Stephanus Käfer, Esther Kovács, Ave Tyrnavia ! Opera impressa Tyrnaviae typis Academicis, 1648-1777
Budapest, Esztergom, Nagyszombat, 2013, Esztergom Hittudományi Főiskola, OSZK, Nagyszombati Egyetem, Szent Adalbert Alapítvány, 287 p.
István Monok
Académie des sciences, Budapest
La parution d’un livre est toujours un événement remarquable, qu’on peut saluer sur-le-champ par des comptes rendus, puis ré-évaluer quelques décennies plus tard avec le recul. Aussi procédons-nous aujourd’hui à la recension d’un ouvrage récemment paru, avec l’œil de l’historien du livre, mais sans nier la légitimité d’approches différentes, qu’elles puissent venir de la discipline même, ou de points de vue issus du monde politique et culturel.
L’histoire de l’imprimerie universitaire de Nagyszombat a été bien étudiée. La raison principale de cette attention tient au fait que pendant longtemps, son statut d’imprimerie de l’unique université du royaume de Hongrie, en a fait une des officines typographiques majeures d’Europe orientale. Sa production est remarquable – du moins dans un contexte national ; l’établissement a permis à l’élite intellectuelle catholique du pays de publier sa production intellectuelle. L’attention privilégiée qu’on a accordée à l’histoire de cette officine se justifiait donc entièrement du point de vue des professionnels du livre. Lorsque Nagyszombat fut rattachée à la Tchécoslovaquie, puis à la Slovaquie, les représentants slovaques et de Slovaquie de l’histoire ecclésiastique, de l’histoire du livre et de l’histoire culturelle, ont commencé à s’intéresser sérieusement à son passé. On notera cependant que les prinicipales monographies qui lui ont été consacrées ont été préparées par des chercheurs hongrois (Iványi Béla et Gárdonyi Albert, A Királyi Magyar Egyetemi Nyomda története [Histoire de l’Imprimerie Universitaire Royale de Hongrie] 1577-1927, Budapest, KMENy, 1927 ; István Käfer, Az Egyetemi nyomda négyszáz éve [Quatre siècles d’imprimerie universitaire], 1577-1977, Budapest, Magyar Helikon, 1977 ; Haiman György, Muszak Erzsébet et Borsa Gedeon, A Nagyszombati jezsuita kollégium és az egyetemi nyomda leltára [Inventaire du collège jésuite de Nagyszombat et de l’Imprimerie universitaire], 1773, Budapest, Balassi Kiadó, 1997).
Il est en effet indiscutable que l’université de Nagyszombat, son imprimerie et les livres qui y furent publiés – à l’instar de l’ensemble des établissement culturels et de la production livresque antérieure à 1920 en territoire de Slovaquie – font partie du patrimoine culturel commun des Magyars, des Slovaques et de tous les peuples y ayant vécu. Aussi la recherche et l’exploitation des sources, en la matière, ne peuvent être effectuées qu’en collaboration, faisant fi de postures politiques amnésiques et étriquées.
Ce volume est né d’une collaboration entre l’Université catholique Pázmány Péter de Piliscsaba et l’Université de Nagyszombat (Trnavskej univerzity v Trnave), établie depuis plusieurs années, et soutenue également par la Bibliothèque Nationale Széchényi et l’archidiocèse d’Esztergom-Budapest à la faveur de contributions intellectuelles et financières. Il ne s’agit pas du premier fruit de cette collaboration (voir par exemple : Johannes Amos Comenius, Janua linguae latinae reserata aurea, Leutschoviae, 1643, éd. par Bernadett Varga, préface par István Käfer, Budapest, Országos Széchényi Könyvtár, 2009). L’ouvrage est, naturellement, bilingue (slovaco-hongrois). Or le travail historiographique et l’édition des sources ne fut pas chose aisée, puisque l’usage des noms de personnes et de localités diverge dans les pratiques des deux pays. Par hyper-sensibilité politique, la Slovaquie a introduit une réglementation spécifique en matière d’onomastique et de toponymie. Dans de telles circonstances, la question qui se pose au chercheur est de trouver le compromis éditorial qui lui permettra de ménager les susceptibilités nationales. Un choix possible est celui du retour à la version latine des noms contemporains. Solution spectaculaire certes, mais acceptable, même si elle rend difficile la détermination de l’appartenance nationale de tel ou tel auteur. On notera du reste que les lecteurs des premiers siècles de l’âge moderne n’accordaient qu’une importance relative à cette détermination nationale.
On aurait apprécié de pouvoir lire l’introduction (par Alžbieta Hološová) en allemand, ou ad absurdum en anglais. La visibilité internationale de l’ouvrage en aurait été favorisée. On notera au passage, dans une introduction servie par un réel souci d’objectivité, un léger anachronisme, qui fait dire à l’auteur que Nagyszombat, sur la période concernée, était considérée comme la « Petite Rome » ou la « Rome slovaque ».
Les produits d’une imprimerie ayant fonctionné dans une ville qui faisait partie du royaume de Hongrie, et qui se trouve aujourd’hui en Slovaquie, relèvent à la fois de la bibliographie nationale hongroise et de la bibliographie nationale slovaque. Cette double identité est assumée par les deux bibliothèques nationales concernées. Dans chacun des deux espaces politiques, un programme de bibliographie nationale a vu le jour, certes à des dates différentes. La bibliographie nationale hongroise paraît de manière ininterrompue depuis 1886, tandis que la slovaque démarre en 1972 (bibliographie récapitulative en 2008). Ni l’une ni l’autre ne sont complètes. Les recherches en histoire ecclésiastique ont par ailleurs donné corps à une excellente bibliographie, mettant en valeur l’importance de l’université de Nagyszombat (Alajos Zellinger, Pantheon Tyrnaviense, Nagyszombat, 1931). Le répertoire bibliographique que nous avons sous les yeux est censé fournir une synthèse globale des études ayant rapport à cette imprimerie. Une lacune importante tient à l’absence de deux études majeures dues à Éva Knapp. Son article intitulé « Egy XVII. századi népszerű imádságoskönyv : az Officium Rákóczianum története [Un livre de prières populaire au XVIIe siècle : l’histoire de l’Officium Rákóczianum] » (Magyar Könyvszemle, no 113, 1997, pp. 149-166), abordait la paternité d’un ouvrage ayant été imprimé à vingt reprises à Nagyszombat. L’éditeur Borda Antikvárium vient de publier la bibliographie complète de l’ouvrage en question (Éva Knapp, Officium Rákóczianum : az I. Rákóczi Ferencről elnevezett imádságoskönyv története és nyomtatott kiadásai, Budapest, 2000).
On notera encore que, en l’état actuel de la recherche, cinq éditions au moins manquent dans ce répertoire. Trois d’entre elles, auparavant inconnues, ont très récemment été signalées (voir l’article d’Éva Knapp dans Magyar Könyvszemle, 2014, pp. 294-300).
Nous ne disposons pas de bibliographie complète portant sur les publications de l’imprimerie après son transfert à Buda (1777). Il existe néanmoins des études très utiles : Typographia Universitatis Hungaricae Budae 1777-1848, éd. Péter Király, Budapest, Akadémiai Kiadó, 1983 (pp. 479-499 : Index librorum selectorum in Typographia Universitatis Hungaricae Budae 1777-1848 impressorum). Pour l’étude de la politique éditoriale, on se reportera à Péter Király, National Endeavours in Central and Eastern Europe as Reflected in the Publications of the University Press of Buda, 1777-1848, Budapest, OKM, 1993. Le fait que les collaborateurs du présent répertoire aient décidé de ne pas établir d’index comparables à ceux de Péter Király est sans doute le résultat d’un compromis tacite : un index aurait démontré la faible représentation des imprimés en langue slovaque dans la production et les usages de l’université. Par ailleurs, on ne peut que regretter l’absence d’étude statistique de la production de l’imprimerie dans telle ou telle période de son fonctionnement, ou d’analyses qui auraient permis de mesurer la contribution de l’atelier et de l’université dans la diffusion de la littérature vernaculaire de piété d’un côté, des connaissances scientifiques de l’autre. Les collaborateurs du volume ont essayé de dater les publications parues sine anno, mais sans justifier leurs choix.
On regrettera également que, pour les éditions dont aucun exemplaire n’est aujourd’hui localisé, les auteurs n’aient pas pris le soin de rassembler les sources secondaires et données bibliographiques connues. Ces précisions pourront être trouvées dans l’ouvrage d’Aloysius Zellinger cité supra.
Soulignons, enfin, les qualités de présentation du volume, que nous devons à Jana Sapáková : mise en page et illustrations y sont remarquables.