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Gloire à Gutenberg

Fêtes et commémorations à Strasbourg et en Europe pour célébrer l’invention de l’imprimerie jusqu’en 1840

Andrea DE PASQUALE

Bibliothèque nationale centrale, Rome

Les fêtes pour l’anniversaire de la découverte de l’imprimerie par Gutenberg à Strasbourg en 1840 sont bien connues1. Dans le climat politique de l’époque et deux ans après le rétablissement de la censure par Louis-Philippe avec les lois de septembre, un Comité strasbourgeois, constitué autour de l’imprimeur Gustave Silbermann, avait prévu en 1837 d’ériger une statue à Gutenberg à côté de la cathédrale, symbole du catholicisme romain – une tradition voulant aussi que l’atelier occupé par l’imprimeur en 1440 en ait été proche. Les organisateurs avaient passé commande au sculpteur David d’Angers, lequel termina la maquette en juin 1837, sans pouvoir fondre la statue à cause de l’insuffisance des fonds.

En 1839, le Comité se reconstitue sous la direction du maire F. Schützengerber, assisté par Kirstein et Berger (de la famille des imprimeurs-libraires Berger-Levrault), avec la participation de l’Académie française, sous la présidence d’honneur de Lamartine et soutenu par des représentants des imprimeurs libraires parisiens, Crapelet, Firmin-Didot et Lenormant. Le Comité, marqué par la présence d’un grand nombre de libéraux, réussira finalement à terminer la statue et à l’inaugurer par des fêtes célèbres, comprenant un « cortège industriel » de la ville. Le monument représentait l’imprimeur, dans une iconographie imaginaire2, tenant dans les mains une feuille de la Bible avec la phrase « Et la lumière fut ». Son objet était de constituer le trait d’union entre deux mondes, d’un côté l’église protestante de Saint-Thomas et son architecture très simple, de l’autre la cathédrale catholique et sa présence spectaculaire. Les bas-reliefs de la base entendaient témoigner des conséquences universelles de la découverte de l’imprimerie, et représentaient les quatre continents, Europe, Asie, Afrique et Amérique. La statue donc voulait considérer l’imprimeur comme le défenseur des idées de la Réforme, tout en rappelant les mots de Victor Hugo faisant de Gutenberg le prédécesseur de Luther3.

LES ORIGINES

Si les fêtes de Strasbourg ont été étudiées avec précision, il n’en va pas de même des autres, en 1840 comme antérieurement : dans toute l’Europe, à des dates précises, on a organisé des célébrations pour fêter l’imprimerie et Gutenberg. L’anniversaire le plus répandu se rattache à la date de 1440, qui marque la naissance traditionnelle de l’imprimerie4 – un choix évidemment conventionnel, mais ancien, puisqu’il remonte à Matteo Palmieri, qui, en 1483, affirmait que Gutenberg avait découvert l’imprimerie à Mayence en 1440. La date est reprise par la Chronique de Cologne de 1499, puis par Jacob Wimpheling à Strasbourg en 15055. D’autres auteurs reprennent la date et l’attribution à Gutenberg, ce qui n’empêche pas la rivalité de se développer entre plusieurs villes, surtout Mayence (Gutenberg imprime la Bible à 42 lignes dans les années 1454) et Strasbourg, où il est installé de 1434 à 1444. Daniel Schöpflin, dans ses Vindiciae typographicae (1760), publie les documents témoignant de l’activité de Gutenberg à Strasbourg et du procès qu’il y soutint6 : la théorie qui s’impose est celle selon laquelle Gutenberg aurait mis sa découverte au point en grande partie lors de son séjour dans la capitale alsacienne, mais aurait commencé de l’exploiter systématiquement à Mayence. Très vite, d’autres concurrents s’interposent : Harlem, avec la figure de Laurens Lanzoon Coster, présenté comme le véritable inventeur dès 1423 – Gutenberg aurait été l’un de ses ouvriers ; Avignon, avec Prokop Waldvogel ; Feltre, enfin, où avait vécu Panfilo Castaldi lequel, selon la légende, aurait épousé une nièce de Marco Polo. C’est Marco Polo qui lui aurait confié la technique des caractères chinois, avant qu’il ne les transmette à son élève Johann Fust. Quant à la date des commémorations, elle est traditionnellement fixée au 24 juin, jour de la fête de saint-Jean-de-Latran, le patron des imprimeurs.

Le premier centenaire de l’invention de l’imprimerie fut célébré en 1540. Il y a très peu de documentation à son sujet, mais on sait qu’à Wittenberg les imprimeurs Johann David Werther, Hans Luft, Georg Rhaw, Peter Seiz, J. Schirlentz et J. Kluge, se retrouvèrent avec leurs ouvriers pour célébrer leur art à l’occasion de la Saint-Jean. Cette même année, une fête des imprimeurs se serait tenue à Leipzig, sans que nous en sachions beaucoup plus7.

Un siècle après, alors que l’imprimerie s’est diffusée dans toute l’Europe, la ville de Leipzig est la première qui suggère à toutes les autres la nécessité d’une célébration commune8. Peter Starcke, futur auteur du De ortu typographiae (1666), écrit à Strasbourg, Wittenberg, Jena et à d’autres villes et universités, pour solliciter leur participation. La seule réponse vient de Strasbourg, où Gutenberg avait fait les premières expérimentations des lettres mobiles. Les professionnels du livre se réunissent à Leipzig le 24 juin 1640, jour de la Saint-Jean, à l’église Saint-Jean, puis ils se rendent en cortège jusqu’à une grande salle décorée de fleurs, au son d’une musique sacrée, et ils consomment un repas simple9. L’un des chants, présenté pour la première fois à cette occasion, était destiné à devenir célèbre dans le milieu des imprimeurs : « Der Greiff » (Le griffon), composé par Martin Rinckart (1586-1649), présentait l’oiseau héraldique tenant dans ses serres un composteur et une feuille imprimée. Le texte souligne l’importance de l’imprimerie, et incite à l’union fraternelle entre les imprimeurs10. Les fêtes des Strasbourg suivent celles de Leipzig, et sont documentées par la publication de Johann Adam Schrag, avec la collaboration de J. G. Dorsch, Johan Freinscheimer et J. Rumpler11. Dédiée au bourgmestre de la ville et signée par les quinze imprimeurs strasbourgeois, elle donne le texte de trois discours prononcés à l’occasion des commémorations et consacrés à l’importance et aux mérites de l’imprimerie. Par ailleurs, une longue oraison académique est présentée par Johann Heinrich Boecler (1611-1672) aux calendes d’octobre, avec des morceaux de musique12. C’est au cours de cette même année que Jacques Mentelin, médecin et orientaliste, revendique la paternité de l’invention pour son ancêtre Johann Mentel : il affirme que ce dernier fut trahi par son domestique, lequel avait livré son secret à Johann Gutenberg, orfèvre de Mayence13. L’écho de l’anniversaire est repris à Breslau, où le chef de la guilde des imprimeurs publie un volume de pièces sur l’imprimerie ; à Alt-Stettin, où Daniel Kramer, vice-superintendant de l’Église, développe le thème à partir du texte de Job (XIX, 23) ; et enfin aux Pays-Bas, notamment à Leyde, où Marcus Zuerius van Boxhorn publie en 1640 une Dissertatio de Typographicae artis inventione, et à Harleem, où on frappa une médaille avec l’allégorie de l’imprimerie14.

LE JUBILÉ DE 1740

Des célébrations plus larges se déroulent en 1740 à travers toute l’Europe, à l’occasion du troisième centenaire15. Les Anglais sont les premiers à célébrer publiquement l’imprimerie : la prise de la Tamise par les glaces (Frost Fair) constitue un événement remarquable, donnant l’occasion d’organiser des fêtes. À cette occasion, en 1740, on installe près de London Bridge et en amont plusieurs ateliers typographiques (l’imprimeur Theodores, le The King’s Head, et Holme & Broad), qui tirent et distribuent des feuillets portant des vers célébrant l’événement. John Bagford, célèbre antiquaire, libraire et bibliographe, installe lui aussi une presse sur la glace, où il imprime les noms de ses clients.

Les célébrations se succèdent : à Breslau16 en janvier, avec sermons, prières et discours sur l’imprimerie, et fabrication d’une médaille commémorative en argent ; à Strasbourg, en février, selon un programme analogue à celui de 1640 ; à Berlin, le 28 mars ; à Bâle, lors de la Saint-Jean, on frappe une médaille17. Les imprimeurs de Francfort-s/Main se rendent en procession à l’église, où Münden prêche à partir du texte « Dieu nous libéra de l’obscurité » (Ps. CVII, 14), avant de conclure par un Gloria et une pièce musicale. Le lendemain, huit maîtres imprimeurs et les officiers de la ville participent à une fête à l’issue de laquelle on exécute une cantate à la gloire de l’imprimerie.

À Leipzig18, après trois sermons, des oraisons en langues vivantes et mortes, et une cantate pour trompettes et cymbales composée par Gotscheid, la célébration s’achève par un dîner, tandis que deux médailles sont frappées19. Le maître imprimeur Georg Otto réunit tous ses confrères de Cobourg le 29 juin à 7 heures du matin : après avoir chanté un hymne de remerciements à Dieu, ils marchent en procession jusqu’au Gymnasium, au son des cloches : la cérémonie comprend un discours visant à démontrer que l’invention de l’imprimerie fut inspirée par Dieu, et se conclut par de la musique et des hymnes. Les manifestations de Magdebourg sont également d’abord d’ordre religieux : sermons et discours prononcés par les dignitaires de la ville, avant une longue prière où l’on rend grâce à Dieu pour l’invention de l’imprimerie et pour son introduction dans la ville. Le 10 juillet, on prie dans toutes les églises de Gotha20, tandis que le « festival de l’imprimerie » s’ouvre le lendemain à 8 heures du matin à l’Université : après une introduction musicale, un professeur de la ville lit un discours sur les bienfaits de l’imprimerie, et Ruhkopf un poème composé par lui-même. Puis les musiciens jouent et chantent des chorals en se rassemblant à partir des églises, et un dîner solennel se déroule, toujours en musique, pour une quarantaine de personnes, recteur, professeurs, magistrats de la ville et autres dignitaires. La manifestation est aussi consacrée par une médaille21. Même schéma à Wittenberg, où la fête musicale se conclut par l’admission du recteur de l’Université et de plusieurs professeurs, conseillers, membres du clergé et autres personnalités, tandis qu’une médaille est également frappée à Ratisbonne22.

Nuremberg organise ses fêtes en juillet 1740. Schwarts, doyen de l’Université, prononce à cette occasion un discours sur les grandes inventions de l’humanité, au sein desquelles une place de choix est faite à l’imprimerie. On sait aussi qu’il y eut une célébration, avec représentation historique sur les plus anciens imprimeurs de la ville, dans le cloître des Augustins, qui aurait selon la tradition abrité la première presse de la ville. L’orateur parla notamment de Regiomontanus, qu’on retrouve sur une médaille d’argent frappée à cette occasion, et de Koberger. Chants et prières précèdent le discours du Recteur de l’Université, la présentation des médailles commémoratives23, l’exécution de la cantate « In laudem Typographiae a Germano inventae et propagatae » et une procession à travers la ville. Le lendemain, un grand dîner est offert par la corporation, auquel participent les principaux dignitaires de l’Université et de la Ville. Des manifestations similaires, avec musique, chants et repas en commun, se déroulèrent à Dresde (où on frappa aussi une médaille24) et à Ulm à l’occasion de la Saint-Barthélemy25 : dans cette dernière ville, le service religieux réunit tous les imprimeurs de la ville, et le pasteur, Christian Ulrich Wagner, fils du célèbre imprimeur, y rappelle l’honneur et la responsabilité des imprimeurs. On souligne les avantages de l’éducation classique, on présente les livres imprimés les plus anciens et les plus anciens imprimeurs de la ville.

Les manifestations des Pays-Bas se concentrent à Haarlem26, où la célébration réunit des délégations d’Amsterdam, de Rotterdam, de La Haye et d’autres villes, et où pas moins de six médailles sont frappées. C’est l’occasion pour Prosper Marchand de publier son Histoire de l’origine et des premiers progrès de l’imprimerie27, mais aussi pour John Christian Seiz de soutenir la théorie de la primauté de Coster, théorie reprise par la famille des célèbres imprimeurs Enschedé de Haarlem, lesquels republièrent son livret en latin en y ajoutant une préface28.

LE XIXe SIÈCLE

Le nouveau siècle s’ouvre, à Mayence29, le 16 germinal an XII (7 sept. 1804), quand la ville, alors sous domination française, voit la fondation d’une Société des arts et des sciences, forte de quarante membres et dont le but est de lancer une souscription pour élever une statue à Gutenberg. Napoléon lui-même promet 2 000 F, avec pour seule condition de donner le nom de l’inventeur à la Grande place et au Théâtre de la ville. La Société organise un concours, avec comme prix une médaille d’or d’une valeur de 240 F, donnée au meilleur essai consacré à Gutenberg et à sa découverte30. Le départ des Français de Mayence mettra un terme à l’entreprise.

En revanche, les manifestations pour le quatrième centenaire sont ouvertes avec plusieurs années d’avance par les Néerlandais : à Amsterdam et à Haarlem, on décide de ne pas attendre 1840 (même si on avait attendu 1740...), et de commémorer l’invention de l’imprimerie dès 1823, en affirmant que l’inventeur n’était pas Gutenberg, mais bien Coster. Dès 1814, la Société hollandaise des arts et des sciences de Haarlem offre une prime au meilleur ouvrage consacré à l’invention de l’imprimerie par Coster, et qui porterait une attention spéciale à la date de la découverte : le lauréat est Jacques Köning, d’Amsterdam, dont le livre sortira en 181931. Ce texte reprenait celui d’une lettre d’Abraham de Vries affirmant que Coster avait imprimé bien avant 1440 et que le choix de cette date pour fixer les jubilés n’avait de ce fait aucun sens32. Le problème attire l’attention du Conseil de la ville de Haarlem, qui constitue une commission chargée d’organiser le prochain jubilé : la commission établit qu’il n’y avait pas de date sûre permettant de fixer la première impression de Coster, mais que les années 1420-1425 pouvaient être définitivement retenues. Le Conseil de Ville fit donc le choix de l’année 1423, et fixa le jour du jubilé au 10 juillet 1823.

Le jour dit, la ville pavoisée, la fête s’ouvre par une salve d’artillerie. Le carillon de la cathédrale est suivi de la sonnerie des trompettes annonçant l’ouverture des cérémonies depuis le haut de la tour. La milice urbaine accompagne le bourgmestre et ses conseillers à la cathédrale, où le discours du professeur Van der Palm est suivi de différentes pièces de musique. Puis on se rend en procession jusqu’au bois où, selon la tradition, Coster aurait eu l’inspiration pour imprimer en caractères mobiles, et où on inaugure un monument commémoratif. Au cours des deux jours suivants, plusieurs médailles sont frappées, et on présente une exposition de reliques liées aux débuts de l’imprimerie, un fragment de la presse de Coster ( !), des livrets xylographiques, etc. Une presse est montée face à la maison de Coster, place du Marché, et on distribue à la foule les pièces ainsi produites. Cette même année, la toile de J. A. Kruseman représentant Coster et les premières épreuves de ses productions, est remise aux Commissaires chargés des commémorations, et aussitôt mise en place dans la salle du Conseil de Ville. Rotterdam délègue un groupe d’imprimeurs, qui participent à la fête de Harlem en défilant sur un char triomphal à travers les rues de la ville. À Dordrecht, les imprimeurs organisèrent aussi une procession aux lanternes, au cours de laquelle est présentée une figuration de Laurent Coster.

Les fêtes de Haarlem perturbèrent visiblement les habitants de Mayence33. La même année 1823, la Société du Casino, qui occupait une partie de la maison où Gutenberg avait habité, décide de faire graver le nom de l’imprimeur sur une plaque posée au-dessus de la porte. Elle charge par ailleurs l’École des Artistes (Künstlerschule) et Joseph Franz Scholl, de mettre en œuvre la réalisation d’un monument sculpté, qui sera inauguré le 4 octobre 1824. Au jour dit, les cérémonies s’ouvrent par les discours du libraire Lehne et du juge Schaab, après quoi se déroule un grand cortège : les musiciens, puis les imprimeurs, les fondeurs typographiques, et les armoiries de Gutenberg, de la Ville de Mayence et du grand-duché, ainsi que celles octroyées aux imprimeurs par privilège de l’empereur Frédéric II. Suivent les hommes de lettres, les scientifiques, les artistes, les apprentis typographes (avec une ancienne presse fleurie, un exemplaire du Catholicon de 1460 présenté sur un coussin et le portrait de Gutenberg par Müller). Le cortège se referme avec des drapeaux, portant en français, en latin et en allemand une phrase à la louange de l’imprimerie. Les imprimeurs se présentent avec des torches censées symboliser la lumière, un trophée constitué d’objets liés à l’imprimerie (casse, composteur, instruments divers, fac-similés des initiales utilisées par Gutenberg, les 24 lettres de l’alphabet dans un feston, etc.), et un autre avec les objets utilisés pour la xylographie, la gravure sur cuivre, la lithographie, l’écriture et le dessin. Le cortège parcourt la ville jusqu’à la maison dite « Zum Jugen », où selon la tradition Gutenberg aurait mis sa première presse en marche. On arrive enfin devant le Casino, et le monument à Gutenberg est dévoilé par le chef du Bureau de l’imprimerie de la Ville : l’inscription rend hommage à l’inventeur de l’imprimerie et bienfaiteur de l’humanité (« Dem Erfinder der Buchdruckerkunst, dem Wohlthaeter der Menschheit »). Après le banquet pour deux cents personnes, les ateliers d’imprimerie sont illuminés dans toute la ville34.

Quelques années plus tard, en 1836, donc toujours avant la date traditionnelle du jubilé, la petite ville de Gernheim ordonne la construction d’un monument en l’honneur de Peter Schöffer, mais la fête reste d’audience locale. L’année suivante Mayence, qui avait vu échouer le projet d’une statue à Gutenberg, décide de reprendre l’idée. Dès 1831 en effet, Joseph Scholl avait proposé un petit modèle de la statue, de sorte qu’une souscription peut être ouverte. On constitue un Comité, qui décide de faire appel au grand sculpteur Thorwaldsen, alors à Rome, lequel confirme qu’il pourrait réaliser l’œuvre pour 1837, soit trois ans avant la date de 184035. La statue est modelée à Rome, mais fondue en bronze à Paris : l’inventeur de l’imprimerie est représenté debout, plongé dans ses réflexions. Dans sa main droite, des caractères typographiques, et une Bible dans la main gauche, sur la poitrine et le cœur. La statue est dressée sur un socle avec des bas-reliefs représentant, le premier, Gutenberg montrant des caractères à Fust, lequel tient une plaque de bois gravé, et le second, Peter Schöffer qui travaille à la presse tandis que Gutenberg relit un feuillet d’épreuves.

La fête elle-même, le 14 août, est organisée sous la présidence de Pitschaft, qui prononce le discours à la gloire de Gutenberg. Les représentants de plusieurs grandes villes des pays germanophones (Breslau, Cologne, Darmstadt, Frankfurt, Karlsruhe, Leipzig et Strasbourg) se rassemblent dans la Grande salle de la tour municipale, certains avec des épreuves illustrant l’art de l’imprimerie et réalisées pour l’occasion. Le cortège se rend alors à la cathédrale, où la messe est célébrée par l’archevêque, tandis que l’on présente un exemplaire de la Bible de Gutenberg. Le monument de Thorwaldsen est alors inauguré, au son du Te Deum de Neukomm. Les fêtes se poursuivent encore durant deux jours, ponctuées de jeux et de concertes, tandis que quatre médailles sont frappées, qui présentent le monument et transcrivent l’inscription36.

Le quatrième jubilé de la naissance de l’imprimerie voit les manifestations se dérouler dans un grand nombre de villes. La fête de Bâle se déroule le jour de la Saint-Jean, soit le 24 juin : si les deux premiers imprimeurs avaient en effet Johann pour prénom, c’est aussi celui des trois imprimeurs bâlois les plus célèbres, Johann Froben, Johann Amerbach et Johannes Oporinus. Le programme des festivités est imprimé par Bahnmaier, des poésies en allemand, anglais, français, italien, latin, grec et hébreux sont publiées, tandis que Geering donne un fac-similé de la premier Bible de Bâle.

Les cérémonies organisées à Hambourg se signalent par leur ambition. Le théâtre accueille une statue de Gutenberg, avec une série de presses (de la presse à deux coups à la presse à cylindres), entourées par les fondeurs typographiques et par les compositeurs. Le public réunit les notabilités, sénateurs et autres dignitaires des villes de Hambourg et Altona, les dignitaires de l’Église, et les représentants des professions liées au livre – hommes de lettres, imprimeurs et libraires – installés dans la ville et sa région. Le discours de Würm rappelle l’histoire de l’imprimerie, et les avantages du nouvel art ; puis l’imprimeur Nestler parle du développement de la technique de l’imprimerie et de la fonderie. Le soir, on organise un banquet pour 400 couverts, et on décrète un congé spécial pour les ouvriers et employés de l’imprimerie.

Des délégations venues de toute l’Allemagne se rassemblent à Leipzig37, où un cortège de trois mille participants parcourt la ville. Le 24 juin au matin a lieu le service pour remercier Dieu de l’invention de l’imprimerie, avec un prêche de Grossman sur le verset : « Il y eut un homme envoyé par Dieu, et son prénom était Jean ». La procession se rend ensuite sur la place du Marché, les dignitaires de l’Université précédant le char des imprimeurs, sur lequel on présente un exemplaire de la Bible de Gutenberg. Suivent les membres des sociétés de musique, puis le char des relieurs, qui précèdent les autres métiers. Felix Mendelssohn compose à l’occasion de la fête sa Gutenberg Cantate (Festgesang zur Eröffnung der am ersten Tage der vierten Säkularfeier der Erfindung der Buchdruckerkunst). Enfin, cinq médailles sont frappées.

D’autres célébrations se déroulent dans toute l’Allemagne. Les cérémonies de Mayence ont eu lieu dès 1837, de sorte qu’elles ne sont reprises en 1840 que sur un mode mineur, les 23 et 24 juin : on donne deux concerts, l’un conduit par le chevalier Neukomm devant la statue de Gutenberg, le deuxième sur le Marché aux fruits, sous la direction de Lochner, maître de chapelle du duc de Bade. Deux médailles sont par ailleurs frappées. À Stuttgart, il y eut deux jours de fêtes, avec des concerts et une grande procession, la frappe d’une médaille et la publication d’un livre38 ; des médailles sont frappées à Augsbourg39, Bamberg, Cologne et Dresde40. À Francfort, on élève sur l’actuelle place Goethe un monument en style gothique consacré aux trois imprimeurs, Gutenberg, Fust et Schöffer, avec leurs statues et, à chaque coin, les quatre allégories de la théologie, de la poésie, des sciences et de l’industrie. La base du monument est ornée d’une frise avec les bustes de célèbres imprimeurs, éditeurs et libraires, et les symboles des grandes villes d’imprimerie, Mayence, Strasbourg, Francfort et Venise. Enfin, on grave à Berlin une vignette au portrait de Gutenberg, imprimée par l’atelier Lehmann & Mohr, et on frappe à nouveau trois médailles commémoratives41.

Les fêtes de Gutenberg prirent fin avec l’année 1840 : des cérémonies auront encore lieu ponctuellement en 1868 et 1898, dates anniversaires du décès de l’inventeur, avant les grandes cérémonies de 1900, date anniversaire de sa naissance.

Illustration n° 1 – Medaille pour l’anniversaire de la naissance de l’imprimerie, Leipzig, 1740 (cuivre).

Illustration n° 2 – Medaille pour le monument à Gutenberg, Mayence, 1837 (cuivre).

Illustration n° 3 – Medaille pour le monument à Gutenberg, Strasbourg, 1840 (cuivre).

Illustration n° 4 – Medaille pour l’anniversaire de la naissance de l’imprimerie, Berlin, 1840 (cuivre).

Illustration n° 5 – Medaille pour l’anniversaire de la naissance de l‘imprimerie, Leipzig, 1840 (argent).

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1 Fêtes de Gutenberg. Cortège industriel de Strasbourg, 25 juin 1840, Strasbourg, E. Simon fils, [1840], planches en couleurs. Fêtes de Gutenberg à Strasbourg les 24, 25 et 26 juin 1840 à l’occasion de l’inauguration de la statue. Cortège industriel de Strasbourg, Strasbourg, [1840]. C. Kunz, Die Erfindung der Buchdruckerkunst, ihre ersten Anfänge und ihren Entwicklungen, Strasbourg, 1840. Relation complète des fêtes de Gutenberg célébrées à Strasbourg les 24, 25 et 26 juin 1840, Strasbourg, E. Simon, 1841. G. Silbermann, L. Wernert, Les Fêtes de Gutenberg célébrées à Strasbourg, les 24, 25 et 26 juin 1840, Strasbourg, imprimerie de G. Silbermann, 1841. N. Stoskopf, « Les fêtes en honneur de Gutenberg et de Kléber », dans Saisons d’Alsace, 109 (1990), pp. 7-12, et la relation de l’époque par Amelie Weiber, pp. 13-26.

2 Le plus ancien portrait est celui d’André Thevet, qui consacre un chapitre à Gutenberg dans les Vrais portraits des hommes illustres imprimés à Paris en 1584. Un autre portrait était conservé à la bibliothèque de Strasbourg, mais a été détruit dans l’incendie de 1870. Une copie du XIXe siècle se trouve aujourd’hui au Musée de Mayence, mais l’original ne remonte sans doute pas au-delà de la fin du XVIe siècle.

3 M. P. Driskel, « Et la lumière fut, the meaning od David d’Angers monument to Gutenberg », dans Art Bulletin, 37 (1991), pp. 359-380 ; M. Lyons, « Litterary commemoration and uses of history : The Gutenberg Festival in Strasbourg, 1840 », dans Reading culture and writing practices in nineteenth-century France, Toronto, Buffalo, Londres, Univ. of Toronto Press, 2008, pp. 92-107.

4 Un autre anniversaire est lié à la date de naissance de Gutenberg, traditionnellement fixée en 1400. Par contre, la date de sa mort est bien connue (1468).

5 M. Lyons, ouvr. cité, pp. 94-95.

6 G. Bechtel, Gutenberg et l’invention de l’imprimerie : une enquête, Paris, Fayard, 1992, pp. 32-33.

7 W. Blades, Numismata typographica. The medallic history of printing, Londres, “Printers’ register” office, 1883 (réimpression Newtown, Pennsylvania, Bird   Bull press, 1992), pp. 2-3. On se réfère à ce titre pour toutes les informations sur les médailles commémoratives.

8 Carmina saecularia de typographia ante annos ipsos ducentos a Germanis inventa, Bratislava, G. Baumann, 1640.

9 A. Rivinus, Hecatomba laudum et gratiarum in ludis iterum secularibus ob inventam in Germania abhinc annis C.C. chalcographiam, Leipzig, Thypographi, 1640.

10 W. E. Tentzel, Discours von Erfindung der löblichen Buch-Drucker-Kunst in Teutschland, Gotha, Mevius, 1700.

11 J. A. Schrag, Bericht von Erfindung der Buch-Trukerey in Strasbourg, Strasbourg, 1640 (ré-impr. dans les Monumenta typographica de Wolff).

12 Johann Schmidt, Johann Heinrich Boecler, Drey christliche Danck-Predigten, wegen dero im Jahr 1440 (...) in Strassburg erfundenen (...) Buchtrucker-Kunst (...) ; Joannis Henrici Boecleri oratio habita kalend. octobr. anno 1640 (...) in qua de typographiae Argentorati inventae, divinitate et fatis saeculari pietate disseritur, Strasbourg, [s. n.], 1641.

13 H.-J. Martin, « Le sacre de Gutenberg », dans Revue de synthèse, 1992, n° 1-2, p. 18.

14 W. Blades, ouvr. cité, pp. 3-4.

15 J. H. Lochner, Samlung merkwürdiger Medaillen, Nürnberg, Monath, 1736-1744, 8 vol ; M. J. Möller, Die Pflicht und Schuldigkeit glaubiger Seelen an dem (...) 3. Jubilaeo der Erfindung der edlen Buchdruckerkunst, wurde an dem dritten Jubelfeste wegen Erfindung der edlen Buchdruckerkunst, welches die Buchdrucker zu Erfurt in d. Evangelischen Kirche (...) d. 6. Julii im Jahr 1740. feyerlichst begiengen, in volckreicher Gegenwart vorgestellet, u. auf bes. Verlangen zum Druck übergeben, Erfuhrt, [s. n.], 1740. M. D. G. Werner, Iubilaeum tertium artis typographicae, per divinam providentiam inventae in illustri collegio Groeningiano (...) 13.7. (...) celebrandum, Stargard, Johann Christian Falcke, 1740 ; W. Blades, ouvr. cité, pp. 4-8.

16 Breslauisches Jubel-Gedaechtniss der vor 300 Jahren erfundenen Buchdruckerkunst, Breslau, [s. n.], 1740 ; [M. J. E. Scheibel], Geschichte der seit dreihundert Jahren in Breslau befindlichen Stadtbuchdruckerey als ein Beitrag zur allgemeinen Geschichte der Buchdruckerkunst, Breslau, Graß und Barth, 1804.

17 W. Blades, ouvr. cité, p. 21-22.

18 Gepriesenes Andencken von Erfindung der Buchdruckerey, wie solches in Leipzig beym Schluss des dritten Jahrhunderts von den gesammten Buchdruckern daselbst gefeyert worden, Leipzig, [s. n.], 1740 ; F. Menzius, Ludos seculares artis typographicae tribus ante seculis (...) inventae (...) nunc redeunte die XVII Junii 1740 oratione solemni ritu celebrandos, Leipzig, Langenhemius, 1740.

19 W. Blades, ouvr. cité, pp. 36-37.

20 W. J. J. Clessen, Drittes Jubel-Fest der Buchdrucker-Kunst, Oder Christliches Denck-und Danckmahl ... wegen der vor 3 000 Jahren erfundenen ... Buchdrucker-Kunst, worinnen von Erfindung, Ausbreitung und Verbesserung, vom Nutzen, Lob ... rechten Gebrauch u. Misbrauch derselben gehandeltwird, Sammt einer Vorrede, Gotha, 1740.

21 W. Blades, ouvr. cité, p. 29.

22 Ibidem, p. 44.

23 Ibidem, pp. 42-44.

24 Der löblichen Buchdrucker-Gesellschafft zu Dreßden Jubel-Geschichte : A. 1740. den 24. Und 25. Junii mit einer Vorrede Herrn Christian Schöttgens, Dresden, gedruckt auf Kosten der Buchdrucker-Societät, 1740 ; W. Blades, ouvr. cité, pp. 25-26.

25 C. D. Kleinknecht, GOTT-geheiligte Evangelisch-Lutherische Buchdrucker-Jubel-Freude, Uber die besondere Göttliche Wohlthat, Wegen Der Anno 1440. und also von 300. Jahren erfundenen, verbessert-und bishero gnädig erhaltenen Höchst-nützlichen Buchdrucker-Kunst an ihrem dritten Jubel-Fest, (...) zu Ulm, d. 24. Augusti des 1740. Jahrs (...) gehalten, Ulm, Wagner, 1742.

26 Parnas vreuchden, ter onsterfelyker gedagtenis over het derde eeuwjaar van de uitvinding der noit volpreese boek-drukkonst, door Laurens Jansz : Koster, in zyn leven schepen der stad Haarlem ; Waar by gevoegd is de uitlegging van de Gedenk-Penning, op het der de Eeuw-Jaar, ’t geen nu in den Jaare MDCCXL, drie eeuwen heeft geduut, gemaakt door den Konstryke Medailleur N. van Swinderen in s’Hage, Haarlem, 1740.

27 Prosper Marchand, Histoire de l’origine et des premiers progrès de l’imprimerie, À La Haye, chés la veuve Le Vier et Pierre Paupie, M.DCC.XL., XIV-118-152 p., 4°.

28 J. Ch. Seiz, Het derde jubeljaar der uitgevondene boekdroekkonst, behelzende een beknopt historis verhaal van de uitvinding der edele boekdrukkonst : waar in ompartijdig aangewezen word, wanneer, door wien en waar ter plaatse dezelve eerst uitgevonden, vervolgens hoe langer hoe meer beschaafd, en verder door de waereld verspreid is geworden ? en welke groote nuttigheden daar door aan dezelve toegebragt zyn ?, La Haye, Enschedé, 1740 ; Id., Annus tertius saecularis inventae artis typographicae sive brevis historica enarratio de inventione nobilissimae artis Typographicae..., Haarlem, Enschedé, 1742.

29 L. Bratner, Von St. Far bis Thorvaldsen. Das Mainzer Gutenbergdekmal. Zu Entstehung und Geschichte des Gutenbergplatzes und des Gutenbergdenkmals, Alzey, Verlag der Rheinhessinschen Druckwerkstätte, 2000.

30 On sait que Née de La Rochelle, alors retiré à La Charité-s/Loire, se lance alors dans la préparation d’un Éloge de Gutenberg, effectivement publié quelques années plus tard (1811).

31 J. König, Dissertation sur l’origine, l’invention et le perfectionnement de l’imprimerie, Amsterdam, Delachaux, 1819.

32 A. De Vries, Arguments des Allemands en faveur de leur prétention à l’invention de l’imprimerie : ou examen critique de l’ouvrage de E. A. Umbreit : Die Erfindung der Buchdruckerkunst ; Faisant suite aux, Eclaircissements sur l’histoire de l’invention de l’imprimerie, trad. J. Noordziek, La Haye, Schinkel, 1845.

33 L. Bratner, ouvr. cité.

34 N. Müller, Beschreibung des Festes dem Andenken des Erfinders der Buchdruckerkunst Johann Gensfleisch zum Gutenberg : gefeiert in Mainz am 4. Oktober 1824 von sämmtlichen Schriftsetzern, Buchdruckern und Schriftgiessern daselbst..., Mainz, Kupferberg, 1824.

35 Gedenkbuch an die festlichen Tage der Inauguration des Gutenberg-Denkmals zu Mainz am 13. 14. 15. u. 16. August 1837 : Nebst den Acten, die Entstehung desselben betreffend, und einer kurzen Lebensbeschreibung Gutenbergs, Mainz, Kupferberg in Comm., 1837.

36 W. Blades, ouvr. cité, pp. 41-42.

37 O. A. Schulz, Gutenberg, oder Geschichte du Buchdruckerkunst, Leipzig, Schulz und Thomas, 1840.

38 Das Vierte Säcularfest der Erfindung der Buchdruckerkunst : begangen zu Stuttgart am 24. Und 25. Juni 1840 ; Mit einer Ansicht des Marktplatzes am Festtage und einer Abbildung des Festzuges, Stuttgart, Kreuzer, 1840.

39 G. C. Mezger, Augsburgs älteste Druckdenkmale und Formschneiderarbeiten, welche in der vereinigten Königl. Kreis-und Stadtbibliothek daselbst aufbewahrt werden nebst einer kurzen Geschichte des Bücherdruckes und Buchhandels in Augsburg. Mit 37 Abdrücken von Original-Holzschnitten aus dem 15. und 16. Jahrhunderte, Augsburg, Himmer, 1840.

40 W. Blades, ouvr. cité, pp. 20-21 et 25.

41 L. W. Von Krause, Beschreibung der Feier des vierten Säcular-Festes der Erfindung der Buchdrucker-kunst in der Officinam 21. Juli 1840, Berlin, [s. n.], 1840 ; W. Blades, ouvr. cité, pp. 23-24.