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Ni Gessner ni Possevino : Hugo Blotius et la réorganisation de la bibliothèque impériale de Vienne à la fin du XVIe siècle

Paola MOLINO

Vienne, Institut für Österreichische Geschichtsforschung

NdA. Traduit par Hélène Soldini (Florence, European University Institute). Les recherches et réflexions qui ont contribué à l’élaboration de cet article ont été en partie réalisées auprès du Max Plank Institut für Wissenschaftsgeschichte durant l’été 2012 : je remercie les membres du groupe de recherche A Comparitive history of textual practices, et en particulier Anthony Grafton et Glenn Most, pour leurs conseils, notamment dans les sections Sandbox. Certaines sections de cette contribution ont déjà été publiées dans un article en italien, de nature plus technique, « Esperimenti bibliografici fra Vienna e Zurigo. La corrispondenza fra Hugo Blotius e Johann Jakob Frisius (1576-1589) », Bibliothecae, 1, 2012, pp. 21-69. Je remercie Alfredo Serrai et Fiammetta Sabba pour leur aide lors de la rédaction de cette première version. Je remercie d’autre part Antonella Romano pour sa relecture et Hélène Soldini pour sa traduction.

PRÉAMBULE

Lorsqu’en juin 1575 Hugo Blotius fut chargé d’organiser la bibliothèque de cour de Maximilien II dans le couvent des frères minimes à Vienne, Benito Arias Montano, librero mayor de Philippe II, achevait la répartition encyclopédique, inspirée du modèle gessnerien, de la collection réunie au monastère de l’Escorial. Ailleurs en Europe, la collection de Johann Jakob Fugger avait rejoint depuis peu Munich, et on s’apprêtait à en rédiger l’inventaire ; la bibliothèque Vaticane allait être transférée dans un peu plus d’une dizaine d’années dans le Salon Sixtin en fonction d’un nouvel ordonnancement ; à Florence, la bibliothèque médicéenne avait depuis cinq ans ouvert ses portes au public ; enfin, le roi Charles IX avait ordonné en 1568 le transfert à Paris de la bibliothèque royale de Fontainebleau qui, depuis 1544, avait été réunie avec celle de Blois1. Chaque collection présentait des caractéristiques particulières, mais toutes étaient aménagées dans le but de répondre à une série d’impératifs communs. Parmi eux, rappelons l’attention croissante des souverains d’Europe à l’égard du savoir contenu dans les documents écrits et dans les livres, la construction matérielle des édifices de cour, l’identification de figures professionnelles auxquelles confier le contrôle des bibliothèques2.

Le juriste hollandais Hugo Blotius, que son cursus honorum ne destinait pas à revêtir la fonction de bibliothécaire, semblait quant à lui être tombé au bon endroit au bon moment3. C’est ainsi qu’il apparut, en particulier, aux yeux des érudits qui bénéficiaient d’une formation supérieure à la sienne, tels l’helléniste hongrois Johannes Sambucus ou l’architecte et antiquaire italien Jacopo Strada, au service des Habsbourg depuis au moins vingt ans, qui, désirant tous deux occuper cette charge, le regardèrent dès le premier jour avec suspicion4. En réalité, la nomination de Blotius était l’aboutissement de la construction de réseaux d’amitiés et de clientèles, savamment élaborés depuis l’Italie, à la suite de son premier séjour à Vienne en 1571. À cette occasion, Blotius avait été engagé en qualité de précepteur de deux descendants de familles influentes à la cour de Maximilien II, le fils de Lazarus von Schwendi, général des troupes impériales, et celui de l’évêque hongrois Janòs Liszti. Avec ses élèves, il s’était ensuite établi à Padoue et à Venise, et avait sillonné la péninsule. C’est durant cette période que le jeune juriste, après s’être formé à Bâle et à Orléans et avoir dispensé des leçons sur l’éthique à l’académie de Strasbourg, avait fait son entrée dans la respublica literaria italienne, tout en consolidant ses liens tissés au-delà des Alpes5. À l’instar de ses concitoyens, il avait été contraint de partir principalement à cause de l’éclatement du conflit religieux, sans pour autant trouver, même à Bâle, un lieu de tolérance à l’abri du conflit, armé ou non, où se consacrer pleinement à ses études. Ce fut, paradoxalement, dans l’Italie de la Contre-Réforme qu’il y parvint, et en particulier à Padoue, Rome et Florence, grâce à la fréquentation d’éminents lettrés versés dans la production et la conservation du savoir, parmi lesquels Gianvincenzo Pinelli, Fulvio Orsini, Pier Vettori et Ulisse Aldovrandi6. Sa correspondance – triée avec soin avant et après son entrée à la cour – et son album amicorum révèlent combien Blotius, au cours de ses années en Vénétie, avait travaillé à la construction d’un profil professionnel qui le fît apparaître comme un homme de lettres et un intermédiaire indispensable entre l’entourage habsbourgeois et les libraires, les nouvellistes et les érudits italiens7. À son retour à Vienne en 1574, non seulement les parents de ses élèves étaient prêts à soutenir sa candidature, mais il bénéficiait également du soutien du médecin impérial, l’influent Crato von Kraftheim, auquel Blotius avait fait parvenir, depuis l’Italie, les précieuses cartes de Fabriano et des livres de médecine. En outre, l’ancien ambassadeur à Constantinople, Augerius Busbequius, pour lequel il avait garanti l’envoi depuis Venise de livres et de correspondances, était susceptible de l’appuyer8. Ainsi, alors qu’à son arrivée à Vienne Blotius était relativement novice en matière de cour et possédait un profil intellectuel sans éclat, il parviendrait à obtenir, en moins de six mois, la charge convoitée de bibliothécaire et, un an plus tard, la chaire de rhétorique à l’université. Le programme qu’il présenta en 1575 à Maximilien II, fruit de ses expériences d’exilé et de voyageur, prévoyait la transformation de la riche collection de cour en un musée du genre humain équipé d’une bibliothèque à caractère universel, destinée à être ouverte au plus vite à un public de courtisans et d’érudits. La première étape de la création de ce lieu de savoir était la rédaction d’un catalogue de la collection.

À partir du moment où Blotius s’attela à la réalisation concrète de ce programme, lorsqu’il fallut rédiger des catalogues, s’occuper de la gestion de l’institution, et matérialiser l’idée d’un musée à travers une réorganisation disciplinaire et spatiale des lieux, son projet dut s’interrompre. Cette interruption était le résultat de plusieurs facteurs concomitants, parmi lesquels la faible préparation de Blotius aux techniques bibliographiques, la mort soudaine de Maximilien II et le déplacement de la cour de Rodolphe II à Prague, l’augmentation exponentielle de livres à disposer dans un espace inadéquat, et le renforcement des tensions confessionnelles à la cour9. Les sources qui permettent d’évaluer la portée des difficultés rencontrées par Blotius sont les documents qui retracent ses activités à la bibliothèque. Les catalogues d’abord, mais aussi la myriade d’Hebdomas bibliothecaria, les feuillets sur lesquelles le bibliothécaire notait ses doutes quant au catalogage et à la gestion de la bibliothèque, ainsi que les documents proprement administratifs conservés dans les archives des finances. Sans oublier la correspondance – les lettres qu’il écrivait dont on conserve les brouillons, et celles qu’il recevait, plus de trois mille en tout – qui témoigne de la naissance du métier de bibliothécaire, à l’aune d’une tension constante entre le monde érudit et le réseau complexe des relations de cour et des liens qui se nouaient à une échelle locale10. Considérées dans leur ensemble, ces sources permettent de situer la petite bibliothèque de Vienne, tapie dans le couvent des frères minimes de la ville, au centre des interrogations sur la formation et la gestion des bibliothèques à la fin du XVIe siècle.

LE SILENCE DES BIBLIOGRAPHES DE LA FIN DU XVIe SIÈCLE

Lorsque Hugo Blotius prit le contrôle de la bibliothèque impériale de Vienne, la collection comptait 7 379 volumes contenant, selon les estimations du bibliothécaire, près de vingt mille œuvres. Les livres, manuscrits ou imprimés, étaient rangés dans une salle d’environ quatorze mètres sur six, située au premier étage de la seconde cour intérieure d’un couvent médiéval, de sorte qu’elle n’était éclairée que du côté externe par cinq petites fenêtres11. Ces lieux que Blotius s’attacha à agrandir, parfois avec succès, durant ses premières années de direction, étaient situés dans l’un des couvents géographiquement les plus proches du palais royal, la Hofburg, auquel il était relié par un passage privé12. Conçue, une vingtaine d’années avant l’arrivée de Blotius, sous les ordres de Ferdinand d’abord et de Maximilien II ensuite, la bibliothèque avait été aménagée comme une collection privée et répondait au programme de centralisation des organes du pouvoir à Vienne. Le jardin botanique organisé par Carolus Clusius ainsi que le Neugebäude projeté par l’architecte italien Jacopo Strada, avaient vu le jour à ses côtés ; des organes de l’administration, tels la chambre aulique et le conseil de guerre, avaient été déplacés au même moment vers Vienne. La collection impériale était donc toute jeune, du point de vue tant de sa fondation que des fonds qu’elle conservait, puisqu’elle rassemblait essentiellement, à l’exception de quelques documents historiques, des manuscrits médiévaux et du XVIe siècle13. Les premiers responsables, parmi lesquels le médecin et géographe Wolfgang Lazius, le controversiste Kaspar von Niedbruck et l’ancien ambassadeur à Constantinople Augerius Busbequius, avaient déposé auprès du couvent des minimes non seulement le fruit de leurs propres travaux, mais aussi une partie de leurs collections privées. Ainsi, en 1570 la collection incarnait déjà les trois principaux centres d’intérêt de la dynastie : le contrôle des territoires hérités, la controverse confessionnelle et la question ottomane14 . Ce trait particulier du fonds de la bibliothèque apparut de façon évidente à Blotius lui-même lorsqu’il s’attela à en rédiger, sous les ordres de l’empereur, le premier inventaire.

Au cours des deux premières années, le bibliothécaire se concentra sur un inventaire topographique/alphabétique de l’ensemble de la collection livresque, sur une bibliographie par sujets intitulée Catalogus librorum et orationum de Turcis et contra Turcas, ainsi que sur un recueil de sources sur la succession de Pologne15. Il fallut attendre vingt ans pour qu’un catalogue des manuscrits vît le jour (1597)16, accompagné, sans doute, d’un catalogue général de la collection en quinze tomes, dont on ne conserve cependant aucun volume17. Entre 1600 et 1609, l’assistant de Blotius appelé à lui succéder, l’orientaliste Sebastian Tengnagel, achevait le plan qu’ils avaient conçu ensemble et procédait à la division des manuscrits et des imprimés en rédigeant, respectivement, deux inventaires par classement disciplinaire pour les premiers18, et deux inventaires – l’un alphabétique en cinq volumes (1602-1605), l’autre par cotes (Standortkatalog) (1609-1610) – pour les seconds19.

Les catalogues disponibles posent, dès lors, une question embarrassante quant à l’activité catalographique menée dans la bibliothèque au cours des années 1577-1590, une période durant laquelle aucun inventaire ne fut apparemment réalisé et qui n’est documentée que par les brouillons et les notes de Blotius. Ce « silence catalographique » aurait pu, en soi, ne pas poser de problème, si l’on considère que les volumes produits dans les années 1590 sont le résultat d’une activité d’organisation du savoir s’étendant sur vingt ans. Cependant, les catalogues des années 1590 sont bien loin de correspondre au projet que Blotius avait annoncé en 1576, et qui consistait à mettre en œuvre un système à la fois alphabétique et encyclopédique en suivant un ordre disciplinaire. Par ailleurs, si on les compare avec les notes et les listes de prêts, les catalogues semblent reproduire de façon bien imprécise la collection de livres présente dans la bibliothèque entre 1576 et 1604. Outre le fait qu’ils ne contiennent que quelques titres en plus, ils ne présentent aucune véritable différence quant à la description des manuscrits et à la structure générale proposée en 1576, comme si, durant ces longues années, rien ne s’était passé dans la bibliothèque, si ce n’est la perte ou le remplacement de certains volumes20. Le silence des catalogues en dit donc bien plus qu’il n’y paraît : il témoigne d’un moment de crise épistémologique que traverse non seulement Vienne, mais l’ensemble du monde bibliographique de la fin du XVIe siècle, attaché à formuler de nouveaux critères pour réorganiser, en termes philosophiques et matériels, les savoirs disponibles.

En particulier, dans le cadre des bibliothecae concrètes ou idéales, la nécessité de sélectionner se faisait d’autant plus forte que la production et la circulation des savoirs ne cessaient d’augmenter, et que de nouveaux impératifs, de type institutionnel et confessionnel, s’affirmaient. Ce n’est pas un hasard si une même phase de réflexion caractérise d’autres acteurs centraux dans la construction des savoirs à la fin du XVIe siècle, tels que les cadres intellectuels de la Compagnie de Jésus ou les successeurs de Conrad Gessner à Zurich. Après la première commission réunie par le général Acquaviva en 1581, les membres de l’ordre fondé par Ignace de Loyola allaient mettre presque vingt ans pour formuler et publier le programme pédagogique de la Ratio studiorum (1599), dont le projet avait été annoncé dès les Constitutions de 155621. La Bibliotheca selecta d’Antonio Possevino, en 1593, avait été conçue comme un véritable guide pour la constitution de bibliothèques conformes à l’Index librorum prohibitorum, et était destinée à donner un fondement bibliographique au texte programmatique des enseignements de la Compagnie22. Plus de cinquante ans s’étaient écoulés depuis la naissance de l’ordre, reconnue par la bulle Regimini militantis ecclesiae du 27 septembre 1540, et depuis la parution de l’œuvre universelle et donc antithétique par antonomase du bibliographe et botaniste suisse Conrad Gessner (1545)23. Durant cette même période, les successeurs de Gessner à Zurich, Josias Simler et Johannes Frisius, avaient désespérément tenté de mettre à jour l’œuvre du père fondateur, grâce notamment à la réédition du premier tome de la Bibliotheca universalis (en 1555 et en 1573 par exemple). Personne, cependant, n’était parvenu à toucher le nœud central des Pandectae, cet index systématique organisé selon une logique disciplinaire qui se présentait comme une véritable encyclopédie et qui, face à l’augmentation de la production livresque et à la diversification des produits éditoriaux, soulevait de plus en plus de difficultés24. Tandis que l’œuvre de Gessner, conçue comme un guide pratique pour la construction de bibliothèques « publiques et privées », peinait à conserver dans le temps son inspiration initiale, la question qui avait alors poussé l’auteur de la Bibliotheca à écrire, c’est-à-dire la nécessité d’une médiation entre la production et la circulation livresque, apparaissait comme un problème de plus en plus d’actualité25.

Les trois exemples cités ne sont pas fortuits. Gessner, du point de vue de la bibliographie traditionnelle, a représenté durant longtemps l’apogée de la tradition du XVIe siècle, alors que Possevino et Simler-Frisius ont incarné un mouvement de repli vers l’idéologie et l’onomastique. Tous trois symboliseraient le passage du noble projet universel vers l’utilisation de listes, par définition réductrices26. Des études plus récentes ont tenté de rendre compte de ces expériences en adoptant une approche alternative. Helmut Zedelmaier, par exemple, a cherché à rapprocher les bibliothèques de Gessner et de Possevino, en rappelant les tentatives concrètes de mise en pratique de Blotius et Frisius, afin de mettre en lumière les différentes formes de gelehrte Praxis, c’est-à-dire les pratiques distinctes de représentation et de systématisation du savoir propres aux érudits de la fin du siècle27. Alfredo Serrai, quant à lui, et pour se limiter aux travaux ancrés dans le domaine de la bibliographie, a été l’un des premiers à vouloir recomposer le couple Gessner-Possevino, en partant justement de l’affirmation du jésuite selon laquelle il était nécessaire de mettre à jour et d’intégrer de nouvelles informations, rédigées par des spécialistes des différentes disciplines, pour proposer un répertoire général du savoir catholique28. Dans cette perspective, le cas de Vienne, et les documents qui rendent compte de la phase d’élaboration des catalogues, permettent de comprendre, du point de vue des pratiques et des expériences concrètes d’organisation du savoir, ce que signifiait proposer une bibliographie et une bibliothéconomie générale durant les années qui séparent Gessner de Possevino. Les Hebdomas Bibliothecaria et la correspondance de Blotius autorisent, en particulier, à voir comment celui qui était en train de s’affirmer comme le bibliographe impérial s’interrogeait systématiquement, et partageait ses doutes avec ses collègues de Zurich, quant aux problèmes que posait la profonde transformation des institutions bibliothécaires à la fin du XVIe siècle. Le cas de Vienne éclaire les choix, matériels et pratiques, opérés par les bibliothécaires durant cette période. Il s’agira donc ici de comprendre les doutes et les incertitudes qui affleuraient lors de l’aménagement des bibliothèques, ainsi que d’interroger les raisons pour lesquelles ces questions occupèrent un rôle central dans les collections de cour, appelées à devenir en Europe de grands dépositaires et lieux du savoir29.

ORGANISER LE SAVOIR

Le premier résultat de l’activité catalographique de Blotius, commencée au lendemain de sa nomination officielle en juin 1575, fut, ainsi que nous l’avons rappelé, la réalisation d’un inventaire de nature hybride, organisé par ordre alphabétique et topographique. Cet index enregistrait pour chaque lettre de l’alphabet les volumes dont l’auteur ou le titre, en cas d’auteur anonyme, commençait par cette lettre, en suivant l’ordre dans lequel ces volumes étaient disposés dans les vingt-quatres thecae (désignés à leur tour par des caractères alphabétiques allant de A à Z) et les cinq arcae (Aa-Ee) présents dans la bibliothèque. Ainsi, pour la lettre M par exemple, l’inventaire présentait les volumes manuscrits ou imprimés situés dans la theca A, dont les cotes allaient de A 1 à A 351 : tous les livres contenus dans cette theca, dont l’auteur ou le titre débutaient par la lettre M, étaient signalés en suivant l’ordre de leur disposition sur les étagères, pour passer ensuite aux thecae B, C, et ainsi de suite jusqu’à la theca Ee30.

Aucune distinction n’était faite entre les différents supports (seules les images et les cartes étaient conservées sur une même étagère), mais la description des manuscrits était souvent complétée par l’indication scriptus in carta ou in membrana. Aidé de l’helléniste Georg Tanner et de Wolfgang Püdler, surintendant de l’hôpital impérial, Blotius s’était targué de pouvoir achever l’inventaire en un mois. Mais l’opération s’était prolongée bien au-delà de ce terme, à la fois à cause des mauvaises conditions des locaux et de l’inutilité des catalogues existants. Ainsi, ce que Maximilien II avait envisagé comme un simple exercice de vérification des volumes devant être réalisé à la lumière d’un catalogue préexistant, s’était transformé en un véritable recensement du fonds dans son intégralité, une opération qui dura dix mois et concerna plus de sept mille titres31. Blotius le premier s’était plaint, dans une ébauche de lettre adressée à Maximilien II, du caractère inadéquat de ce premier inventaire qui, comme tout catalogue topographique, était essentiellement destiné au bibliothécaire et à ses assistants, et servait à se faire une idée de la nature de la collection et à enregistrer des pertes éventuelles32. En l’absence de personnel et de moyens appropriés, les catalogueurs s’étaient contentés d’enregistrer le premier titre de chaque livre, omettant ainsi la description de toutes les œuvres contenues dans les volumes composites, un patrimoine que Blotius estimait à plus de vingt-mille œuvres dissimulées parmi les sept mille volumes environ indexés. La seconde phase des travaux devait débuter à partir de l’été 1576 et prévoyait le signalement de toutes les œuvres conservées dans la bibliothèque, ainsi que leur répartition par matières, conformément aux intentions de l’empereur. Le catalogue De Turcis et contra Turcas constituait la première expérience réalisée dans cette direction : aux quelque quatre cents titres correspondaient au moins le triple de citations et de renvois bibliographiques33.

C’est grâce aux notes de Blotius et à la correspondance qu’il entretint avec les bibliographes de Zurich vers lesquels il se tournait en quête de conseils, qu’il est possible de reconstruire les traits de son projet bibliothécaire. Le premier document dont nous disposons est le brouillon d’une lettre adressée à Simler, datée du 14 juin 157634. Le bibliothécaire déclarait explicitement s’adresser à son collègue suisse du fait de causae gravissimae qui le contraignaient, contre son gré, littéralement tuis me rebus immiscere. Or l’expression tuis rebus ne renvoyait pas tant ici à ses publications, à propos desquelles Blotius s’apprêtait à demander quelques informations, qu’à la discipline bibliographique où il était, selon ses dires, novice. Ces causae gravissimae étaient liées au poids de la tâche qui lui incombait car, chargé de réorganiser la bibliothèque impériale de Vienne, il l’avait découverte dans un état d’abandon et de délabrement déplorable. Dès qu’il eut reçu l’ordre de Maxilimien II de rédiger l’inventaire de la collection, il avait suivi les indications contenues dans la dernière édition, réalisée par Simler, de la Bibliotheca universalis, et s’était attelé à la rédaction d’un catalogue alphabétique par auteurs. Cependant l’empereur, mécontent de ce choix qui excluait de nombreuses œuvres anonymes, avait immédiatement exigé un inventaire organisé par matières, contraignant ainsi Blotius à s’en remettre à un spécialiste35. Dans l’édition publiée par Simler, ce dernier avait annoncé la parution du nomenclator, une liste par ordre alphabétique des classements disciplinaires permettant de subdiviser les Pandectae de la Bibliotheca universalis de Gessner : un document qui apparaissait aux yeux du bibliothécaire comme une solution aux problèmes qu’il rencontrait à Vienne36. Ainsi Blotius demandait, au cas où le texte avait déjà été publié, de lui en faire parvenir une copie lors de la prochaine foire de Francfort et, le cas échéant, il priait son correspondant de bien vouloir lui transmettre, même sous forme manuscrite, les résultats d’un tel travail, en lui promettant sa discrétion et une reconnaissance publique de l’aide reçue37. Blotius proposait ensuite une explication plus détaillée du plan qu’il avait conçu afin de recevoir un conseil correspondant à ses attentes.

Son intention était d’établir une série de res, c’est-à-dire de matières à caractère général, qui se distinguaient des classes ou loci proposés par Gessner et qui devaient plutôt être entendues comme des sortes de « sujets ». L’identification des matières devait reposer non pas sur le contenu des volumes, mais sur leur titre, et l’organisation au sein de chaque res devait suivre un ordre alphabétique. La copie originale du catalogue De Turcis et contra Turcas que Blotius était en train de rédiger durant ces mois, permet de rendre compte de ce procédé. Ici, un texte comme l’Apologia pro editione Alcorani de Theodor Bibliander figurait sous la lettre A à côté du terme APOLOGIA souligné comme mot-clé (APOLOGIA Theod. Bibliandri pro editione Alcorani...), mais il apparaissait également sous le nom de l’auteur à la lettre T (THEODORI Bibliandri pro editione Alcorani vide Apologia) suivi d’un signe qui indiquait qu’il s’agissait d’une entrée secondaire38. Selon Blotius, l’empereur aurait été ainsi en mesure d’évaluer immédiatement la nature des livres ayant trait à un thème spécifique et conservés dans sa bibliothèque, mais aussi dans d’autres collections, dans l’éventualité d’un inventaire bibliographique réunissant plusieurs bibliothèques ainsi que le prévoyait l’inventaire sur les Turcica. Dans cette lettre, le bibliothécaire précisait son intention de vouloir établir des catalogues de ce type en fonction des différentes langues représentées dans la bibliothèque (austriacis, in cetere polonicis, ungaricis, bohemicis, moscoviticis rebus) ainsi qu’en fonction des différentes matières pouvant servir à répartir les livres (in matrimonialibus, sacerdotalibus, sacramentariis, denique medicis, metallicis, iocosis, seriis, sacris et profanis rebus omnibus ordinate precedatur)39. Un tel modèle était d’autant plus indispensable que la collection devait s’ouvrir à un public d’érudits et de courtisans, autorisés à la consulter à distance grâce à la lecture des inventaires, entendus non pas comme de simples guides topographiques mais comme de véritables instruments bibliographiques. Blotius concluait en proposant à Simler une collaboration qui allait avoir de fortes conséquences pour les deux partis. La bibliothèque de Vienne conservait de nombreux livres absents de l’Epitome de la Bibliotheca universalis paru en 1574 : en échange de l’aide reçue pour la rédaction des catalogues, Blotius proposait de mettre ces ouvrages à la disposition de ceux qui, à Zurich, s’étaient lancés dans le chantier de mise à jour et de publication de l’œuvre de Gessner.

La réponse à la lettre de Blotius, rédigée le 31 août 1576, était signée de la main de Johann Jakob Frisius. Elle était précédée d’une note du beau-frère de Simler, Rudolph Gwalter, qui l’informait de la mort du bibliothécaire et annonçait avoir transmis sa requête à son jeune successeur40. C’était en ces mêmes termes que Frisius, dans l’incipit de la missive, se définissait lui-même particeps et successor de nomenclatore nimirum Bibliothecae conscribendo, alors qu’il était en réalité, sans que cela se sût, l’auteur de cette liste, demeurée inédite dans l’attente des commentaires du maître, lequel n’avait pu terminer sa lecture. Frisius s’attachait donc à rassurer son collègue en l’assurant que la réponse n’émanait pas d’un jeune inexpérimenté – tous deux par ailleurs appartenaient à la même génération – mais de la personne la plus compétente en la matière puisqu’il s’était lui-même chargé de la rédaction de cette œuvre. C’était justement à ce public de bibliothécaires engagés dans la rédaction de catalogues que s’adressait le nomenclator et Frisius ne voyait donc aucune raison pour ne pas dévoiler son contenu à Blotius.

À l’instar des Pandectae, l’œuvre était composée de vingt et un livres mais, contrairement au travail de Gessner dans lequel les livres se présentaient en ordre dispersé, ils étaient ici accompagnés d’un outil fonctionnel (expeditum) permettant à chacun d’avoir recours à l’ordo omnes artes et disciplinas. Il convient de s’arrêter un instant sur la terminologie choisie par Frisius et Blotius. Ce dernier avait demandé à Simler un catalogue par matières (res) : il s’agissait donc d’un modèle bien distinct de la division par loci communes utilisée dans les Pandectae où Gessner, en se fondant sur les sujets et non sur les titres des œuvres, avait été à l’origine d’un « labyrinthe catalographique » auquel ses successeurs avaient déjà eu l’occasion de se confronter. Pour Blotius comme pour Frisius, il était au contraire nécessaire d’avoir recours à une division par matières ; cependant pour s’orienter au sein même de chaque res, l’ordre alphabétique par noms d’auteurs apparaissait encore comme la voie la plus simple. Si les Pandectae proposaient, ainsi que le rappelle Alfredo Serrai, une matrice encyclopédique capable de fournir un inventaire complet de la culture intellectuelle de l’époque, Blotius se flattait de pouvoir se passer de ce complexe modèle théorique pour proposer directement un inventaire pratique par matières où la recherche serait guidée par les auteurs et les titres41. De fait, le modèle de Gessner aurait supposé la mise en œuvre d’un important travail de synthèse, sans pour autant offrir à l’empereur et à son entourage un instrument adapté à leurs exigences. Les livres et les classements du nomenclator étaient destinés à remplir ce vide qui, selon Blotius, était apparu à la suite de la publication de Gessner. C’est pour cette raison que Blotius consulta avec la plus grande attention les conseils de catalogage qui accompagnaient la lettre de Frisius : non seulement ce dernier énumérait les livres et les titres des classements disciplinaires, mais il alléguait des exemples pratiques particulièrement pertinents pour le cas de la bibliothèque de Vienne.

La liste des catégories proposée par Frisius s’ouvrait avec la grammaire, divisée en vingt-trois titres, suivie de la dialectique, de la rhétorique et de la poétique ; venaient ensuite l’arithmétique, la musique et les disciplines mineures ; la liste se poursuivait en remontant à travers la physique, l’éthique, l’histoire et la médecine ; pour enfin se terminer avec la théologie42. La rédaction d’un inventaire conforme au nomenclator supposait d’enregistrer les titres sous une forme abrégée, alors que la forme complète de l’auteur ou du titre n’était indiquée, à l’instar de l’œuvre de Gessner, que dans l’index alphabétique. Frisius conseillait d’inscrire les titres sous le prénom (et non sous le nom) de l’auteur : ce procédé cependant ne concernait que les libelles et les traités entièrement consacrés au thème en question, puisque les titres qui se contentaient d’y renvoyer au début ou au milieu de l’œuvre, devaient en revanche n’être répertoriés que dans l’index alphabétique sous l’entrée de l’auteur43. Pour illustrer son propos, Frisius avait recours à un exemple déjà cité par Blotius, dans le but de corriger ce qui, pour lui, relevait d’erreurs de catalogage. Si Blotius projetait de rassembler tous les textes ayant trait au thème De corroganda pecunia in Turcam, il devait avant tout procéder à un repérage des œuvres à insérer dans cette rubrique, puis créer cette rubrique et décider dans quelle catégorie générale l’insérer (dans ce cas la catégorie politica) et enfin introduire les titres en suivant l’ordre alphabétique des prénoms des auteurs. Ainsi le mot-clé ne devait pas nécessairement transparaître dans le titre, et c’était au bibliothécaire que revenait la responsabilité d’établir les catégories et de choisir les titres à insérer. La proposition de Frisius, comparée au système de catalogage promu par Blotius, attribuait donc la définition des descripteurs sur lesquels reposait l’organisation de l’index au bibliothécaire lui-même, et non aux titres des œuvres. Il va de soi que, dans un cas comme dans l’autre, les méthodes suggérées présupposaient un rôle actif de la part du lecteur/usager qui, à travers le catalogue, pouvait se faire une idée relativement précise du fonds en question. De même, le personnel bibliothécaire ne se contentait pas de faire office de guide au sein des méandres de la bibliothèque, mais il se présentait comme l’énonciateur des catégories du savoir44.

QUEL CATALOGUE POUR QUEL LECTEUR ?

La réponse de Frisius et les difficultés rencontrées par Blotius, qui affirmait avoir pourtant suivi le chemin tracé par Gessner, indiquent que quelque chose avait changé dans la gestion du patrimoine livresque durant les trente dernières années, en particulier du point de vue de ceux qui étaient chargés de rédiger les répertoires bibliographiques et d’administrer les bibliothèques. Et pourtant c’était à eux, responsables de l’organisation d’un patrimoine d’une valeur immense et d’une ampleur non moins considérable, que Gessner avait pensé lors de la rédaction des Pandectae. Or, désormais, ces mêmes bibliothécaires, non seulement n’étaient plus en mesure d’utiliser cet instrument, mais ils allaient même jusqu’à le considérer comme inapproprié.

Les nombreuses transformations qui eurent lieu durant la seconde moitié du XVIe siècle au sein des bibliothèques institutionnelles – un terme peut-être plus adapté que celui de publicae proposé par Gessner – furent de natures diverses, puisqu’elles engagèrent une redéfinition non seulement des structures et des techniques, mais aussi des usagers. C’est durant cette période que les grandes salles de livres furent conçues, que les volumes cessèrent d’être accrochés aux bancs ou aux pupitres pour être rangés dans des étagères adossées aux parois, et que les répertoires devinrent des instruments de consultation nécessitant la présence d’un personnel spécialisé45. Il s’agit d’un tableau hétérogène, qui produisit, ainsi que nous le verrons par la suite, des réponses et des expériences diverses. Toutefois, l’un des dénominateurs communs de ces processus, ainsi que l’illustre le cas de Vienne, réside dans l’affirmation du bibliothécaire comme figure médiatrice entre le public et la bibliothèque, lieu d’organisation et de consommation du savoir. Une affirmation qui se joue à plusieurs niveaux, mais qui touche tous les aspects de sa gestion. Il n’est pas surprenant de voir que Blotius lui-même consacra toute une section du Consilium adressé en 1579 à Rodolphe II, au De officio bibliothecarii. Dans ce texte programmatique consacré à la question de la gestion de la collection impériale, Blotius, après avoir traité de considérations pratiques, comme les investissements destinés à augmenter la collection, le dépôt légal ou le problème des prêts, s’attardait sur cette nouvelle figure professionnelle que, presque par hasard, il avait été amené à revêtir et dont les fonctions se situaient à mi-chemin entre sphère intellectuelle et sphère technique46. La description qu’il proposait des qualités requises du bibliothécaire-bibliographe – tels la connaissance de sept langues au moins, l’amour pour les sciences, la rectitude morale, la neutralité dans les disputes confessionnelles – ainsi que de ses compétences pratiques, comme la capacité à intégrer dans le catalogue le plus grand nombre possible de réalisations du monde éditorial, souligne combien cette profession était en train d’acquérir du sens aux yeux d’un public élargi qui ne se limitait plus au propriétaire et à son cercle d’amis.

L’historiographie a déjà eu l’occasion d’interroger la définition que recouvre la notion de « public » durant la première modernité, et elle a notamment souligné la distance qui la sépare de l’acception qu’on lui réserve au XVIIIe siècle ou aujourd’hui. Pour le XVIe siècle, on ne saurait parler d’un espace public critique, ni associer les deux termes public-bibliothèque publique47 . Le public de la bibliothèque impériale durant la période qui nous intéresse ici était constitué de tous ceux qui pratiquaient cet espace – il s’agit ici d’un choix historiographique que je propose – depuis les lecteurs jusqu’aux frères minimes, en passant par les copistes et les serviteurs (les famuli), les maîtresses de maison, les forgerons et les verriers. Pour être plus précis, il est possible d’affirmer que la bibliothèque, qui déjà conservait la trace du passage avant 1575 de personnages très variés, intégra sous la direction de Blotius une série d’acteurs qui déterminèrent sa nature pour les siècles à venir. En premier lieu, l’empereur Rodolphe II et son entourage qui, avec leur soif de livres de magie et d’alchimie, représentaient les lecteurs les plus assidus de la bibliothèque ; puis les frères de l’empereur, Matthias et Maximilien, tous deux avides de lectures concernant l’histoire allemande et les chroniques locales ; les membres de la respublica literaria, tel Tycho Brahe, qui désiraient être informés de façon précise sur les livres conservés ayant trait à une discipline particulière ou sur les éditions d’un manuscrit ancien ; Robert Sydney et les voyageurs qui passaient par Vienne et consultaient les avis que Blotius avait minutieusement recueillis comme on lirait aujourd’hui un guide touristique ; ou les autres voyageurs, plus érudits, comme Henry Savile et Henry Wotton, qui s’arrêtaient plusieurs jours dans le but de copier les précieux manuscrits grecs ; et puis les historiens et les érudits locaux qui entraient avec un objectif bien précis, comme le jésuite Georg Scherer qui se servait des catalogues sur les Turcica pour rédiger ses oraisons à l’encontre des Ottomans et des protestants ; le franciscain Gottardus Montinus, un personnage de Vienne demeuré inconnu qui, ne pouvant se rendre à la bibliothèque à cause d’une fracture à la jambe, faisait parvenir au bibliothécaire une liste de titres à lui remettre au couvent et qui allait des commentaires d’Aristote à la métaphysique de Vicomercatus, en passant par les textes de Lullius, par l’Harmonia mundi du vénitien Francesco Giorgi et par l’édition d’un nouveau testament en grec ; ou encore l’historien d’origine italienne Michele Brutus qui utilisait la collection de la bibliothèque afin de réviser son histoire de la Hongrie qu’il avait dans un premier temps conçue comme un texte anti-habsbourgeois48. Les collections elles-mêmes étaient alors en pleine expansion. La collection que Blotius commença à organiser en 1575 allait au moins tripler de volume durant les trente ans de son activité, englobant des ensembles d’origines diverses extrêmement précieux, comme les manuscrits et les imprimés de Johannes Sambucus, les manuscrits grecs d’Augerius Busbequius, les 347 livres du médecin Johannes Allegri, ou les collections historiques de Michele Brutus et de Nikolaus Gabelmann49. Rien de surprenant à ce que Blotius ait pu éprouver une sorte de vertige face à une telle situation et à ce que la même question ait imprégné l’ensemble de ses réflexions de bibliothécaire : quel catalogue pour quel lecteur ?

TRACES DE CATALOGUES

En 1583 on publiait à Zurich le quatrième et dernier précis de la bibliothèque de Gessner, signé de la main de Johann Jakob Frisius. Cependant l’ouvrage se présentait déjà dans son titre comme le résultat d’une collaboration entre le « laboratoire » de Zurich et celui de Vienne : Bibliotheca instituta et collecta, primum a Conrado Gesnero : deinde in epitomen redacta, & nouorum librorum accessione locupletata, tertiò recognita, & in duplum post priores editiones aucta, per Iosiam Simlerum : iam verò postremò aliquot mille, cùm priorum tùm nouorum authorum opusculis, ex instructissima Viennensi Austriae imperatoria bibliotheca amplificata, per Iohannem Iacobum Frisium Tigurinum. L’œuvre présentait la dernière mise à jour du répertoire alphabétique par auteurs qui, au début de sa rédaction par Gessner, comptait en 1545 5 000 entrées et, au moment de son achèvement par Frisius, en recensait 21 000. Même la préface de l’œuvre reprenait ici celle des éditions précédentes, à l’exception du renvoi aux citations provenant du catalogue viennois. La correspondance entre Blotius et Frisius permet de reconstruire le cadre de cette collaboration en interrogeant en particulier la tension générée par la diversité des publics des bibliothèques et recueillie par les catalogues : depuis le moment où l’invitation à collaborer avait été acceptée (1576), jusqu’à l’arrivée à Vienne du frère de Frisius en qualité de copiste (1577) et sa mort tragique peu avant la parution de la réédition de la Bibliotheca (1581).

À la fin d’une lettre datée du 28 septembre 1581, Frisius, qui remerciait pour l’envoi des condoléances qui faisaient suite à la nouvelle de l’assassinat de son jeune frère, assurait Blotius que, malgré ce malheureux accident, la collaboration avec Zurich pouvait être poursuivie50. Il avait impérativement besoin, notamment, d’une série d’informations concernant un Catalogus chronicorum, la bibliographie chronologique des auteurs de Philosophia et de Theologia, publiée ensuite par ses soins sous le titre de Bibliotheca Philosophorum classicorum authorum chronologica en 1592. Afin de compléter son inventaire à l’aide des titres conservés auprès de la collection impériale, Frisius demandait à Blotius, après avoir remplacé son frère par un copiste tout aussi qualifié, de lui envoyer une liste par ordre alphabétique des auteurs ainsi qu’une autre par ordre chronologique de publication51. La date de la lettre ainsi que son contenu suggèrent que la collaboration de Blotius et de Frisius en vue de la mise à jour et de la publication du premier volume de la bibliothèque de Gessner, prévue en 1583 et contenant le remerciement à Blotius cité précédemment, était déjà achevée. Le bibliographe suisse, par ailleurs, semblait tout à fait informé du fait que le seul catalogue de la bibliothèque disponible était celui par ordre alphabétique, puisqu’il demandait à Blotius de lui transmettre au plus vite la liste par auteurs, mais différait l’envoi de la liste organisée par années de publication jusqu’à ce que son collègue dispose d’un nouveau copiste. Il est dès lors possible d’affirmer qu’à cette date aucun autre catalogue n’avait été réalisé à Vienne, à l’exception de celui conçu en 1576.

Cependant les allusions de Frisius semblent indiquer que si l’index alphabétique offrait des informations simples et directes, il était d’autre part possible de s’en remettre, pour des recherches postérieures, d’ordre chronologique ou thématique, à la consultation de bulletins séparés. Les notes de Blotius contenues dans les Hebdomas Bibliothecaria ou dubia Bibliothecaria, ainsi que les appendices conservées au sein de chaque volume, confirment l’hypothèse, formulée par Hermann Menhardt, de l’existence d’une série de Zettel proposant, pour chaque texte, une description complète, l’indication de son emplacement et éventuellement des notes, qui étaient tour à tour réorganisées, découpées, collées ou transcrites en vue de la préparation d’un nouveau catalogue ou pour répondre à des exigences spécifiques de la part des lecteurs52. Parfois, l’urgence de recueillir des informations contraignait Blotius et ses assistants à recourir d’abord au catalogue par auteurs de 1576, pour ensuite seulement passer en revue les étagères et les bulletins afin de signaler d’éventuelles erreurs. Cela était d’autant plus fréquent lorsqu’il s’agissait de répondre aux sollicitations d’usagers puissants, ou d’exécuter un ordre reçu de l’empereur, comme lorsqu’il fallut en 1597 réaliser l’inventaire des manuscrits et en 1595 celui des manuscrits de magie et de chimie. Les Zettel , d’autre part, étaient particulièrement utiles lorsque des textes changeaient de cotes entre la rédaction de deux catalogues, à cause de nouvelles acquisitions ou d’une transformation dans la disposition des étagères. Ce procédé était courant dans de nombreuses collections et c’était Gessner lui-même qui, après avoir appris cette technique auprès de Konrad Pellikan, avait fourni les premières indications quant à la rédaction d’index à l’aide de bulletins. Reste toutefois à comprendre comment Blotius s’en servait. La question demeure de savoir s’il s’agissait d’une base pour la compilation d’inventaires par matières, et si le modèle utilisé par Blotius correspondait à celui transmis par Zurich ou représentait une troisième voie, une « invention de Vienne ».

La recherche d’un éventuel index par disciplines s’éclaire, de façon inattendue, à la lumière du Standortkatalog rédigé en 1609-1610 par le successeur de Blotius, Sebastian Tengnagel, un an avant la disparition du bibliothécaire hollandais53. Ce catalogue était un instrument destiné au « personnel préposé aux travaux » et contenait un index des imprimés conservés dans la bibliothèque, alors que les manuscrits, séparés de ce fonds, avaient déjà fait l’objet d’une division en grecs et latins, et d’un ordonnancement par classement disciplinaire. Les cotes qui correspondaient autrefois aux manuscrits avaient été ici remplacées par des espaces vides destinés à être comblés à l’avenir par de nouvelles acquisitions : un dispositif qui avait été utilisé de façon récurrente dans les années précédentes lorsque de nouveaux textes avaient été insérés à la place de ceux perdus ou de ceux envoyés à Prague par l’empereur Rodolphe II. Ce qui retiendra toutefois notre attention ici est l’affirmation de Tengnagel, contenue dans la première page, selon laquelle il avait réalisé ce catalogue à usage interne grâce aux feuillets de toutes tailles qui indiquaient les sections particulières auxquelles chaque texte se rapportait, et qui avaient servi du temps de Blotius à leur classification par disciplines. Il informait alors le lecteur qu’il ne fallait pas, par exemple, prendre en compte la rubrique IUS LAT inscrite en haut de la page, ni la numérotation en marge, puisqu’elles ne correspondaient en rien à son catalogue. Or, l’ensemble des rubriques qui demeurent sur les pages utilisées par Tengnagel, permet de reconstruire au moins une partie des classements qui auraient dû, selon Blotius et ses assistants, présider au fil du temps à la disposition des textes dans la bibliothèque. Cette division reposait simultanément sur différents critères : la matérialité (solutus, compactus, images), la discipline, la langue et le support (manuscrit ou imprimé)54. Ces indications, la division de chaque catégorie en 19 et de chaque page du catalogue en 23, invitent à admettre que l’assistant de Blotius avait utilisé pour le Standortkatalog des feuillets préparatoires destinés à la compilation d’un index identique, c’est-à-dire un inventaire topographique. Dans le catalogue que Tengnagel attribuait à Blotius, la disposition des livres sur les étagères suivait l’ordre des classements disciplinaires. Les chiffres 19 et 23, dans ce cas, correspondraient respectivement aux rayons des étagères (19) et au nombre de textes par étagère (23), représenté par la page de l’index. Cette hypothèse peut être étayée par un renvoi aux activités de Blotius qui, à partir des années 1580, commença justement à indiquer la position des volumes sur les étagères, en enregistrant non seulement leur emplacement mais leur altitudo, c’est-à-dire les coordonnées étagère/rayon qui devaient vraisemblablement correspondre à celles contenues dans le Standortkatalog.

Le projet de Blotius prévoyait donc, à l’évidence, une répartition de nature disciplinaire et topographique. Selon ce principe, l’ordonnancement de la bibliothèque aurait dû obéir, au fil du temps, à une logique double : d’une part la rédaction de catalogues alphabétiques, de l’autre la disposition des livres sur les étagères en fonction d’une organisation par disciplines. Ce programme, toutefois, avait sans doute été maintes fois bousculé à cause des nouvelles acquisitions, dans la mesure où une telle organisation supposait que chaque catégorie bénéficie d’un emplacement dans la salle de lecture. Les prêts extérieurs ainsi que le transfert de livres à Prague avaient par ailleurs soustrait de nombreux volumes en cours de catalogage, de sorte qu’il avait fallut soit renvoyer à l’ancienne description, soit les signaler dans l’inventaire par des espaces blancs en attendant leur retour. En 1602, le bibliographe affirmait que ce chantier catalographique était encore ouvert. Dans une lettre envoyée à un agent de la famille Rosenberg, qui s’était adressé à Blotius pour sa recherche d’anciennes chroniques en précisant parfois l’auteur et le titre ou en se contentant de décrire le thème de façon générale, le bibliothécaire de Vienne expliquait dans son allemand rudimentaire que jusqu’à ce que la « newe und auffrechte ordnung nit vollbracht wert haben », les livres dans la « bücherei [auraient été] gar schwarlich zu finden »55.

Le « newe und aufrrechte Ordnung » s’éloignait toutefois de plus en plus de la répartition par materien, héritée du modèle de Gessner, au profit d’index alphabétiques, comme en témoignent les annotations rédigées par Blotius à partir des années 1590. Dans une note présentant la rubrique Hebdomas Bibliothecaria adressée au fonctionnaire impérial Richard von Strein, Blotius par exemple s’était attaché à mesurer le pour et le contre d’un catalogue par matières. Selon lui, les classifications par ordre alphabétique et par disciplines n’étaient pas en théorie exclusives l’une de l’autre ; seulement sur le plan de la pratique « hic si habes rationem materiarum perit ratio autorum ; sin hoc vis habere perit materiarum ratio »56. La division par classements disciplinaires était plus appropriée à la recherche érudite puisqu’elle permettait de se faire rapidement une idée du type de fonds disponible. Elle présentait cependant une série de difficultés, en particulier pour les collections qui, comme à Vienne, étaient le résultat de l’incorporation de collections privées ayant déjà été indexées séparément, puisqu’il était alors inévitable de voir apparaître des incohérences et des superpositions entre les classements disciplinaires utilisés précédemment et le nouveau système collectif. Ce type de division posait, d’autre part, des problèmes d’ordre décisionnel et interprétatif. Il fallait tout d’abord sélectionner les catégories. À qui revenait le choix des critères à partir desquels indexer le fonds, se demandait Blotius : au bibliothécaire ou au propriétaire ? Parfois ces derniers avançaient des solutions arbitraires, fondées sur leurs goûts particuliers, qu’il était difficile de mettre en pratique, d’autant plus que des textes ayant trait à des matières distinctes pouvaient être reliés dans un même volume. Lorsque, par exemple, Blotius s’était chargé, quelques années auparavant, du catalogage de la bibliothèque privée de l’Oberstkämmerer Wolfgang Rumpf, celui-ci avait élu la Politica comme l’une des principales catégories. Or deux livres essentiels pour cette discipline, le Bodino Gallice contre Nicolaum Machiavellum et in eodem argumento itidem Gallice contra Nicolaum Machiavellum, avaient été reliés ensemble et catalogués avec des textes juridiques. L’ordre établi par le propriétaire définissait la iuridica comme une partie intégrante de la humanitatis classis dans la mesure où elle appartenait aux arts libéraux, « au même titre que l’éthique » : la seule solution dans ce cas avait été de séparer physiquement les œuvres reliées dans le même volume. En somme il était difficile, selon Blotius, de trouver un système capable de répondre intégralement aux attentes de chacun.

Deuxièmement, se posait la question des disciplines hybrides ou « nouvelles »57. À ce propos le bibliothécaire se demandait si les oraisons appartenaient à la rhétorique ou si elles devaient à leur tour être indexées par matières ; si les bibliographies et les recueils de sources qu’il avait déjà réalisés, par exemple les Turcica et les Polonica, devaient relever d’un classement à part ou s’ils devaient être à leur tour divisés par matières ; si la médecine de Théophraste devait être séparée de la médecine traditionnelle ; si les mathématiques devaient être divisées en arithmétique, géométrie, optique et horologiorum ratio ; et quelle était la catégorie appropriée pour les lexica geographica, comme le Thesaurus orbis terrarum d’Ortelius, etc. Enfin, la répartition par matières présentait des inconvénients considérables quant au catalogage des images et des partitions musicales : « In qui classe picturarum sunt subdivi deinde classes aliae multae ? » C’est en ces termes que Blotius s’interrogeait lorsqu’il proposait une division arbitraire entre images sacrées et profanes, qui devait également comprendre Antiquitates Militares Regionum, Lascivarum vel obscenarum et amatoriarum, et qui ne pouvait résister face à l’insertion d’images obscènes de scènes bibliques, telle « Josephi et Putipharis uxoris nude et iuvenem irritantis »58. La distinction entre sacré et profane pouvait également être adoptée dans le cas des partitions musicales qui, le cas échéant, auraient constitué un groupe indépendant, la Musica justement, laquelle serait à son tour divisée en vocale et instrumentale, puis par langues.

Blotius n’était évidemment pas le seul à être en proie aux doutes : les mêmes incertitudes affleuraient dès lors qu’il s’agissait de traduire un système idéal de classification à la fois par la rédaction de l’index d’une bibliothèque matérielle et par l’ordonnancement concret des livres dans la salle de lecture.

QUELLE RATIO, QUELLE METHODUS ?

Plus de dix ans s’étaient écoulés depuis le début de leur collaboration quand Frisius, le 10 février 1589, fit appel à son collègue de Vienne afin de savoir quel rationum sive methodum il suivait dans la disposition matérielle des textes au sein de la bibliothèque impériale59. Ayant succédé à Ludwig Lavater à la direction de la collection de Zurich, dont il s’occupait par ailleurs de façon informelle depuis de nombreuses années, Frisius avait pris la décision de réorganiser les textes et de les ranger par disciplines. Ses prédécesseurs avaient déjà eu l’occasion de pointer du doigt l’incohérence de la répartition de Pellikan qui suivait le numerus librorum, c’est-à-dire le numéro de série attribué au livre au moment de son entrée dans la bibliothèque, de sorte qu’une édition de la Bible pouvait être placée à côté des fables d’Ésope si les deux volumes avaient intégré successivement la collection60. Maintenant que la collection avait augmenté de façon spectaculaire, Frisius avait entrepris de passer à un ordonnancement par disciplines, mais il se heurtait au scepticisme des forgerons et des artisans chargés de fabriquer des étagères à cet effet, selon lesquels le système qu’il proposait ne pouvait être exécuté au sein des espaces dont il disposait.

Maria Cochetti a souligné, voici déjà vingt-cinq ans, combien la recherche d’une certa quadam methodo ac ratio, a pu représenter « un acquis théorique et méthodologique fondamental » à la fin du XVIe siècle, dans la mesure où cela supposait de reconnaître l’importance décisive de l’organisation des données, de leur structuration et de leur disposition61. La ratio illustrée par Frisius dans sa lettre à Blotius s’articulait en trois phases distinctes. Dans un premier temps il avait réuni les textes par res, c’est-à-dire par matières, et ces matières, soutenait-il, contrairement à ce qu’il avait pu suggérer à Blotius au sujet du nomenclator dans la lettre de 1576, étaient « non subtili, sed commoda subdivisione et distributione ». Dans un second temps, il avait inscrit sur chaque volume un numéro par ordre de progression pour chaque classement. Enfin, il avait obtenu, pour chaque texte, un caractère alphabétique indiquant le classement ainsi qu’un « numéro de série », tous deux indépendants de la disposition matérielle des livres sur les étagères. Mais puisque les textes présentaient déjà une cote, l’inconvénient de ce procédé était qu’il contraignait soit à laisser sur chaque volume trois cotes distinctes, soit à effacer manuellement les anciennes. Étant donnée l’ampleur de la collection habsbourgeoise de Vienne, Frisius se tournait vers Blotius afin de connaître son expérience : nul doute qu’un tel procédé dans une bibliothèque de si grandes dimensions ne pouvait être adopté qu’au prix de « labore infinito, et taedio summo, et corporis iactura irreparabili »62.

La réponse de Blotius ne nous est pas parvenue. Il convient cependant de noter que la lettre de Frisius reposait sur la conviction qu’un aménagement semblable des textes avait été entrepris sur les étagères de Vienne où, par conséquent, se posaient les mêmes difficultés. Un mois plus tard, cependant, Frisius faisait parvenir à un autre collègue, le bibliothécaire de la collection de Heidelberg, Paulus Melissus, une requête semblable et demandait au même titre des explications quant à la disposition des textes sur les étagères de sa bibliothèque63. La lettre à Melissus, déjà décrite par Karl Christ et par Alfredo Serrai, revêt une importance particulière en ce que l’exposition adressée à Blotius est ici explicitée : elle offre une liste des matières à partir desquelles les textes devaient être divisés, et rend compte de la similitude existant entre cet ordonnancement disciplinaire et le catalogus methodicus ou nomenclator décrit en 1576. Pour le reste, les deux lettres présentent des sections identiques, si bien qu’il est possible d’affirmer que Frisius avait dressé une sorte de questionnaire à destination de ses collègues bibliothécaires, en insistant tour à tour sur certains aspects qui semblaient à ses yeux plus intéressants dans une collection particulière. À l’instar du texte envoyé à Vienne, celui adressé à Heidelberg était composé de deux parties. Cependant, alors que dans le premier l’incipit traitait de questions politiques et confessionnelles propres à la confédération helvétique, le premier thème abordé dans la lettre à Melissus concernait justement le contenu et la répartition des matières proposés dans la Bibliotheca methodica ou nomenclator64, un texte auquel Frisius faisait ensuite référence tout au long de sa description de la bibliothèque matérielle. Comparée au projet présenté en 1576 à Blotius, l’œuvre que Frisius espérait publier – mais qui ne verrait jamais le jour – rassemblait les vingt-cinq livres en cinq tomes (artes, historici, theologici, medicina et jurisprudentia) et présentait en outre un système plus détaillé pour la citation des titres, afin que le lecteur ne soit pas contraint de se reporter sans cesse au premier tome de la Bibliotheca de Gessner. Le processus de publication de l’ouvrage traînait en longueur, et Frisius déplorait les difficultés économiques ainsi que la négligence de ses collaborateurs. La structure précise des livres avait été fixée, pour que son collègue, éventuellement lors de l’envoi d’informations bibliographiques, puisse s’en tenir à la répartition de l’ouvrage. Frisius insistait sur ce point car il avait été trop souvent confronté à l’absence de rigueur au sein des bibliothèques, une caractéristique propre à cette période de transition. Son expérience avec le bibliothécaire de Leipzig, Matthäus Dresser, qui lui avait fait parvenir des informations souvent fort imprécises, l’avait induit à attendre une certaine exactitude de la part de ses collaborateurs. Il ne s’agissait pas, pour autant, de blâmer Dresser car même la bibliothèque dont il avait depuis peu pris la direction, à la suite de célèbres bibliothécaires tels que Pellikan, Gessner, Simler et Lavater, posait des difficultés similaires : si on avait essayé de la « traduire en catalogue » elle aurait présenté des incohérences identiques et la même exigence de restauration et de mise en ordre se serait imposée.

Or, malgré l’existence de systèmes capables de porter secours, chaque bibliothécaire était appelé à élaborer des méthodes cohérentes avec la collection et les espaces dont il disposait65. La lettre à Melissus, ensuite, reproduisait fidèlement la structure utilisée dans la missive envoyée à Blotius, tout en fournissant plus de détails. Frisius s’arrêtait en particulier sur la description du système « a me excogitatus », qui permettait de conserver la même cote « in omnia secula immutabiles » sans renoncer ni au numéro sériel, qui servait à repérer en un coup d’œil les pertes subies, ni à la structure par matières, qui reprenait celle de la Bibliotheca methodica. Les trois temps du catalogage qu’il avait décrit à Blotius étaient ici explicités : il définissait le genus artis auquel chaque volume, ou partie de volume, appartenait, puis il collait au dos de chaque livre une étiquette (particulam schedae) sur laquelle était inscrite la lettre qui correspondait à la matière dans la Bibliotheca methodica. Contrairement aux catégories de Gessner, dans la classification matérielle proposée par Frisius, les matières étaient indiquées par une lettre majuscule, alors que les subdivisions ultérieures étaient représentées à l’aide de chiffres romains66.

Par rapport au système médiéval qui consistait à ranger les textes dans des pupitres, ou par rapport à un quelconque Standortkatalog, l’innovation de Frisius résidait dans le fait que les lettres alphabétiques perdaient ici leur valeur d’indicateur spatial (comme lorsque le pluteus À correspondait à la théologie, le B à la grammaire, etc.) et se contentaient d’indiquer une matière particulière, si bien que les livres pouvaient être déplacés si la collection augmentait ou si le « conteneur » était amené à se transformer. L’indication alphabétique se rapportant au classement était suivie d’un numerus currens. Chaque ars et facultas avait une capsam propre, mais à l’intérieur de chaque étagère les textes étaient disposés en fonction de leur format afin que les menuisiers n’aient pas à construire des plutei de différentes dimensions pour chaque catégorie. Structurées de la sorte, les étagères pouvaient être mises à jour par les famuli ou même par le personnel chargé du nettoyage, ainsi que l’expliquait Frisius en citant un exemple concret. Les volumes historiques et géographiques in folio pouvaient éventuellement se trouver côte à côte, mais dans le cas de nouvelles acquisitions réalisées dans l’une ou l’autre catégorie, il aurait suffi de faire glisser les livres suivants pour faire place aux nouveaux67.

En conclusion, et pour synthétiser cette correspondance qui s’étend sur plus de dix ans, rappelons que Simler et Frisius avaient déduit du système des Pandectae de Gessner une Bibliotheca methodica secundum artes et scientias distributa, soit un projet éditorial qui, dans les termes dans lesquels il avait été formulé, était destiné à demeurer lettre morte. Frisius, à son tour, avait déduit de cet ouvrage un système de classement par matières pour l’organisation matérielle de la collection de Zurich, et son principal souci avait été celui de concilier l’encyclopédisme post-gessnerien avec l’aménagement concret d’une collection qui ne cessait de s’accroître. Une expérience analogue avait été tentée par Blotius, si l’on en croit les sections reportées dans le catalogue de Tengnagel et les informations contenues dans de nombreux Hebdomadas Bibliothecaria. Il n’existe en effet aucune véritable différence entre d’une part les cinq tomes au sein desquels Frisius affirmait vouloir diviser son nomenclator (artes, historici, theologici, medicina et jurisprudentia) et de l’autre les matières qui apparaissent dans les rubriques conservées « par hasard » dans le Standortkatalog de Tengnagel.

Ainsi, l’expérience de nouveaux critères pour l’organisation des savoirs ne semblait pas se réduire à la conception idéale d’un catalogue, mais englobait la question de sa traduction dans la disposition matérielle des textes sur les étagères. Sur ce terrain, l’encyclopédisme de la fin du XVIe siècle se heurtait à des exigences de nature pratique et structurelle (pensons aux menuisiers qui se plaignaient auxquels Frisius fait allusion), à la production exponentielle de livres, aux attentes et aux intérêts du public. La répartition idéale par disciplines ne pouvait certes être reproduite de façon mécanique dans différentes collections : ainsi que Frisius l’avait souligné et comme en témoigne la différence des classements choisis à Vienne et à Zurich, chacune possédait des caractères spécifiques et disposait d’espaces distincts. Pourquoi créer une catégorie Turcica si, dans la bibliothèque, il n’existait aucun livre de ce genre, et si en plus il n’y avait pas assez d’espace pour l’accueillir ? Tandis que Frisius proposait six différentes sections pour la médecine, Blotius n’en avait prévu qu’une seule divisée par langues, car la diversité linguistique était l’une des principales caractéristiques de la collection viennoise68.

Alors qu’en 1593 Possevino publiait une Bibliotheca sélectionnée à partir de critères essentiellement intellectuels qui relevaient de choix culturels et politiques particulièrement clairs69, c’est encore dans le domaine des bibliothèques matérielles que l’on tentait des expérimentations : ici la nécessité de négocier sans cesse entre espace et épistémologie avait produit des innovations intéressantes. En 1595, la bibliothèque universitaire de Leyde publiait le premier catalogue imprimé diffusé par des filières commerciales. Dans l’introduction de ce Nomenclator autorum omnium, le bibliothécaire Petrus Bertius présentait minutieusement les critères qu’il avait adoptés et les choix qu’il avait opérés, tous semblables à ceux de Frisius et probablement de Blotius70. En 1600, c’était au tour des bibliothécaires de la Stadtbibliothek d’Augsburg de présenter, en la personne du médecin et lexicographe Georg Henisch, une nouvelle recette au grand public : un catalogue imprimé où les textes latins étaient séparés des grecs et classés par disciplines (Théologie, Droit, Médecine, Histoire, Philosophie, Mathématique, Logique, Rhétorique, Poésie, Grammaire). Les textes étaient décrits en fonction de leur disposition topographique dans les plutei et sur les étagères, et chaque classement était subdivisé par formats. L’ouvrage présentait en conclusion un index alphabétique par auteurs qui renvoyait aux pages du catalogue où ceux-ci étaient cités71.

L’étude de cas proposée ici invite à recomposer la multiplicité de ces expériences. En évoquant les pratiques d’organisation des livres dans les bibliothèques, elle suggère de ne pas réduire l’évolution de la bibliographie et de la bibliothéconomie à la fin du siècle à un simple passage des encyclopédies vers les onomasticon ou vers les bibliotèques selectae. Il s’agit, en revanche, de reconnaître l’existence d’un moment d’interrogation et d’expérimentation qui ne peut être reconstruit qu’à la lumière d’une série de sources moins traditionnelles. Seules des recherches plus approfondies permettront de reprendre le fil de ce raisonnement afin de voir comment s’articulent des réflexions et des choix qui semblent, en première instance, antithétiques et qui pourtant se font encore sentir dans les collections qui sont, aujourd’hui, les dépositaires du savoir de nos sociétés.

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1 Dans le cadre de l’histoire des bibliothèques de cour, il n’existe, à ce jour, aucune analyse de type synchronique et comparée, mettant l’accent, non pas sur l’histoire institutionnelle, mais sur les pratiques culturelles. Voir également les études consacrées à des aires géographiques spécifiques, comme les quatre volumes de l’Histoire des bibliothèques françaises, Paris, Promodis ; Éditions du Cercle du librairie, 1988-1992. Au sujet de la Bibliothèque Vaticane, il convient de consulter le récent volume La biblioteca Vaticana tra Riforma Cattolica, crescita delle collezioni, e nuovo edificio (1535-1590), dir. Massimo Ceresa, Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, 2012. À propos de l’Escorial, voir Fernando Bouza, « La Biblioteca de El Escorial y el orden de los saberes en el siglo XVI », dans El Escorial : Arte, poder y cultura en la Corte de Felipe II, Madrid, 1998, pp. 81-99. Pour Munich, l’étude d’Otto Hartig, Die Gründung der Münchener Hofbibliothek durch Albrecht V. und Johann Jacob Fugger, Munich, Franz, 1917, demeure fondamentale.

2 Parmi les ouvrages de référence, Peter Burke, A social history of knowledge : from Gutenberg to Diderot, Cambridge, Polity Press ; Malden Mass ; Blackwell Publishers, 2000 ; Ann M. Blair, Too much to Know. Managing scholarly information before the Modern Age, New Haven ; Londres, Yale University Press, 2010.

3 Concernant la formation d’Hugo Blotius, voir Leendert Brummel, Twee ballingen’s lands tijdens onze opstand tegen Spanje. Hugo Blotius (1534-1608), Emanuel van Meteren (1535-1612), Gravenhage, Nijhoff, 1972. Je me permets de renvoyer également à mon étude « Alle origini della Methodus Apodemica di Theodor Zwinger : la collaborazione di Hugo Blotius, fra empirismo ed universalismo », Codices Manuscripti, Zeitschrift für Handschriftenkunde, 56/57, 2006, pp. 43-67.

4 Le débat qui oppose Blotius et Johannes Sambucus concernant la nomination du bibliothécaire impérial, a été analysé par Gábor Almási, The uses of humanism Johannes Sambucus (1531-1584), Andreas Dudith (1533-1589), and the Republic of Letters in East Central Europe, Leyde ; Boston, Brill, 2009, en part. pp. 186-190. Pour une reconstruction plus générale du contexte dans lequel Blotius réalise ses premiers pas à la cour, et pour une analyse de sa nomination dans le cadre de la politique irénique et humaniste de Maximilien II, voir Howard Louthan, The Quest for Compromise : Peacemakers in Counter-reformation Vienna, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, en part. p. 53 et suiv. L’idée selon laquelle Jacopo Strada prétendait également à la fonction de bibliothécaire se déduit d’une lettre que lui adresse l’archiduc Ernst en 1579, citée par Hilda Lietzmann, Das Neugebäude in Wien. Sultan Süleymans Zelt-Kaiser Maximilians II. Lustschloß. Ein Beitrag zur Kunst-und Kulturgeschichte des zweiten Hälfte des 16. Jh., Munich ; Berlin, Dt. Kunstverlag, 1987, p. 131.

5 Il est possible de reconstruire l’évolution du profil intellectuel de Blotius durant ces années grâce à sa correspondance avec certains de ses collègues et mécènes. Une partie de sa correspondance avec Theodor Zwinger est publiée in Paola Molino, « Alle origini... », art. cité, p. 62-68. Les lettres qu’il échange avec Janos Liszti sont publiées dans Ferdinand Mencsick, « Blotz Hugo Levelezèse a Magyrokkal », Toerènelmi Tàr, 1907, pp. 199-227. Sur Lazarus von Schwendi, voir Howard Louthan, The Quest for Compromise, ouvr. cité, pp. 13-24, 106-123. Sa correspondance avec Blotius, inédite, est conservée à Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Sammlung von Handschriften und alten Drucken (dorénavant ÖNB), Cod. 9737z 14-18.

6 L’album amicorum d’Hugo Blotius est conservé (ÖNB, 9708). Les itinéraires des voyages en Italie (ÖNB, Cod. 8944 et 6070), ainsi que les notes rédigées lors de son séjour à Venise et Padoue, contenant des listes de livres, d’objets et de cartes (ÖNB, 9690), appartiennent également à la même période.

7 Pour une présentation de ces sources, Paola Molino, « Ein Zuhause für die Universale Bibliothek. Vom „Museum generis humani Blotianum“ zur Gründung der Hofbibliothek in Wien am Ende des 16. Jahrhunderts », Biblos, 58/1 (Vision : Bibliothek), 2009, pp. 23-41.

8 Lettres de Crato von Krafttheim et d’Augerius Busbequius, ÖNB, Cod. 9737 z 14-18. Certaines lettres de Blotius à Crato se trouvent également à la Biblioteka Uniwersytecka Wrocław (BUW), R246, f. 271r-274v., et à l’ÖNB, Cod. Ser. Nov. 363, f. 1-16v. Blotius avait été introduit auprès de Crato grâce à une lettre de présentation d’Alde Manuce le jeune, ÖNB, Cod. 9737z 14-18, I, f. 58rv. Concernant Johannes Crato, voir Howard Louthan, Johannes Crato and the Austrian Habsburgs : reforming a counter-reformation court, Princeton, Princeton Theological Seminary, 1994. Sur Busbequius, consulter le travail de Zweder von Martels, Augerius Gislenius Busbequius. Leven en werk van de keizerlijke gezant aan het hof van Süleyman de Grote, Phd thesis, Groningen, 1989, où l’auteur propose un inventaire détaillé de sa correspondance et des éditions de ses lettres.

9 Pour la reconstruction de ces processus, nous renvoyons à notre thèse de doctorat, L’Impero di carta : Hugo Blotius Hofbibliothekar nella Vienna di fine Cinquecento. Florence, European University Institute, PhD thesis, 2011.

10 Les notes éparses d’Hugo Blotius sur la gestion de la bibliothèque impériale sont dispersées dans différents manuscrits : ÖNB, Cod. Ser. Nov. 2581 et Cod. 9040, ainsi que dans certains feuillets des Cod. Ser. Nov. 362-363 et du Cod. 9386. Lorsqu’au cours de notre raisonnement nous renvoyons à ces notes sous le titre d’Hebdomas bibliothecaria, nous faisons référence à un ensemble hétérogène de documents concernant l’organisation de la bibliothèque. Il s’agit d’un terme artificiel, étranger aux intentions de Blotius qui avait en revanche recours, de façon aléatoire, à des rubriques diverses, telles que Hebdomas/Dubia/Quaestiones bibliothecaria.

11 Hermann Menhardt, Das älteste Handschriftenverzeichnis der Wiener Hofbibliothek von Hugo Blotius 1576. Kritische Ausgabe der Hs. Series nova 4451 vom Jahre 1597 mit 4 Anhängen, Vienne, Rohrer in Komm, 1957 ; Ottocar Smital, « Miszellen zur Geschichte der Wiener Palatina », dans Festschrift der National Bibliothek in Wien, Vienne, Staatsdruck., 1926, pp. 771-794 ; Franz Unterkircher, « Hugo Blotius und seine ersten Nachfolger (1575-1663) », dans Geschichte der Österreichischen Nationalbibliothek, dir. Josef Stummvoll, Vienne, 1968, pp. 82-127.

12 Pour une reconstruction des espaces de la bibliothèque à partir de la correspondance de Blotius, des documents d’archive et des cartes de la ville, nous renvoyons à Paola Molino, « Farsi spazio ». Riflessioni sulla costruzione della biblioteca imperiale di Vienna alla fine del Cinquecento », Quaderni storici, 142, 2013/1, pp. 117-140.

13 Sur l’activité de Clusius à Vienne, voir la thèse de doctorat d’Esther van Gelder, Tussen hof en keizerskroon. Carolus Clusius en de ontwikkeling van de botanie aan Midden-Europese hoven (1573-1593) [Between court and crown imperial. Carolus Clusius and the development of botany at Middle-Europea courts (1583-1593), PhD, Leyde, 2011. Sur le projet de Neugebäude, Hilda Lietzmann, Das Neugebäude in Wien, ouvr. cité. À propos du projet culturel de Maximilien II à Vienne, voir les études, à caractère plus général, de Karl Vocelka, « Die kulturelle Bedeutung Wiens im 16. Jahrhundert », Wiener Geschichtsblätter, 29, 1974, pp. 239-251, et de Robert J. W. Evans, The Making of the Habsburg Monarchy, Oxford, Clarendon Press, 1979.

14 Franz Unterkircher, « Vom Tode Maximilians I. bis zur Ernennung des Blotius (1519-1575) », dans Geschichte der Österreichischen Nationalbibliothek, dir. Josef Stummvoll, Vienne, 1968, pp. 59-76.

15 Seul le second tome (M-Z) du catalogue alphabétique a été conservé dans ÖNB, Cod. 13525. Le répertoire bibliographique sur les Turcica est en revanche conservé en plusieurs fragments et copies, ÖNB, Cod. 8467, 8675, 15218, 13605, 15303, 8680*, 8683, 12582. L’une de ces copies, sans doute issue de la collection privée de Rodolphe II en Bohème et confisquée par les troupes suédoises lors de la guerre de Trente Ans avec le reste de la Kunstkammer, se trouve aujourd’hui à la Bibliothèque Apostolique Vaticane (BAV), Cod. Regin. Lat., 746.

16 ÖNB, Cod. Ser. Nov. 4451, reconstitué par Hermann Menhardt, Das älteste Handschriftenverzeichnis der Wiener Hofbibliothek von Hugo Blotius 1576..., ouvr. cité.

17 En 1597, Blotius annonçait à Rodolphe II l’envoi de cinq volumes du catalogue qui ne couvraient qu’un tiers du fonds de la bibliothèque, alors que cinq autres volumes étaient en cours de réalisation (cf. ÖNB, Cod. Ser. Nov. 362, f. 184r-185v.). Ces volumes, cependant, n’ont jamais été retrouvés.

18 Les inventaires des manuscrits, divisés en latins et grecs, se trouvent dans ÖNB, Cod. 9479 (grecs) et Cod. 9531 (latins).

19 Le catalogue alphabétique en cinq volumes (1602-1605) est conservé dans ÖNB, Cod. 13546-13550 et 13542-13545 (le second volume étant cependant ici absent). Le Standortkatalog de 1609-1610 se présente en un seul volume, ÖNB, Cod. 13541. À propos de ce catalogue, voir plus loin p. 295-296.

20 Il s’agit de l’interprétation de Franz Unterkircher, Hugo Blotius..., ouvr. cité, p. 112. Le catalogue de Tengnagel de 1609-1610 allait jusqu’à la cote 7393, alors que celui de 1576 comptait 7 379 volumes. Les notes de Blotius permettent cependant d’affirmer qu’il ne s’agissait pas du fonds exaustif de la collection, puisque celle-ci proposait des cotes allant jusqu’à 11 586. Par ailleurs, à la fin de l’inventaire, Tengnagel signalait « summa in Cathal. 11.625 librorum ». Au sujet des cotes de Blotius exclues des catalogues, voir Hermann Menhardt, Das älteste Handschriftenverzeichnis der Wiener Hofbibliothek von Hugo Blotius 1576..., art. cité, pp. 18 et suiv., qui propose une reconstitution assez difficile à suivre.

21 Dominique Julia, « La genèse de la Ratio Studiorum », dans A. Demoustier et D. Julia (dir.), Ratio Studiorum. Plan raisonné des études de la Compagnie de Jésus, Paris, Belin, 1997, p. 29-69 ; Antonella Romano, « Modernité de la Ratio studiorum (Plan raisonné des études) : genèse d’un texte normatif et engagement dans une pratique enseignante », dans Étienne Ganty, Michel Hermans, François-Xavier Dumortier et Pierre Sauvage (éd.), Tradition jésuite : enseignement, spiritualité, mission, Namur, Presses Universitaires de Namur, 2002, pp. 47-84.

22 Antonio Possevino, Bibliotheca selecta qua agitur de ratione studiorum in historia, in disciplinis, in salute omnium procuranda, Romae, ex typographia Apostolica Vaticana, 1593. Pour une récente reconstruction du rapport existant entre la Bibliotheca selecta et la Ratio Studiorum, voir Antonella Romano, « Classiques du Nouveau Monde : Mexico, les jésuites et les humanités à la fin du XVIe siècle », dans C. de Castelnau, M. L. Copete, A. Maldavsky, I. Zupanov (éd.), Missions d’évangélisation et circulation des savoirs XVIe-XVIIIe siécle, Madrid, Collection de la Casa de Velázquez, 2011, pp. 59-85.

23 Conrad Gesner, Bibliotheca Vniuersalis, siue Catalogus omnium scriptorum locupletissimus, in tribus linguis, Latina, Græca, & Hebraica : extantium & non extantiu[m], ueterum & recentiorum in hunc usq[ue] diem, doctorum & indoctorum, publicatorum & in Bibliothecis latentium ..., Tiguri, Froschoverus, 1545.

24 Conrad Gessner, Pandectarvm Sive Partitionum uniuersalium Conradi Gesneri Tigurini, medici & philosophiae professoris, libri xxi : Librorum enumeratio sequente pagina continetur..., Tiguri, Froscheoverus, 1548. Les rééditions « officielles » du premier tome sont celles de Josias Simler, Epitome Bibliothecæ Conradi Gesneri, conscripta primum à Conrado Lysosthene Rubeaquensi : nunc denuo recognita & plus quàm bis mille authorum accessione (qui omnes asterisco signati sunt) locupletata : per Iosiam Simlervm Tigvrinvm, Tiguri, Froschover, 1555 ; et Idem, Bibliotheca instituta et collecta primum a Conrado Gesnero deinde in epitomen redacta & nouorum librorum accessione locupletata, iam vero postremo recognita, & in duplum post priores editiones aucta, per Iosiam Simlerum Tigurinum..., Tiguri, apud Christophorum Froschoverum, 1574.

25 Luigi Balsamo, La bibliografia : storia di una tradizione, Florence, Sansoni, 1992, pp. 29-30.

26 Ibid., p. 36, mais aussi Albano Biondi, « La Bibliotheca selecta di Antonio Possevino : un progetto di egemonia culturale », dans Gian Paolo Brizzi (éd.), La Ratio studiorum : modelli culturali e pratiche educative dei gesuiti in Italia tra Cinque e Seicento, Rome, Bulzoni, 1981, pp. 43-75.

27 Helmut Zedelmaier, Bibliotheca universalis und bibliotheca selecta : das Problem der Ordnung des gelehrten Wissens in der frühen Neuzeit, Cologne, Böhlau, 1992.

28 Alfredo Serrai, Storia della bibliografia, Bulzoni, Rome, 1993, vol. IV, pp. 716 et suiv.

29 Christian Jacob, Lieux de savoir, sous la direction de Christian Jacob, Paris, Albin Michel, 2007.

30 ÖNB, Cod. 13525. L’exemplaire présente une reliure élégante et était peut-être destiné à l’empereur. Voir également Franz Unterkircher, Hugo Blotius..., ouvr. cité, p. 109-110.

31 Concernant le laboratoire de catalogage durant la première année, voir la lettre d’Hugo Blotius à Johannes Trautson, de Vienne, s. d., ÖNB, 7958, f. 33r, 17r-v et à Johann Baptist Weber, f. 57r. Voir aussi Franz Unterkircher, Hugo Blotius..., ouvr. cité, pp. 87, 93 et 109.

32 ÖNB, Cod. 7958, f. 52v-53r.

33 ÖNB, Cod. 7958, f. 21r et 23r.

34 Hugo Blotius à Josias Simler, Vienne 14 juin 1576, ÖNB, Cod. Ser. Nov. 363, f. 198r-199r, citée par Ottocar Smital, Miszellen..., ouvr. cité, p. 784.

35 « Hanc itaque veluti Spartam pro virili mea parte ornandam nactus, simulque ab Imperatore iussus, Bibliothecae suae indices accurate compositos conscribere, primum Tuae Bibibliothecae Gesnerianae vestigia secutus, Autores librorum Alphabeti, ut vocant, ordine in catalogum redegi. Hoc vero cum non sufficiat Caesari, sed multis inventis libris nullum autoris nomen praeferentibus, malit rerum quam autorum rationem haberi, eo confugere sum coactus, quo tua te industria invitavit », cit. ibid.

36 Josias Simler, Bibliotheca instituta et collecta primum a Conrado Gesnero..., ouvr. cité. L’annonce de la prochaine publication du Nomenclator se trouve à la fin de la Praefatio. Elle est intégralement citée par Alfredo Serrai, Storia della bibliografia..., ouvr. cité, vol. II, p. 431.

37 « Promittis enim nobis alteram bibliothecae Tuae partem, res et materias omnes, quarum in autorum nomenclatore fit mentio, decenti quodam ordine patefacturam. Rem sane praeclaram et tam industrio viro dignam totique Reipub. litterariae non solum gratam verum etiam perutilem futuram : eoque magis ut quam citissime perficiatur urgendam », ÖNB, Cod. Ser. Nov. 363, f. 199r.

38 ÖNB, Cod. 12582, f. 8r.

39 ÖNB, Cod. Ser. Nov. 363, f. 199r.

40 Rudolf Gwalter à Hugo Blotius, Zurich 28 août 1576, ÖNB, Cod. 9737z, II, 197r-v. À la suite, se trouve la lettre déjà citée de Frisius datée du 31 août 1576, dans un mauvais état de conservation, f. 199r-201v.

41 Afredo Serrai. Storia della bibliografia..., ouvr. cité, vol. II, p. 436.

42 La liste des catégories de Frisius, telle qu’elle est exposée dans la lettre adressée à Blotius, est présentée dans Paola Molino, « Esperimenti bibliografici fra Vienna e Zurigo... », art. cité, p. 43-45. Une partie de la lettre a été reproduite dans les figures 2-3, pp. 63-64.

43 ÖNB, Cod. 9737z, II, f. 200r.

44 Ibid.

45 Pour une étude plus générale des transformations qui eurent lieu dans les bibliothèques durant cette période, voir David Mc Kitterick, « Libraries and the organisation of knowledge », dans The Cambridge History of Libraries in Britain and Ireland, vol. I, Cambridge ; New York, Cambridge University Press, 2006, pp. 592-615. Concernant l’évolution de l’architecture, en Italie en particulier mais également à une échelle européenne, Giovanni Cecchini, « Evoluzione architettonica strutturale della biblioteca pubblica in Italia dal secolo XV al secolo XVII », Accademie e biblioteche d’Italia, 35, 1967, pp. 27-47.

46 Ce texte est publié et commenté par Paola Molino et Christian Gastgeber, « Il mestiere dei libri nel tardo Rinascimento, Edizione e commento del Consilium di Hugo Blotius a Rodolfo II del 1579 », Bibliothecae.it, 1, 2014, pp. 23-79.

47 Au sujet du concept de « public » à l’âge moderne et concernant l’hérédité de la tradition d’Habermas, voir les études récentes de Massimo Rospocher, « Beyond the Public Sphere : A Historiographical Transition », dans Beyond the Public Sphere : Opinions, Publics, Spaces in early Modern Europe, Bologne ; Berlin, Il Mulino ; Duncker & Humbolt, 2012, pp. 9-28, et Pubblico e Pubblici di antico regime, éd. Benedetta Borello, Pise, Pacini, 2009.

48 La définition de public utilisée ici s’appuie sur les études qui, dans la continuité des réflexions de Michel de Certeau, ont été consacrées, notamment en France durant ces dernières années, à la question des lieux de savoir (voir par exemple, Christian Jacob, Lieux de savoir..., ouvr. cité) et Antonella Romano, Sabina Brevaglieri, « Produzione di saperi, costruzione di spozi », dans Quaderni storici, 142, 2013, pp. 6-7. Pour un approfondissement de cet aspect, Paola Molino, « Usi e Abusi di una biblioteca imperiale : il caso della hinterlassene Bibliothek di Vienna, fra corte e respublica literaria (1575-1608) », Erebea. Revista de Humanidades y Ciencias Sociales, 2 (2012), pp. 127-158 (ici pp. 133-135).

49 Franz Unterkircher, Hugo Blotius..., ouvr. cité, pp. 115-124.

50 Johann Jakob Frisius à Hugo Blotius, Zurich 28 septembre 1581, ÖNB, Cod. 9737z 14-18, III, f. 198r-199v.

51 ÖNB, Cod. 9737z 14-18, III, f. 199r.

52 Hermann Menhardt, Das älteste Handschriftenverzeichnis der Wiener Hofbibliothek von Hugo Blotius 1576, ouvr. cité, p. 19 et suiv.

53 Le catalogue, qui comprend plus de 600 f., est également conservé, ÖNB, Cod. 13541.

54 Les catégories repérables sont la théologie catholique et évangélique, l’histoire, la médecine, les humanitas – la philosophie et la littérature grecque et latine – l’ars militare, la musique, et les variae. Les langues sont l’allemand, l’italien, le français, l’espagnol, le latin et le grec. La liste complète de ces catégories est publiée dans Paola Molino, « Esperimenti bibliografici fra Vienna e Zurigo... », art. cité, pp. 52-53.

55 Hugo Blotius à Peter Wok Ursino, Vienne 16 juillet 1602, ÖNB, Cod. Ser. Nov. 362, f. 217r-219r.

56 ÖNB, Cod. 9490, f. 216v.

57 ÖNB, Cod. 9490, f. 214r : Quaestiones Bibliothecaria. Mêmes types de questions aux f. 224r et 238r.

58 Ibid ., f. 220r, Dubia Bibliothecariae.

59 Johann Jakob Frisius à Hugo Blotius, Zurich, 10 février 1589, ÖNB, Cod. 9737z 14-18, IV, f. 37r-39v.

60 Ibid., f. 37v-38r.

61 Maria Cochetti, Repertori bibliografici del Cinquecento, Rome, Bulzoni, 1987, p. 14.

62 ÖNB, Cod. 9737z 14-18, IV, f. 38r.

63 BAV, Ms. Palatinus Latinus 1902, f. 23r-28v. Sur Melissus, voir également l’article d’Erich Schmidt, « Melissus Paul Schede », dans Allgemeine Deutsche Biographie, 21, pp. 293-297.

64 La synonymie entre Bibliotheca methodica et Nomenclator apparaît également dans une autre lettre de Frisius à Blotius, s. d., dans laquelle il demandait son intercession pour que l’ouvrage, prêt pour la publication, bénéficie d’un privilège impérial, ÖNB, Cod. 9737z 14-18, V, f. 231rv.

65 Alfredo Serrai. Storia della bibliografia, ouvr. cité, t. II, p. 439-442.

66 Suivait ensuite la structure methodica pensée par Frisius et reportée dans la lettre à Melissus, publiée par Alfredo Serrai, Storia della bibliografia, ouvr. cité, t. II, p. 437.

67 Karl Christ, Ein bibliothekarischer Briefwechsel des 16. Jahrhundert, Berlin, 1922, pp. 74-77.

68 Voir par exemple ÖNB, Cod. 9386, f. 70v-71r.

69 En effet l’édition de la Bibliotheca selecta de 1603 est profondément nuancée : voir quelques éléments à propos des mathématiques, dans Antonella Romano, La Contre-réforme mathématique. Constitution et diffusion d’un culture mathématique jésuite à la Renaissance (1540-1640), Rome, École française de Rome, 1999, pp. 147-153.

70 Petrus Bertius, Nomenclator autorum omnium, quorum libri vel manuscripti, vel typis expressi exstant in Bibliotheca Academiae Lugduno-Batavae, Leyde, Franciscus Raphaelengius, 1595, voir en particulier pp. a4v et suiv.

71 Georg Henisch, Bibliotheca inclytae Reipub. Augustanae utriusque tum Graecae tum Latinae librorum et impressorum et manu exaratorum Catalogus, Augsburg, V. Schönigk, 1600.