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Pascal Arnaud, Gérer une maison d’édition

Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, 221 p.

Max Engammare

Genève

Rien de plus facile que de devenir éditeur, qu’on appose ou non son patronyme sous celui d’un auteur sur une couverture et une page de titre ; rien de plus facile que de disparaître, l’auteur ou son frère de clavier trouvera sans grande difficulté un autre éditeur, puisque tout se publie, si tout ne se vend pas. La gestion d’une maison d’édition s’avère donc aussi essentielle que celle d’une librairie ou de n’importe quel commerce, et c’est en gestionnaire que l’auteur de ce petit livre traite de la question. Il est à la fois éditeur d’une maison au nom poétique – « D’un noir si bleu »1 – et intervenant dans divers masters en métier de l’édition, après avoir eu des activités de direction financière dans plusieurs entreprises. Il affirme d’emblée que « L’édition est une activité magique » et affiche le profil de son lecteur potentiel : un petit éditeur ou un éditeur de création (p. 7), mais aussi d’autres personnes qui travaillent dans l’édition, ce qui m’autorisait à le lire. Il aborde la question de la gestion non en tant que magicien, mais en pragmatique qui s’interroge d’abord sur le prix du livre, après avoir rappelé la définition fiscale du livre pour la Direction générale des impôts (circulaire 3C-14-71 du 30 décembre 1971), ainsi que celle du livre numérique par la loi n° 2011-590 (article 1), quarante ans plus tard : le livre est ainsi conçu comme œuvre tant sur support papier que sur support numérique, en rappelant des éléments légaux souvent négligés. En s’appuyant sur une étude conjointe du Syndicat de la librairie française, du Syndicat national de l’édition et de la Direction du livre et de la lecture de mars 2007, il indique que la part de l’éditeur dans le prix du livre est de 15 %, celle de la fabrication de 16 %, la fameuse clef de 6 (coefficient multiplicateur de 6.25, pp. 30 et suiv.) pondérée par le prix du marché (p. 17) : il s’agissait déjà des chiffres que me donnait mon prédécesseur, quand il m’a intéressé à l’édition d’érudition en 1990 et 1991, et ceux que je pratique encore en 2015.

Pour le livre numérique, en l’absence d’étude nationale, le propos est plus imprécis (pp. 20 et suiv.). L’auteur aurait pu oser une analyse novatrice à laquelle il ne s’est pas risqué. Surtout, il avance que « dans le cas du livre numérique, nous devons qualifier différemment les commissions versées aux e-distributeurs » (p. 24). C’est une déclaration de principe louable, peu éloignée de l’idéalisme de certains auteurs qui pensaient pouvoir obtenir 25 % quand ce n’est pas 50 % du prix de vente d’un livre électronique, qui n’ont tous deux rien à voir avec la réalité. La commission octroyée aux e-distributeurs par Droz, ainsi à Immateriel, à la suite du contrat passé avec eux en date du 21 mai 2014, est de 40 % hors taxes. Il ne faut surtout pas oublier que les livres électroniques coûtent encore cher à réaliser : le travail du comité de lecture reste le même, alors que la composition électronique coûte plus cher que la mise en page classique (flux XML pour les ePubs) et, s’il n’y a plus de stock physique, la sauvegarde extérieure sur des doubles disques sécurisés est onéreuse, alors que la maintenance des versions, des sites électroniques, les mises à jour des logiciels, ne sont pas négligeables, tout cela assorti à un prix de vente bas, entre 9,99 et 14,49 € au maximum, puisqu’Amazon et Apple, parmi les géants, sont les champions à la ville comme aux champs des prix terminés en neuf centimes, quasi un monoprix, en tout cas un franc prix. C’est dire qu’aujourd’hui les éditeurs qui vendent quelques dizaines d’exemplaires de livres électroniques perdent de l’argent jusqu’à une centaine d’unités, chiffre rarement atteint pour les ouvrages savants d’histoire du livre. Il s’agit bien d’optimiser la gestion au maximum. Cette première partie développe donc les principaux aspects de la gestion d’un livre et, après le prix du livre, les chapitres suivants s’arrêtent à la diffusion et à la distribution avant les flux monétaires liés à la vente d’un livre, la fameuse trésorerie qui tient compte des délais de paiement, pas assez des impayés (pp. 45-53). Ne pas être dépendant de son diffuseur-distributeur, gérer et contenir les taux de retour sont des conseils rationnels et sages que le jeune éditeur doit suivre, car l’intérêt du diffuseur-distributeur est le mouvement perpétuel, synonyme de profits importants pour lui. Un taux de retour de 30 % est ainsi catastrophique, car il ne laisse absolument rien à l’éditeur (pp. 42 et suiv).

L’ouvrage oscille judicieusement entre présentation des problèmes de gestion et distribution de bons conseils, utiles à des débutants, c’est certain. Son originalité tient au fait d’avoir commencé par des questions très pratiques pour en venir dans un second temps aux questions plus intellectuelles et culturelles, comme le programme éditorial avec sa communication par l’intermédiaire d’exemplaires gratuits, le fameux service de presse avec lequel les journalistes sont gavés, risquant la crise de foi (sic) permanente. La troisième partie en vient à la maison d’édition en tant qu’entreprise qui tient une comptabilité, établit des prévisions, ne néglige pas son financement. Elle doit avoir un tableau de bord, ce qui est essentiel (pp. 119-133). Il s’agit de l’indicateur de la marche de l’entreprise, indispensable. Personnellement, j’obtiens le chiffre d’affaire mensuel de la maison le premier jour du mois suivant, ce que l’auteur appelle le compte rendu d’activité. Une quatrième partie n’oublie pas les auteurs et leurs droits. Comme il se doit, si la facétie m’est permise, l’éditeur passe vite sur ces questions pour s’arrêter sur des considérations fiscales et sociales touchant son entreprise. Ces dernières traitent, toujours d’un point de vue pratique, des stagiaires, des collaborateurs qui travaillent à domicile, et l’auteur aurait pu ajouter également à l’étranger, ainsi que les autoentrepreneurs dont le statut varie au gré des remaniements ministériels.

Gérer une maison d’édition prend en considération des études récentes, donne des annexes utiles, mais comme tout bouge très vite dans l’édition contemporaine, le contrat d’édition donné en annexe (p. 210-214) doit ainsi être remplacé par celui d’octobre 2014 qui vient d’entrer en vigueur. Associer une version électronique évolutive au livre pour tous les acheteurs de la version papier aurait été une alternative innovante très pertinente. Cette absence ne peut être imputée à l’auteur.

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1 On pourrait penser que P. Arnaud n’a pas griffé sa production de son nom, mais à relire le poète, « À noir... O bleu », on pourrait se demander s’il n’a pas biffé les consonnes de son nom pour n’en retenir que deux sons.