992. On notera en particulier la spécificité allemande, où la Deutsche Forschungsgemeinschaft contribue au financement du signalement des fonds, tout en en confiant la réalisation aux bibliothèques. C. Fabian rappelle également la très importante entreprise de numérisation, qui a permis la mise en ligne de 247 manuscrits (sur un total actuel de 651 volumes) ; la numérisation de 252 volumes était prévue, 100 en numérisation directe et le reste en microfilms. On ne peut qu’espérer que la totalité des manuscrits grecs de la bibliothèque soit numérisée dans un futur proche.

Les trois contributions suivantes sont dues aux catalogueurs respectifs des tranches 56-109 (M. Molin Pradel), 181-265 (K. Hajdú), 575-650 (F. Berger) ; cette dernière contribution est précédée du discours prononcé par Anna Benàki, ancienne présidente du Parlement grec, lors du colloque. En effet, le Supplément du fonds de Munich comprend un certain nombre de manuscrits grecs modernes, dont sept volumes qui proviennent de la bibliothèque personnelle du premier roi de Grèce après l’indépendance, Othon Ier (1815-1867). La section présentée par M. Molin Pradel offre une physionomie assez particulière, caractéristique du fonds grec ancien de la BSB : sur 54 manuscrits décrits, 48 proviennent de la collection de Johan Jakob Fugger et sont entrés en 1571 à la bibliothèque. Dans les manuscrits Fugger ici évoqués, la plupart sont des copies récentes, exécutées sur commande pour constituer cette importante bibliothèque, et qui forment un groupe bien reconnaissable par leurs copistes, leur provenance, les filigranes du papier employé ainsi que leur reliure21. La section présentée par K. Hajdú offre une physionomie légèrement différente : s’il s’agit toujours du fonds ancien de la BSB, les provenances sont ici plus variées, et la forme des manuscrits également, avec quelques livres sur parchemin ; en outre, dans la mesure où le fonds ancien a été reclassé naguère en fonction des formats, la tranche Cod. graec. 181-265 comprend à la fois des volumes in-Folio et in-4o. 36 manuscrits proviennent encore de la bibliothèque Fugger ; parmi ceux-ci, la provenance des volumes anciens est difficile à préciser du fait des restaurations et de la reliure nouvelle dont ils ont bénéficié à Venise, dans les mêmes cercles que ceux qui fournirent les livres nouvellement copiés. On signalera encore un lot de manuscrits qui proviennent de Tübingen, où ils ont été saisis pendant la Guerre de Trente ans. D’autres livres enfin proviennent de diverses bibliothèques humanistes, en particulier celle de Piero Vettori. Les trois contributions de C. Fabian, M. Molin Pradel et K. Hajdú se recoupent nécessairement un peu, puisqu’elles décrivent soit le fonds dans son ensemble, soit des sections du fonds qui ont le même type d’origine et d’histoire ; l’approche propre à chacun, cependant, assure l’intérêt sans cesse renouvelé de l’ensemble. La section présentée par F. Berger, qui correspond au Supplément d’arrivée plus récente, est beaucoup plus bigarrée et son histoire bien moins unifiée ; elle recèle cependant nombre de volumes intéressants tant pour leur contenu que pour leur histoire.

La seconde partie de l’ouvrage est consacrée à deux manuscrits d’importance, puis à trois manuscrits sélectionnés par l’auteur de l’article. Dans les trois cas, il s’agit de montrer le caractère irremplaçable des tâches arides de catalogage pour faire connaître au monde académique la valeur de livres qui « dormaient » depuis de longues années sur les rayons. On ne reviendra pas sur l’article de L. Perrone, consacré au Cod.graec. 314 et à la redécouverte des homélies d’Origène, évoquée plus haut. U. Bauer-Eberhardt montre, à propos du Cod.graec. 151, la multiplicité des approches nécessaires pour étudier l’histoire d’un livre grec, qui ne peut être éclairée ici qu’avec l’apport de l’histoire de l’art occidental, et plus particulièrement de la Renaissance florentine – et l’intérêt réciproque qu’a ce volume pour les spécialistes de ce domaine. P. Schreiner, enfin, montre l’apport des nouveaux catalogues pour trois volumes (Cod.graec. 262, 108, 314) : identifications des textes inférieurs d’un palimpseste, reconstitution de l’histoire d’un manuscrit à partir des traces anciennes (en particulier des marques de possession), notes marginales qui éclairent l’origine du volume et l’identité du copiste, repérage des textes contenus, mêmes et surtout lorsqu’ils sont rares.

La dernière partie du volume rassemble quatre contributions qui portent cette fois sur d’autres collections de manuscrits grecs en Allemagne et en Autriche : Berlin, Staatsbibliothek (K. Heydeck) ; Leipzig, Universitätsbibliothek (F. Berger) ; Weimar, Herzogin Anna Amalia Bibliothek (D. Mertzanis, C. Sode) ; Wien, Österreichische Nationalbibliothek (E. Gamillscheg). L’article consacré à la collection berlinoise fournit un utile état du fonds – même si la distinction entre les manuscrits détruits ou perdus lors de la Seconde Guerre mondiale et les manuscrits transférés à Cracovie n’est pas toujours claire – et de son histoire. F. Berger, qui travaille actuellement au catalogage du fonds grec de Leipzig, en offre une première présentation tant en termes de contenu que d’histoire. La collection de Weimar offre une physionomie différente : jamais cataloguée de manière systématique, elle présente de nombreux points d’intérêts ; les auteurs ont en outre reconstitué les circuits d’acquisition d’une partie des manuscrits, à la fin du XIXe et au début du XXe s., à partir des notes et de la correspondance de Wilhelm Fröhner (1834-1925) ; ils en présentent également quelques manuscrits. E. Gamillscheg retrace enfin l’histoire longue du catalogage des manuscrits viennois et montre les apports encore possibles en ce domaine, en particulier par l’identification des copistes.

Le volume est abondamment illustré de planches en couleur ou en noir et blanc et se termine par d’utiles index, ainsi que par des nouvelles de plusieurs bibliothèques allemandes (2013). L’ensemble des contributions met remarquablement en lumière les apports multiples du catalogage des collections de manuscrits grecs, quelle que soit l’ampleur des fonds – de quelques dizaines à plusieurs centaines de volumes. L’étude complète de l’objet-livre – sa matière, sa conformation, sa reliure, son écriture, ses textes, sa décoration, les annotations ultérieures, les sources qui lui sont liées et qui peuvent être conservées dans la même bibliothèque ou en d’autres lieux – révèle ici toute sa portée et toute sa richesse, sa complexité aussi. C’est un tableau très exigeant du catalogage des livres manuscrits qui est ainsi tracé, mais dont l’ampleur et la précision permettent seules de mettre à disposition de toute la communauté scientifique des éléments essentiels, qui resteraient autrement cachés, ou ne pourraient être connus que de ceux qui ont étudié de près ces volumes. La numérisation des manuscrits est fondamentale – on ne peut d’ailleurs que regretter que celle des manuscrits de Munich se soit arrêtée en chemin pour le fonds grec – mais elle ne saurait être pleinement exploitée sans des catalogues précis et à jour. Le processus de référencement de tous les manuscrits grecs et de toutes les ressources disponibles à leur sujet, que met peu à peu en place la section grecque et de l’Orient chrétien de l’IRHT, à travers la base de données Pinakes (http://pinakes.irht.cnrs.fr) et le réseau Diktyon (http://www.diktyon.org), qui vise à mettre en relation toutes les ressources numériques sur les manuscrits grecs, témoigne de la vitalité de ce domaine de recherche, mais aussi des tentatives actuelles pour en limiter la dispersion et en faciliter l’accès à la communauté scientifique.

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19 L. perrone, avec M. molin pradel, E. prinzivalli, A. cacciari, Origenes Werke, Dreizehnter Band. Die neuen Psalmenhomilien : eine kritische Edition des Codex monacensis graecus 314 (Die Griechischen Christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte N.F. 19), Berlin, Boston, 2015.

20 Pour cet aspect, voir par exemple A. binggeli, « Catalogues of Greek Manuscripts », dans A. Bausi (éd.), Comparative Oriental Manuscript Studies : An Introduction, Hambourg, 2015, p. 489-492, avec bibliographie.

21 Sur les copies réalisées pour J. J. Fugger, voir en particulier B. mondrain, « Copistes et collectionneurs de manuscrits grecs au milieu du XVIe siècle : le cas de Johann Jakob Fugger d’Augsbourg », Byzantinische Zeitschrift, 84/85, 1991-1992, p. 354-390.