Helena Saktorova, Turzovské knižnice. Osobné knižné zbierky a knihy dedikované členom rodu Turzovcov
Martin, Slovenská národná knižnica, 2009, 225 p.
István MONOK
Académie des sciences, Budapest
La reconstitution de la bibliothèque de la famille des Thurzó a été publiée par Helena Saktorova en janvier 2011, plus tard donc que la date de 2009 figurant au titre du présent volume. L’ouvrage est un peu plus et un peu moins que ce que son titre indique : y figurent tous les livres imprimés aux XVIe et XVIIe siècles dédiés ou consacrés aux Thurzó, ainsi que la description de tous les volumes ayant appartenu aux Thurzó. Par contre, on n’y trouvera pas le recensement systématique des bibliothèques des membres de la famille (Szaniszló Thurzó, 1586 ; György Thurzó, 1611). Helena Saktorova fournit ici une documentation qui complète les aspects « livresques » de la grande étude de Kurt Bathelt (« Die Familie Thurzo in Kunst und Kultur Ostmitteleuropas (1450-1640) », dans Deutsche Monatshefte. Zeitschrift für Geschichte und Gegenwart des Ostdeutschtums, 1940, n°s 3-4, pp. 115-127). On ne saurait cependant considérer cette documentation comme exaustive : c’est après la publication de son livre que Helena Saktorová a fait paraître un document récemment découvert, une lettre adressée par Daniel Schultz, imprimeur de Cracovie, à György Thurzó (Magyar Könyvszemle, 2011, n° 127, pp. 232-234).
Helena Saktorová est l’une des spécialistes les plus connues de l’histoire slovaque du livre. Elle s’intéresse à György Thurzó depuis longtemps : sa première publication consacrée à la bibliotheque du Grand Palatin de Hongrie remonte à 1981 (« Knižnica palatína Juraja Turzu », dans Vlastivedný časopis, 1981, pp. 42-43). Par la suite elle a présenté dans une étude plus volumineuse les livres conservés de ses collections (« Knižnica palatína Juraja Turzu », dans Kniha ‘81, Martin, 1982, pp. 73-82.). Depuis ces publications, nous savions qu’un jour Mme Saktorova publierait une monographie synthétisant ses connaissances sur la bibliothèque de Thurzó.
Le présent ouvrage reprend en les corrigeant les renseignements généalogiques dont nous disposions au sujet de la famille, l’auteur ayant eu recours aux documents d’archives accessibles, et ayant par ailleurs consacré une étude spécifique aux éléments généalogiques (« Prispevok ku genealogii rodiny Turzo », dans Biografické Stúdie, n° 32, 2009, pp. 175-186). Conformément à l’histoire familiale, l’auteur regroupe en trois chapitres la descriptions de tous les livres qu’on peut rattacher, d’une manière ou d’une autre (dédicaces, marque de provenance, etc.), à l’un des Thurzó avant le milieu du XVIIe siècle. Les trois chapitres sont ainsi consacrés respectivement aux descendants de Teofil Thurzó (mort après 1492), de Márton Thurzó (c. 1465-1512) et de János Thurzó (1437-1501).
Dans la première partie de son livre, Helena Saktorová présente d’abord les trois livres de Ferenc Thurzó (1512-1576) – apostat, évêque de Nyitra (1534-1557), et après sa conversion homme marié et père de nombreux enfants –, puis les livres conservés de la bibliothèque du palatin György Thurzó (1567-1617), à Biccse. Elle ne néglige ni les livres dédiés à la seconde épouse de Thurzó, Erzsébet Czobor, ni les livres de leur fils, Imre Thurzó. Les livres sont signalés sans commentaire.
Au moment de la restauration du château des Thurzó à Nagybiccse, les livres ont été systématiquement recensés : un catalogue et un index furent également établis. Les volumes qu’on peut consulter aujourd’hui témoignent des activités de collectionneur de György Thurzó. Les archives permettent de conclure à une bibliothèque de 600 volumes, renfermant de 800 à 1 000 titres. À peine un quart des exemplaires subsiste aujourd’hui. György Thurzó a inscrit dans ses livres sa devise et souvent quelques mots sur les circonstances de leur acquisition. Il fit relier ses livres, qui portaient fréquemment des supralibros. Thurzó ne se contenta point de créer une bibliothèque d’usage : ce qui l’intéressait, c’était la fondation d’une collection digne de son rang et de son ascendance. Ainsi, quand ilobtenait un nouveau titre ou une nouvelle charge, il faissait metre à jour ses supralibros : élu palatin, il compléta le décor de tous ses livres des lettres R(egni) H(ungariae) P(alatinus). La bibliothèque faisait ainsi partie des dispositifs de représentation politique du palatin, qui ne ménageait pas ses efforts, par ailleurs, pour acquérir des manuscrits rares. Il lisait en hongrois, en slovaque, en latin, en tchèque, en polonais et sans doute en allemand. On retrouve dans sa bibliothèque les grands manuels de synthèse de son époque, ainsi que dix éditions de la Bible, les grandes collections de patristique et l’histoire ecclésiastique de Cesare Baronio.
La collection est également riche en livres juridiques et historiques : à côté de l’histoire ancienne, on trouve des publications consacrées à l’histoire des territoires voisins (Bohême, Pologne, territoires occupés par les Turcs ou aux mains des Habsbourgs, Venise, Russie). Quant à l’histoire de la Hongrie et de la Transylvanie, le palatin ne disposait que de l’ouvrage de Bonfini (en deux éditions), de l’ouvrage de Veit Marchtaler consacré aux activités de Zsigmond Báthory pendant la guerre de 15 ans, et du manuscrit de Petrus Ransanus. Certes, György Thurzó s’intéressait aux continents lointains, mais la princnipale source dans laquelle il puisait le savoir dont il avait le plus besoin était constituée des Miroirs des princes anciens et contemporains. Il collectionnait les ouvrages de philosophie morale conçus à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle : sa propre conception de l’histoire s’est prioritairement conformée à l’esprit de ces ouvrages.
Pilier de l’église luthérienne de Hongrie, Thurzó collectionnait logiquement les ouvrages théologiques luthériens conçus au début du XVIIe siècle. Mais cette prédominance confessionnelle n’a pas conduit à l’exclusivisime : on trouve dans sa collection bon nombre de publications d’auteurs réformés et aussi quelques ouvrages catholiques. Il nous semble que, d’entre toutes les questions théologiques, celle de la Cène l’intéressait particulièrement. Quant aux Belles-lettres, on signalera la prédominance des auteurs classiques. La bibliothèque abonde aussi en ouvrages médicaux et astronomiques de haut niveau.
La présence d’auteurs hongrois dans la collection s’explique par le rôle important de mécène que le palatin joua. Entrèrent aussi dans la collection les livres des auteurs ayant visité la cour des Thurzó ; nombreux sont également ceux qui voulurent exprimer leur vénération au palatin en lui envoyant leurs ouvrages.
On trouve sous la plume de Mme Saktorova la description d’une centaine de livres ayant appartenu aux 19 personnes de la descendance de János Thurzó (1437-1501). L’étude de leurs dédicaces atteste que les Thurzó se sont convertis au catholicisme au début du XVIIe siècle, ce qui n’a pas manqué de transformer les orientations de leurs activités de mécène.
À côté de la bibliothèque de Biccse, celle de Sempte présente également quelque intérêt. À la mort de Kristóf Thurzó (1583-1614), la famille de sa veuve (les Erdődy) l’avait vendue à l’archévêque d’Esztergom, Péter Pázmány, qui en a enrichi l’université de Nagyszombat.
L’ouvrage, si on le complète en utilisant les sources d’archives déjá publiées (A magyar könyvkultúra múltjából. Iványi Béla cikkei és anyaggyűjtése [Éléments de la culture livresque hongroise : articles et travaux de Béla Iványi], éd. et compl. par János Herner et István Monok, Szeged, 1983 (« Adattár XVI-XVIII. századi szellemi mozgalmaink történetéhez », 11.) pp. 11, 34, 210-211, 489-490 et 505-530), permet de suivre de près les activités « livresques » de plusieurs générations de la famille des Thurzó.