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Jean-Paul Pittion, Le Livre à la Renaissance. Introduction à la bibliographie historique et matérielle

Turnhout, Brepols, 2013, 432 p. (« Nugæ humanisticæ sub signo Erasmi »)

Jaroslava Kašparová

Prague, Bibliothèque du Musée national

Jean-Paul Pittion, membre du Centre d’études supérieures de la Renaissance à l’Université François Rabelais de Tours, publie ici le résultat de longues années de recherche et d’enseignement. Son livre retiendra l’attention du lecteur au premier regard par sa couverture attrayante, sa mise en page originale, son volume et son titre, puis plus particulièrement par le point de vue complexe et global qu’il adopte concernant son objet : le livre à la Renaissance.

Il s’agit d’un guide de l’imprimé des XVe et XVIe siècles, véritable manuel savant du spécialiste, qu’il soit historien de la littérature de la Renaissance, jeune chercheur ou étudiant avancé à la recherche d’une méthode pour le traitement des fonds imprimés et des textes de cette époque.

L’auteur aborde son sujet de façon synthétique et dans l’esprit de l’« analytical bibliography » anglo-saxonne. Notons à ce sujet que nous préférons le terme d’ « archéologie du livre » pour traduire ce concept à celui de « bibliographie matérielle » pourtant plus souvent utilisé en français. Jean-Paul Pittion analyse en effet de façon complexe et systématique toutes les caractéristiques matérielles des exemplaires concrets, imprimés entre l’invention de l’imprimerie par Gutenberg et la fin du XVIe siècle, dans leurs dimensions historiques, économiques, sociales et culturelles. Convaincu de la nécessité de consulter le plus grand nombre possible d’exemplaires conservés pour effectuer ce travail, l’auteur indique en introduction avoir eu en mains des livres imprimés principalement en Italie, en France, en Angleterre et au Pays-Bas, tandis que les imprimés espagnols et allemands lui sont connus le plus souvent par l’intermédiaire de la littérature spécialisée. Conscient que son sujet a déjà suscité un nombre considérable de travaux, l’auteur cite exclusivement ceux qu’il a effectivement utilisés et sa bibliographie s’en tient à ce principe.

L’ouvrage s’ouvre sur une préface de Frédéric Barbier, puis une introduction où l’auteur livre la conception générale de son travail et de sa problématique. Le texte, particulièrement dense, s’organise ensuite selon six chapitres (« 1. Les matériaux du livre », « 2. La fabrication du livre », « 3. La structure du livre », « 4. Le décor du livre », « 5. Le livre, objet de commerce », « 6. Le livre, objet culturel »), suivis d’une conclusion (« Vie, mort et survie de l’imprimé depuis la Renaissance ») et d’une bibliographie ordonnée des ouvrages cités (« Bibliographie générale »).

Le premier chapitre est consacré aux conditions matérielles de l’écrit : le papier, sa fabrication, ses différents types et qualités, son marquage au moyen des filigranes ; puis le matériel typographique et les différents caractères ; enfin les méthodes de datation et d’identification des imprimés grâce au papier et aux fontes employés.

Le deuxième chapitre est consacré à la fabrication du livre : la composition, l’impression, les corrections, l’impression de la page de titre et du colophon. L’auteur y a adjoint, de façon un peu moins logique nous semble-t-il, le travail de catalogage et de description du livre.

Le chapitre trois analyse la structure du livre imprimé – son format, ses différentes composantes et leur dénomination, l’agencement physique des cahiers et leur marquage, c’est-à-dire leur collationnement. Dans ce chapitre, l’auteur consacre aussi une partie aux incunables, en particulier aux différents catalogues existant et à la façon dont on les utilise.

Le quatrième chapitre s’intéresse quant à lui à l’ornementation du livre, aussi bien en ce qui concerne l’ouvrage imprimé (les marques typographiques et les illustrations) que la reliure. Le chapitre cinq, intitulé « Le livre, objet de commerce », adopte un point de vue économique et traite en trois sections (« L’espace européen du livre », « Le régime de l’édition », « L’économie de la production imprimée ») du commerce du livre en Europe, du marché du livre en général, du prix du livre, du rôle des éditeurs, des stratégies qu’ils mettent en place, etc.

Le sixième et dernier chapitre présente le livre en tant qu’objet culturel. Il analyse la question de la responsabilité de l’auteur, qu’il soit auteur principal ou secondaire, les relations entre l’auteur, l’illustrateur et l’éditeur, mais aussi les auteurs des parties annexes des livres. Vient ensuite la question de la lecture ou plus généralement de la réception des livres par les lecteurs, les collections de livres et les bibliothèques, dont l’auteur distingue plusieurs types. Leur composition et leur organisation s’adaptent aux goûts et aux habitudes de lecture de leurs propriétaires. Ce chapitre pourrait être plus fourni, en particulier en ce qui concerne la réception et les différentes marques de provenance que l’on trouve aujourd’hui sur les exemplaires conservés et dont le potentiel heuristique demeure souvent sous-estimé.

Le livre de Jean-Paul Pittion n’en représente pas moins une contribution importante à l’histoire du livre, d’autant plus précieuse qu’il prend pour objet la première étape de l’histoire de l’imprimé. L’auteur possède une connaissance approfondie de la période qui vit la naissance et le développement fulgurant de l’objet-livre, dont il pratique une autopsie. Il maîtrise les méthodologies utilisées en France et dans le monde anglo-saxon et rend compte de ses analyses de façon claire, aisément compréhensible par son lecteur. La présentation du texte participe de cet effort de clarté et l’on appréciera, par exemple, que les notes aient été placées dans les marges extérieures des pages.

Les spécialistes francophones étrangers apprécieront particulièrement les parties consacrées à l’histoire du livre français. Soulignons les études passionnantes concernant le papier et les papeteries, qui bénéficient rarement d’une telle analyse, et de même le chapitre consacré au commerce du livre en Europe.

Les spécialistes d’Europe centrale sont résignés à ce que leur terrain ne figure pas dans les synthèses consacrées au livre en Europe, qui consacrent toute leur attention à la culture livresque de l’Europe occidentale et aux livres publiés dans les principales langues européennes : le livre de Jean-Paul Pittion ne fait pas exception. Il est vrai que la littérature secondaire d’Europe centrale est bien souvent rédigée dans des langues largement inaccessibles, comme pour ce qui est du domaine de l’auteur de ce compte-rendu, la monumentale Encyclopédie du livre publiée en 20063 qui n’est disponible qu’en tchèque, bien qu’elle prenne aussi pour objet les pays allemands et ceux de langues romanes.

La bibliographie en fin d’ouvrage sera fort utile, même si elle est à l’évidence incomplète, comme l’explique l’auteur en introduction. Les lacunes toucheront plus particulièrement les lecteurs français qui disposent en matière de bibliographie matérielle d’un nombre important de ressources imprimées (manquent par exemple Roger Laufer, Introduction à la textologie : vérification, établissement, édition des textes, Paris, Librairie Larousse, 1972 ; ou encore Alain Riffaud, Une archéologie du livre français moderne, Genève, Droz, 2011) ou en ligne (Introduction à la bibliographie matérielle par Dominique Varry, https: //bibliomab.wordpress.com). On ne trouve pas non plus certains ouvrages français classiques comme L’Apparition du livre de Lucien Febvre et Henri-Jean Martin (1958, rééditée en 1999 avec une préface de Frédéric Barbier), ou bien, concernant la réception à l’époque de la Renaissance, l’Histoire de la lecture dans le monde occidental de Guglielmo Cavallo et Roger Chartier (Paris, Éditions du Seuil, 1997). L’auteur ne mentionne aucune synthèse espagnole ou italienne (par exemple Historia ilustrada del libro español. De los incunables al siglo XVIII, dir. Hipólito Escolar, Madrid, Fundación Germán Sánchez Ruipez, 1994 ; ou bien Historia de la edición y de la lectura en España 1472-1914, ibid., 2003) et aucun manuel consacré aux imprimés des XVe siècle et XVIe siècles (entre autres, mentionnons Julián Martín Abad, Los primeros tiempos de la imprenta en España (c. 1471-1520), Madrid, Ediciones del Laberinto, S. L., 2003 ; et Maria Marsá, La imprenta en los Siglos de Oro, Madrid, Ediciones del Laberinto, S. L., 2001). Il semble aussi dommage qu’aucune banque de données en ligne ne soit signalée, bien que certaines couvrent la période concernée de façon complexe et livrent de précieuses informations : VD16, EDIT16, CERL Thesaurus (http://thesaurus.cerl.org/cgi-bin/search.pl), ou encore la base de données GLN 15-16, bibliographie de la production imprimée des XVe et XVIe siècles des villes de Genève, Lausanne et Neuchâtel (http://www.ville-ge. ch/musinfo/bd/bge/gln/), etc.

Deux lacunes enfin compliqueront quelque peu l’utilisation du livre : l’absence d’index tout d’abord. Un index des noms propres, des lieux et sans doute aussi des matières, avec un lexique des termes spécialisés, auraient été utiles aux utilisateurs, en particulier les moins expérimentés et ceux qui sont peu familiers avec ce sujet, auxquels l’auteur souhaite s’adresser, afin qu’ils s’orientent plus facilement dans un ouvrage aussi riche et aussi dense. Cela aurait en outre évité que les noms propres ne soient mentionnés sous des formes variables, voire avec des coquilles ou des erreurs. Sans doute le volume de l’ouvrage en serait-il augmenté, ce qui est peut-être la raison de l’absence d’index, mais sa qualité s’en trouverait rehaussée. La seconde lacune concerne les illustrations. Je suppose qu’ici aussi le souci d’économie est à l’origine de la parcimonie avec laquelle images et schéma ont été introduits. Ceux-ci seraient pourtant les bienvenus dans les sections consacrées aux caractères, à la reliure et bien évidemment aux illustrations.

Malgré ces réserves, le livre me sera un utile et solide compagnon dans le travail de catalogage des fonds historiques, et ce bien que je traite les imprimés anciens depuis de nombreuses années et ne puisse malheureusement plus me qualifier ni d’étudiante avancée ni de jeune bibliographe.

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3 Petr Voit, Encyklopedie knihy. Starší knihtisk a příbuzné obory mezi polovinou 15. a počátkem 19. století [Encyclopédie du livre : l’imprimerie ancienne et les domaines connexes de 1550 aux débuts du XIXe siècle], Prague, LIBRI, 2006. Ou encore : Český knihtisk mezi pozdní gotikou a renesancí [L’imprimé en pays tchèques entre le gothique et la Renaissance], Prague, KLP-Koniasch Latin Press, 2013.