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Enseigner l’allemand par les livres : Strasbourg et la librairie pédagogique au XVIIIe siècle

Emmanuelle CHAPRON

Aix-Marseille Université, Institut universitaire de France

En 1784 paraissent à Paris deux volumes imprimés en allemand, derrière une page de titre bilingue : Colomb ou la découverte des Indes occidentales, lecture amusante et utile pour les enfans et les jeunes gens et Robinson le jeune, amusement utile pour les enfans1. Les deux textes sont l’œuvre du célèbre pédagogue allemand Johann Heinrich Campe, mais le texte allemand a été revu, à l’usage des jeunes Français qui apprennent l’allemand, par un ancien professeur de l’École royale militaire de Paris, Georg Adam Junker (1716-1805). Les ouvrages paraissent sous son adresse et sous celle du libraire parisien Couturier, mais ils ont été imprimés en caractères gothiques par l’imprimeur strasbourgeois Philippe Jacques Dannbach. Colomb et Robinson paraissent ainsi au carrefour de plusieurs évolutions : le développement de l’apprentissage de la langue allemande dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la diversification des supports pédagogiques et leur circulation à l’échelle européenne, enfin le renouveau de l’imprimerie strasbourgeoise dans les dernières décennies du XVIIIe siècle.

Ce constat invite à une réflexion plus large sur les conditions sociales, intellectuelles et matérielles de la production des outils de l’enseignement de l’allemand dans le royaume – méthodes, grammaires, dictionnaires ou textes de langue. Dans la mesure où une partie importante de cette production se joue à Strasbourg, il faudra s’interroger sur la manière dont cette localisation a pu jouer sur la conception même de ces outils, du point de vue tant didactique que typographique, ainsi que sur leurs usages pédagogiques. Deux pistes seront ainsi suivies. D’un côté, par sa situation au confluent de deux bassins linguistiques, la production strasbourgeoise semble avoir intensifié un caractère par ailleurs relativement courant de ces outils pédagogiques : leur réversibilité, c’est-à-dire la possibilité de les utiliser pour des Français apprenant l’allemand, comme pour des germanophones apprenant le français. D’un autre côté, la possibilité que l’on a à Strasbourg, contrairement à Paris, d’imprimer (ou non) en caractères gothiques, amène les auteurs et les éditeurs à prendre position sur la pertinence d’un tel choix, dont les implications sont à la fois pédagogiques et culturelles.

LIEUX ET OUTILS DE L’APPRENTISSAGE DE L’ALLEMAND EN FRANCE

L’histoire de l’enseignement de la langue allemande est celle d’une diversification de ses lieux, de ses publics, de ses formes et de ses finalités sociales, engagée dès la fin du XVIIe siècle et particulièrement marquée à partir du milieu du siècle suivant2. Avec la montée en puissance de la Prusse à partir de la fin du XVIIe siècle, la langue allemande s’impose comme un élément essentiel de la formation des officiers. Les compagnies de cadets gentilshommes actives dans les années 1680 reçoivent un enseignement de langue allemande, en plus des cours de mathématiques, de dessin et de fortifications3. La matière fait également partie de la formation des marchands, dans les villes où est implantée une colonie allemande : dans les Annonces, affiches et avis divers de Bordeaux, des maîtres de langues proposent leurs services pour enseigner l’allemand aux Français et le français aux Allemands, tandis que les jeunes gens à la recherche d’une place de commis font valoir qu’ils savent tenir une correspondance dans les deux langues4. Si l’apprentissage peut commencer durant l’enfance dans les milieux commerciaux et aristocratiques, auprès de maîtres ou de domestiques allemands, le public adulte, autodidacte ou non, constitue une partie importante des commençants.

L’enseignement de la langue se développe plus nettement à partir du milieu du XVIIIe siècle qui voit s’imposer, pendant quelques décennies, une véritable « mode allemande » et s’affirmer plus largement l’intérêt pour la question des langues vivantes. On n’assiste pas pour autant à une scolarisation de cet apprentissage qui continue à se faire ordinairement à côté du temps de classe ou après les années d’école, auprès de maîtres particuliers ou dans des cours publics. Les almanachs et les petites affiches des grandes villes signalent les maîtres de langues qui proposent leurs services aux particuliers et aux familles : trois à Paris dans les années 1760, un à Lyon dans les années 1770 et 17805. À un degré un peu supérieur d’institutionnalisation se trouvent les pensions, comme celle que tient rue des Postes M. Rhombius père, où il enseigne l’allemand et le latin aux enfants pour la somme très élevée de 600 ll. annuelles6, ou les cours publics de langues plutôt destinés aux adultes, que l’on trouve également signalés dans les gazettes.

L’intégration de l’allemand dans le cursus ordinaire des enseignements relève de l’exception. C’est le cas à l’École royale militaire fondée à Paris en 1751, où l’allemand figure dès l’origine dans le tronc commun des enseignements, de même que l’italien, « plus particulièrement utiles aux militaires parce que nos armes ne se portent jamais qu’en Allemagne ou en Italie »7. La plupart des pensions privées proposent des maîtres de langues pour les enfants qui leur sont confiés, mais l’enseignement se fait en dehors des cours communs et moyennant un surcoût de pension, de même que pour la musique, l’escrime, le dessin ou la danse. On peut ainsi apprendre l’allemand dans la très réputée Institution militaire pour la jeune noblesse de Rolin, à condition de payer 12 ll. supplémentaires par mois, qui s’ajoutent aux 1 000 ll. de pension8. Des maîtres d’allemand sont également attestés dans certains des collèges provinciaux issus de la réforme de l’École royale militaire en 1776 (Brienne, Effiat, Sorèze, Rebais, La Flèche, Pontlevoy), mais les cours ne sont obligatoires qu’à Effiat. Ils ne concernent donc qu’un petit nombre d’élèves (une vingtaine à Pontlevoy), appelés à faire montre de leurs talents lors des exercices publics annuels9. D’autres établissements de province proposent des cours d’allemand aux mêmes conditions, comme le collège des Godrans à Dijon ou le pensionnat des pères augustins à Reims10.

La carrière des professeurs témoigne de la faible institutionnalisation de cet enseignement, qui facilite les reconversions d’un cadre à l’autre. Georg Adam Junker enseigne successivement à un public militaire adulte (les officiers français cantonnés à Hanau, sa ville natale, au moment de l’occupation française de la Hesse en 1760), aux jeunes élèves de l’École royale militaire dans les années 1760 et comme maître de langue indépendant dans le Paris des années 177011. Schwartz, son collègue à l’École royale militaire, enseigne quant à lui pendant huit ans au régiment d’infanterie du Roi, puis dans l’Académie des langues de O’Reilly. Comme le souligne Ulrike Krampl, le prestige des établissements militaires royaux facilite la transformation de leurs anciens maîtres de langues en « entrepreneurs d’éducation »12.

Les supports didactiques utilisés, les méthodes employées et les résultats obtenus par ces maîtres de langues restent mal connus. Seuls les enseignements les plus institutionnalisés ont laissé des traces : les fascicules d’exercices publics des écoles militaires donnent ainsi une idée des ouvrages étudiés au cours de l’année, sur lesquels les élèves sont interrogés. Pour le reste, il est possible que beaucoup de maîtres aient partagé l’avis de Le Roi, ancien professeur au collège du Cardinal-Lemoine, selon lequel,

quant à l’allemand, il ne s’agit que d’avoir un maître qui tienne lieu du meilleur livre élémentaire. Car en fait de langue, aura-t-on jamais des livres élémentaires au goût de ceux qui les enseignent, tant les façons de penser varient13.

La diversification des contextes d’enseignement s’est malgré tout accompagnée d’une floraison de supports didactiques, qui participent dès la fin du XVIIe à la « disciplinarisation » de l’allemand, c’est-à-dire à la définition de contenus, d’instruments et de finalités propres à son apprentissage14. L’histoire de la production de ces instruments correspond aux deux temps forts du développement de l’enseignement de l’allemand retracés plus haut.

Des « méthodes pour apprendre la langue allemande » sont publiées dès la seconde moitié du XVIIe siècle. Leur production reflète l’intérêt intellectuel croissant pour les questions grammaticales, les besoins pratiques des voyageurs et les circonstances guerrières et politiques de l’annexion de l’Alsace, puis de Strasbourg au royaume, en 168115. Ces méthodes incluent en général une grammaire et quelques dialogues de conversation courante, utiles aux voyageurs comme aux militaires. Auteur d’un Art de parler allemand publié en 1690, Léopold privilégie ainsi pour ses exemples « des termes et des expressions qui regardent la guerre, parce que je les ai jugés les plus nécessaires »16. En quelques décennies paraissent à Paris les méthodes de Pierre Bense-Dupuis (1643, 1658 et 1674), de Johann Perger (1665 et 1681), de D. J. Heim (1673) et de C. Léopold (1690, avec des rééditions en 1728, 1744 et 1761)17. Cette production connaît son pendant à Strasbourg, au moment où l’annexion à la France suscite une floraison de dictionnaires, de grammaires allemandes et françaises destinées aux maîtres de langues qui enseignent aux élites sociales, à l’administration et à l’État major18. Les imprimeurs reprennent alors certains des titres parisiens (la grammaire de Perger est publiée en 1693 par F. G. Schmuck) ou publient des titres propres, comme la Méthode abrégée pour apprendre en peu de tems la langue allemande de J. de La Champagne (Schmuck, 1689)19. Cette floraison n’a qu’un temps. La production se stabilise ensuite, dominée par la Nouvelle méthode complette pour apprendre la langue allemande par le moyen de la françoise, qui paraît six fois entre 1711 et 1747, d’abord chez la veuve Jean-Frédéric Spoor, puis chez Jean Renaud Dulsecker.

Germanophones ou francophones, les auteurs de cette première période sont dans leur grande majorité des praticiens de l’enseignement, des maîtres de langues exerçant leurs talents auprès des grandes familles de la noblesse ou dans les compagnies militaires. Perger dédie les éditions successives de sa grammaire à ses élèves les plus prestigieux : Coislin, le marquis de Pont-Château, le comte de La Roche-Bernard, le duc de La Rochefoucault et son frère, marquis de Liancourt. Heim évoque dans sa dédicace les talents précoces du marquis de Rambouillet, garçonnet de cinq ans. Pierre Deschamps, dont la grammaire paraît à Besançon en 1684 et 1690, est professeur de langues et de géographie de la compagnie du comte de Montcault, gouverneur de la citadelle de la ville20.

La production d’outils pédagogiques connaît un second temps fort dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. À cette époque, l’allemand n’est plus seulement considéré comme la langue des foires et des champs de bataille, mais aussi comme un idiome savant et littéraire. La production de grammaires allemandes pour un public français est fortement marquée par la publication de la Grundlegung einer Deutschen Sprachkunst de Johann Christoph Gottsched (1748), traité sur la langue allemande qui marque un tournant dans la grammaticalisation de cette langue21. Les recueils de textes allemands préparés pour servir de support à l’enseignement se multiplient dans les années 1760. Il s’agit de volumes composites rassemblant, selon les cas, des fables, des anecdotes historiques, des dialogues instructifs, des maximes de sagesse. La Nouvelle méthode allemande publiée par Gérau de Palmfeld en 1768 inclut ainsi un « dialogue entre un Allemand et un Français qui veut apprendre la langue allemande », des fables d’Ésope et de Gellert, des prières et des formules de politesse utiles en différentes circonstances. Enfin, de nouveaux dictionnaires bilingues complètent l’arsenal pédagogique22.

Illustration n° 1 – Georg Adam Junker, Introduction à la lecture des auteurs allemands pour l’usage de l’École royale militaire, servant de suite aux Nouveaux principes de la langue allemande, Paris, Musier fils, 1763.

Dans cette seconde moitié du XVIIIe siècle, l’enseignement militaire et aristocratique est toujours le principal creuset de la production pédagogique. La Grammaire allemande de Gottsched est traduite en 1753 par Gottfried Quand à l’« occasion d’enseigner cette langue à plusieurs seigneurs »23. Gérau de Palmfeld, qui en revoit l’édition en 1766, est professeur d’allemand des pages de la Grande Écurie du roi, de la reine et de la dauphine. Junker rédige ses Nouveaux principes de la langue allemande pour les officiers cantonnés à Hanau et les fait rééditer à l’usage de ses élèves de l’École royale militaire. Corneille de La Pierre, qui publie à Strasbourg ses Élémens de la langue allemande, est professeur d’allemand et d’italien aux officiers du régiment d’infanterie du Roi. Clairement mentionnées sur les pages de titre, ces assignations institutionnelles ont une forte valeur distinctive qui facilitent la migration des outils vers des contextes pédagogiques variés.

Leur production reflète une expérience personnelle d’enseignement, doublée d’une capacité de « réduction en art » de leur pratique quotidienne, enrichie enfin par un climat général d’intérêt pour les questions pédagogiques et pour la didactique des langues24. Les recueils de textes produits dans les années 1760 se ressentent des réflexions sur les éditions latines pour les petites classes des collèges et sur la difficulté du maniement des dictionnaires par des élèves débutants. L’Introduction à la lecture des auteurs allemands pour l’usage de l’École royale militaire de Junker (1763) est un recueil de fables de Gellert enrichi d’un important appareil de notes infrapaginales, qui doit permettre aux élèves de s’affranchir de l’usage des dictionnaires, dont aucun ne trouve grâce aux yeux de l’auteur. Le texte est imprimé en caractères romains, avec un large interligne permettant de placer au-dessus des mots des appels de notes renvoyant à des précisions de vocabulaire (« 1 Ich, je. 2 haben, avoir, etc. ») ; les constructions complexes, également éclaircies en note de bas de page, sont signalées dans le texte par des astérisques (« CONSTRUCTION : Ich habe gehabt einen traurigen Traum, etc. ») (ill. 1).

La Nouvelle méthode allemande publiée par Gérau de Palmfeld en 1768 présente une mise en page différente. Les textes élémentaires de la première partie sont également composés avec un très large intervalle interlinéaire, mais celui-ci est directement utilisé pour insérer, en caractères italiques et de plus petit corps, la signification des mots en français ; la traduction française est insérée à la fin de chaque période en corps romain encore plus petit. Le texte allemand seul, lu par le maître puis par l’élève au début de la leçon, se trouve à la fin du volume (ill. 2). Le travail sur l’espace graphique du manuel rappelle les solutions typographiques élaborées dans le cadre de la didactique du latin, même si l’espace interlinéaire reste ici employé comme une « boîte à outils », et non comme l’endroit idéal où glisser la traduction du texte25.

Illustration n° 2 – Gérau de Palmfeld, Nouvelle méthode allemande, selon le traité de la manière d’apprendre les langues, Paris, veuve Regnard, 1768.

DES OUTILS À DOUBLE SENS

Dans cette production pédagogique, Paris et Strasbourg se taillent la part du lion. Les productions extérieures à ces deux villes sont rares, limitées aux autres villes de garnison et de frontière (Besançon, Colmar) ou à quelques configurations particulières26. Cette bipolarisation est d’ailleurs un phénomène de longue durée, qui se prolonge pendant tout le XIXe siècle27.

L’importance de la production parisienne s’explique classiquement par la puissance de ses libraires et par la concentration locale des auteurs et du public visé. Celle de Strasbourg qui, en nombre de titres, fait pratiquement jeu égal avec la capitale, reflète une tradition ancienne de production d’outils linguistiques, liée à la situation de frontière et aux circonstances politiques et militaires28. Elle est réactivée, dans la seconde moitié du siècle, par le regain de la librairie strasbourgeoise. À partir des années 1750-1760, à la faveur des progrès de l’intégration au royaume, d’une demande croissante de lecture et d’une nouvelle génération d’imprimeurs, la production de livres augmente : Strasbourg tire parti de sa position géographique pour n’être plus seulement un « entrepôt de livres » dans le commerce entre la France et le monde germanique, mais un lieu où sont produits un nombre croissant d’ouvrages de sciences, de voyage ou de littérature29. Le relatif confinement du marché favorise néanmoins le développement de rivalités entre les principaux libraires : celle qui oppose les Dulsecker et leur concurrent Koenig s’exprime jusque dans les années 1760 par la publication de deux séries de méthodes allemandes, aux préfaces souvent assassines30.

La localisation particulière de cette production pédagogique n’est pas indifférente et ses enjeux méritent d’être étudiés du point de vue de la didactique des langues. Les productions strasbourgeoises semblent en premier lieu particulièrement sensibles à la réversibilité des supports pédagogiques, les ouvrages étant conçus pour être utilisables autant par des Français apprenant l’allemand, que par des germanophones apprenant le français31. Certes, les exemples de cette utilisation à double sens ne manquent pas non plus parmi les productions parisiennes. La page de titre de l’Art de parler allemand de C. Léopold, dans son édition de 1744, le présente comme un ouvrage « très utile à tous les Français qui veulent apprendre l’allemand, et à tous les Allemands qui veulent apprendre le français ». Les nombreux dialogues bilingues insérés dans les grammaires en font en effet un instrument à double sens. Dans l’abrégé de ses Nouveaux principes de la langue allemande (1769), Junker utilise d’ailleurs les dialogues rédigés par le huguenot François Roux, professeur de français à l’université d’Iéna, pour ses élèves allemands.

Si elle n’est pas inhabituelle, la réversibilité des supports apparaît comme une dimension particulièrement soignée par les libraires strasbourgeois, attentifs aux besoins complémentaires de leur double clientèle, francophone et germanophone, qu’il s’agisse de leur bassin local ou des marchés « nationaux » de part et d’autre du Rhin. Cette dimension s’accentue même à partir du milieu du XVIIIe siècle, avec le développement de l’enseignement du français dans les écoles de la province. Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, malgré les progrès de l’enseignement et de la pratique du français, la population reste en effet très majoritairement germanophone, qu’il s’agisse des couches moyennes urbaines ou des milieux commerçants et intellectuels. En Alsace, un certain nombre de collèges jésuites (Sélestat, Rouffach, Molsheim et Haguenau) ne dispensent leurs enseignements qu’en allemand. Les outils pédagogiques restent dans cette langue, en particulier ceux qui servent pour l’enseignement du latin32. Les lieux où l’on apprend la langue royale se multiplient pourtant au cours du siècle. Le français est enseigné au gymnase de Strasbourg à partir de 1751, au gymnase de Colmar à partir de 1765. On apprend également le français dans celui de Bouxwiller, à l’école commerciale fondée à Mulhouse en 1781 ou à l’Académie militaire fondée par Pfeffel à Colmar en 1773.

Le développement de l’enseignement du français dans les villes alsaciennes a suscité la production de quelques supports rédigés ad hoc par les professeurs de l’établissement33 ou récupérés de la didactique allemande du français34. Ces instruments répondent à un besoin local et circulent peu. D’autres ont connu une fortune plus large, liée à la pluralité des usages auxquels les prédispose leur conception éditoriale. Deux modèles sont alors développés. Le premier, ancien, est celui du format bilingue, adapté aux besoins des écoliers comme à ceux d’un public adulte qui cherche à se distraire et à perfectionner son usage de la langue. En 1758 paraissent chez Koenig la Vie et les fables d’Ésope avec des réflexions morales en français et en allemand ; en 1772, chez Bauer, un Recueil historique, ou Choix de pièces morales, instructives et amusantes, en français et en allemand pour l’usage des amateurs des deux langues composé par Junker. Dans les deux cas, le texte allemand et le texte français se font face. On peut ajouter à cette catégorie les dictionnaires bilingues composés « à l’usage des deux nations » dont Koenig se fait une spécialité à partir des années 1760.

Le second dispositif éditorial consiste à faire paraître simultanément les versions française et allemande du même texte. Le meilleur exemple de ce coup de force, qui joue sur la réversibilité des supports pédagogiques, est le Magasin historique pour l’esprit et le cœur de Théophile Conrad Pfeffel, qui paraît à Strasbourg en 1764, en allemand (caractères gothiques) et en français (caractères romains). L’ouvrage (réédité en 1768 et 1788) correspond d’abord à un réel besoin pédagogique, celui de l’apprentissage de la langue française dans les villes alsaciennes. L’idée de publier un recueil d’anecdotes destiné à servir de livre de lecture pour les enfants vient de l’éditeur et libraire Jean Geoffroy Bauer qui contacte Théophile Conrad Pfeffel, dont la renommée comme poète, fabuliste et dramaturge est déjà bien établie. L’ouvrage rassemble, dans un désordre que l’auteur reprochera à son éditeur, trois cents anecdotes tirées des historiens français, Rollin, Vertot ou Raynal, qui magnifient les vertus et les valeurs. Dans l’esprit de Pfeffel, la version allemande est une sorte de « livre du maître » permettant à l’enseignant de dicter un texte aux élèves et de les faire travailler sur la traduction française, avant de les faire retraduire le texte en allemand. Ce texte a connu un immense succès : il a été utilisé pendant une bonne partie du XIXe siècle comme premier livre de lecture française par les écoliers allemands35.

Mais l’ouvrage se plie à d’autres usages que ceux de l’enseignement du « français langue étrangère » : il sert également de livre de lecture français aux petits Français, « comme très propre à leur faire goûter l’instruction par l’attrait de l’amusement » (Avis, 1788), à une époque où se développe une littérature récréative explicitement composée pour les enfants. Dans le même temps, sa version allemande est utilisée pour l’enseignement de l’allemand dans les collèges français. L’École royale militaire de Paris en possède 196 exemplaires, dont 68 sont qualifiés de « vieux », usés par les élèves, dans l’inventaire de 1776. Le texte est utilisé pour les exercices de version des élèves des collèges militaires de Pontlevoy, de Rebais et d’Effiat, de même que les fables d’Ésope en version bilingue. La pluralité des usages pédagogiques possibles démultiplie les marchés potentiels, dans un paysage éducatif lui-même très éclaté. Le choix d’une double édition allemande et française est également celui que fait Junker en 1784 pour le Colomb et le Robinson de Campe. L’explication qu’il en donne dans la préface confirme les avantages économiques de la formule, qui ouvre des clientèles plus larges que le format bilingue.

On avait d’abord intention de faire imprimer la traduction française de ces deux ouvrages vis-à-vis du texte allemand ; mais on en a été détourné, surtout par la considération qu’un tel arrangement serait trouvé dispendieux à l’égard des enfants et des jeunes gens à qui l’on voudrait faire lire ces livres uniquement pour les bonnes choses qu’ils contiennent, et sans aucunes vues relatives à la langue dans laquelle ils ont été écrits. On la donnera donc séparément et le plus tôt qu’il sera possible36.

GOTHIQUE OU ROMAIN : TRAJECTOIRES SOCIALES ET TYPOGRAPHIQUES

La localisation strasbourgeoise de cette production pédagogique a, en second lieu, des implications typographiques. Dans les ouvrages imprimés à Paris, l’emploi des caractères romains, y compris pour les termes allemands, s’impose de lui-même. En effet, les ateliers parisiens ne disposent pas de types gothiques. À cette époque, seul un petit nombre en sont pourvus, principalement à l’est du royaume : Strasbourg, mais aussi Colmar et Metz. Dans d’autres villes, comme à Lyon ou à Lille, les lettres allemandes ne subsistent plus qu’à l’état de reliquat et ne servent sans doute plus qu’à l’impression des frontispices ou de livres liturgiques37. L’emploi du caractère romain ne semble d’ailleurs poser aucun problème aux auteurs, qui sont unanimes à considérer qu’il permet une meilleure lisibilité du texte. Dans le même temps, les difficultés de la lecture en gothique sont minorées et rapidement évacuées. En 1665, Johann Perger se contente d’insérer un alphabet gothique en début d’ouvrage : sans doute la finalité est-elle moins d’apprendre à lire que de réussir à s’exprimer et à se faire comprendre. Un siècle plus tard, Gérau de Palmfeld ne fait pas autrement :

la différence qu’il y a entre ces deux sortes de caractères est si petite, qu’un exercice d’une heure ou deux suffit pour se les rendre familiers38.

Seul Léopold, dans l’Art de parler allemand qui paraît à Paris en 1690, signale que son choix s’est fait par défaut : comme

il n’y a point de caractères allemans dans ce païs-ci, j’ai été même obligé de faire imprimer l’allemand en caractères françois39.

En invoquant l’argument de la lisibilité pour un lectorat francophone, les auteurs imprimés à Paris font-ils simplement de nécessité vertu ? A contrario, là où ils le peuvent, à Strasbourg, les libraires impriment communément les méthodes à l’aide d’une typographie double, gothique pour l’allemand, romaine et italique pour le français, comme cela se fait usuellement dans l’espace germanophone40. Quoi qu’il en soit de la difficulté à lire des textes composés en gothique, les jeunes gens qui apprennent l’allemand y sont très tôt confrontés, puisqu’on les fait communément travailler sur des livres venus de l’Empire : au XVIIIe siècle, les fables de Gellert, la Mort d’Abel de Gessner, la Messiade de Klopstock ou le drame Minna von Barnhelm de Lessing, figurent dans les exercices des écoles militaires. Le premier recueil de textes allemands que l’École royale militaire fait imprimer à Strasbourg à l’usage de ses élèves est d’ailleurs en caractères gothiques (Auserlesene Gespräche zum Gebrauche der königlichen Kriegs-Schule, Heitz, 1761). Mais l’argument de la lisibilité n’est pas tout à fait vain, dans la mesure où il est évoqué jusque dans des publications strasbourgeoises. En 1787, la préface du Dictionnaire de poche allemand-françois et françois-allemand édité par Koenig précise qu’

on a résolu de faire imprimer l’allemand en caractères latins, pour en faciliter la lecture aux Français, que souvent la forme gothique des lettres allemandes rebute plus que les difficultés de la langue.

Le choix des caractères ne peut pas être rapporté à de simples contraintes techniques. Chez des auteurs germanophones, il fait nécessairement écho aux querelles qui opposent depuis le XVIe siècle partisans des caractères gothiques et des caractères latins41. Il n’est pas dissociable de prises de position culturelles et philosophiques sur la langue allemande, elles-mêmes liées à la position des acteurs dans le champ littéraire. La « conversion » de Georg Adam Junker aux caractères gothiques peut ainsi être rapprochée de sa trajectoire sociale d’homme de lettres désargenté, à la recherche de protecteurs et de sources de revenus. Né en 1716 à Hanau, il fait ses études à Halle et Iéna42. Revenu dans sa ville natale, il en dirige l’école de 1746 à 175143 puis accompagne à Göttingen, comme précepteur, les deux jeunes barons d’Edelsheim, Wilhelm et Georg Ludwig44. Il y passe quelques années et est admis à l’Académie des Belles-Lettres. Pendant cette période, il participe à de grandes entreprises littéraires et est probablement membre d’une Deutsche Gesellschaft, société de poètes et de lecteurs préoccupés de la promotion de la langue et de la littérature allemandes45. De retour à Hanau au moment de l’occupation française, il fréquente les officiers français qui occupent le territoire, à qui il dispense des leçons d’allemand46. Il publie en 1760 ce qui est probablement le fruit et le support de sa pratique pédagogique, les Nouveaux principes de la langue allemande à l’usage des Français, dédiés au prince de Soubise, qui commande alors l’armée du Rhin. Ces officiers, d’une certaine manière, le ramènent dans leurs bagages. En 1761, Junker arrive en France et en 1762, à la faveur d’une réforme pédagogique et administrative, il est nommé professeur d’allemand à l’École militaire de Paris.

Dès son entrée dans l’établissement, Junker comprend l’effet d’aubaine que constitue le marché captif des élèves royaux, et entreprend de produire ses propres manuels. Comme on l’a vu, il adapte d’abord à l’usage des élèves de l’École royale militaire la grammaire allemande qu’il avait éditée trois ans plus tôt à Hanau (1762). Il en donne quelques années plus tard une nouvelle édition remaniée (1768), ainsi qu’un abrégé (1769). Il produit en second lieu des textes de langue sur lesquels s’entraînent les élèves : une Introduction à la lecture des auteurs allemands (1763) et des Freie Gedanke (...) ou Pensées libres sur différentes parties de l’art de la guerre (1764). En 1769, il soumet encore à l’établissement un projet d’ouvrage intitulé Pratique des principes de la langue allemande, ou suite de thèmes accommodés aux règles de la grammaire, qui permettrait aux élèves de se dispenser de l’usage des dictionnaires, qu’il juge tous mal faits47.

Cette prolixité s’explique en partie par des conditions matérielles extrêmement favorables. Pour les Nouveaux principes et l’Introduction à la lecture des auteurs allemands, le privilège est accordé au directeur de l’École, Dufresne d’Aubigny, qui en paie sans doute les frais avant de le rétrocéder à Junker. Pour les Pensées sur la guerre, Junker obtient une préemption par l’établissement d’un nombre important d’exemplaires, qui lui permet de payer son imprimeur. L’institution apprécie son engagement : en 1764, le Conseil de l’Hôtel lui accorde une gratification extraordinaire de 300 ll. pour marquer « la satisfaction qu’il a de ses services », et particulièrement des Pensées sur la guerre48. Malgré ce dévouement au service de l’institution, Junker y reste moins d’une décennie : en novembre 1769, il est prié de quitter les lieux avec femme et enfants49. Il est possible que ses constantes sollicitations financières aient fini par lasser le Conseil et que ses créanciers, qui harcèlent en permanence le trésorier de l’Hôtel pour faire opposition sur ses appointements, aient eu le dernier mot50.

Dans la préface de ses Nouveaux principes de la langue allemande publiés en 1762, Junker reprend des arguments classiques sur la meilleure lisibilité des caractères romains – le lecteur un peu débrouillé saura ensuite s’habituer rapidement aux caractères gothiques.

C’est plutôt la réflexion que la nécessité qui m’a fait substituer des lettres latines à celles dont on imprime communément les livres allemands. Ces caractères gothiques ne se trouvaient pas à la vérité dans les imprimeries de Paris, mais on aurait pu y remédier, et Messieurs les supérieurs de l’École royale militaire, attentifs à tout ce qui peut être utile à la jeune noblesse que le roi confie à leurs soins, étaient disposés d’en faire fondre de nouveaux, si j’avais pensé que cela eût pu contribuer en quelque chose à l’avancement de ceux à qui l’ouvrage est destiné principalement. J’ai cru qu’il était à tous égards plus convenable d’employer des caractères déjà connus, vu qu’il y aurait alors une difficulté de moins. Il est vrai que pour lire les livres allemands, il faut en connaître les lettres ; mais il n’est pas moins vrai aussi qu’un François, dès qu’il sait les principes de la langue, n’a aucune peine de se rendre les lettres allemandes familières, qui l’auraient fatigué au commencement. D’ailleurs quelques pages imprimées en caractère allemand qu’on trouvera à la fin du livre dans le supplément, remédieront à tout inconvénient qu’on pourrait s’imaginer de trouver dans une grammaire allemande imprimée en lettres françaises51.

Un alphabet allemand et un Deutscher Text zur Uebung im Lesen, tiré du Daphnis de Gessner, sont donc insérés, sans pagination, à la fin de l’ouvrage. Le parti pris n’aurait rien que de très banal dans un ouvrage pédagogique, s’il ne se doublait d’une déclaration de principe plus générale :

Je ne doute pas que l’usage du caractère rond ou latin ne devienne même en Allemagne plus commun qu’il n’y a été jusqu’ici.

En encourageant à l’abandon de ces caractères

qui ne sont que des monuments du mauvais goût des siècles passés et qui, en dépit de l’art et du goût industrieux des Breitkopf, donneront toujours un air barbare et grotesque à nos meilleures productions,

Junker ne défend pas une position isolée. À cette époque, certains imprimeurs de l’autre côté du Rhin préfèrent abandonner les caractères allemands pour satisfaire au canon esthétique du classicisme typographique dominant et faciliter la circulation de leurs productions en Europe52. Le graveur allemand Johann Georg Wille, qui joue à Paris un rôle central de relais de la culture allemande en France, plaide dans les mêmes années pour l’adoption des caractères latins, « car les caractères allemands sont, quoi que l’on fasse, une horreur aux yeux des étrangers »53.

Comment expliquer alors que la troisième édition des Nouveaux principes paraisse à Strasbourg, en 1780, chez Koenig, en caractères gothiques ? Le positionnement propre de l’éditeur n’est sans doute pas à négliger dans cette affaire. Koenig est un protagoniste actif de la librairie et de la vie culturelle strasbourgeoise. Il est le premier à ouvrir un cabinet de lecture dans la ville, dès 1748. Il est lié à la Deutsche Gesellschaft de Strasbourg, qui constitue, à l’image de celle de Leipzig, une petite société de lecteurs attachés à la promotion de la langue et de la littérature allemandes. Il entretient même des relations personnelles avec Gottsched54. Dans l’Avis de l’éditeur qu’il signe de son nom, il justifie la mutation typographique par les critiques qui ont accueilli l’ouvrage :

Car, persuadés que le caractère dit allemand était aussi propre à la langue allemande que le caractère grec, par exemple, l’est à la langue grecque, ces messieurs [ceux qui ont trouvé à redire aux précédentes éditions] ne pouvaient ne pas regarder comme un défaut, l’usage d’imprimer de l’allemand en lettres romaines ou françaises.

Les recensions dont il se fait l’écho ne proviennent probablement pas des périodiques français, mais bien plutôt de l’autre côté du Rhin : en 1781, le compte rendu de l’Allgemeine deutsche Bibliothek souligne immédiatement la nouvelle donne typographique55. L’évocation de la consubstantialité du « caractère dit allemand » à la « langue allemande » est significative de la persistance d’un courant de fond qui confère au caractère gothique une dimension d’identification collective, bien avant que la nouvelle donne politique et culturelle du tournant du siècle n’en dramatise la signification56. Les réactions recueillies par Wieland après la publication de ses Œuvres complètes en beaux caractères latins (1793) manifestent la préférence ordinaire de lecteurs de tous milieux sociaux, y compris de lecteurs étrangers, anglais et français, à lire « des livres allemands avec des lettres allemandes »57. Sans préjuger des convictions intellectuelles personnelles de Koenig, son arbitrage s’explique peut-être par la connaissance qu’il a des habitudes de lecture de sa clientèle.

L’auteur en est-il pour autant déjugé ? Le retournement typographique des Nouveaux principes n’est sans doute pas non plus sans lien avec l’infléchissement significatif que connaît la carrière de Junker après son limogeage de l’École royale militaire en 1769 et avant qu’il n’y soit réintégré, en tant que professeur de droit public et particulier, en 178458. Pendant ces quinze années de traversée du désert, Junker ne quitte pas Paris. Comme on l’a vu, il utilise la gloire de son ancienne fonction pour s’insérer sur un marché pédagogique en expansion. En 1777, l’École lui accorde une pension de 1000 ll, en reconnaissance des services anciennement rendus à l’établissement, mais ses créanciers en rendent le versement aléatoire59. Il tente enfin de compléter ses revenus par des travaux de plume. Outre des compilations pour les imprimeurs avignonnais Girard et Seguin60, il produit des traductions de l’allemand vers le français pour les libraires parisiens. Ses traductions de Klopstock, Wieland, von Teubern ou Mendelssohn en font un des principaux « passeurs » de la littérature allemande contemporaine ; son Théâtre allemand, publié avec Liébault en 1772, est la première somme dramaturgique contemporaine mise à disposition du public français61. Il réalise également des traductions du français vers l’allemand, qui paraissent toutes à Strasbourg chez Bauer au début des années 1770 : ce sont en particulier des dissertations médicales comme l’essai de Jacques-Agathange Le Roy sur les usages médicaux de l’écorce du garou (1767, trad. 1773) et le traité du remède pour guérir le cancer de Guillaume-René Le Febvre, l’année même de sa parution en français (1775). Les impressions strasbourgeoises de sa grammaire en 1780, puis de son Robinson en 1784, parachèvent cette trajectoire éditoriale. À l’évidence, la déchéance institutionnelle de Junker a facilité sa réorientation vers le travail de traduction et vers la librairie strasbourgeoise, dont il est plus enclin à partager les arbitrages typographiques et commerciaux.

Les livres pour l’enseignement de l’allemand ne constituent évidemment qu’une partie des ouvrages pédagogiques produits par les imprimeurs et libraires strasbourgeois au cours du XVIIIe siècle. Mais mieux sans doute que les rudiments latins ou les traités de mathématiques qui sortent des mêmes presses, les méthodes de langues éclairent les bénéfices que l’histoire du livre peut tirer des approches spatiales62. Il faut envisager que la localisation d’une production induise des effets dans la manière de penser la composition intellectuelle et matérielle d’un ouvrage, parce qu’elle s’appuie sur l’outillage mental des acteurs locaux de l’économie, et sur des compétences techniques et commerciales qui sont le fruit de configurations temporelles et spatiales particulières. Dès l’époque moderne, on voit ainsi jetées les bases de ce qui a longtemps fait la singularité de l’édition des manuels scolaires d’allemand : une sensibilité particulière à la conjoncture politique, l’importance du pôle strasbourgeois et l’usage des caractères gothiques, attestée jusqu’au début des années 1950, qui assure aux imprimeurs de l’Est de la France, rompus à leur maniement, un rôle important dans la production63.

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1 Robinson der Jüngere, zur angenehmen und nützlichen Unterhaltung für Kinder. C’est-à-dire, Robinson le jeune, amusement utile pour les enfans, Strasbourg ; Paris, chez l’éditeur et Couturier, 1784. Columbus, oder Die Entdekkung von Westindien, ein angenehmes und nützliches Lesebuch für Kinder und junge Leute. C’est-à-dire, Colomb, ou La découverte des Indes occidentales, lecture amusante et utile pour les enfans et jeunes gens, Strasbourg ; Paris, chez l’éditeur et Couturier, 1784.

2 Paul Lévy, La Langue allemande en France, Paris et Lyon, IAS, 1950. Jean Caravolas, Histoire de la didactique des langues au siècle des Lumières, Montréal, Presses de l’université ; Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2000, pp. 89-95. Ulrike Krampl, « Fremde Sprachen, Adelserziehung und Bildungsmarkt im Frankreich der zweiten Hälfte des 18. Jahrhunderts », dans Helmut Glück, Mark Häberlein (dir.), Militär und Mehrsprachigkeit im neuzeitlichen Europa, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2014, pp. 97-112.

3 Daniel Porquet, L’École royale militaire de Pontlevoy. Bénédictins de Saint-Maur et boursiers du roi, 1776-1793, thèse sous la direction d’O. Chaline, Paris-IV, 2011, p. 28.

4 Par exemple, pour l’année 1771, pp. 34, 86, 116, 135, 139, 152 bis, 171. Pour la période suivante, François Cadilhon, Jean-Luc Garret, « L’enseignement de l’allemand au lycée de Bordeaux (1809-1940) », dans Alain Ruiz (éd.), Présence de l’Allemagne à Bordeaux du siècle de Montaigne à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1997, pp. 235-241.

5 L’État ou tableau de la ville de Paris signale en 1763 le Saxon Cocceius, Marchand et Rhombius fils (p. 181), l’Almanach astronomique et historique de la ville de Lyon signale M. Schmidt en 1773, Jean de Latena en 1787 et le Saxon Brunner en 1789.

6 État ou tableau de la ville de Paris, Paris, Prault père, 1763, p. 139.

7 Dominique Julia, « École militaire », dans Marie-Madeleine Compère, Dominique Julia, Les Collèges français, 16e-18e siècles. Répertoire 3. Paris, Paris, INRP, 2002, pp. 413-422.

8 V. Thiéry, Guide des amateurs et des étrangers voyageurs à Paris, Paris, 1787, t. II, p. 560. L’allemand est également proposé dans l’Institution pour la jeune noblesse de l’abbé Moret (p. 561), dans le Cours d’éducation de M. Verdier (p. 154), etc.

9 Porquet, L’École royale militaire de Pontlevoy, p. 296.

10 Jean-Baptiste Mailly, Fastes juifs, romains et françois, ou Élémens pour le cours d’histoire du collège Godran de Dijon, Dijon, l’auteur et L. N. Frantin, Paris, Barrois jeune et Moutard, 1782, p. iii. Journal de Champagne, 18 octobre 1784.

11 Il tient trois fois par semaine un cours de grammaire allemande (mais aussi de droit, de géographie et d’histoire) dont il fait la publicité par la voie des petites affiches (Krampl, « Fremdsprachen », p. 109).

12 Krampl, « Fremdsprachen », p. 108. On n’a pas de travaux sur les maîtres de langue allemande sous l’Ancien Régime. Pour la période suivante, Michel Espagne, Françoise Lagier, Michael Werner, Le Maître de langues. Les premiers enseignants d’allemand en France (1830-1850), Paris, Éd. de la MSH, 1991.

13 Lettre d’un professeur émérite de l’Université de Paris, en réponse au R. P. D. V... Prieur de... religieux bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, sur l’éducation publique, au sujet des exercices de l’abbaye royale de Sorèze, Bruxelles et Paris, Brocas, 1777, p. 224.

14 Alain Chervel, « L’histoire des disciplines scolaires. Réflexions sur un domaine de recherche », dans Histoire de l’éducation, 18, 1988, pp. 58-119.

15 La relation très forte qui existe alors entre la tendance à l’apprentissage de l’allemand et l’évolution de la conjoncture internationale se retrouve à l’époque contemporaine : voir Alain Choppin, Fabiola Rodriguez, Bertrand Pinhède (éd.), Les Manuels scolaires en France de 1789 à nos jours. 5. Les manuels d’allemand, Paris, INRP – Service d’histoire de l’éducation, Publications de la Sorbonne, 1993, pp. 24-25.

16 C. Léopold, Art de parler allemand, Paris, l’auteur et J. Boudot, 1690, Avertissement, p. II (rééditions : Paris, 1728, 1744, 1761).

17 P. Bense-Dupuis, Grammaire allemande et française, Paris, E. Danguy, 1643 (rééd. Paris, Vandosme, 1658 et 1674). [D. I. Heim], Nouvelle méthode pour apprendre facilement et en peu de temps la langue allemande. Accompagnée d’une table des principales racines allemandes, Paris, Le Monnier, 1673. Jean Perger, Grammaire allemande et française, ou Nouvelle méthode très facile et très parfaite, pour apprendre la langue allemande.... Ensemble quelques dialogues fort curieux, tirez des meilleurs autheurs allemans, Paris, Variquet, 1665 (rééd. Paris, De Laulne, 1681 et Strasbourg, Schmuck, 1693).

18 Frédéric Barbier, Trois cents ans de librairie et d’imprimerie. Berger-Levrault, 1676-1830, Genève, Droz, 1979, p. 119.

19 J. de La Champagne, Méthode abrégée pour apprendre en peu de tems la langue allemande, Strasbourg, Schmuck, 1689. Grammaire allemande nouvelle et curieuse... pour apprendre très facilement la langue allemande par une métode nouvelle et facile pour s’en servir utilement, avec un recueil de plusieurs entretiens sur toutes sortes de matières, [s. l., s. n.], 1703.

20 Pierre Deschamps, Nouvelle grammaire ou méthode pour apprendre facilement et en peu de temps la langue allemande, Besançon, L. Rigoine, 1684 (rééd. 1690).

21 Phillip Marshall Mitchell, Johann Christoph Gottsched (1700-1766) : harbinger of German classicism, Columbia, Camden House, 1995. Barbara Kaltz, « Gottscheds Sprachkunst und Girards Vrais principes : eine Fallstudie zu Übersetzung und Adaptation in der deutschen und französischen Grammatikographie des 18. Jahrhunderts », dans B. Boie et S. Le Moël (dir.), Traduction et constitution de l’identité. Littérature et nation, 26, 2002, p. 41-64.

22 Nouveau dictionnaire allemand-françois et françois-allemand, à l’usage des deux nations, Strasbourg, Koenig, 1762 (rééd. 1774, 1782, 1789) et Dictionnaire de poche allemand-françois et françois-allemand, Strasbourg, Koenig ; Paris, Barrois le jeune, 1787.

23 La Grammaire allemande de M. Gottsched, professeur de philosophie de l’Université de Leipzig, contenant les meilleurs principes de la langue allemande, dans un ordre nouveau et mise en françois par M. G. Quand, Paris, Debure l’aîné, Jorry [impr.] et Duchesne, 1753 (rééd. 1754 et 1766).

24 L’expression est empruntée à Pascal Dubourg Glatigny, Hélène Vérin (éd.), Réduire en art. La technologie de la Renaissance aux Lumières, Paris, Éd. de la MSH, 2008.

25 Sur le développement des méthodes interlinéaires latines inspirées de Du Marsais, Bernard Colombat, La Grammaire latine en France à la Renaissance et à l’âge classique. Théories et pédagogie, Grenoble, ELLUG, 1999.

26 On connaît ainsi une édition de la pièce scolaire Der Edelknabe réalisée à Clermont-Ferrand en 1782, sans doute pour les besoins des collèges militaires proches, comme Tournon ou Effiat (Michel Bellot-Antony, Dany Hadjadj, « L’enseignement des langues à Riom et Effiat », dans Jean Ehrard (dir.), Le Collège de Riom et l’enseignement oratorien en France au XVIIIe siècle, Paris, CNRS Éd. ; Oxford, Voltaire Foundation, 1993, pp. 191-237, ici p. 220).

27 Choppin, Rodriguez, Pinhède, ouvr. cité, p. 21. De 1789 à 1829, 57 % des manuels d’allemand sont édités à Paris, la proportion s’élevant ensuite continûment. 8 % des manuels de la période 1789-1992 sont publiés en Alsace-Lorraine, principalement à Strasbourg (167), secondairement à Metz (18), Colmar (13) et Mulhouse (6).

28 Simona Negruzzo signale une production importante de grammaires et de livres de conversation dès le premier tiers du XVIIe siècle (L’Armonia contesa. Identità ed educazione nell’Alsazia moderna, Bologne, Il Mulino, 2005, p. 179).

29 Voir l’exemple de l’imprimerie Levrault étudiée par Frédéric Barbier, Trois cents ans de librairie et d’imprimerie. Berger-Levrault, 1676-1830, Genève, Droz, 1979 et celle des Heitz étudiés par Martine Elloy, « Le livre à Strasbourg au XVIIIe siècle », dans Bulletin de la Société académique du Bas-Rhin, XCIV-XCV, 1973-1974, p. 1-71.

30 Les Dulsecker sont les éditeurs de la Nouvelle méthode de Sibour, qu’ils ont reprise de la veuve Spoor et qui paraît jusqu’en 1747, puis des Élémens de la langue allemande de La Pierre qui connaissent trois éditions en 1741, 1756 et 1760. Koenig produit la longue série du Maître allemand ou Nouvelle grammaire allemande méthodique et raisonnée, inspiré de la grammaire de Gottsched, dont dix éditions paraissent entre 1753 et la Révolution, une en moyenne tous les trois ou quatre ans. En 1756, La Pierre défend la réputation de Sibour, attaqué par le Maître allemand, en critiquant violemment la production concurrente, coupable de noyer ses lecteurs dans le « mystérieux jargon des grammairiens » et de leur infliger un volume de « cinq à six cents pages qu’ils s’imaginent être obligés de se fourrer dans la tête avant de pouvoir commencer à parler ».

31 Sur la notion de « manuel réversible », A. Reboullet, « Hollyband ou l’archétype », Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 9, 1992, pp. 1-4.

32 Ces rudiment, recueil de sentences, grammaire ou lexique latins rédigés en allemand in usum Gymnasii Argentoratensis sont publiés jusqu’à la fin des années 1780. Pour une présentation, voir Georges Livet, Pierre Schang (dir.), Histoire du Gymnase Jean Sturm. Berceau de l’université de Strasbourg, 1538-1988, Strasbourg, Oberlin, 1988, pp. 207-216.

33 Une grammaire, une syntaxe et un recueil de textes en prose et en poésie à Strasbourg : voir Werner Westphal, « La langue française au Gymnase Jean Sturm », dans Paul Imbs, Alfred Kern (dir.), Les Lettres en Alsace, Strasbourg, Istra, 1962, pp. 143-153.

34 Pour le gymnase de Colmar, le recteur fait imprimer en 1772 chez l’imprimeur local Decker une édition augmentée de l’Abrégé de la langue françoise en 285 dialogues du philologue prussien Friedrich Muzell (1684-1753), utilisé depuis 1730 en Allemagne pour l’enseignement du français. Marie-Joseph Bopp, « La langue et la culture française à Colmar dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle : le groupe de Pfeffel », dans Les Lettres en Alsace, ouvr. cité, p. 157-178.

35 Gabriel Braeuner, Pfeffel l’Européen. Esprit français et culture allemande en Alsace au siècle des Lumières, Strasbourg, La Nuée bleue, 1994, pp. 30-31. L’ouvrage est imprimé à Strasbourg par J. H. Heitz.

36 Junker, Robinson le jeune, p. VII.

37 Claude Lanette-Claverie, « La librairie française en 1700 », dans Revue française d’histoire du livre, 1972, pp. 3-44 (ici, pp. 14-15), qui précise que le caractère dominant est le Fraktur à Colmar, le Swabacher à Strasbourg. À Metz, Antoine et Collignon disposent d’un gros-romain et d’un cicéro allemand. À Lyon, trois ateliers possèdent une « lettre allemande », sans doute en petite quantité, tandis qu’une « gothique » est également déclarée à Lille.

38 La Grammaire allemande de M. Gottsched, Paris, Duchesne, 1766, préface. Le chapitre I est consacré à la présentation des lettres, le reste suit en romain.

39 C. Léopold, Art de parler allemand, Paris, l’auteur et J. Boudot, 1690, Avertissement, p. IV.

40 Ce n’est pas toujours le cas : lorsque F. G. Schmuck réédite à Strasbourg en 1693 la méthode de Jean Perger, il l’imprime comme il la trouve, en caractères romains.

41 Albert Kapr, Fraktur : Form und Geschichte der gebrochenen Schriften, Mainz, H. Schmidt, 1993. Susanne Wehde, Typographische Kultur : eine zeichentheoretische und kulturgeschichtliche Studie zur Typographie und ihrer Entwicklung, Tübingen, M. Niemeyer, 2000, pp. 216-248. Au XVIe siècle, le choix de Luther de faire imprimer les textes religieux en Fraktur pour en faciliter l’appropriation par la population conduit progressivement à donner aux caractères allemands une connotation populaire, tandis que les caractères latins sont associés à la culture lettrée.

42 À côté des grands dictionnaires biographiques, on trouvera des éléments dans Frédéric Weinmann, « Les premiers traducteurs de la littérature allemande », dans Pierre Béhar, Mi- chel Grunewald (éd.), Frontières, transferts, échanges transfrontaliers et interculturels. Actes du XXXVIe Congrès de l’Association des Germanistes de l’Enseignement Supérieur, Bern, Peter Lang, 2005, pp. 317-329.

43 Il publie en 1750 une Vorläufige Berichte von der Evangelisch Lutherischen Schule zu Hanau.

44 La famille est originaire de Hanau. Georg Ludwig (1740-1814), futur ministre d’État de Bade, a alors une dizaine d’années. Les deux frères sont les dédicataires d’une dissertation académique de Junker publiée en 1756 à Göttingen.

45 Il publie également une réflexion sur Die Vortheile, welche deutsche Gesellschaften hohen Schulen bringen (Göttingen, 1755).

46 Il évoque dans la préface de ses Nouveaux principes de la langue allemande « plusieurs seigneurs françois, aussi distingués par leurs lumières et leurs talents militaires que par leurs grades et leur naissance ».

47 Le Conseil de l’École refuse de donner suite à cette demande et ordonne « qu’au lieu d’ôter aux élèves l’usage des dictionnaires, il faut les accoutumer de bonne heure à s’en servir avec utilité, parce que les dictionnaires allemands ne sont pas plus défectueux que ceux des autres langues, et que les élèves en sortant de l’École royale militaire en auront besoin pour cultiver la langue allemande, et surtout pour écrire des lettres ou donner des ordres par écrit » (Archives nationales, MM 668, fol. 84-85. Conseil de police du 6 novembre 1769).

48 Emmanuelle Chapron, « Des livres « pour l’usage de l’École royale militaire ». Choix pédagogiques et stratégies éditoriales (1751-1788) », dans Histoire, Économie, Société, 2014, pp. 3-16.

49 AN, MM 668, fol. 87v°. Conseil de police du 20 novembre 1769. Le Conseil de l’hôtel évoque « des raisons à lui connues ».

50 D’après une lettre du Conseil au prince de Montbarey, 4 novembre 1778 (AN, MM 671, fol. 173).

51 Nouveaux principes de la langue allemande, Paris, Musier fils, 1762, Préface, p. XXVI.

52 Kapr, Fraktur, p. 63. Wehde, Typographische Kultur, ouvr. cité, pp. 226-227.

53 Élisabeth Décultot, « Wille et les livres : choix et stratégies d’un importateur d’ouvrages allemands en France », dans Élisabeth Décultot, Michel Espagne, François-René Martin (dir.), Johann Georg Wille (1715-1808) et son milieu : un réseau européen de l’art au XVIIIe siècle, Paris, École du Louvre, 2009, pp. 109-124, ici p. 122.

54 Martine Elloy, « Le livre à Strasbourg au XVIIIe siècle », dans Bulletin de la Société académique du Bas-Rhin, XCIV-XCV, 1973-1974, pp. 1-71, ici p. 32.

55 Allgemeine deutsche Bibliothek, 1781, t. 47, pp. 580-584. La 3e édition avait également fait l’objet d’une longue recension de J. J. Eschenburg dans le même périodique (1771, t. 2, pp. 922-937). En France, ni le Journal encyclopédique (décembre 1762), ni les Annales typographiques (janvier 1763), ni le Journal des savants (janvier 1764) n’avaient commenté les choix typographiques initiaux de Junker.

56 Frédéric Barbier, Histoire du livre en Occident, Paris, Armand Colin, 2012 [2000], p. 298.

57 Kapr, Fraktur, p. 64 (lettre à Göschen, 1799).

58 Sa carrière prend alors une autre tournure : ses productions littéraires s’interrompent, le cours de droit public qu’il promet à l’établissement reste inachevé. En 1793, l’Almanach national de France le signale comme professeur de législation à l’école centrale de Seine-et-Marne d’abord établie à Melun, puis transférée à Fontainebleau. C’est dans cette ville qu’il meurt en 1805.

59 AN, MM 674, fol. 118.

60 Un Choix varié de poésies philosophiques et agréables, traduit de l’anglais et de l’allemand paraît en 1770, un Choix de philosophie morale propre à former l’esprit et les mœurs l’année suivante, sans nom d’auteur.

61 Théâtre allemand, ou Recueil des meilleures pièces dramatiques, tant anciennes que modernes, qui ont paru en langue allemande ; précédé d’une dissertation sur l’origine, les progrès et l’état actuel de la poésie théâtrale en Allemagne, Paris, Costard, 1772.

62 Même si la production de textes mathématiques liés à l’exercice militaire n’est pas non plus indifférente aux localisations frontalières : voir le Cours de mathématiques à l’usage de Messieurs les cadets gentilshommes de la citadelle de Strasbourg, Strasbourg, Jean-François Le Roux, 1730, aimablement signalé par Frédéric Barbier d’après un exemplaire de la Bibliothèque municipale de Valenciennes.

63 Choppin, Rodriguez, Pinhède (éd.), Les Manuels scolaires, ouvr. cité, p. 22.