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Arthur de Gobineau et l’Interrègne brésilien (mars 1869-mai 1870)

Marisa Midori DEAECTO

Université de São Paulo

NdA. Au Ministère des Affaires Étrangères du Brésil, et plus particulièrement à Paulo Vassily Chuc, tous mes remerciements pour le soutient de cette recherche.

NdlR. Traduction du portugais : David Yann Chaigne (davidyannchaigne@yahoo.com.br).

Au sein de l’histoire des relations entre la France et le Brésil – une longue histoire, rappelons-le, qui remonte à l’époque des Découvertes1 –, le chapitre relatif à la présence à Rio de Janeiro du comte Arthur de Gobineau, diplomate de son état, ne constitue qu’une petite parenthèse, soit un court séjour de quatorze mois. On peut déduire de la lecture de ses écrits que ce furent quatorze mois d’un séjour obligatoire, long et pénible dans un « pays de métis dégénérés » 2, en qualité de ministre plénipotentiaire de la France : pourtant, ce séjour lui permit d’être en contact avec la Cour, et surtout de cultiver une amitié durable avec l’empereur D. Pedro II.

Sans négliger son rôle diplomatique, dont l’analyse exigerait la lecture d’un autre type de documentation, à savoir la correspondance officielle, il s’agit ici de s’intéresser plutôt à l’influence de ce séjour brésilien sur la pensée de l’auteur de l’Essai sur l’inégalité des races humaines. En d’autres termes, il convient d’analyser dans quelle mesure cette période d’exil involontaire dans la capitale brésilienne a pu servir de confirmation in situ des théories que notre diplomate avait développées des années auparavant sur le problème de l’inégalité des races et du métissage en tant qu’indice de dégénération des peuples3. Le Brésil constituerait-il, comme il le laisse entrevoir dans certains de ses écrits, un terrain fertile pour ses formulations théoriques ? Et, d’un autre côté, quelle aura été la réception, voire les appropriations, de ses idées dans un pays métis et esclavagiste ?

Étant donné le caractère ample et complexe des questions formulées, le présent article n’a pas la prétention de les analyser de manière exhaustive. Notre objectif se limitera ici à en approfondir certains aspects à la lumière de la bibliographie existante. Nous souhaitons en outre souligner l’importance des documents disponibles dans le fonds Arthur de Gobineau conservé à la Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg (dorénavant BnuS).

Avant d’entrer dans le cœur de ces questions, il convient de consacrer quelques lignes au profil bio-bliographique de notre personnage.

LE COMTE ARTHUR DE GOBINEAU : UN PROFIL, PLUSIEURS CONTRADICTIONS

Le comte Arthur de Gobineau est né dans une famille de la noblesse de robe bordelaise – il n’aurait d’ailleurs ajouté la particule « de », accompagnée du titre de comte, que de façon tardive4. Il est né le 14 juillet 1816 à Ville-d’Avray, qui n’était alors qu’un village des alentours de Paris. Il grandit dans la région parisienne, puis au pays de Bade et en Suisse. Son père eut une carrière mouvementée dans les années qui suivirent la Révolution et l’Empire. La Restauration lui permettra toutefois de terminer sa carrière avec les honneurs, au poste de capitaine d’infanterie de la Garde royale. La mère abandonna la famille alors que Arthur et sa sœur Caroline étaient encore jeunes.

En 1835, le jeune Gobineau s’installe dans la Ville-Lumière pour travailler à la Compagnie française d’éclairage par le gaz. Il sera ensuite muté à l’Administration des postes, où il occupera un emploi d’auxiliaire de langues. Il commencera parallèlement à écrire dans la presse nationale et publiera des articles et quelques romans-feuilletons dans la Revue de Paris et la Revue de Deux Mondes. La tragédie en cinq actes Alexandre, le Macédonien, écrite en vers et acceptée par la Comédie-Française, ne sera finalement pas représentée en raison de la révolution de 1848. Il ne tardera pas à être remarqué par Alexis de Tocqueville, qui en fera son chef de cabinet durant son bref passage au ministère des Affaires étrangères, dont il démissionne le 31 mars 18495. Cette courte expérience constituera néanmoins la porte d’entrée de sa carrière diplomatique. En 1846, il épouse Gabrielle-Clémence Monnerol, avec qui il aura deux filles.

En 1850, Gobineau part à Berne, en Suisse. En 1851, il assume le portefeuille des Affaires étrangères à Hanovre. En 1854, il sera nommé premier secrétaire auprès de la Diète germanique à Francfort. L’interrègne germanique lui inspirera l’écriture de son œuvre la plus célèbre et la plus controversée, l’Essai sur l’inégalité des races humaines. À cette époque, il a comme principal interlocuteur le diplomate autrichien Prokesch-Osten6. L’ouvrage est dédié « À Sa Majesté Georges V, roi de Hanovre » 7.

En 1854, il part en Perse, où il restera quatre ans. Il revient ensuite en Europe et retrouve sa famille, mais après quelques missions pérennes, il est à nouveau envoyé à Téhéran en 1860. Ses voyages et les études réalisées auprès des Persans seront à l’origine de la publication de trois ouvrages fort originaux : Traité des inscriptions cunéiformes (Paris, Firmin-Didot, 1858, 2 vol.) ; Religions et philosophies de l’Asie centrale (Paris, Ernest Leroux, 1865 ; 3e éd., 1900) ; Histoire des Persans (Paris, Plon, 1869, 2 vol.). En octobre 1864, il sera envoyé en Grèce, où il travaille auprès du roi George Ier. Cette mutation contrariait ses ambitions, étant donné qu’il visait le poste de ministre à Constantinople, qui lui aurait assuré un prestige bien plus important. Néanmoins, suivant en cela l’exemple du comte de Choiseul, il entame alors son rêve grec8, même si les coïncidences observées entre les réalisations professionnelles et intellectuelles des deux personnages n’en demeurent pas moins superficielles.

C’est après cet épisode grec qu’aura lieu sa mutation à Rio de Janeiro. Un coup dur, à n’en pas douter ! Il tentera d’en dissuader Paris par tous les moyens, et écrira à cet effet de nombreuses lettres dénonçant cette mission en tout point contraire à son mérite et à sa vocation diplomatique. En vain ! Après cet « exil » brésilien, le comte se retire avec les siens dans son château de Trye, où il demeurera pendant la Guerre (1870-1871). De 1872 à 1877, il part en mission à Stockholm, en Suède, où il terminera à contrecœur sa carrière diplomatique après avoir été mis à la retraite par le duc Decazes en janvier 18779.

D’une manière générale, nous pouvons conclure que le comte de Gobineau restera dans la lignée aristocratique de ceux de son rang, en ce qu’il nourrissait un intérêt démesuré pour les activités de l’esprit. En sa qualité d’écrivain, d’historien, de philologue, d’ethnologue, de romancier, de poète, de critique littéraire et artistique, de musicien et de sculpteur – cette dernière vocation datant du séjour en Grèce –, il représentait la fine fleur des érudits à la mode de l’Ancien Régime, auxquels leur production et leurs connaissances permettaient de fréquenter les salons les plus renommés d’Europe et d’ailleurs. Cependant, au fil du temps, ce que l’on peut lire entre les lignes de sa correspondance et de ses écrits, c’est la mélancolie et la solitude d’un homme exilé dans le temps et dans l’espace. Son amertume par rapport à la France, qui n’aurait jamais su reconnaître sa valeur, son mépris pour les classes inférieures et les nouveaux riches, ainsi que sa cécité – intellectuelle, mais également physique – lui feront analyser les mouvements sociaux de son temps sous une perspective douteuse, voire anachronique, ainsi que le laissera entendre Tocqueville suite à sa lecture des originaux de l’Essai10. Selon Henri Tronchon :

Sans doute, un Nietzsche a dit grand bien de Gobineau et, vers la fin surtout, s’est inspiré de lui, comme le montrait naguère M. Charles Andler. C’est un titre, même une gloire. Mais des gens comme l’ami et l’ancien Ministre de Gobineau, le prudent historien Tocqueville, et comme Renan aussi, ne purent guère prendre au sérieux tout cela11.

« Un hypersensible », « un orgueilleux », « un idéaliste, pauvre, parfaitement honnête », « un excessif en politique et un peu en tout », ce à quoi l’on pourrait ajouter un homme obnubilé par ses idées, un adversaire de la démocratie etdes masses, un passionné de Wagner et de la culture orientale, un écrivain prolifique mais pas toujours très bien reçu par la critique, un aristocrate enragé. Voici un portrait riche en contradictions brossé par Henri Tronchon lors de l’inauguration de l’exposition proposée par la BnuS à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort du comte, en 193212. Ce portrait a, il est vrai, été dressé pendant l’entre-deux-guerres par un Français, qui avait donc vu le nom de son compatriote à qui l’on rendait hommage associé au pangermanisme, telle que s’était configurée cette pensée durant les années tragiques de 1914-191813.

Le comte de Gobineau avait-il laissé des disciples ? Selon Henri Tronchon, dans le discours susmentionné, sa pensée avait eu un écho beaucoup plus positif parmi les intellectuels d’outre-Rhin que parmi ses compatriotes – une affirmation qui doit elle aussi être analysée avec une certaine prudence. En effet, les ouvrages de Gobineau ont tous été publiés en France par d’importantes maisons d’édition (Plon, Perrin, Ernest Lerroux et Firmin-Didot), ce qui nous amène à nous demander sous quelles conditions contractuelles ses livres ont été publiés14 – sans oublier la présence de l’auteur dans la presse de l’époque. Il avait d’ailleurs préparé une seconde édition de son long et polémique Essai, qui sera effectivement publiée l’année suivant sa mort. Il est évident que si l’on prend en considération les aspects liés à la réception et aux appropriations de ses idées pendant l’entre-deux-guerres, le sol allemand s’est montré, comme nous l’avons déjà laissé entendre, le plus fertile15. Ce qui n’empêche en rien d’analyser les différentes conjonctures de réception de ses idées, voire de (re)formulation de ses études, sur le territoire européen16, mais également au Brésil, comme nous le ferons ci-après.

En 1894 était créée la Gobineau-Verheinigung, sous la direction de Ludwig Schemann et avec le soutien de von Eulenburg et de Hans von Wolzogen. En 1903, cette même institution vendra le fonds Gobineau à l’Université de Strasbourg (fonds aujourd’hui conservé par la BnuS) pour « 20 milliers de marks », si l’on en croit M. Tronchon. Au-delà des questions que nous ne pourrons malheureusement pas développer ici, ce fonds conserve tout son intérêt, principalement en ce qui concerne cet aspect fondamental que représentent les échanges entre la France et l’Allemagne, un thème si cher à Michel Espagne17.

On dit souvent que la vie d’un homme est le résultat de la somme de ses réussites et de ses erreurs, et le portrait du comte de Gobineau en est un exemple on ne peut plus clair. Il s’éteindra, solitaire et mélancolique, le 13 octobre 1882 dans un hôtel de Turin. Mais revenons à l’interrègne brésilien.

AU PAYS DES MÉTIS

Parmi les nombreux récits de voyageurs étrangers décrivant la baie de Guanabara tout au long du XIXe siècle, l’appréciation du comte de Gobineau est certainement l’une des plus originales en raison de la qualité de ses descriptions, mais également de sa façon d’exposer avec précision les oppositions entre nature et civilisation :

On a comparé l’aspect de Constantinople à celui de Naples. Quel rapport entre le plus charmant des tableaux de genre et la plus vaste page historique que l’on connaisse, entre un chef-d’œuvre du Lorrain et un miracle du Véronèse ? On l’a comparé aussi à la baie de Rio-Janeiro. Mais qu’est-ce que cet enchevêtrement superbe d’innombrables bassins se succédant sous des montagnes déchiquetées, dont les nervures verticales hérissées de forêts semblent des orgues où se montre seule la nature physique, où aucun souvenir humain ne parle, où les yeux seuls sont étonnés, éblouis, qu’est-ce que cette opulence toute matérielle a de commun avec l’aspect de Constantinople, scène animée, magnifique, intelligente, éloquente, domaine du passé le plus grand, que peuplent à jamais les souvenirs, les sublimes créations du génie ? Qu’est-ce que le plus achevé des paysages anonymes et muets en face d’un spectacle si parlant ? Quand la nature physique n’est pas imprégnée de la nature morale, elle donne peu d’émotions à l’âme, et c’est pourquoi les scènes les plus éblouissantes du Nouveau-Monde ne sauraient jamais égaler les moindres aspects de l’ancien18.

À cette époque, Rio de Janeiro était de loin la ville la plus peuplée du pays. Selon le recensement de 1872, elle comptait 230 454 habitants. Pour avoir une idée de la taille des villes brésiliennes, il convient de mentionner que la deuxième plus grande agglomération de l’empire, c’est-à-dire Salvador de Bahia, ne comptait que 129 109 habitants, soit un peu plus de la moitié de la population de Rio de Janeiro19.

Dans une lettre adressée à son épouse, Gobineau décrit certains équipements de la capitale de l’empire :

[Je suis] dans le Catete, espèce de Champs Élysées de Rio. Tout ce quartier est merveilleux, gai, charmant ; les plus jolies maisons, généralement à un seul étage, rarement à deux, avec des jardins d’une élégance extrême, au milieu de larges et belles rues ; les omnibus américains sur des rails, tout le monde s’en sert ; on va d’un bout de la ville à l’autre pour huit sous. C’est installé depuis trois mois. En somme on est très bien20.

En effet, Gobineau profitera d’une époque de relative tranquillité politique et de prospérité économique. Depuis le couronnement de D. Pedro II, les conflits politiques internes avaient semblé se résoudre grâce à une sorte d’alternance entre conservateurs et radicaux aux postes ministériels. La révolution Praieira, qui avait éclaté dans l’État du Pernambouc en 1848 comme une sorte d’écho des révolutions européennes, avait été étouffée dès 1850. Sur le plan international, la guerre du Paraguay, entre 1864 et 1870, touchait à sa fin avec la victoire de la Triple Alliance (Uruguay, Argentine et Brésil), qui plaçait D. Pedro II en position de force face à ses alliés. Cela n’empêchera toutefois pas le pays de sombrer bientôt dans une grave crise institutionnelle jusqu’en 1888 et 1889, crise qui débouchera sur l’abolition de l’esclavage et la proclamation de la République sur la base des principes positivistes d’ordre et de progrès, comme en témoigne son drapeau21.

En ce qui concerne les intérêts du ministre de France au Brésil, les lettres personnelles écrites par Gobineau n’abordent que très rarement, voire jamais, sa routine professionnelle. Il convient d’observer que la balance commerciale entre les deux nations reflétait bien l’environnement de stabilité interne caractéristique de cette période. Pour ce qui est des exportations du Brésil vers la France, selon les données présentées par E. Levasseur, les produits suivants se démarquent : café, peaux brutes, cacao, caoutchouc, laine, tabac, bois exotiques – parmi lesquels le pau-marfim –, fécule, huiles végétales. Parmi les articles importés au Brésil, on note la place des articles en peau et en cuir, de la confection et de la lingerie, du beurre salé, des tissus à base de laine et de coton, du verre, des meubles en général, des métaux travaillés, des livres, du papier, etc. 22 Les chiffres de la balance commerciale entre les deux pays de 1869 (année d’arrivée du comte de Gobineau) à 1880 montrent bien la régularité des mouvements d’importation et d’exportation, avec une parenthèse en 1870 et 1871, suivie d’une baisse en 1872, en raison de la guerre franco-prussienne et de ses suites. C’est ce que nous pouvons observer dans le tableau ci-dessous :

AnnéesCommerce France-Brésil*
GénéralSpécial
ImportationsExportations
18691945974
18721634078
18731975572
18741674667
18751975073
18761835581
18771895677
18781805769
18791835571
18801785276

*Les valeurs sont exprimées en millions de francs (source : E. Levasseur, Le Brésil, ouvr. cité).

Le commerce entre la France et le Brésil a pu compter à partir de 1853-1854 sur l’installation d’une compagnie de navigation à vapeur française : la société Louis Arnaud, Touache frères & Cie, de Marseille, met en effet à la mer un vapeur de 1 500 tonnes, L’Avenir, le 25 novembre 1853. L’embarcation n’arrivera à Rio de Janeiro que le 9 février 1854 en raison de problèmes de moteur23. Dans les années 1860, les transports maritimes entre la France et le Brésil étaient opérés par la Compagnie des Messageries impériales (plus tard Messageries maritimes) de Bordeaux, et par la Société générale de transports maritimes de Marseille. Dans les années 1870, on note aussi la présence de la Compagnie des chargeurs réunis du Havre. Il faut dire que les compagnies les plus nombreuses du commerce atlantique sont d’origine anglaise24.

Si l’on en croit les annotations compilées par Georges Readers, le ministère de Gobineau a été marqué par un manque d’enthousiasme reflétant l’état d’esprit de cet homme de lettre contrarié par la ville où il avait été envoyé en mission, à l’exception notable de ses conversations régulières avec l’empereur25. En dehors des visites au palais de São Cristóvão, on peut affirmer que ce séjour a été placé sous le signe d’un certain isolement. Il y avait l’aspect professionnel, bien sûr, mais Gobineau sentait bien que cette mission brésilienne marquerait la fin de sa carrière diplomatique. En outre, sa santé était fragile et il perdait peu à peu la vue.

Cela ne l’empêchera pourtant pas de brosser un portrait détaillé de la société locale. Le principal chercheur s’intéressant à son œuvre au Brésil a raison lorsqu’il affirme que la lecture des expériences du comte trouve un écho dans les images réalisées trente ans auparavant par l’artiste français Jean-Baptiste Debret26. En ce sens, comment ne pas se laisser séduire par une nature exubérante, qui impose si souvent tant de sacrifices aux hommes ? Une nature sans histoire, comme il tient à le faire remarquer. Une terre pleine de vices, d’hommes réticents à tout travail manuel et d’esclaves formant le gros de la main-d’œuvre aux champs comme à la ville.

De fait, que voyait-on dans les rues de l’époque ? Des Noir(e)s, libres ou captifs, dans leur labeur quotidien, des vendeuses, des épiciers, des barbiers, des porteurs, des hommes et des femmes attachés et châtiés sur la place publique. Dans les maisons, le contraste n’est pas moins saisissant : de larges pièces au mobilier rare et généralement de piètre qualité (même dans les résidences les plus riches) ; des environnements quasiment irrespirables en raison de l’abondance de domestiques et d’enfants autour des femmes et des filles du maître, languissantes et pratiquement immobiles. Le syncrétisme religieux qui attirera si fortement des chercheurs du gabarit de Roger Bastide, Levi Strauss ou Pierre Verger – pour ne citer que le regard français sur la question – constitue un thème ayant inspiré aussi bien les images de Debret que les impressions de Gobineau.

Dans une lettre fort intéressante adressée à sa sœur Caroline, celui-ci affirme :

Je suis très fier que les nouvelles du Brésil puissent être agréables à nos sœurs [Caroline Gobineau avait fait son vœu]. Comme je suis de Sainte-Cécile, je n’ai qu’à obéir sur cette donnée-là et pour commencer par quelque chose de convenable à ce sujet, je te dirai que je suis de plus en plus charmé des églises de Rio à un certain point de vue. On ne peut pas dire qu’il y ait là la marque d’un sentiment religieux fort pur, ni très élevé, ni très sévère. Le pays ne le comporte pas. Il est curieux, au contraire, de voir prendre la religion et les choses de la vie éternelle d’une manière aussi joviale et je dis que j’en suis charmé, parce que j’aime assez tout ce qui est complet et vrai, quoi que ce puisse être, tout en réservant mes préférences, naturellement. Figure-toi donc d’abord la manière dont on enterre les gens, cela te fera mieux comprendre le reste. On vous fourre ces bons petits morts dans un coupé doré et peint en rouge, avec des sculptures en bois fort agréables représentant des fleurs et des fruits ; les deux extrémités de la boîte sortent par deux fenêtres. Le cocher se met au grand trot et il est suivi à la même allure par de braves mulâtres à cheval en grands chapeaux et bottés à l’écuyère, puis un train de voitures courant à qui mieux, personne à pied. Tout cela décampe le plus gaîment du monde. Maintenant tu conçois qu’il n’y a rien d’étonnant que les églises soient couvertes du haut en bas de sculptures en bois, blanc et or, merveilleuses de travail, fruits, fleurs, petits anges qui sont des amours de Watteau27...

L’auteur attribue le caractère singulier de la religiosité brésilienne à la composition métisse de la société :

Maintenant tout te sera expliqué quand je t’aurai fait observer qu’à part la famille impériale, tout le monde ici est plus ou moins mulâtre, et traverse la vie, un cure-dent dans les cheveux et une cigarette derrière l’oreille (...). Rio est une grande et belle ville, mais ce sont les étrangers qui y font tout. Les Brésiliens se gardent bien de remuer les doigts pour faire œuvre utile plus soigneusement que de s’aller noyer28.

Et pour compléter sa vision générale du Brésil : « Sauf l’Empereur personne dans ce désert peuplé de coquins » 29.

« L’Ennemi cordial du Brésil »

Dans la correspondance échangée entre Gobineau et D. Pedro II, il n’est que rarement question de la société brésilienne, ou encore de ses caractéristiques ethniques. Tous deux semblent tellement plongés dans une sorte de « rêve civilisateur » qu’ils en oublieraient presque le monde qui les entoure. D’abord, les rêves de voyage ; l’empereur, orphelin de père et de mère, a été couronné à 16 ans, et il n’a jamais eu l’opportunité de traverser l’Atlantique dans sa jeunesse. Il semble donc que l’amitié nouée avec le comte – un homme doté d’une grande expérience des voyages – ne soit pas sans rapport avec les projets qu’il nourrit à cet égard. Puis viennent les rêves littéraires ; l’empereur brésilien s’était donné comme mission de patronner les arts et les sciences au Brésil. D’ailleurs, D. Pedro II était un lecteur assidu du comte et suivait l’ensemble du processus d’écriture et d’édition de ses œuvres. Les Pléiades, un roman publié par Gobineau en 1876, rend hommage à l’empereur à travers le personnage de Jean-Théodore de Woerbeck-Burbach, le prince désabusé de l’Allemagne pré-bismarckienne, fils du roi Pierre – rappelons-nous que le fils de D. Pedro I, alias D. Pedro IV au Portugal (Lisbonne, 1798-Queluz, 1834), était le fruit du mariage du monarque luso-brésilien avec l’impératrice Leopoldina, c’est-à-dire Caroline Josepha Leopoldine de Habsbourg-Lorraine (Vienne, 1797-Rio de Janeiro, 1826) 30.

Et l’Essai sur l’inégalité, D. Pedro II l’avait-il lu ? L’avait-il commenté ? C’est difficile à savoir. Ce que l’on sait, c’est qu’on a retrouvé dans sa bibliothèque un exemplaire dédicacé par l’auteur31. Comme nous n’avons pas eu accès au volume, il nous est impossible d’en dire plus sur ce point. D’ailleurs, nous savons par la plume de Gobineau que lors de son séjour à Rio de Janeiro, l’empereur était discret et que face aux questions les plus polémiques, il ne tenait jamais tête à son interlocuteur, préférant plutôt garder le silence.

Les références à l’Essai deviennent plus fréquentes dans les lettres écrites par Gobineau au moment où il travaillait à la révision et à la mise à jour de son texte dans le but d’en publier une seconde édition. Comme il l’écrit :

Je suis fort occupé en ce moment d’étudier Darwin pour analyser son système dans la 2e édition de mon Essai sur l’inégalité des races à laquelle je travaille. Je mettrai l’ouvrage au courant de ce qu’on a appris ou proposé depuis sa première apparition32.

L’effort de mise à jour de l’œuvre publiée entre 1853 et 1855, et donc antérieure à L’Origine des espèces, l’œuvre paradigmatique de Charles Darwin (1809-1882), ne semble pourtant pas avoir donné de grands résultats. En outre, les longues considérations sur le Brésil et, de façon plus spécifique, sur son expérience à Rio de Janeiro, n’avaient pas poussé l’auteur à modifier quoi que ce soit au texte écrit jadis :

Amérique du Sud corrompue dans son sang créole, n’a nul moyen désormais d’arrêter dans leur chute ses métis de toutes variétés et de toutes classes. Leur décadence est sans remède33.

Il faudrait consulter les manuscrits du fonds Gobineau pour comprendre ce qui le poussera finalement à affirmer, dans l’avant-propos de la seconde édition,

n’y pas [avoir] changé une ligne, non pas que, dans l’intervalle, des travaux considérables n’aient déterminé bien des progrès de détail. Mais aucune des vérités que j’ai émises n’a été ébranlée, et j’ai trouvé nécessaire de maintenir la vérité telle que je l’ai trouvée34.

Il est vrai que dans les pages suivantes, il propose un bref panorama des progrès observés dans les domaines de la biologie et des sciences historiques après la première publication de son travail :

Une des idées maîtresses de cet ouvrage, c’est la grande influence des mélanges ethniques, autrement dit des mariages entre les races diverses. Ce fut la première fois que l’on posa cette observation et qu’en en faisant ressortir les résultats au point de vue social, on présenta cet axiome que tant valait le mélange obtenu, tant valait la variété humaine produit de ce mélange et que les progrès et les reculs des sociétés ne sont autre chose que les effets de ce rapprochement. De là fut tirée la théorie de la sélection devenue si célèbre entre les mains de Darwin et plus encore de ses élèves. Il en est résulté, entre autres, le système de Buckle, et par l’écart considérable que les opinions de ce philosophe présentent avec les miennes, on peut mesurer l’éloignement relatif des routes que savent se frayer deux pensées hostiles parties d’un point commun. Buckle a été interrompu dans son travail par la mort, mais la saveur démocratique de ses sentiments lui a assuré, dans ces temps-ci, un succès que la rigueur de ses déductions ne justifie pas plus que la solidité de ses connaissances.

Et pour conclure en beauté, il affirme :

Darwin et Buckle ont créé ainsi les dérivations principales du ruisseau que j’ai ouvert. Beaucoup d’autres ont simplement donné comme des vérités trouvées par eux-mêmes ce qu’ils copiaient chez moi en y mêlant tant bien que mal les idées aujourd’hui de mode35.

Bien que l’Essai et son auteur aient été souvent cités au Brésil, aucune traduction n’en circulait. Cela nous en dit bien peu sur la réception de l’ouvrage, mais beaucoup plus long sur les lecteurs qui ont pu entrer en contact avec ces théories. De fait, l’œuvre de Gobineau ne devait circuler que dans un milieu restreint d’intellectuels et de scientifiques qui suivaient de près les théories raciales alors développées en Europe et aux États-Unis36. Une traduction n’aurait certainement eu qu’un effet limité sur sa diffusion. En consultant 80 titres de la presse de Rio de Janeiro de 1850 à 1859, nous n’avons pu localiser que deux occurrences du mot-clé « Gobineau », et une seulement était une référence directe à l’Essai. Lors de la décennie suivante (1860-1869), alors que circulaient déjà 178 titres de périodiques dans la ville, ce qui en dit long sur la croissance de la presse à cette époque (mais sans nous en apprendre beaucoup plus sur leur périodicité), deux occurrences ont également été identifiées, mais aucune relative au livre en lui-même. Et durant la dernière décennie consultée (1870-1879), on trouve 17 occurrences dans 281 titres, toutes relatives au voyage en Europe de la délégation impériale brésilienne dont le comte Arthur de Gobineau faisait partie37.

D’un autre côté, il est important de souligner que les impressions de Gobineau sur le Brésil – particulièrement en ce qui concerne les attributs moraux et raciaux de la société – n’ont en rien choqué de nombreux étrangers ayant visité le pays tout au long du XIXe siècle38, et encore moins nombre d’intellectuels et de scientifiques brésiliens qui n’hésitaient pas non plus à lier le retard de la nation à la composition ethnique de la société, c’est-à-dire à son caractère principalement métissé.

De plus, il était de règle de recruter des spécialistes européens, voire nord-américains, pour qu’ils puissent contribuer à la croissance de différents secteurs productifs dont le potentiel était déjà connu dans le pays39. Nonobstant, on manquait de bras pour les récoltes ! Étant donné que l’abolition à venir ne faisait déjà plus de doute depuis la promulgation en 1871 de la Loi du ventre libre, les projets de substitution de la main-d’œuvre esclave noire par des travailleurs blancs d’origine européenne avaient un double objectif lié au progrès de la nation : il s’agissait dans un premier temps d’une réponse au manque de main-d’œuvre dans le secteur des grandes exportations agricoles40 ; dans un deuxième temps, non moins important, la mesure était considérée par certains secteurs des élites comme un moyen de « blanchiment » de la nation.

Et c’est également sous cette perspective que Gobineau deviendra un allié stratégique de l’empereur, comme on peut le déduire de l’extrait suivant :

Sire,

J’ai eu l’honneur de dire à Votre Majesté que j’avais trouvé des ouvriers en métallurgie. On m’assure qu’ils sont excellents. Le Vice-Consul voulait attendre pour les engager d’avoir écrit de nouveau au major Mursa et pris ses instructions. Comme le major m’avait autorisé à terminer l’affaire, sans en référer à lui de nouveau et que je trouvais la question pressée, j’ai insisté auprès du Vice-Consul, pour qu’il expédiât de suite les ouvriers au Brésil et il m’a assuré qu’il allait le faire sans plus attendre. Je crois que si Votre Majesté en veut d’autres, j’en pourrai trouver encore. Il me semble qu’on pourrait mettre la question de l’émigration en connexion avec lui et c’est pourquoi j’ai écrit l’article, maintenant arrivé à Paris et qui va paraître dans le Correspondant. Je crois avoir déjà dit à Votre Majesté que mon intention est de le faire traduire en suédois et, si je peux, en norvégien et de le publier dans les journaux des deux pays. Il y a utilité à le faire, parce que les émigrants reviennent en assez grand nombre des États-Unis. L’avis d’hommes sérieux est ici que cette destination se discrédite tous les jours. Ne serait-il pas bon de profiter du fait pour chercher à diriger sur le Brésil les travailleurs scandinaves41 ?

Dans l’article en question, l’auteur disserte longuement sur l’histoire du Brésil et dresse un tableau de la situation économique et sociale du pays en 1873. Le tableau est optimiste et reflète dans une certaine mesure les objectifs que nous avons dits. En ce sens, la situation serait prometteuse. D’un point de vue racial, Gobineau estime que la venue de travailleurs européens – c’est-à-dire blancs – au Brésil permettrait de faire disparaître les mulâtres du pays en l’espace de trente ans42. Et la raison principale de cette « disparition » se trouverait dans la dégénérescence biologique. Selon les termes de l’auteur :

L’infécondité n’est pas toujours dans les mariages ; mais les produits arrivent graduellement à être si malsains, si peu viables, qu’ils disparaissent, soit avant d’avoir donné le jour à des enfants, soit en laissant des enfants qui ne peuvent pas vivre43.

Ces théories raciales trouveront des adeptes parmi les scientifiques et les formateurs d’opinion locaux44. Elles rencontrent aussi un écho institutionnel sous la forme de musées d’ethnologie, d’instituts de biologie, de thèses de médecine, de publications spécialisées et de projets d’assainissement et de « blanchiment racial », ainsi que nous l’avons dit. La Société d’eugénie de São Paulo (Sociedade Eugênica Paulista) sera fondée en 1918, la première du genre en Amérique latine. En 1929 aura lieu le Premier congrès d’eugénie, présidé par Roquette-Pinto (1884-1954), l’auteur d’un étrange graphique digne d’être mentionné et qui, à l’instar du pronostic réalisé par Gobineau des décennies auparavant, prédisait également une future nation blanche... en 201245 ! Inutile de dire que la prévision ne s’est pas réalisée !

Dans les années 1930, les théories eugéniques, qui s’étaient répandues au Brésil et dans le monde depuis le début du siècle, ont été confrontées à une forte résistance de la part d’une nouvelle génération d’interprètes, dont les prémisses se basaient sur les développements en cours dans les sciences humaines. Des questions de nature historique, sociale et économique intégraient l’ordre du jour et inspiraient divers projets, qui, de leur côté, reflétaient un débat politique et partisan encore plus complexe. La propre expression utilisée par Tristão de Athayde, pseudonyme d’Alceu Amoroso Lima (1893-1983), un intellectuel non moins aristocratique que catholique, à l’encontre de Gobineau, qu’il qualifia d’« ennemi cordial du Brésil », en dit long sur une critique subtile qui semble reléguer l’analyse du théoricien français à un passé sans retour.

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1 À ce propos, voir la magnifique gravure Lors de l’entrée d’Henri II à Rouen le 1er octobre 1550, où figurent des Brisilians (sic) dans les scènes proposées aux spectateurs (Bibliothèque Mazarine [Rés. 17741 Cat. 65]). Nous souhaitons remercier ici M. Yann Sordet, directeur de la Bibliothèque Mazarine, qui a gentiment mis cette œuvre à notre disposition pour consultation. Voir également le livre de Paul Gaffarel, Histoire du Brésil français au seizième siècle, Paris, Maisonneuve et Cie, Libraires-Éditeurs, 1878.

2 Arthur de Gobineau, Essai sur l’inégalité des races humaines, 2e éd., Paris, Firmin-Didot, 1883, t. II, p. 425.

3 Nous ne proposons pas ici une analyse de nature théorique, et encore moins une étude des matrices intellectuelles de Gobineau, mais plutôt une présentation de Rio de Janeiro selon le point de vue de l’auteur, celui de sa composition ethnique. À propos des théories gobiniennes, voir Janine Buenzod, La Formation de la pensée de Gobineau et Essai sur l’inégalité des races humaines, Paris, Librairie G. Nizet, 1967.

4 La particule « de » apposée à son nom ne garantit en rien son origine aristocrate. D’ailleurs, selon le biographe Jean Gaulmier, elle ne figurait même pas sur son acte de naissance. Ces éléments de distinction apparaissent pour la première fois dans la « Lettre de Gobineau à sa sœur, 18 janvier 1847 », dont on lit la description suivante : « Sur le papier apparaît, pour une première fois, la couronne de comte, surmonté des initiales A. G. » [ms. 3519, pièce 14]. Parmi les pièces qui composent le fonds Gobineau conservé à la BnuS se trouvent des documents qui témoignent des origines bourgeoises de la famille Gobineau à Bordeaux, origines qui remonteraient au XVIe siècle. Dans Histoire d’Ottar Jarl, pirate norvégien (...) et de sa descendance [Paris, Didier, 1879], l’auteur cherche à décrire un autre aspect des origines lointaines de sa famille, élargissant encore un arbre généalogique déjà fort étendu. Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, Exposition à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort d’Arthur de Gobineau (10-30 novembre 1932), Paris, Les Belles Lettres ; Strasbourg, BNUS, 1933, pp. 15-16.

5 Correspondances entre Alexis de Tocqueville et Arthur de Gobineau (1843-1859), éd. L. Schemann, Paris, Plon, 1909.

6 Voir Correspondance entre Gobineau et Prokesch (1854-1876), éd. Serpeille de Gobineau avec deux portraits, un extra-texte et un fac-similé, Paris, Plon, 1933.

7 Dédicace de la première édition, reprise dans la deuxième édition en 1883.

8 Voir Frédéric Barbier, Le Rêve grec de Monsieur de Choiseul. Les voyages d’un européen des Lumières, Paris, Armand Colin, 2010.

9 « Deux lettres du duc de Decazes à Gobineau, relatives à la mise en retraite de ce dernier [...] ont été réunies par Gobineau, dans un dossier, sous le titre Coquineries diverses » (Exposition à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort d’Arthur de Gobineau, ouvr. cité, p. 17).

10 « Un ouvrage qui cherche à nous prouver que l’homme ici-bas obéit à sa constitution et ne peut presque rien sur sa destiné par sa volonté, c’est de l’opium donné à un malade » (lettre de Tocqueville à Gobineau, 8 janvier 1856, dans Romain Rolland, Compagnons de route. Essais littéraires, Paris, Éd. du Sablier, 1936, p. 32.

11 Exposition à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort d’Arthur de Gobineau, ouvr. cité, p. 7.

12 Ibidem, pp. 11-12.

13 À ce sujet, la perception de l’historien belge Henri Pirenne sur sa période passée sous le joug allemand est significative : « Il invoquait Gobineau à l’appui de ses déclamations sur la décadence de la France et le triomphe certain et nécessaire du germanisme. Il prophétisait le déclin de l’Angleterre, accusait l’Amérique, encore neutre à cette époque, d’être asservie au culte du dollar, ne voyait dans l’Italie qu’un spadassin et se montrait plein de confiance dans l’avenir de l’Autriche-Hongrie. Sans doute, la surexcitation patriotique était en partie responsable de ces aberrations et de ces illusions, et sans doute aussi mon interlocuteur ne pouvait parler à cœur ouvert devant moi, – devant un ennemi » (Henri Pirenne, Souvenirs de captivité en Allemagne (mars 1916-novembre 1918), Bruxelles, Société des bibliophiles et iconophiles de Belgique, Maurice Lamertin Éditeur, 1921, p. 51.

14 Sur le destin du roman Les Pléiades : « On sait que Gobineau y a largement exprimé ses théories et ses idées, et que c’est là qu’il a pour la première fois employé l’expression de “Fils du Roi”, qui fit fortune ; et cependant, on peut affirmer que ce roman a été très peu lu intégralement ; en effet, il n’a paru dans aucun périodique, n’a été tiré qu’à un millier d’exemplaires en première édition chez Plon, et à un tirage aussi restreint d’exemplaires de luxe aux Éditions du Sans Pareil » (« Avant-Propos de l’Éditeur », dans Arthur de Gobineau, Les Pléiades, Paris, Éditions G. Crès et Cie, 1924, p. II.

15 Le débat sur la réception de l’œuvre de Gobineau en France ou en Allemagne était encore d’actualité au début du XXe siècle, ainsi que nous pouvons l’observer dans l’article de Gaston Des champs publié dans le cahier « Vie Littéraire » du Temps, en date du 3 septembre 1905, sous le titre « Nietzsche, Gobineau et le gobinisme ». Le 10 septembre, dans le même cahier, Eugène Grelé, rédacteur en chef du Calvados (Caen), répond à l’article en citant l’importance de Barbey D’Aurevilly dans le cercle des « gobiniens » (Le Temps, 11 septembre 1905. Articles extraits de la Gobineau-Sammlung, 1903-1918, fonds Gobineau-BnuS (AL 51-163)).

16 Il faut signaler un renouveau des recherches sur son œuvre et sa pensée dans les années 1960, dont la Revue des études gobiniennes est le témoin (Études gobiniennes, Paris, Klincsieck, 1966-1967).

17 Michel Espagne, Les Transferts culturels franco-allemands, Paris, Presses univ. de France, 1999.

18 Arthur de Gobineau, « La vie de voyage », dans Les Nouvelles asiatiques, Paris, Didier, 1876, p. 373. Ces observations se retrouvent auparavant dans diverses lettres envoyées par Gobineau à des parents et amis européens lors de son arrivée à Rio.

19 http://www.brasil.gov.br/governo/2013/01/censo-de-1872-e-disponibilizado-ao-publico.

20 Lettre à Madame de Gobineau, 24 mars 1869, apud Georges Raeders, Le Comte de Gobineau au Brésil, ouvr. cité, p. 29.

21 Sur la réception de la doctrine d’Auguste Comte au Brésil, voir João Cruz Costa, Contribuição à história das ideias no Brasil, Rio de Janeiro, José Olympio, 1951.

22 E. Levasseur, O Brasil, Rio de Janeiro, Bom Texto, Letras e Expresões, 2000, p. 168. Édition fac-similé de : E. Levasseur, Le Brésil, Paris, H. Lamirault et Cie. Éditeurs, 1889.

23 Guilherme Deveza, Um Precursor do comércio francês no Brasil, São Paulo, Companhia Editora Nacional ; Brasília, INL, 1976, p. 64.

24 Denise Monteiro Takeya, Europa, França e Ceará, São Paulo, Hucitec ; Natal, UFRN, 1995, p. 73.

25 D. Pedro II et le comte de Gobineau ont noué des liens d’amitié qui perdureront après le retour du ministre en Europe. En témoigne le volume de lettres qu’ils échangèrent de 1870 à 1882. Voir D. Pedro II e o Conde de Gobineau. Correspondência inédita, éd. Georges Readers, São Paulo, CEN, 1938 (« Coleção Brasiliana », 109).

26 Voir Jean-Baptiste Debret, Voyage pittoresque et historique au Brésil, séjour d’un artiste français au Brésil depuis 1814 jusqu’en 1831..., Paris, Firmin-Didot Frères, 1834, 2 vol.

27 Lettre à Caroline de Gobineau, 23 juin 1869, ms. 3520, p. 86 (apud Georges Readers, Le comte de Gobineau, ouvr. cité, p. 42).

28 Ibidem, p. 43.

29 Lettre à Keller, apud Georges Readers, Le comte de Gobineau, ouvr. cité, p. 79.

30 Arthur de Gobineau, Les Pléiades, ouvr. cité.

31 Lilia Moritz Schwartz, As Barbas do Imperador. D. Pedro II, um monarca nos trópicos, 3e éd., São Paulo, Companhia das Letras, 1998, p. 372.

32 D. Pedro II e o Conde de Gobineau. Correspondência inédita, Éd. Georges Readers, São Paulo, CEN, 1938 (« Coleção Brasiliana », 109), p. 473. L’information est confirmée par les « fiches relatives au darwinisme, pour servir à la préparation de la deuxième édition de l’Essai sur l’inégalité des races humaines » (BnuS, fonds Arthur Gobineau, ms. 3483, et Exposition à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort d’Arthur de Gobineau, ouvr. cité, p. 19.

33 Arthur de Gobineau, Essai sur l’inégalité des races humaines, ouvr. cité, t. II, p. 95.

34 Arthur de Gobineau, « Avant-Propos », dans Essai sur l’inégalité des races humaines, ouvr. cité, t. I, p. X.

35 Ibidem, p. XV. La lecture des manuscrits de cet « Avant-Propos » démontre bien que l’auteur a récrit maintes fois ce passage, ce qui suggère un certain doute sur la voie à prendre face à un débat vraiment très riche à l’époque.

36 Voir Races of Louis Agassiz : Photography, Body, and Science, Yesterday and Today / Rastros e Raças de Louis Agassiz : Fotografia, Corpo e Ciência, Ontem e Hoje, São Paulo, Capacete, 29th São Paulo Biennial, 2010.

37 Cette recherche sans valeur statistique se veut simplement indicative et s’est basée sur la collection numérisée par la Fondation de la Bibliothèque nationale de Rio de Janeiro. Voir http://memoria. bn.br/hdb/uf.aspx.

38 À l’instar de Charles Expilly, Thomas Buckle, Louis Couty et Louis Agassiz.

39 C’est ainsi que lors de son voyage à Paris, D. Pedro II recruta Claude-Henri Gorceix (1842-1919), le minéralogiste de la prestigieuse École normale supérieure qui fondera la première École des mines du pays à Ouro Preto, en 1876. Voir Margarida Rosa de Lima, D. Pedro II e Gorceix. A fundação da Escola de Minas de Ouro Preto, Ouro Preto, Fundação Gorceix, 1977.

40 La première – et la plus significative – expérience d’enrôlement de travailleurs européens dans les grandes exploitations de café a eu lieu à la Fazenda Ibicaba, propriété du sénateur Nicolau do Campos Vergueiro. Celui-ci fut le premier à s’organiser en ce sens, et entre 1847 et 1857, il fera venir près de 180 familles originaires de différentes régions d’Europe. Les problèmes liés aux mauvaises conditions de travail et de vie, ainsi qu’au non-respect des contrats, provoquèrent une révolte des colons emmenée par l’immigrant Thomas Davatz (1815-1888). Cet événement avait fait grand bruit en Europe, ce qui exigea tout un travail ultérieur de propagande de la part du Brésil pour attirer de nouvelles vagues de travailleurs. Voir Thomas Davatz, Memórias de um colono no Brasil, Préf. Sérgio Buarque de Holanda, São Paulo, Edusp ; Belo Horizonte, Livraria Itatiaia Editora, 1980.

41 Lettre de Gobineau à D. Pedro II, Stockholm, 28 févr. 1874 (D. Pedro II e o Conde de Gobineau. Correspondência inédita, ouvr. cité, p. 469).

42 Voir Ricardo Alexandre Santos de Souza, Agassiz e Gobineau. A ciência contra o Brasil mestiço, Rio de Janeiro, thèse de doctorat, Fiocruz, 2008.

43 « Le Brésil en 1873, d’après Gobineau », apud George Readers, Le Comte de Gobineau au Brésil, ouvr. cité, p. 134. L’auteur reproduit sous forme d’annexe l’article dans sa totalité, dont le titre original est « L’Émigration au Brésil », publié dans Le Correspondant, juill.-sept. 1874, pp. 352-376.

44 Parmi les principaux défenseurs de la théorie eugéniste au Brésil, citons la contribution d’Oliveira Vianna, dont l’essai Populações Meridionais do Brasil a été publié pour la première fois en préface du Recensement de 1920. Il s’agissait donc d’une analyse de la population brésilienne publiée par un organe officiel. Pour plus d’informations sur ce thème, voir Nancy Lays Stepan, A Hora da eugenia : raça, gênero e nação na América Latina, Rio de Janeiro, Editora Fiocruz, 2005 (« Coleção História e Saúde »).

45 Apud Lilia Moritz Schwartz, O Espetáculo das raças. Cientistas, instituições e questão racial no Brasil (1870-1920), São Paulo, Companhia das Letras, 1993, p. 97.