Book Title

Michael Embach, Hundert Highlights. Kostbare Handschriften und Drucke der Stadtbibliothek Trier

Regensburg, Schnell & Steiner, 2013, 231 p., ill. ISBN 978-3-7954-2750-4

Frédéric BARBIER

C’est peu de dire que la ville de Trèves jouit d’un statut particulier dans l’histoire de l’Europe occidentale. Sa situation sur un des axes majeurs entre la Méditerranée et l’Europe rhénane (par le Rhône, la Saône et la Moselle) fait de cette ville fondée en 17 av. J.-C. la capitale de l’empire romain d’Occident au IIIe siècle. Il était logique que Trèves soit très tôt christianisée et, à l’époque du Saint-Empire, son archevêque est l’un des sept princes qui, depuis la Bulle d’or de 1356, constituent le collège chargé de l’élection de l’empereur. Si Trèves apparaît aujourd’hui plutôt comme une ville « moyenne » en Allemagne, avec ses quelque 110 000 habitants, sa Bibliothèque municipale (Stadtbibliothek) et ses archives sont tout particulièrement riches sur le plan patrimonial.

Le fait que Trèves ait été occupée par la France à compter de 1794, et que la ville soit devenue préfecture de l’éphémère département de la Sarre, donne à l’histoire de sa Bibliothèque une dimension transnationale très particulière. Fondée en 1473 d’abord sous la forme d’une Haute École (Hochschule), l’Université de Trèves est fermée par les Français en 1798, mais son ancienne bibliothèque, elle-même héritière de la bibliothèque du collège jésuite, constitue la base de la collection de la nouvelle École centrale. Dévolue à la ville en 1804, elle est alors dirigée par un personnage exceptionnel, Johann Hugo Wyttenbach (1767-1848), lequel s’attachera à ce que les collections sécularisées des anciennes maisons religieuses soient effectivement rassemblées et conservées à Trèves. La bibliothèque passe de 11 325 volumes en 1802, à 35 000 l’année suivante, et à plus de 70 000 en 1812…

Le catalogue ici recensé réunit un ensemble de cent pièces absolument exceptionnelles, chacune présentée par une savante notice de une page (y compris la bibliographie actualisée) et une reproduction en couleurs : il s’agit essentiellement, mais l’ouvrage ne le dit pas, des pièces constituant l’exposition permanente présentée dans la Chambre du Trésor (Schatzkammer) de la bibliothèque, elle-même tout récemment réaménagée.

L’ensemble est réparti en sept sections, dont les cinq premières sont relatives aux manuscrits et aux incunables. Le patrimoine livresque antique, qui a certainement été considérable à Trèves, a complètement disparu avec la désagrégation du limes, avec le passage du volumen au codex, et probablement suite à la « réforme carolingienne » : les manuscrits éventuellement subsistant ont alors été abandonnés au profit des nouvelles copies, même si certaines pièces font évidemment penser à une influence du Bas-Empire. C’est le cas notamment de la superbe Apocalypse de Trèves, avec ses soixante-quatorze peintures à pleine page (ms. 31-4°) (n° 2)15.

Comme il est logique, les fonds de Trèves sont d’une richesse stupéfiante pour ce qui regarde toute la période carolingienne. Le volume s’ouvre par la présentation du Quodvultdeus, copié en onciale en Italie du nord et daté de 719 (ms. 36-8°) (n° 1). De Saint-Maximin de Trèves viennent, entre autres, l’Évangéliaire d’Ada, probablement réalisé au tournant du IXe siècle au scriptorium de l’école du palais d’Aix-la-Chapelle (ms. 22) (nos 3 et 4) ; ou encore un extraordinaire exemplaire du De Institutione clericorum de Raban Maur copié (peut-être à Saint-Martin de Tours ?) au IXe siècle (ms. 592/1578-8°) (n° 18). Si nous mentionnons encore la Lex Alamannorum d’Echternach (IXe siècle) (n° 7), l’Admonitio generalis de Charlemagne copiée à Mayence au début du IXe siècle (n° 18), ou encore ce fragment de la Lex salica traduite en vieil haut-allemand (deuxième quart du IXe siècle) (n° 6), on aura une idée de l’importance du fonds. Joignons à cet ensemble le Liber aureus de Réginon de Prüm, présenté plus loin dans le volume (n° 92 : ms. 1709), qui est un véritable monument de l’époque carolingienne : le manuscrit, commencé dans les années 900 et poursuivi jusqu’au tout début du XIIe siècle, possède une extraordinaire reliure de cuivre doré et gravé en taille-douce. Ce monument exceptionnel ne peut que retenir l’attention de l’historien du livre attentif à repérer les prémices susceptibles d’ouvrir la voie à la mise au point de procédés de reproduction des images et des textes. Nous en rapprocherons l’extraordinaire Monogramme du Christ gravé sur métal vers 1460, dont un tirage est présenté sous le n° 75, et la matrice du grand sceau de Trèves, réalisée dans la première moitié du XIIe siècle, et conservée aux Archives municipales (n° 86).

La série de documents se continue aux époques ottonienne et salique, avec, entre autres, le somptueux Codex Egberti, réalisé sans doute en grande partie à Reichenau à la fin du Xe siècle (ms. 24) (n° 21). Outre les pièces déjà mentionnées, un certain nombre de manuscrits contenant des textes en vernaculaire présente un très grand intérêt sur le plan de la philologie : parmi ceux-ci nous remarquerons tout particulièrement le manuscrit des Fables d’Ésope et d’Avien, copié à Saint-Mathias vers 1380 (ms. 1108/55-4°) (n° 46)16. Nous en rapprocherons le Miroir de salut (Spiegel des menschlichen Heils), manuscrit un petit peu plus tardif (deuxième quart du XVe siècle), dont le texte se présente sur deux colonnes elles-mêmes surmontées d’élégantes peintures (ms. 2259/2370-4°) (n° 50) : nous sommes pratiquement sur le modèle des livrets xylographiques. Voici encore, pour rester sur ce thème de l’articulation avec l’imprimé, le manuscrit du Miroir souabe (Schwabenspiegel), lequel pourrait venir, au tournant des années 1450, du célèbre atelier de Diebold Lauber à Haguenau (ms. 852/1311) (n° 61).

Notons encore, dans la section des manuscrits autographes, un De Concordantia catholica rédigé par Nicolas de Cues à l’occasion du concile de Bâle (ms. 1205/503) (n° 68)17 : on sait que l’auteur s’est d’abord signalé comme partisan de la théorie conciliaire, avant de rejoindre les rangs des défenseurs du pape. Le manuscrit de Trèves, qui porte des corrections et additions marginales de la main même du cardinal, constitue par conséquent un document essentiel sur un dossier lui-même fondamental. Nombre de dons particulièrement spectaculaires ont été effectués depuis le XIXe siècle, dont celui, par exemple, du petit « Livret pour fabriquer les couleurs » (Trierer Farbenbüchlein) copié chez les chanoines Augustins d’Eberhardsklausen à la fin du XVe siècle, donné à la bibliothèque, avec d’autres pièces, par Johannes Steiniger en 1814, et qui avait déjà retenu l’attention de Hoffmann von Fallersleben en 1821 (ms. 1957/1491-8°) (n° 58).

En temps qu’évêque de Brixen/Bressanone, Nicolas de Cues avait très probablement joué un rôle direct dans le premier essor de la typographie en caractères mobiles (1452). Nous ne quittons pas l’époque de Gutenberg avec les quelques pièces choisies par le savant bibliothécaire de Trèves pour enrichir la galerie qu’il nous propose : un exceptionnel fragment de Donat xylographié provenant d’un défet de reliure (n° 73), une Bible à 42 lignes en deux volumes provenant probablement de Saint-Siméon de Trèves (Inc. 1924-2°) (n° 76)18, un Catholicon de 1460 (n° 77) et un rarissime exemplaire du Psautier de 1490, reprenant le modèle des Psautier de Mayence de 1457 et de 1459 (Inc. 1932-2°) (n° 78). Le « Calendrier aux poissons » (Fischkalender) est lui aussi issu d’un défet de reliure (n° 81) : il s’agit d’un placard imprimé par Grüninger à Strasbourg vers 1493-1495, et dont le seul exemplaire connu est celui conservé à Trèves.

La sixième section de l’ouvrage présente quelques documents intéressant l’histoire de Trèves (plusieurs des pièces exposées témoignent de la manière dont l’identité urbaine s’appuie très directement sur le patrimoine écrit ou imprimé), la septième traite des atlas (et de deux globes de Coronelli : n° 99), et l’ensemble est complété par un index nominum, et par un index des manuscrits et incunables cités dans les notices (quelques renvois font pourtant défaut). Nous sommes reconnaissants à l’auteur de donner ainsi au public savant et au grand public cultivé une idée de la richesse d’un patrimoine livresque qui intéresse bien au-delà de Trèves et de sa région. Si nous devions faire une ou deux réserves sur ce livre très réussi, la première concernerait le titre, dans lequel la présence de l’anglais (highlights) ne semble s’imposer que par un effet de mode. Et la seconde porterait sur la trop grande modestie de l’auteur : il nous semble qu’une introduction de quelques pages consacrées à l’histoire de la bibliothèque et des archives de Trèves s’imposerait pour ouvrir le volume.

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15 Laquelle évoque évidemment l’Apocalypse figurée, ms. 99 de la Bibliothèque municipale de Valenciennes. Nous sommes possiblement dans l’orbite de Saint-Amand, dont le scriptorium est tout particulièrement actif au IXe siècle.

16 Cet exemplaire est l’un de ceux présentés dans la série de petites (mais très savantes !) publications consacrées par la bibliothèque à ses pièces les plus précieuses : Michael Embach, Der « Trierer Äsop » (StB Trier, Hs 1108/55 4°. Eine illustrierte Fabelhandschrift im Kontext ihrer Überlieferung, Trèves, Paulinus Verlag, 2010, 100 p., ill. (Kostbarkeiten der Stadtbibliothek Trier, 3). Sur la bibliothèque de Saint-Mathias : Josef Montebaur, Studien zur Geschichte der Bibliothek der Abtei St Eucharius-Matthias zu Trier, Freiburg i. Br., Herder, 1931 (Römische Quartalschrift für christliche Altertumskunde und für Kirchengeschichte, Supplementheft 26).

17 Il convient de rappeler ici que le cardinal Nicolas de Cues (vers 1400-1464) est lui-même originaire de Kues, sur la Moselle, qu’il joue un rôle essentiel au Concile de Bâle, et que la fondation – avec la bibliothèque – par lui faite à sa ville natale sont toujours conservées aujourd’hui.

18 Michael Embach signale (p. 168) qu’un fragment de 63 feuillets d’un deuxième exemplaire de la Bible de Gutenberg a été vendu par la Ville de Trèves dans les années 1931-1936, pour financer la construction d’une nouvelle bibliothèque – ce que le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale a rendu impossible.