Album amicorum, Piemin¸as albumu kolekcija (16.-19. gs.) Latvija Universitātes
Akadēmiskajā bibliotēkā, Rokrakstukatalogs, = Die Stammbücher der Akademischen Bibliothek der Universität Lettlands (16.-19. Jh.), Handschriftenkatalog Sastādījusi/Zusammengestellt von Aija Taimin¸a, Riga, LU Akadēmiskaisapgāds, 2013, LXXXIX-365 p., ill
István Monok
Académie des sciences, Budapest
Au Moyen Âge et au début de l’âge moderne, le territoire de la Lettonie actuelle a appartenu au royaume de Danemark, à l’Ordre teutonique, à la grande-principauté de Lithuanie, au royaume de Pologne, au royaume de Suède et enfin à l’Empire russe. Le christianisme fut propagé, puis imposé sur l’ensemble du territoire par l’Ordre teutonique, qui agissait conformément à ses intérêts politiques et surtout commerciaux. En la matière la bourgeoisie allemande qui s’y est établie a servi d’exemple à la population. À la fin du XVe siècle, le territoire faisait déjà partie du réseau culturel des villes germanophones de la mer du Nord : les jeunes du pays fréquentèrent les universités occidentales, surtout allemandes. Quelques-uns visitèrent également l’Italie. Les établissements ecclésiastiques ne manquèrent pas de fonder des bibliothèques. Dès la seconde moitié du XVe siècle nous y connaissons une véritable collection humaniste. Reinhold Soltrump (Reynoldus Saltrumpp), fils d’un échevin, ecclésiastique, avait poursuivi des études de droit à Leipzig, avant de rentrer en 1477 à Riga, ou il s’entoura d’un petit cercle bibliophile. Illustrateur (illuminator) à ses heures, il décorait ses propres livres. Il avait collé dans les volumes de sa collection des estampes imprimées vers 1470 dans plusieurs villes allemandes, puis les avait peintes (Aija Taimin¸a, « 15. gādsimta metālagriezumajeb ’skrošu’ gravīras un Rīgaspatricieša Reinholda Soltrum pagrāma tulikten¸i », MākslasVēsture un Teorija, 2004, no 2, pp. 5-19).
Les idées de la Réforme se sont rapidement répandues à Riga. Au moment où Martin Luther invitait les villes allemandes à fonder écoles, bibliothèques et imprimeries, l’une des premières bibliothèques à usage public – s’appuyant sur les collections des franciscains et dominicains expulsés – fut fondée à Riga (Bibliotheca Rigensis, 1524). La bibliothèque développa une collection importante de livres mais fut hélas victime de plusieurs incendies. Au total 500 volumes (dont 261 incunables) en ont été conservés, malgré l’histoire tumultueuse du pays. Nous pouvons identifier à Riga un vrai représentant de l’exigence de la « bibliothèque idéale », si caractéristique des Lumières (Aija TaimiÅĘa, « Ideālas bibliotēkās vizija 18. gs. izskāna : Kristofa Haberlanda un Johana Kristofa Berensa veltijums sav », MākslasVēsture un Teorija, 2007, no 8, pp. 62-71) : il s’agit de l’homme d’affaires franc-maçon Johann Christoph Berens (1729-1792), grand mécène de la bibliothèque de la ville qui, à la faveur de ses donations, s’efforca d’en faire une collection digne des exigences de ses concitoyens. Elle fera l’objet en 1792 d’une première évaluation savante, publiée par le théologien luthérien Karl Gottlob Sonntag dans son histoire littéraire de la Livonie (Beyträge zur Geschichte und Kenntniß der Rigischen, Allen patriotischen Mitbürgern gewidmet, Riga, Julius Conrad Daniel Müller, 1792).
L’intérêt du public et des chercheurs pour l’histoire et le fonds de la bibliothèque a également été éveillé par la publication, au XIXe siècle, des documents relatifs à sa fondation (Bibliotheksordnung für die Stadtbibliothek zu Riga, Riga, Müllersche Buchdruckerei, 1879). La phase suivante de son histoire est marquée par l’organisation du catalogue de la collection en volumes thématiques. Le premier ensemble contient la description des livres de droit (Katalog der Juristischen Abtheilung der Rigaschen Stadtbibliothek, Bde 1-2, Riga, L. Weyde, 1874-1882), et le deuxième, la médecine (Bibliotheca Rigensis, sectio medica, Vorrede von Eugen von Bochmann, Riga, Haecker, 1891). La reconstruction systématique de l’histoire de la bibliothèque, ouvrage de Nikolaus Busch, a vu le jour entre les deux guerres mondiales, dans la brève période d’indépendance politique de la Lettonie (Nachgelassene Schriften, Bd. 2. : Die Geschichte der Rigaer Stadtbibliothek und deren Bücher, Riga, 1937).
Le 450e anniversaire de la fondation de la bibliothèque fut célébré pendant la période soviétique, en 1974, à l’occasion d’un colloque dont les actes ont été publiés (Biblioteke 450 K jubileju Fundamental’noj Biblioteki Akademii Nauk Latvijskoj SSR, – 450 Jahre einer Bibliothek, Zum Jubiläum der Fundamentalen Bibliothek der Akademie der Wissenschaften der Lettischen SSR, 1524-1974, Red. kollegija V. P. Allen, Eduard M. Arājs, Riga, Akademija Nauk Latvijskoj SSR, 1974).
Le catalogue des incunables de la bibliothèque fut publié dans les premières années de la République lettone devenue indépendante. Il s’agit d’un ouvrage de grande qualité, qui fournit les descriptions des exemplaires en langues lettone, russe et allemande (Incunabula Bibliothecae Rigensis, Katalogs, Sastādītāja Rūta Astra Jēkabsona, Rīga, Zinātne, 1993). La bibliothèque a également publié une présentation, plus touristique que scientifique, de son histoire (Venta Kocere, Latvian Academic Library, Rīga, Latvijas Akadēmiska Bibliotēkā, 1993, 2e éd. 1996 ; 3e éd. 2000). Par la suite, quelques éléments de synthèse historique relatifs à la collection ont été donnés dans des revues internationales (Ojar Sander, « Bibliotheca Rigensis und ihre Bücher, 15. bis 18. Jahrhundert », Nordost-Archiv, IV, 1995, pp. 203-211) et, surtout, la commémoration du 480e anniversaire de la fondation de la Bibliothèque fut l’occasion d’un colloque dont les travaux ont été rassemblés dans un important volume (Bibliotheca Rigensis 480, Latvijas Akadēmiska Bibliotēkā gādsim tuliecībās, Sastāditajas Dagnija Ivbule, Rīga, Latvijas Akadēmiska Bibliotēkā, 2004).
De nos jours, la collection – bibliothèque de l’Académie de Lettonie – est placée sous la surveillance de l’Université de Riga. Le sort de cet élément important du patrimoine septentrional européen dépend des évolutions du système des bibliothèques lettones. Aija Tamina ne doit pas avoir beaucoup de temps à consacrer à la recherche, puisqu’elle est la seule responsable du catalogage de ce fonds considérable. Pourtant, chercheuse savante et engagée, spécialiste de l’histoire de sa bibliothèque mais également de l’histoire européenne du livre, elle fait preuve, dans ce catalogue consacré aux Albums amicorum, d’une maîtrise impressionnante des sources. L’ouvrage donne à voir une collection exceptionnelle de 28 « albums », utilisés par leurs propriétaires entre le XVIe et le début du XIXe siècle. Aija Tamina a eu l’idée logique et naturelle – mais malheureusement assez inhabituelle dans la pratique bibliothécaire – de compléter cette collection par 110 feuillets portant des notes « albumesques ». Ces vestiges d’albums demeurent dignes d’intérêt, même si l’on ignore à qui ils ont appartenu.
La description des documents est fort détaillée, et en deux langues (allemand et letton) : biographie des propriétaires des albums, intégrant toutes les sources archivistiques que la recherche a mises au jour pour les identifier ; liste des annotateurs, date et lieu des annotations ; nature des rapports entre l’annotateur et le propriétaire de l’album. Chaque fois que cela est justifié, on donne également une description des éléments iconographiques et de la reliure.
Le catalogue et les index ont la qualité et la précision du travail bibliothécaire. La richesse de l’introduction, par ailleurs, démontre que l’auteur est également un chercheur affermi. On y lira une histoire de l’usage de l’album amicorum/Stammbuch, des premiers siècles des temps modernes jusqu’aux évolutions actuelles du genre. L’auteur évoque plusieurs exemples baltiques ou nord-européens ignorés des études anglaises, allemandes, italiennes, françaises ou espagnoles sur le sujet. La liste des ouvrages consultés est riche d’enseignement ; elle montre aussi les difficultés que les savants lettons peuvent rencontrer dans leur accès à la littérature spécialisée internationale. De nombreuses remarques et analyses de détail illustrent la profondeur des connaissances de l’auteur dans le domaine de l’histoire de l’art, et contribuent à une meilleure compréhension de l’ornementation et de l’enluminure des albums. L’introduction peut également se lire comme une brève histoire de la littérature lettone de voyage, qui reconstitue l’itinéraire de plusieurs voyageurs, analyse leurs réseaux personnels et le rôle économique ou culturel qu’ils ont pu jouer à leur retour dans le pays.
Enfin, le catalogue des album amicorum de la bibliothèque de l’Académie de Riga est en lui-même un remarquable objet, dont le format évoque directement celui des œuvres étudiées. Imprimé sur un papier de grande qualité, élégamment et abondamment illustré, il est – comme les albums eux-mêmes – une belle manifestation de la volonté de créer un monument aere perennius.