Avertissement
Du 1er au 15 octobre 2014 s’est tenu à Strasbourg un colloque international d’histoire du livre sur le thème suivant :
Strasbourg, le livre et l’Europe, XVe-XXIe siècle
Les travaux d’histoire du livre constituent en effet une tradition ancienne dans une ville dont l’identité même s’articule étroitement avec l’imprimerie : Gutenberg n’a-t-il pas poursuivi ses recherches dès Strasbourg, avant que de commencer très probablement à imprimer après son retour à Mayence ? La typographie en caractères mobiles est connue à Strasbourg au moins depuis 1458, avec Johann Mentelin, et le travail des premiers imprimeurs y fait déjà l’objet de recherches dès la fin du XVe et au début du XVIe siècle. En 1540, la ville fête le premier jubilée de l’invention, tandis que l’Université organise celui de 1640, et que celui de 1740 prélude aux travaux d’un Jean-Daniel Schoepflin : ceux-ci aboutiront à la publication des Vindiciae typographicae en 17601. Quant aux « Fêtes de Gutenberg », de 1840, elles ont un retentissement et prennent une connotation politique qui ne sont pas sans inquiéter le régime de Juillet.
De grands imprimeurs, libraires et éditeurs strasbourgeois se font aussi un nom comme collectionneurs d’Alsatica, et comme spécialistes de l’histoire du livre. Nous citerons particulièrement Charles Frédéric Heitz (1798-1867), auteur de savantes études d’histoire locale, et dont la monumentale bibliothèque sera cataloguée par Rodolphe Reuss avant que d’entrer dans les collections publiques – heureusement, après 18702. Représentant de la génération suivante, Oscar Berger-Levrault (1826-1903) est non seulement un industriel de premier plan, mais aussi un collectionneur très actif et un spécialiste de la bibliographie tout comme de l’histoire de l’Université de Strasbourg3. Il est difficile de faire plus clairement apparaître l’attachement des professionnels eux-mêmes à la tradition historique de leur domaine d’activités.
La bibliographie sur l’histoire de la « librairie », des bibliothèques et de la lecture à Strasbourg reste très abondante jusqu’à aujourd’hui. On se bornera à rappeler la somme, toujours indispensable, consacrée par François Ritter aux débuts de l’imprimerie à Strasbourg et en Alsace4, ou encore les multiples travaux exemplaires publiés par Jean Rott sur l’histoire des bibliothèques du Temple neuf5. La bibliographie rétrospective est elle aussi bien explorée, surtout pour les périodes les plus anciennes6, tandis que les bases de données disponibles sur Internet enrichissent considérablement notre documentation7. Enfin, les études et monographies consacrées à des sujets d’histoire régionale ou locale présentent souvent une dimension engageant l’histoire du livre : bornons-nous à évoquer l’histoire de la Réforme et des établissements d’enseignement qui lui sont liés, mais aussi l’histoire de l’urbanisme, etc.8
Au cœur de l’Europe du livre, l’objectif du colloque était, d’abord, celui de proposer un état des lieux sur le plan historiographique : il semblerait, par exemple, que nos connaissances soient relativement meilleures sur les XVe et XVIe siècles que sur le XVIIe. Le XVIIIe siècle et la période contemporaine ont, à nouveau, fait l’objet de travaux récemment publiés ou toujours en cours. Un second objectif visait à dynamiser notre domaine spécifique de recherche à partir de l’exemple strasbourgeois : pour nous limiter à la période la plus ancienne, le colloque a permis de mettre en évidence l’intérêt des perspectives ouvertes par les Digital Humanities9, ou encore la densité des réseaux actifs non seulement avec la géographie des pays germanophones, mais aussi avec une partie de l’Europe danubienne10.
Le colloque n’a pu se tenir que grâce à la participation des collègues, grâce aussi au soutien actif de nombreuses institutions, dont l’Université de Strasbourg et son Institut d’études avancées, l’équipe Arche (EA 3400), la Maison des Sciences de l’homme (MISHA), la Bibliothèque nationale et universitaire et la médiathèque André-Malraux. Que tous trouvent ici le témoignage de notre reconnaissance. Précisons pour terminer que l’ampleur matérielle du dossier a imposé d’en scinder la publication : outre les contributions que l’on découvrira dans le présent dossier, plusieurs autres seront données dans une prochaine livraison, et accompagnées d’un index recensant l’ensemble des articles.
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1 Strasbourg, Joh. Gottfried Bauer, 1760.
2 Les travaux de Heitz sont publiés indifféremment en allemand et en français : Die Sankt-Thomas Kirche in Straßburg (1841), Das Zunftwesen in Straßburg (1856), Catalogue des principaux ouvrages et des cartes sur le département du Bas-Rhin (1858), L’Alsace en 1789 (1860), Strasbourg pendant ses deux blocus et les Cent Jours (1861), Note sur la vie et les écrits d’Euloge Schneider (1862), Les sociétés politiques à Strasbourg [en] 1790-1795 (1864) et La Contre-Révolution en Alsace (1865)... Rodolphe Reuss, Catalogue des livres, manuscrits, dessins, gravures (...) de feu Monsieur F.-C. Heitz..., Strasbourg, Heitz, 1868.
3 Oscar Berger-Levrault. Catalogue des Alsatica de la bibliothèque de Oscar Berger-Levrault, Nancy, Berger-Levrault et Cie, 1886, 7 vol., 8°. Id., Annales des professeurs des académies et universités alsaciennes, 1523-1871, Nancy, Berger-Levrault et Cie, 1892, LXXXVIII-294 p., 8°. Sans oublier la petite plaquette des Imprimeurs typographes de Strasbourg. Liste alphabétique, Paris, Nancy, Berger-Levrault et Cie, 1883, 28 p.
4 François Ritter, Histoire de l’imprimerie alsacienne aux XVe et XVIe siècles, Strasbourg, Paris, Éd. F.-X. Le Roux, 1955 (« Publication de l’Institut des Hautes Études alsaciennes », 14).
5 Bibliothèques, Strasbourg, origines-XXIe siècle..., dir. Frédéric Barbier, Paris, Éditions des Cendres, 2015.
6 Outre les différents répertoires publiés par François Ritter, déjà cité, on se reportera notamment au catalogue des incunables des bibliothèques de Strasbourg donné par Françoise Zehnacker dans la série des Catalogues régionaux des incunables des bibliothèques publiques de France, t. XIII (région Alsace : Bas-Rhin), Paris, Klincksieck, 1997, 2 vol.
7 Signalons tous particulièrement l’intérêt des catalogues en ligne (OPAC) des grandes bibliothèques, au premier rang desquels la Bibliothèque nationale et universitaire (BNU) de Strasbourg, mais aussi celui des catalogues compilés d’incunables (istc, etc.) et des grands catalogues allemands des XVIe-XVIIIe siècles (VD16, VD17, VD18).
8 Nous n’aurions garde de négliger les catalogues d’exposition des principales bibliothèques, dont le plus récent concerne la BNU : Métamorphoses. Un bâtiment, des collections, Strasbourg, Bibliothèque nationale et universitaire, 2015.
9 Ursula Rautenberg, « L’imprimerie et le commerce du livre à Strasbourg, de Johann Mentelin au XVIe siècle : quelques-unes de leurs caractéristiques. Suivi de considérations sur l’utilité des Digital Humanities pour les recherches sur le livre », infra, p. 11-28.
10 István Monok, « La Hongrie et l’édition alsacienne, 1482-1621. Conjoncture éditoriale et évolution des représentations d’un pays », infra, p. 51-72.