Le livre dans l’économie du don et la constitution des bibliothèques ecclésiastiques à l’époque moderne
Fabienne HENRYOT
Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne, École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib, Villeurbanne)
Que nul, tant Supérieur que simple religieux, ne puisse, sous aucun prétexte, céder, vendre ou mettre à disposition des séculiers quelque livre de la bibliothèque sans l’accord du gardien. Des ouvrages pourront cependant être donnés à un autre couvent, avec l’accord du Discrétoire et la permission des visiteurs. À cette exception, cependant, que ceux qui ont été donnés par un bienfaiteur à quelque couvent, resteront dans ce même couvent1.
C’est en ces termes qu’à la fin du XVIIIe siècle encore, les constitutions des tertiaires réguliers de saint François interdisent aux religieux de se défaire des livres offerts par des bienfaiteurs. Tous les ordres religieux ont porté une unanime attention aux livres reçus par don ou par legs. Au milieu des aumônes en argent, en céréales, en vin, en huile, en sel, en textile, en bois, en luminaire, le livre apparaît comme une denrée qui circule entre le monde et le cloître, sans jamais, en principe, refranchir la clôture dans l’autre sens. Si les autres produits se prêtent à des échanges économiques – revente des matières brutes ou transformées, échanges avec d’autres monastères – le livre y échappe théoriquement, faisant l’objet d’une conservation soigneuse dans les bibliothèques.
Depuis les travaux de Mauss2 et les débats qui ont suivi3, il est devenu impossible de retrancher le concept de don du vocabulaire de la sociologie et de l’anthropologie. Le don, pratique fondatrice des sociétés humaines et stable dans l’espace et dans le temps, n’a rien de spontané. Il obéit à d’implicites contraintes économiques, politiques et morales. Il suppose toujours un retour, troisième moment d’une « prestation totale » qui commence par le don lui-même, puis son acceptation par le bénéficiaire. En ce sens, il appartient aux processus de médiation et structure les relations entre les individus. Les historiens ont souligné les limites d’application des théories de Mauss dans le champ de l’histoire et l’impossibilité de retenir une définition unique de cette notion4. Dans le cas de l’objet-livre, avec tout ce qu’il revêt de symbolique et, parfois, de valeur marchande, il reste cependant pertinent de s’interroger sur la manière dont les contemporains – entre Renaissance et Lumières – ont perçu le don, qu’ils l’aient effectué ou reçu, comment ce geste a été producteur de relations sociales et comment il a fait l’objet d’une gestion rigoureuse – produisant en cela des sources.
Le don de livres au bénéfice des communautés religieuses est un fait enraciné dans le Moyen Âge5. D’un point de vue historiographique, et parce qu’il prête aux livres ayant déjà eu de multiples vies la possibilité de nouvelles appropriations, le don se pose à rebours d’une conception linéaire de la constitution des bibliothèques, où les livres seraient entrés au fur et à mesure de leur parution ou de leur actualité dans les occupations des religieux6. C’est probablement au vide historiographique7 autour du geste du don de livres dans l’orbite des établissements réguliers qu’il faut imputer ce malentendu, dont résultent, notamment le constat erroné que les bibliothèques se sont sclérosées à partir du second tiers du XVIIIe siècle, et l’opposition caricaturale entre culture séculière en plein essor au temps des Lumières et culture régulière en voie de péremption.
Certes, le livre a toujours appartenu à une économie marchande et l’arrivée massive du livre imprimé a suscité, avec de nouveaux publics, de nouveaux marchés, des modes d’échanges impliquant de nouveaux interlocuteurs, des professions spécialisées dans la distribution du livre, des réseaux étendus, enfin une autre forme de régulation des prix. Les ordres religieux sont très vite entrés dans cette économie8. Et pourtant, la permanence du don, y compris en faveur de communautés qui n’ont aucune difficulté à financer la constitution de riches bibliothèques, laisse supposer l’existence d’un espace, dans l’économie régulière, pour des formes d’échanges dont il faut ici qualifier la teneur et les motifs.
Deux faisceaux de questions méritent donc des réponses. Le premier relève de la sociologie : en quoi le don de livres, associant le geste de donner et la mise en circulation des savoirs, est-il producteur de relations humaines ? Qui donne, qui reçoit, pourquoi ? Le second met en exergue les conséquences bibliothéconomiques de cette pratique : en quoi pèse-t-elle sur le contenu, la gestion et les grandes respirations chronologiques des collections conventuelles ?
AMPLEUR, PRINCIPES ET FONCTIONNEMENT DU DON
Tous les ordres, monastiques, canoniaux et mendiants, sans exception, bénéficient de bienfaits sous forme de livres9. Le milieu ecclésiastique parisien en témoigne, où bénédictins, célestins, chanoines réguliers, carmes déchaussés, augustins, capucins etc. fondent leurs bibliothèques sur la proximité de protecteurs aristocratiques et sur l’amitié de dévots érudits10. Dans les provinces, la variété des bénéficiaires des dons est tout aussi sensible. Dans la Bourgogne décrite par le P. Courtépée au XVIIIe siècle, ordres enseignants, hospitaliers, érémitiques, canoniaux, et bien sûr mendiants, dans les villes que sont Dijon ou Auxerre comme dans les petits bourgs comme Saulieu ou Vitteaux, sont les héritiers de collections particulières plus ou moins imposantes11. Les différentes cultures régulières, contemplatives, pastorales, enseignantes ou érudites, bien qu’elles fassent l’objet de perceptions différenciées par les contemporains, suscitent une même générosité. La nuance tient seulement dans l’ampleur du phénomène qui s’accroît, on s’en doute, dans l’univers mendiant : franciscains, minimes, carmes déchaux et dans une moindre mesure, dominicains et augustins doivent à des donateurs une grande part de leurs bibliothèques. Chez les récollets d’Orléans par exemple, dans le dernier tiers du XVIIe siècle, la bibliothèque cumule des livres de provenances diverses, dont un ensemble assez important (11 % des titres) offert par Amable Choque, chanoine de Sainte-Croix, curé de la paroisse Sainte-Catherine et pénitencier du diocèse12. La bibliothèque des carmes de Rennes, entre 1696 et 1774, a augmenté de 1920 volumes, et cet accroissement est dû aux deux tiers à des dons, pour un tiers seulement à des achats auprès des libraires et d’échanges avec d’autres couvents de l’ordre13. C’est dire si, jusqu’à la veille de la Révolution, l’économie du don se porte bien, en milieu urbain tout au moins.
Le fonctionnement du don observe partout les mêmes règles. Un transfert de livres en direction d’une communauté conventuelle ou monastique doit alimenter la bibliothèque commune et ne peut en aucun cas être fait au bénéfice d’un religieux. Si la possession de livres à titre personnel est une tradition ancienne dans l’univers régulier14, la suspicion originelle autour du délit de propriété, contraire à la pauvreté individuelle, connaît à l’époque moderne une nouvelle vigueur. Il s’agit, en imposant la bibliothèque commune comme point unique d’accès à l’écrit, de contrôler l’orthodoxie des religieux et d’empêcher la formation de collections personnelles. Ce dispositif réglementaire est sensible aussi bien chez les mendiants15 qu’au sein des communautés monastiques réformées au cours du XVIIe siècle, tels les bénédictins vannistes16, et encore chez les chartreux au XVIIIe siècle17.
En accueillant ainsi les dons de livres, la bibliothèque a non seulement pour fonction de rendre visible une norme théologique et pastorale, mais aussi de conserver la mémoire des bienfaiteurs et d’honorer leur nom. Elle manifeste l’existence de liens profanes et réguliers tissés autour du cloître et inscrit visiblement toute la communauté régulière, par le jeu des reliures personnalisées des donateurs, des ex-dono et d’autres marques singulières, au cœur de son environnement social. Elle cartographie les cercles dévots, politiques et amicaux dans lesquels prend place la communauté. Elle devient, au même titre que l’église conventuelle où reposent les corps des bienfaiteurs, une sorte de sanctuaire. Les constitutions des dominicains imprimées à l’aube de l’époque moderne rappellent que le bibliothécaire du couvent doit écrire sur chaque livre de quelle manière il est entré dans la collection, le nom du donateur éventuel, avec celui du couvent auquel il appartient18. Les augustins déchaussés, en 1632, font la même recommandation19. L’impression d’ex-legato pour désigner les bienfaiteurs les plus prestigieux montre bien que le don de livres, au contraire de la plupart des actes charitables dont bénéficient les maisons religieuses, n’est jamais anonyme. Il fait même l’objet d’une véritable publicité, qui contente à la fois le donateur, dont la générosité est mise en exergue, et les religieux, dont la collection s’en trouve qualitativement rehaussée. C’est ce que font, par exemple, les dominicains de Lyon lorsqu’ils reçoivent, en 1726, les livres de Paul de Cohade, official de l’archevêché de Lyon, vicaire général et chanoine de Sainte-Croix (ill. 1). Ailleurs, des prières spéciales annuelles sont prévues pour les donateurs de livres, comme l’atteste le nécrologe des cordeliers de Nancy : les bienfaiteurs qui ont contribué à augmenter la bibliothèque sont honorés chaque 28 novembre20.
Le don a alors une forte dimension symbolique, instrumentalisée par les donateurs. Lorsqu’il s’agit de religieux « sortis » de leur ordre du fait d’une carrière ecclésiastique prestigieuse, le fait de transférer leurs livres après leur mort à leur couvent d’attache, en plus de s’y faire inhumer, montre la fidélité à une vocation originelle et symboliquement, le désir de réintégrer l’ordo, le corps dont ils se sont éloignés. Louis Doni d’Attichy, religieux minime, provincial de Basse-Bourgogne, devient évêque d’Autun en 1653. Lorsqu’il meurt en 1664, son testament prévoit son inhumation chez les minimes de Beaune, le legs d’une forte somme d’argent (4 000 l. t.) et le transfert de sa bibliothèque dans ce même couvent21. À Lyon, la bibliothèque des grands carmes des Terreaux garde la mémoire de Robert Berthelot, qui avait fait profession dans ce couvent le 20 août 1579 puis, après vingt-deux années de vie conventuelle marquées notamment par le provincialat de Narbonne, était devenu évêque in partibus de Damas et suffragant de l’archevêque de Lyon. À sa mort en 1630, sa bibliothèque rejoint celle de son couvent lyonnais, et sa dépouille, le cloître voisin22. De la sorte, le corps de Robert Berthelot est redevenu celui d’un simple religieux mais sa bibliothèque reste celle d’un prélat savant ; le religieux appartient à une double mémoire.
Il faut souligner, dans la plupart des cas, le traitement parallèle dont font l’objet le corps et les livres dans les dernières volontés de ces bienfaiteurs, comme s’il s’agissait, finalement, de ne pas séparer le corps et l’esprit du défunt. Le geste des abbés commendataires léguant leurs livres à l’abbaye qu’ils tiennent en bénéfice procède sans doute de la même intention de faire reconnaître l’appartenance à l’ordre. Cette attitude est particulièrement visible au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, au moment, précisément, où la commende fait l’objet d’attaques virulentes. Ces abbés, qui « recueillent une moisson qu’ils n’ont point semée »23 en profitant des revenus d’un établissement monastique, trouvent par ce don l’occasion d’inverser leur image en bienfaiteurs de leur communauté. C’est ce que fait, par exemple, Philippe-Jean Guêtre de Préval, abbé de Perseigne, établissement cistercien dans la mouvance de La Trappe. À son décès le 3 mars 1708, sa bibliothèque revient à son abbaye24. Il a probablement voulu imiter l’abbé de Rancé, mort sept ans plus tôt, et qui avait lui-même offert sa riche bibliothèque en renonçant à la commende à La Trappe et en commençant un noviciat comme un simple religieux.
À ce premier motif de don se superposent d’autres intentions, partagées par la vaste communauté des bienfaiteurs qui gravitent autour des couvents mendiants. La particularité de ces maisons consiste précisément à vivre de la charité d’autrui. L’« économie de l’Évangile » qui a constitué, au XIIIe siècle, la grande révolution des ordres mendiants, repose encore au « troisième âge mendiant »25 sur la dépendance entre les religieux et les communautés urbaines, les premiers tirant leur subsistance des seconds en échange d’une pastorale appropriée. Dans ce contexte, le don de livres doit d’abord indiquer aux communautés quel ordonnancement catholique le monde attend d’elles en fournissant les outils de leur apostolat26. Marguerite de Gonzague, épouse d’Henri II de Lorraine et fondatrice du couvent des capucins d’Épinal en 1619, semble désigner par les livres qu’elle offre aux religieux27 les champs d’étude et d’apostolat qu’ils doivent privilégier : l’exégèse, la théologie scholastique, la prédication, la morale, à l’aide de livres récents (publiés entre 1603 et 1616), tous dus à la plume d’auteurs de l’Europe méridionale que la duchesse, venue d’Italie, affectionne. Les évêques, aussi, qui recourent aux réguliers pour régénérer le catholicisme dans leurs diocèses, se montrent attentifs aux bibliothèques. Dans le diocèse de Clermont, au milieu du XVIe siècle, Guillaume Duprat, prélat humaniste, offre la moitié de sa bibliothèque aux minimes de Beauregard, ville où les évêques possèdent une résidence d’été28. À Metz, c’est Antoine Fournier, suffragant, qui installe une communauté de capucins et la dote d’un bel immeuble. À sa mort en 1610, il se fait enterrer dans leur église et leur lègue sa bibliothèque29.
Ensuite, le don garantit aux laïcs la pérennité de leur collection de livres, autrement appelée à une inévitable dispersion. C’est à leur famille fondatrice que les minimes de La Guiche en Bourgogne doivent leur première bibliothèque, formée de manuscrits précieux sans grand rapport avec leur vocation apostolique. Le testament de Philippe de Valois duc d’Angoulême, gendre des fondateurs, est sans ambiguïté : les frères doivent assurer la conservation des livres en désignant un religieux qui en aura la garde30, en un temps où la présence de bibliothécaires dans les couvents minimes n’a rien de systématique. Pour Philippe de Valois, il s’agit bien de conserver un patrimoine, et non pas d’en faire profiter les élites laïques locales comme on peut le constater, dès la fin du XVIe siècle, lorsque des érudits offrent des bibliothèques entières à des communautés religieuses en échange de l’obligation d’ouvrir les collections au public31 ; ce qui, au couvent isolé de La Guiche, n’aurait eu guère de sens.
Enfin, le don est assorti d’une contrepartie explicite, l’espérance du salut, et entre alors dans une autre économie, celle de la rédemption, à l’avantage du donateur qui marchande son salut avec le ciel à la mesure de sa générosité à l’égard les plus humbles, parmi lesquels l’intercession des mendiants occupe une place de choix, puisque la vocation et les vœux de ces religieux les appelle à la sainteté de vie et ont, en conséquence, les faveurs de Dieu. En recevant des aumônes, les religieux sont en quelque sorte pris à témoin de la libéralité du donateur, en plus d’en être les bénéficiaires. Leur intercession doit « forcer » Dieu à reconnaître les vertus du donateur et à lui préparer une place avantageuse au jour du Jugement. Il est symptomatique que ces dons de livres soient généralement accompagnés d’un contrat de messes libellé dans un testament dont la valeur juridique ne saurait être contestée. Les formules conventionnelles du testament et l’inscription du geste du don dans le temps et dans l’espace sont parfois reportées sur les livres, sous une forme abrégée, pour mieux signaler l’obligation que les bénéficiaires ont contractée à l’égard du bienfaiteur (ill. 2). Le testament de Jean-Jacques Kinckler, substitut de la châtellenie de Dieuze, en date du 27 mai 1632, lie explicitement le don de livres et le salut. Il cède 43 ouvrages au couvent des minimes de Dieuze contre la célébration de trois messes basses et vigiles pour le repos de l’âme de Marguerite Rose son épouse, cent messes basses de Requiem pour la même et pour leurs parents, et, pour lui-même, trois messes basses et cent messes de Requiem32. Ce pieux marchandage est caractéristique de l’environnement social et spirituel des couvents mendiants. Car ce sacrement est le lieu de la commémoration d’un autre don, celui de la vie du Christ rédempteur33 ; en donnant des livres contre des messes, les dévots espèrent en échange des « garanties » eschatologiques. C’est dans la bibliothèque même, soit en présence des objets donnés, que les carmes déchaux de Rouen doivent pour leur part réciter le jour des morts les sept psaumes pénitentiels pour le salut de l’âme de Jean-Laurent Le Cerf, écuyer et bienfaiteur de la communauté en 170834. Tout un rituel liturgique et paraliturgique, mobilisant toute la communauté par-delà les générations, est ainsi mis en place pour rappeler aux religieux de qui ils sont les débiteurs, et quelles sont les clauses du contrat qui les lie ainsi à une figure à la fois protectrice et exigeante.
L’échange, toutefois, peut paraître asymétrique, et assurément il l’est. Les religieux en ont conscience, qui n’ignorent pas la valeur marchande des livres. Les tiercelins de Nancy, par exemple, lorsque le legs des livres de Nicolas Oudot, bourgeois de la ville, se concrétise le 10 avril 1666, relèvent que cette bibliothèque est « d’un prix considérable » et « sera d’un notable accroissement et ornement à celle de nostre dict convent »35, à un moment où une messe dans ce couvent se négocie un franc de Lorraine. Lorsque les archives comptables révèlent que certains « achats » de livres sont payés non pas en argent, mais en messes au libraire faute de ressources métalliques suffisantes, elles montrent
précisément que la célébration des messes pour le salut d’un croyant compense bien le manque à gagner pour le commerçant. C’est ce que font, par exemple, les minimes de Bassing en 1732, au moment de débourser 72 francs et 4 gros pour le Dictionnaire des cas de conscience de Pontas. « Nous avons acquitté des messes pour le reste de ce qu’il coûte », écrit le secrétaire des mises36.
La circulation des livres à titre « gratuit » entre officines d’imprimeurs et cloîtres, phénomène difficile à saisir mais constant tout au long de l’époque moderne, montre que les typographes et les libraires ont assimilé un devoir d’état propre à leur profession37 : l’impression des « bons livres » repose certes sur un projet commercial et lucratif, mais elle doit aussi favoriser l’émergence d’un ordre catholique. Les premiers à avoir l’usage de ces ouvrages, les réguliers, n’ayant pas toujours les moyens de s’en pourvoir, il convient de les leur céder sans autre compensation qu’une efficace intercession. Depuis son officine de la rue Mercière, le typographe lyonnais Horace Cardon (1565-1641) écoule dans toute l’Europe du début du XVIIe siècle une production variée, marquée par la faveur que lui prodigue le général des jésuites, Claudio Acquaviva : Cardon obtient de publier pour la France et l’Espagne les ouvrages d’exégèse, de théologie et de philosophie de la Compagnie. Il constitue ainsi un important fonds religieux38. Il prend l’habitude de donner un exemplaire de chacun de ces ouvrages aux jésuites de Lyon, mais aussi aux cordeliers de la ville, qui les font circuler dans la province de Lyon : la présence d’une trentaine de ces livres jésuites, nantis de l’ex-dono d’Horace Cardon, dans les collections des cordeliers de Dole est attestée à la fin de l’Ancien Régime39.
On le voit, le don de livres n’a finalement rien de gratuit. Le donateur combat son avarice, péché capital, et espère une récompense divine, la reconnaissance d’un statut ou une pastorale réfléchie de la part de la communauté bénéficiaire. L’acte du don se trouve prolongé par la mémoire renouvelée qui en est faite dans le temps liturgique et de la sorte, le délai entre le don et le contre-don s’annule : dans cet échange, aucune des deux parties n’est dupe de l’engagement réciproque ainsi contracté. La sociologie des donateurs éclaire aussi les multiples stratégies du don élaborées entre les communautés régulières et leur environnement.
LES DONATEURS : ESSAI DE SOCIOGRAPHIE
Il serait illusoire d’espérer recenser tous les donateurs de livres à des établissements religieux sous l’Ancien Régime. Les sources sont trop fragmentaires pour permettre une prosopographie exhaustive de ces individus. Toutefois, à l’échelle de la France, la collecte d’informations dans les catalogues de bibliothèques rédigés par les religieux, le repérage d’ex-dono dans les fonds anciens des bibliothèques publiques40 et les traces laissées par ces dons dans les archives des réguliers permettent d’obtenir une masse critique de données où l’on peut déceler trois périodes au cours desquelles le flux des dons, quoique continu, a changé d’acteurs : les princes et les laïcs d’abord, puis les curés et les chanoines séculiers, enfin les religieux eux-mêmes.
Entre la fin du XVe siècle et les années 1660, les dons41 émanent principalement des bienfaiteurs laïcs qui participent à la fondation des monastères en négociant les autorisations ecclésiastiques et en fournissant les terrains propices à leur construction, puis en assurent ensuite la vie matérielle pendant quelques décennies. Ces bienfaiteurs sont de trois types. Il s’agit, premièrement, des familles princières, qui, au temps de la construction des États modernes, s’associent avec les réguliers pour seconder leur œuvre religieuse, et espèrent en retour un discours politique qui légitime leur pouvoir. René II, duc de Lorraine, fonde ainsi en 1482 un couvent de cordeliers dans le voisinage du palais ducal, et offre aux religieux le 24 juin 1491 une
bible in-quarto, de vélin, reliée de maroquin rouge sur tranche rouge, escrite en gothique et enrichie de lettres et vignottes en mignature.
Au début du XVIe siècle, Marguerite d’Autriche procède de la même manière avec les augustins de Brou en Savoie, prévoyant de doter le monastère, qui sert aussi de sépulture ducale, d’une bibliothèque dont elle choisit elle-même le contenu auprès des imprimeurs et relieurs anversois. Sa mort en 1530 empêche le couvent de recevoir ces livres, que les augustins réclameront auprès des exécuteurs testamentaires de la duchesse en 1535 encore42. De tels livres forment l’apparat du couvent et réaffirment les liens privilégiés entre ce couvent et la famille ducale. Ils ne sont pas sans ambiguïté lorsque le don concerne la Bible ou ses commentaires car, de cette manière, les religieux supposés faire connaître la Révélation au monde l’héritent d’abord du pouvoir central. Les anthropologues ont souligné combien le don concerne surtout les objets symboliques et prestigieux, et c’est particulièrement vrai pour le livre, qui manifeste une double fidélité, religieuse et politique, entre le prince et son clergé.
La plupart des établissements se sont toutefois contentés de cercles sociaux moins prestigieux, quoique bien familiarisés avec l’imprimé. Les fondateurs de couvents, les premiers, se montrent généreux à l’égard de « leurs » religieux. Le baron et la baronne d’Haussonville, qui ont fait venir des carmes déchaux à Gerbéviller en 1624, n’oublient pas de meubler le couvent qu’ils ont fait élever à leurs frais :
La Sacristie fut remplie d’ornements, (...) de Calices, Ciboire, Soleil, Encensoirs (...), la Bibliothèque fut aussi remplie de livres de toutes sortes de sciences propres à nostre Institut,
écrit l’annaliste de l’ordre au XVIIe siècle43. Les femmes ne sont pas absentes, telle Marie David de Massène dont la bibliothèque personnelle constitue pour les capucins de Semur-en-Auxois un premier embryon de collection44. À travers les mentions de dons, tout un univers dévot se dessine, aux caractéristiques sociales bien homogènes : disciples d’Hippocrate, membres du barreau et des administrations civiles, dont les noms se retrouvent également dans les entreprises charitables urbaines. Parmi les bienfaiteurs des minimes de Lyon se trouvent ainsi Hugues Athiaud (mort en 1593), juriste et ligueur, fondateur d’une œuvre d’instruction à l’aumône générale de la ville ; Jean-Aimé de Chavigny (mort en 1604), poète et astrologue ; Pancrace Marcellin (mort en 1642), médecin et bienfaiteur du couvent...45
Pour la noblesse locale, notamment dans les bourgades secondaires, et dont les bibliothèques, même restreintes, constituent des pôles culturels dans des espaces relativement peu investis par le livre avant le XVIIIe siècle, le don de livres aux religieux s’inscrit dans une véritable stratégie. Ce geste l’associe aux élites administratives des petites villes où les couvents ont pris pied, et permet d’y maintenir une autorité symbolique en faisant des religieux et de toute la population bénéficiant de leurs services, des débiteurs, enfin de faire preuve de respectabilité. La famille de Bauffremont, en Bourgogne, appartient à ces dynasties locales bien possessionnées en terres et en villages, qui s’illustrent dans l’administration locale – les sires de Bauffremont, seigneurs de Sennecey, seront baillis de Chalon – et sont les relais dans leurs seigneuries des « partis » de la fin du XVIe siècle. Claude de Bauffremont est un célèbre ligueur ; il est président de la noblesse aux États-Généraux de Blois en 1588, son fils Henri occupera la même fonction en 1614. Leur héritier, le seigneur de Givry, dépose la bibliothèque familiale au couvent des capucins de Chalon au milieu du XVIIe siècle, couvent que la famille a fondé et favorisé depuis plusieurs décennies46. Au Sud de la Lorraine, le baron Henry des Salles, seigneur de Coussey, fournit en 1682 aux capucins de Neufchâteau une série de sommes théologiques et exégétiques47 dont l’acquisition serait bien au-dessus des moyens du couvent mais qui, outre les services qu’elles ont probablement rendu aux religieux, manifestent visuellement, par leur format in-folio et l’alignement d’un grand nombre de volumes aux reliures soignées, la générosité du donateur dans la bibliothèque. Le couvent néocastrien devient ainsi au cœur d’une région rurale le possible petit centre de spéculation et d’études que l’établissement cordelier voisin, quoique plus ancien, a cessé d’être depuis un siècle.
Dans un deuxième temps, à partir des deux dernières décennies du XVIIe siècle et jusqu’au milieu du siècle suivant, sans que la générosité des laïcs ne tarisse, un nouveau cercle de donateurs émerge dans le périmètre institutionnel et social du clergé séculier. Le phénomène est suffisamment massif pour devoir être souligné. Il concerne à nouveau tous les ordres religieux, y compris monastiques : en 1695, par exemple, le curé Laurent Bouchet, de Nogent-le-Roi, offre sa bibliothèque aux bénédictins de Coulombs dans la Beauce48. Il a aussi ses caractéristiques propres. À l’inverse des dévots qui donnent volontiers des bibliothèques entières, les séculiers préfèrent parfois faire des dons restreints, de livres choisis en fonction de leur utilité immédiate pour leurs confrères réguliers. C’est ainsi que procède Ferret, curé de Séranville, en donnant quatre livres au couvent des carmes déchaux de Nancy en 169649 : les Commentaires du jésuite hollandais Cornélius a Lapide sur les prophètes, les actes des Apôtres, les Épîtres et l’Apocalypse, et les analyses de Pereyra, jésuite espagnol, sur la Genèse, l’Exode, le livre de Daniel et l’Apocalypse. Cette pratique, ensuite, mêle indistinctement humbles curés de petites paroisses rurales et chanoines titrés et fortunés des grandes collégiales urbaines. Dans les années 1670, les carmes déchaux de Montpellier obtiennent 115 livres des curés Mazel, de Monteils et Buisson, de Mauguio50. En Bourgogne, leur contemporain l’archidiacre de Bresse Guillaume Gon a le même geste à l’égard des minimes de Chalon51. Anthelme Tricaud (1671-1739), chanoine d’Ainay, offre entre 1734 et 1739 au moins quatorze ouvrages aux dominicains de Lyon, alors même que sa réputation janséniste n’en fait pas un proche, sur le plan théologique, des religieux. En 1778 encore, les minimes de Rennes héritent de 275 volumes à eux légués par Germain-Anne Bossard de la Rossignolière, chanoine de Saint-Pierre de Rennes52. On pourrait multiplier à l’envi les exemples.
Enfin, le transfert de livres entre curés et religieux fonctionne sur un territoire limité. Les capucins d’Étain, au nord du diocèse de Verdun, bénéficient de la générosité de François Gilles, curé de Moreulles en 1674, de M. Humbert, doyen et curé de Busy, de M. Boutteville, également curé de ce village, de Nicolas du Hautoy, curé de Boinville en 1695, de M. Le Tondeur, curé de Braquis en 1705, de François Joly, recteur d’Alamont, ou encore de François Reynette, curé de Warcq53. Tous ces prêtres exercent leur ministère dans des paroisses situées à moins de dix kilomètres du couvent d’Étain. En 1761 encore, les tertiaires réguliers de Beaujeu reçoivent des livres du curé de Fleurie, village du Beaujolais situé à environ dix-sept kilomètres du couvent54. Quant aux carmes de Reims, c’est à un dénommé Hermonville, ancien curé de Mailly (à vingt kilomètres de la cité champenoise) qu’ils doivent 134 nouveaux titres dans le courant du XVIIIe siècle55. La distance n’est jamais supérieure.
Un tel échange consacre une amitié entre deux corps ecclésiastiques alternativement concurrents et solidaires. Les raisons n’en sont jamais explicites. La chronologie coïncide avec la période où les séminaires diocésains, au fonctionnement longtemps hasardeux, commencent à assumer pleinement leur rôle dans la formation du clergé. Les évêques, par le biais des conférences et des règlements synodaux, prescrivent de plus en plus systématiquement des livres aux curés56, et ceux-ci parviennent alors à réunir de petites bibliothèques personnelles, inexistantes ou très restreintes auparavant. Dans le même temps, la surveillance des réguliers par les instances épiscopales, en période d’émergence puis d’exacerbation de la crise janséniste, a contribué à unifier les savoirs théologiques et philosophiques de l’ensemble du clergé. Ces mesures ont favorisé la reconnaissance d’une proximité de vocation entre réguliers et séculiers et tendent à dissoudre les particularismes cléricaux dans un modèle unique de bibliothèque professionnelle, celle de l’ecclésiastique actif auprès des populations. Dans des territoires restreints, urbains ou ruraux, cette sympathie pastorale a pu se doubler de relations de bon voisinage : on voit parfois, en cette fin du XVIIe siècle, des curés emprunter des livres dans les couvents, preuve d’un échange de bons procédés57. Une forme de solidarité cléricale semble avoir alors vu le jour, à rebours de la traditionnelle concurrence entre ces deux corps58. La transmission d’objets nécessaires à l’exercice d’un même ministère a été facilitée par l’inégalité du droit canon en matière de propriété matérielle, puisque les réguliers ne disposent pas des biens communs du couvent, auxquels appartiennent les livres, tandis que les curés et les chanoines peuvent à la fois hériter de leur famille, et tester selon leur convenance du moment que les biens ainsi redistribués ne sont pas liés à leur bénéfice, ce qui est le cas des livres59.
Il restera de cette proximité, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, des pratiques partagées du livre. On voit par exemple les communautés régulières financer fréquemment l’abonnement aux journaux avec le curé voisin : en janvier 1781, les carmes de Baccarat déboursent 9 livres et 10 sols correspondant à leur
cotte part d’une année d’abonnement du Journal de Genève que nous avons pris le 10 de ce mois, conjointement avec monsieur Drouet et Bourieu, curé de Glonville60.
Cette circulation de l’imprimé a définitivement rapproché dans un même cercle de lecteurs les curés et les réguliers, familiers des « nouvelles » et des modes des lectures qui s’y rapportent.
Mais à partir des années 1720-1730, ces deux modes de redistribution des livres semblent s’essouffler. Les dons des prêtres sont encore observables, mais ceux des laïcs deviennent extrêmement rares. Cette évolution est parallèle au refroidissement de la charité à l’égard des réguliers, qui oblige les communautés à reconfigurer leurs ressources dans le courant du XVIIIe siècle, tandis que se tarissent les fondations de messes, les inhumations dans les églises conventuelles, les constitutions de rentes en faveur des abbayes et des couvents, et que la paroisse devient le territoire par excellence où se déroule toute la vie du croyant, et qui absorbe sa générosité61. Le rapport à la transmission du livre évolue aussi au sein de la population laïque. Les aristocrates, les princes et les riches bourgeois désireux de donner une seconde vie à leurs bibliothèques préfèrent désormais s’atteler à l’ouverture d’institutions publiques, à moins que des ventes ne soient organisées pour remettre leurs collections dans les circuits marchands62. Ainsi, l’insertion sociale des réguliers se recompose autrement au XVIIIe siècle.
Ces mutations sont concomitantes d’un autre fait majeur de l’histoire régulière : l’individualisation grandissante du rapport au livre, qui passe par la manipulation d’argent à titre privé, y compris chez les religieux mendiants, et par l’utilisation des réseaux personnels, familiaux et amicaux, pour constituer un petit bien. Cette évolution de fait, perpétuellement condamnée par les provinciaux et les généraux des ordres, a pris la forme de dons faits en propre aux religieux, consacrant l’existence de liens personnels entre laïcs et moines en lieu et place de relations entre laïcs et communautés. Le P. Alexis, capucin de Neufchâteau, se fait offrir par une laïque des ouvrages de théologie, comme l’indique cette mention portée sur l’un d’entre eux :
Madame Diez de Paris ayant faict présent de ces deux tomes de Bassaeus au RP Alexis du Neufchasteau, et en suitte ayant estez donnez au convent l’on est supplié de se souvenir d’elle comme d’une insigne bienfaitrice63.
Ainsi, lorsque les livres reviennent au couvent, la communauté toute entière reprend à son compte la « dette », en promettant des prières pour cette femme. Par ailleurs, les religieux semblent avoir régulièrement poussé la porte des officines de libraire pour y chercher les livres dont ils ont besoin. Au bout du compte, les livres reviennent à la bibliothèque conventuelle, à la mort du religieux ou à son départ pour un autre établissement et, de toutes façons, la possession en propre de livres doit faire l’objet d’une autorisation des supérieurs, mais cette inversion du processus qui « donne à lire » aux religieux, où la bibliothèque ne tient plus la place centrale, révèle un rapport nouveau aux savoirs spéculatifs et apostoliques64.
Aussi, à partir du deuxième tiers du XVIIIe siècle, les dons se jouent essentiellement à l’intérieur de l’ordre, voire à l’intérieur d’un monastère. Les exemples sont innombrables. Chez les carmes de Rennes, au moins 1 135 volumes sont arrivés dans la bibliothèque de cette manière, émanant de treize religieux différents, soit 60 % des livres entrés entre 1690 et 1775. Ces religieux ont accumulé à leur profit une bibliothèque aux dimensions variables, de quelques livres à plusieurs centaines, qu’ils cèdent ensuite à leur communauté comme l’exigent les constitutions, mais en endossant le rôle du bienfaiteur. On relève fréquemment des formules de bénédictions à l’égard du religieux à l’origine de ce transfert. Il ne s’agit donc pas à proprement parler de dons, mais la manière de les désigner est ambiguë. François Martin (1639-1728), cordelier normand bien installé dans la République des Lettres à la fin du XVIIe siècle, transfère au couvent de Caen, dont il est le gardien, l’importante bibliothèque constituée au fil de ses travaux littéraires et théologiques en conjuguant les achats auprès des libraires caennais et parisiens, les dons de ses amis (tel Daniel Huet, évêque d’Avranches) et, dit la rumeur, les vols dans les bibliothèques voisines. Jusqu’à la Révolution, la bibliothèque de ce couvent reste associée à la mémoire de ce religieux65. Chez les capucins de Dijon, les 119 livres du frère Félix qui rejoignent la bibliothèque au début du XVIIIe siècle sont dits « donnés »66. Ce lapsus montre que les religieux ont pris des libertés avec l’obligation du dépôt des livres personnels dans la bibliothèque commune, et que le transfert résulte surtout de leur bon vouloir, signe d’une appropriation individuelle de l’écrit tout à fait revendiquée, malgré les dispositifs réglementaires pour l’empêcher. En « donnant » des livres, le religieux annule son « péché de propriété ». Le don n’est donc pas désintéressé, au contraire ; il est l’élément d’un contrat où le « donateur » est finalement gagnant. De la sorte, le livre a définitivement changé de statut dans la culture régulière.
LE TRAITEMENT BIBLIOTHÉCONOMIQUE DES DONS : INTÉGRATION ET APPROPRIATION
L’afflux parfois massif de ces ouvrages a eu d’inévitables conséquences sur la gestion des collections religieuses. Certes, le don ne fonde pas, ou rarement, la bibliothèque. Pour les établissements nés à l’époque moderne, les premières années d’existence voient s’entrecroiser plusieurs modes de mise en place et d’enrichissement d’une bibliothèque : le recours au libraire, la redistribution des ressources documentaires des autres maisons de la province67, et, enfin, le don de livres. Mais la quantité de livres reçus par don et leur degré variable d’adéquation avec la vie régulière ont obligé les religieux à inventer différentes modalités d’appropriation pour faire leurs ces livres qu’ils ont pas toujours choisis.
Pas toujours, mais parfois. Les religieux ont su frapper à des portes judicieusement sélectionnées dans leur entourage immédiat. Les carmes déchaux de Clermont, fondés en 1633, se vantent d’avoir pu choisir, dans la bibliothèque de leur bienfaiteur et fondateur le chancelier Séguier, « touts les livres que nous jugions à propos »68. Les dominicains de Lille, dont le couvent a souffert des guerres civiles dans la seconde moitié du XVIe siècle, se préoccupent après 1600 de rétablir leur bibliothèque. « Quelques personnes bienfaisantes voulurent seconder leurs vues »69, souligne l’historiographe du couvent à la fin du XVIIIe siècle. Il faut donc que les religieux aient fait connaître leur manque auprès des personnes de la cité les mieux dotées en livres. Ils devaient savoir y faire, car trente-quatre personnes ont participé à cette entreprise à partir de l’année 1621 : deux évêques, dix-huit prêtres ou chanoines des communautés et paroisses de Lille et de son plat-pays, enfin quatorze laïcs, dont deux familles de religieux du couvent. François Morquin, gardien du couvent des cordeliers de Nancy à la fin du XVIIe siècle, lecteur en philosophie et en théologie, définiteur de la custodie et de la province, reste dans le nécrologe celui qui sut provoquer parmi les « amis », ces dévots princiers ou plus obscurs, de grandes libéralités afin de procurer au couvent les meilleurs livres70. Les concurrences entre couvents ont été parfois fortes. Alphonse de Rambervillers (1560-1633), lieutenant du bailliage de Vic et poète dévot, dut en tenir compte en rédigeant son testament71 :
Je donne et lègue aux Pères capucins de ceste ville les deux volumes de la Bible imprimée à Anvers qu’ils ont autrefois désiré avoir de moy ; auxdits Pères Observantins tous les livres de ma bibliothèque traitant de théologie avec les livres des docteurs de l’Eglise,
écrit-il au soir de sa vie. Le couvent capucin avait été fondé en 1613, alors que les cordeliers occupaient déjà la ville depuis près de deux siècles. Les capucins ont donc cherché à se positionner face aux religieux concurrents pour obtenir leur part de la bibliothèque d’un individu très lié aux milieux observants. Ce type de stratégie n’enlève sans doute pas aux dévots l’initiative et l’intention du don, mais les religieux ont parfois pu choisir les livres les plus utiles à leurs travaux évangéliques.
Le cas d’Alphonse de Rambervillers est intéressant car il révèle qu’au XVIIe siècle, on trouve dans la bibliothèque d’un laïc les mêmes ouvrages que dans une bibliothèque ecclésiastique ; les livres font le lien entre deux mondes aux frontières poreuses. D’ailleurs, signe d’échanges réciproques, certains livres de sa bibliothèque lui avaient été offerts par des religieux, tels les prémontrés de Salival. En favorisant la circulation des livres, ces dons ont créé une culture commune, celle de l’« honnête homme » du temps, mêlant savoirs profanes et sacrés. En conséquence, à la fin du XVIIe siècle, les bibliothèques ecclésiastiques présentent bien des traits communs, par leur contenu, avec celles des laïcs, avant qu’au XVIIIe siècle, l’arrivée de livres choisis par des clercs ou les religieux eux-mêmes ne renforcent le caractère strictement professionnel de chaque collection72. À l’inverse, cette culture partagée explique que des laïcs aient parfois sollicité des prêts aux communautés religieuses où ils savaient trouver les livres, religieux ou profanes, qu’ils avaient besoin de consulter. Même si la chose est en principe interdite, il devait être difficile aux religieux de refuser l’accès au savoir à ceux-là mêmes de qui ils tenaient le savoir. Chez les récollets d’Orléans, un certain M. Picaud vient emprunter « l’Echole de Salerne » – un traité sur le régime de santé – à la fin du XVIIe siècle. Chez les minimes de Bonsecours aux portes de Nancy, dans les années 1730, Froment, receveur de la gruerie de Nancy, demande au supérieur, le P. Ceny, de pouvoir consulter trois tomes de l’Histoire ecclésiastique de Fleury73.
Ces transferts de livres ont parfois suscité l’embarras chez ceux qui les ont reçus. Pas de don, en effet, sans acceptation par les bénéficiaires. Le refus d’une dette matérielle et morale est visible en certains lieux, qui empêche alors que donateurs et receveurs créent ce lien symbolique essentiel. Si la générosité des bienfaiteurs est en tous lieux présentée comme une bénédiction, les archives administratives des ordres montrent que les dons ont parfois suscité une prudente réflexion. Aux bénédictins de Saint-Mihiel, en Lorraine, le cardinal de Retz en exil à Commercy propose en 1675 de donner une partie de sa très belle bibliothèque, au nom de l’amitié qui le lie à l’abbé, dom Henri Hennezon, qui est aussi son confesseur. La communauté, sachant le cardinal gravement endetté, accepte les livres mais préfère en payer la valeur. Les bénédictins signent ici un refus de « l’économie de la gratitude »74 en positionnant la transaction sur le terrain d’un échange marchand plutôt que sur celui du don. Ils renversent ainsi la situation : c’est le cardinal de Retz qui est le débiteur, en restaurant sa fortune amoindrie.
Pour d’autres communautés, les conséquences immédiates du don, et surtout les coûts que cela engendre, provoquent l’hésitation. Le déménagement des livres nécessite toute une intendance. En juillet 1671 encore, les grands carmes de Baccarat, y sont confrontés et envoient prudemment le frère Séraphin avec trente gros pour couvrir ses frais de voyage jusqu’à la
montagne [les Vosges], chercher les livres que feu Monsieur Thomas nous avoit laissé par son testament75.
À Carcassonne, les capucins « oublient » de se rendre propriétaires d’une bibliothèque qu’un chanoine de la ville leur a léguée, faute d’une organisation satisfaisante76. D’autres monastères se montrent plus rigoureux, à moins que les familles des défunts ne s’occupent elles-mêmes du transfert des livres. Pour les cordeliers de Toulouse, destinataires en 1685 de l’ample bibliothèque des Garaud de Caminade, une famille de parlementaires languedociens, les héritiers convoquent l’expertise d’un libraire, Rollet le Duc, pour cataloguer les livres donnés et assister, au titre de témoin, à l’enlèvement des volumes au domicile du défunt77. Le libraire estime le volume et la valeur matérielle de la collection héritée, à travers un inventaire qui dispensera les religieux d’en dresser un. Il arbitre aussi la discussion ouverte par la veuve, Jeanne-Françoise de Garaud de Caminade, qui négocie avec les religieux l’usufruit d’une centaine de volumes, qui font l’objet d’un inventaire séparé et qui retourneront au couvent à son décès, ce qui se produit en 1726.
À bien y regarder, il y a de tout dans ces dons. On y trouve, comme on peut s’y attendre, des ouvrages d’exégèse, de théologie, d’histoire ecclésiastique. Parmi la centaine de livres de Robert Berthelot légués aux carmes de Lyon, quatre sur cinq relèvent de la théologie dogmatique, de l’homilétique, de la polémique ecclésiastique, de l’administration des sacrements et du droit canon. Seuls 15 % des volumes ne relèvent pas d’un genre religieux au sens strict. Douze décennies plus tard, près de 90 % des livres légués aux tertiaires de Beaujeu par le curé de Fleurie alimentent la théologie dogmatique ou pratique. Il peut se trouver aussi des livres « hérétiques », c’est-à-dire protestants ou jansénistes, comme le soulignent les carmes des Rennes à propos du don de Julien-René Bégasson, conseiller au Parlement de Bretagne ; en ce cas, les livres sont davantage à leur place à l’abri dans une bibliothèque conventuelle qu’en circulation dans le siècle.
Mais il y a aussi, au hasard de la personnalité du donateur, abondance de livres sur des matières profanes. Le droit encombre les rayonnages de la bibliothèque des capucins de Saulieu depuis que les livres de Jacques Guillot, lieutenant civil, y sont arrivés78. L’histoire a envahi ceux des capucins de Rennes, qui héritent à la fin du XVIIe siècle de la bibliothèque de Calliope d’Argentré, dont le noyau est constitué des livres de son grand-père Bertrand d’Argentré (1519-1590), historien de la Bretagne et sénéchal de Rennes79. Autant de catégories bibliographiques hypertrophiées qui nécessitent une gestion inventive pour que la bibliothèque reste, selon sa vocation, le lieu de conservation de la Révélation et des textes qui l’expliquent et la méditent.
Les dons font alors l’objet d’une intégration variable dans l’espace topographique et intellectuel de la bibliothèque. Très souvent, les livres n’intègrent pas le classement en vigueur à la bibliothèque et constituent un fonds distinct. C’est le cas à Lunéville, où les minimes, qui ont reçu 194 livres du provincial Jean-Georges Perlingue dans les années 1750, en dressent une liste séparée dans leur catalogue, et à la Révolution encore, ces livres sont stockés dans un espace à part, les religieux ayant peut-être été surpris d’y trouver, parmi les sermonnaires et les livres de théologie morale, quelques ouvrages de littérature légère80. La maladresse dans l’intégration des dons est également sensible chez les carmes déchaux de Nancy, qui rajoutent tardivement dans leur catalogue une section de « Medici » pour accueillir les 508 volumes de médecine à eux offerts par Jean Garnier, médecin de Charles IV, mort en 1643 et lié toute sa vie au milieu spirituel carmélitain nancéien. Or, il se trouve dans ce don une petite proportion de livres spirituels ou de manuels de démonologie, que les religieux ont laissés parmi les « Medici » pour ne pas éparpiller la collection de Garnier, alors qu’ils auraient eu tout intérêt à le faire pour la commodité du repérage et de la consultation des livres81.
Les opérations de catalogage engendrées par les dons révèlent, outre la rigidité des pratiques classificatoires qui n’évoluent pas au rythme de l’accroissement, que l’inventaire est aussi mémorial : il est le lieu où l’on célèbre les bienfaiteurs par des formules de bénédiction. Le catalogue devient la chronique de l’enrichissement des collections, et de la capacité du monastère à attirer les libéralités. L’auteur du catalogue de la bibliothèque des dominicains de Quingey, dans le Jura, précise dès les premières lignes qu’elle « provient pour la plus grande partie du RP Tyrode directeur des dames de Poissi »82, monastère royal de dominicaines. C’est sans doute une des principales caractéristiques des bibliothèques ecclésiastiques à la fin de l’Ancien Régime, que cette tendance à stratifier, à constituer des ensembles documentaires qui forment un patrimoine au sens juridique du terme, un fonds, c’est-à-dire un capital. Ce trait les isole nettement des collections privées, reposant sur une rigoureuse sélection. Le bibliothécaire ecclésiastique thésaurise, accumule, range en tentant de garder la mémoire de l’origine de chaque livre, sans chercher à fondre le tout dans le principe commun d’un véritable projet documentaire.
Dans l’univers régulier, un ensemble de contraintes matérielles et sociales a rendu le don de livres nécessaire, sinon aux communautés aux ressources précaires, au moins aux donateurs eux-mêmes, qui ont vu dans les bibliothèques ecclésiastiques les moyens d’assurer leur salut, de promettre à leurs collections une conservation stable et de se constituer en « trésoriers d’une richesse collective »83 en assumant la distribution dynamique de l’écrit et en l’inscrivant dans la mémoire des couvents. Du fait de cet échange, ces collections monastiques nous en disent autant, sinon plus, sur les savoirs du monde que sur ceux des cloîtres. Le don montre comment s’est constituée tardivement une identité régulière par le livre, à partir du moment, seulement, où les religieux se sont emparés du livre à titre personnel, soit à partir des années 1730 environ. L’analyse de ce geste met aussi en évidence trois paradoxes qui s’entrecroisent dans chaque geste charitable.
En premier lieu, le livre possède un statut ambigu : il existe un imaginaire partagé, qui veut que le livre, ou tout au moins le texte qu’il véhicule, soit un don de Dieu (comme l’est la Révélation) et qu’à ce titre, il doive échapper partiellement aux circuits marchands et se prête particulièrement à une dissémination sur un territoire donné. C’est, semble-t-il, le raisonnement des élites locales, princières, épiscopales, bourgeoises ou sacerdotales, qui remettent des livres aux religieux. Pour autant, à l’autre extrémité de la chaîne, les religieux, eux, thésaurisent le livre, en se privant de la possibilité de s’en défaire, et doivent gérer des collections composites.
Ensuite, le don possède, dans certains cas, un caractère prescriptif – le contenu des livres importe autant que le fait de les donner – qui n’est pas sans soulever un paradoxe : ce sont, en principe, les autorités provinciales ou locales qui sont chargées de la surveillance de la bibliothèque et de ce qui y entre. Dans le cas de livres donnés par un bienfaiteur, c’est celui-ci qui désigne aux religieux les voies théologiques, spirituelles et pastorales à suivre : c’est le cas, par exemple, de Bongain, chanoine issu d’une noble famille savoyarde, qui offre aux carmes déchaux de Chambéry 43 volumes, parmi lesquels plusieurs ouvrages de spiritualité carmélitaine dont ils étaient visiblement dépourvus jusqu’alors.
Enfin, dans ce processus, le don et le contre-don sont parfois difficiles à identifier. Le transfert de livres fondé sur un contrat, exprimé notamment par un testament, annule l’attente implicite du contre-don. Il ne subsiste du don, au sens où les sociologues l’ont défini, que la dépendance symbolique sous laquelle se placent les bénéficiaires, qui réalisent ainsi une économie financière souvent substantielle et surtout, acceptent de devoir à autrui les moyen de la connaissance et de l’étude84.
Par son caractère imprévisible, le don a accentué les inégalités entre maisons, selon l’insertion plus ou moins réussie et continue de celle-ci dans le tissu social, et la curiosité livresque des religieux susceptibles d’alimenter la bibliothèque dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il explique en partie les déséquilibres quantitatifs qui caractérisent les bibliothèques ecclésiastiques à la veille de la Révolution.
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1 Regula et constitutiones fratrum poenitentium, tertii ordinis Sti Francisci Congregationis Gallicanae, strictae observantiae, Paris, Lottin, Onfroy, 1773, pp. 65-66. Nous traduisons.
2 Marcel Mauss, Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, rééd., Paris, PUF, 2007 (1re éd. 1923).
3 Entre autres, Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997 ; id., Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, Seuil, 1994 ; Marcel Godelier, L’Énigme du don, Paris, Fayard, 1996 ; Philippe Chanial, La Société vue du don. Manuel de sociologie anti-utilitariste appliquée, Paris, La Découverte, 2008 ; Jacques T. Godbout, Alain Caillé, L’Esprit du don, Paris, La Découverte, 2007 ; Jacques T. Godbout, Ce qui circule entre nous : donner, recevoir, rendre, Paris, Seuil, 2007 ; Alain Caillé, Don, intérêt et désintéressement : Bourdieu, Mauss, Platon et quelques autres, nlle. éd., Latresne, Le Bord de l’Eau (Bibliothèque du MAUSS), 2013.
4 Nathalie Zamon Davis, Essai sur le don dans la France du XVIe siècle, éd. fr., Paris, Seuil, 2003 (1re éd., 2000) ; Lucien Faggion, « Une civilisation du don ? Les usages d’un paradigme à l’époque moderne », dans L. Faggion, L. Verdon (dir.), Le Don et le contre-don, Aix-en-Provence, PUP, 2010, pp. 59-97.
5 Le répertoire d’Anne-Marie Genevois, Jean-François Genest, Anne Chalandon, Bibliothèques de manuscrits médiévaux en France. Relevé des inventaires du VIIIe au XVIIIe siècle, Paris, CNRS éd., 1987, regorge d’exemples de dons aux communautés ecclésiastiques. Voir aussi, plus récemment, Donatella Nebbiai, Le Discours des livres. Bibliothèques et manuscrits en Europe, IXe-XVe siècles, Rennes, PUR, 2013.
6 Conception défendue par Dominique Varry, « Les bibliothèques monastiques en 1789 », dans Y. Krumenacker, dir., Religieux et religieuses pendant la Révolution (1770-1820). Décadence ou ferveur, Lyon, Profac, 1995, t. 1, pp. 121-145 ; Marie-Hélène Froeschlé-Chopard, « Les inventaires des bibliothèques ecclésiastiques, témoins de l’évolution intellectuelle et spirituelle des religieux », dans Revue d’histoire de l’Église de France, t. 86, 2000, pp. 493-512.
7 Les seuls dons de livres qui ont retenu l’attention – non des historiens, mais des conservateurs de bibliothèques – sont ceux des collectionneurs aux bibliothèques publiques à partir du XIXe siècle. Voir par exemple Bibliothèques offertes. Hommage aux donateurs. Un siècle d’enrichissement des collections anciennes et précieuses de la Bibliothèque municipale de Metz, Metz, Médiathèque du Pontiffroy, 1992 ; J.-F. Lutz, Dons et legs à la Bibliothèque municipale de Lyon, 1850-1950, mémoire du Diplôme de Conservateur des Bibliothèques, Villeurbanne, ENSSIB, 2003 ; Raphaële Mouren, dir., « Je lègue ma bibliothèque à... » Dons et legs dans les bibliothèques publiques, [s.l.], Ateliers Perrousseaux, 2010.
8 Voir par exemple les liens entre le libraire Nicolas et les établissements réguliers de Grenoble au XVIIe siècle : Henri-Jean Martin, Micheline Lecocq, éd., Les Registres du libraire Nicolas (1645-1668), Genève, Droz, 1977, 2 vol.
9 On exclut de cette étude les communautés féminines, pour lesquelles le livre fait souvent partie des objets demandés dans le trousseau de la postulante : il ne s’agit donc pas d’un don au sens strict.
10 Alfred Franklin, Les Anciennes bibliothèques de Paris : églises, monastères, collèges etc., Paris, Imprimerie Impériale, 1867-1873, 3 vol.
11 Claude Courtépée, Description historique et topographique du duché de Bourgogne, Dijon, Causse, 1775-1779.
12 Bibliothèque municipale [ci-après BM] d’Orléans, ms. 323(351), Catalogus librorum bibliothecae F. M. Recollectorum Conven. Aureliae, Factus anno 1644.
13 BM Rennes, ms. 566, [Catalogue des livres de la bibliothèque des carmes déchaussés ou grands carmes de Rennes, établi en 1690].
14 Delphine Lannaud, « Lectures et livres de Laurent Bureau, carme humaniste », dans Annales de Bourgogne, 2005, t. 77, pp. 143-167 ; Marcel Bernos, « Un religieux de Provence et ses livres », dans Revue française d’histoire du livre, 1979, no 24, pp. 665-673.
15 Chez les frères mineurs de l’observance, différents chapitres généraux insistent sur ce point (Naples en 1590, Rome en 1612, Barcelone en 1621), d’après Domenico de Gubernatis, Orbis seraphicus historia de tribus ordinibus a seraphico patriarcha S. Francisco instituti, Roma, 1682, pp. 388, 606 et 641. Voir aussi les Statuta fratrum minorum de observantia majoris conventus parisiensis, Paris, 1682, p. 97.
16 La Règle de Saint Benoist, avec les déclarations qui se gardent en la Congrégation de S. Vanne et S. Hidulphe, Toul, Jean et A. les Laurents, imprimeurs de l’ordre, 1679, chap. XXXIII.
17 James Hogg, éd., Exposition de nos statuts [Commentaire de la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, vers 1767], Salzburg, Universität Salzburg, 2006, chap. 8.
18 Bandellus de Castro Novo, Constitutiones et regulae Ordinis Fratrum Predicatorum, [s. l., s. n.], 1505, « de officio librarii », non folioté.
19 Règles et statuts des frères ermites, augustins deschaussez de France, Paris, Morlot, 1632, chap. 12, 1, 4.
20 « Oretur pro benefactoribus illis qui bonam contulerunt eleemosynam pro libris habendis, in Libraria istrius Conventus reponendis » : Pierre Moracchini, éd., « Le nécrologe des Cordeliers de Nancy, B. N. n. acq. Lat. 3008 », dans Archivum Franciscanum historicum, 1991, vol. 84, fasc. 1-2, p. 175.
21 Cl. Courtépée, ouvr. cité, t. 2, p. 598.
22 Sur ce personnage, voir Cosme de Villiers, Bibliotheca carmelitana, Orléans, Couret de Villeneuve, Rouzeau Montant, 1752, t. 2, col. 966-967.
23 Dom Delfau, L’Abbé commendataire où l’injustice des commendes est condamnée..., Köln, N. Schouten, 1673, préface.
24 Archives départementales [ci-après AD] de la Sarthe, H 972.
25 L’expression désigne la troisième vague de fondations conventuelles, entre 1580 et 1640 schématiquement, après celle du XIIIe siècle suite à l’émergence des quatre ordres mendiants, puis celle de la seconde moitié du XVe siècle.
26 Jean-Pierre Gutton, Dévots et société au XVIIe siècle. Construire le Ciel sur la terre, Paris, Belin, 2004.
27 Actuellement à la BM Épinal-Golbey, neuf titres sont munis d’un ex-dono de la duchesse.
28 Christophe Vellet, « Guillaume Duprat, un homme d’Église entre famille et dévotion », dans B. Pierre, A. Vauchez, dir., Saint François de Paule et les minimes en France de la fin du XVe au XVIIIe siècle, Tours, PUFR, 2010, pp. 351-364.
29 Histoire générale de Metz par des religieux bénédictins de la Congrégation de Saint-Vanne, Metz, P. Marchal, 1775, t. III, p. 177.
30 AD Saône-et-Loire, H 357, n° 77, testament du 24 janvier 1651.
31 Cette pratique, dictée par la philanthropie, n’entrent pas directement dans notre sujet. Elle est fréquente au cours de l’époque moderne, au bénéfice des capucins de Salins-les-Bains en 1593 ; des cordeliers de Troyes avec le testament de Jacques Hennequin en 1651 ; des génovéfains d’Orléans avec le legs de Philippe de Cougniou en 1754...
32 AD Meurthe-et-Moselle, H 996.
33 Bartolomeo Clavero, La Grâce du don. Anthropologie catholique de l’économie moderne, Paris, Albin Michel, 1996 (1re éd. en espagnol, 1991).
34 AD Seine-Maritime, 34 H 1, cité par Gilles Sinicropi, D’oraison et d’action. Les carmes déchaux en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Saint-Étienne, PUSE, 2013, p. 179.
35 AD Meurthe-et-Moselle, ms. SAL 137 : Actes de communauté et discrétoire des tiercelins de Nancy.
36 AD Meurthe-et-Moselle, H 987.
37 Voir par exemple Hyacinthe de Casal, Le Censeur chrestien ou Advis importans & necessaires à toutes Personnes de quelque conditions qu’elles soient, pour la correction des plus ordinaires fautes que l’on commet envers Dieu, envers Soy-mesme & envers le Prochain, Paris, Jean Foüet, 1629, pp. 153-157.
38 Marie-Anne Merland, Guy Parguez, Répertoire bibliographique des livres imprimés en France au XVIIe siècle. Lyon, 2e partie, Baden-Baden, Ed. Victor Koerner, 1993, pp. 232-273.
39 Source : catalogue de la Médiathèque de Dole. Recherche effectuée le 14 novembre 2013.
40 Nous l’avons effectué en Lorraine dans les bibliothèques d’Épinal, Dieuze, Saint-Mihiel, Étain, Commercy, Nancy, Neufchâteau, Rambervillers. Pour d’autres régions, un catalogage particulièrement fin, qui prend en compte les mentions d’appartenance sur les livres, autorise ce genre d’enquête : le portail Lectura en Rhône-Alpes par exemple [http://www.lectura.fr].
41 On exclut de ce tableau les dons en argent destinés à l’achat de livres, pratique courante de la part des administrations urbaines au XVIIe siècle.
42 Marie-Françoise Poiret, Le Monastère de Brou. Le chef-d’œuvre d’une fille d’empereur, Paris, CNMHS, 1994, p. 59.
43 Louis de sainte Thérèse, Annales des carmes déschaussez de France, Paris, Angot, 1665, p. 173.
44 Cl. Courtépée, ouvr. cité, t. III, p. 477.
45 Requêtes dans la base « provenances » du fonds ancien de la Bibliothèque municipale de Lyon : [En ligne], http://sged.bm-lyon.fr. 31 ex-dono de la part d’Hugues Athiaud ; 13 de la part de Jean-Aimé de Chavigny ; 5 de la part de Pancrace Marcellin (consulté le 20 novembre 2013).
46 D’après Cl. Courtépée, ouvr. cité, t. IV, p. 498 ; sur cette famille, voir Léopold Niepce, Histoire de Sennecey et de ses seigneurs, Chalon, impr. J. Dejussieu, 1886.
47 C’est particulièrement vrai pour la Maxima bibliotheca veterum Patrum et antiquorum scriptorum ecclesiasticorum, Lyon, 1677, 27 vol. ; Sancti Bonaventurae ex ordine Minorum (...) opera omnia, Lyon, 1668, 7 vol. (BM Neufchâteau, C 107) ; et François Combefis, Bibliotheca patrum concionatoria, hoc est anni totius Evangelia, festa dominica, sanctissimae deiparae, illustriorumque sanctorum solennia, Paris, 1662, 8 vol. ; Jean de La Haye, Biblia maxima versionum ex linguis orientalibus pluribus sacri ms. codicibus..., Paris, 1660, 19 vol. (BM Neufchâteau, A 20) ; Hugonis de Sancto Charo (...) in libros Genesis, Exodi, Levitici, Numeri, Deuteronomii, Iosue, Judicum, Ruth, Regum IV, Paralipomenon II, Esdrae IV, Tobiae, Judith, Esther et Job, Lyon, 1669, 8 vol.
48 AD Eure-et-Loire, H 1269.
49 BM Nancy, ms. 1066(655), Libri bibliothecae FF carmelitorum discalceatorum..., 1696.
50 AD Hérault, 36 H 1, Catalogus librorum qui reperti fuerunt in Conventu nostro Montis Pessulani, 1676.
51 Cl. Courtépée, ouvr. cité, t. IV, p. 495.
52 AD Ille-et-Vilaine, 20H1, cité par Marie Berthelot, Les Bibliothèques des couvents masculins à Rennes au XVIIIe siècle, mémoire de Master 2, Université Rennes-2, 2012, pp. 28 et 113.
53 D’après les mentions portées sur les ouvrages cotés 702 T, 791 T, 774 T, 833 T, 99 T, 13 T, 108 T à la BM d’Étain.
54 AD Rhône, 8H126, État des livres légués aux Picpus de Beaujeu par le curé de Fleurie, 1761.
55 BM Reims, ms. 2003, [Catalogue de la bibliothèque des carmes de Reims, s. d., XVIIIe siècle].
56 Philippe Martin, « La lecture des curés français de l’idéal à la réalité (fin XVIe – fin XVIIIe siècles) », dans Religiöse Buchpraxis in der Frühen Neuzeit im Alten Reich und in Frankreich. Les pratiques religieuses du livre dans l’Empire et en France à l’époque moderne, à paraître.
57 Par exemple, les minimes de Bassing prêtent des livres au curé de Bidestroff (AD Meurthe-et-Moselle, H 987, année 1689).
58 Hypothèse que nous formulons d’après les observations, à l’échelle de la Bourgogne, de Dominique Dinet, Religieux et société. Les réguliers et la vie régionale dans les diocèses d’Auxerre, Langres et Dijon (fin XVIe – fin XVIIIe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, 2 vol., ici t. 2, pp. 666-694.
59 Durand de Maillane, Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéficiale, art. « Succession », Paris, Bauche, 1761, 2 vol., ici t. 2, p. 766.
60 AD Meurthe-et-Moselle, H 905.
61 Anne Bonzon, « Sociologie religieuse et histoire sociale : la paroisse », dans Ph. Büttgen, C. Duhamelle, dir., Religion et confession. Un bilan franco-allemand des recherches à l’époque moderne, Paris, Ed. de la MSH, 2010, pp. 373-392.
62 Les Ventes de livres et leurs catalogues, XVIIe-XIXe siècles, dir. Annie Charon, Élisabeth Parinet, Genève, Droz, 2000.
63 E. Bassaeus, Flores totius theologiae practicae, tum sacramentalis, tum moralis, Lyon, L. Anisson, 1663, 2 vol. (BM Neufchâteau, D 29).
64 Fabienne Henryot, Livres et lecteurs dans les couvents mendiants (Lorraine, XVIe-XVIIIe siècles), Genève, Droz, 2013.
65 BM Caen, ms. 110(523) : État et description générale des livres qui sont dans la bibliothèque des Religieux Cordeliers de Caen, fait en 1777. Sur ce religieux, voir Charles Fierville, La Vie et les écrits du Père François Martin, cordelier de Caen (1639-1726), Caen, A. Hardel, 1862.
66 AD Côte d’Or, 68H / R 1006 : Catalogus librorum omnium qui in bibliotheca capucinorum conventus divionensis continentur, 1699, non folioté.
67 Pratique qui ne relève pas du don au sens où elle est exigée et arbitrée par le provincial. Voir Fabienne Henryot, « Les Minimes de la province de Lorraine et les réseaux du livre aux XVIIe et XVIIIe siècles », dans Saint François de Paule et les minimes en France, ouvr. cité, pp. 313-327.
68 Cité par G. Sinicropi, ouvr. cité.
69 Charles-Louis Richard, Histoires du couvent des dominicains de Lille en Flandre et de celui des dames dominicaines de la même ville, Liège, [s. n.], 1781, pp. 105-108.
70 P. Moracchini, ouvr. cité, p. 153 (5 août).
71 Henri Tribout de Morembert, « Le testament d’Alphonse de Rambervillers (1633) », dans Annales de l’Est, 1965, pp. 149-162. Nous soulignons.
72 Voir, à l’échelle de la Lorraine, nos analyses dans F. Henryot, ouvr. cité, pp. 138-155.
73 BM Nancy, ms. 1074(653), Libri bibliothecae Divae Auxiliatricis, 1682-[1732], fol. 124 v.
74 Arlie R. Hochschild, « The Economy of Gratitude », dans David D. Franks, E. Doyle McCarthy, The Sociology of Emotions, Greenwich, Jai Press, 1989, pp. 95-113.
75 AD 54, H 905.
76 Bernard Dompnier, « Entre possession collective et usage individuel. Le livre chez les capucins français des XVIIe et XVIIIe siècles », dans B. Dompnier, M.-H. Froeschlé-Chopard, dir., Les Religieux et leurs livres à l’époque moderne, Clermont-Ferrand, PUBP, 2000, pp. 195-212.
77 BM Toulouse, ms. 884, Catalogue des livres de MM. De Caminade et Garaud de Duranty, légués au couvent des cordeliers de Toulouse, inventaire, testament, constat d’enlèvement, apostille.
78 Cl. Courtépée, ouvr. cité, t. VI, p. 211.
79 BM Rennes, ms. 568, Inventaire de la librairie de Messire Bertrand d’Argentré, senneschal de Rennes, sieur de Gosnes, 1582. Voir aussi Malcolm Walsby, « The Library of the Breton jurist and historian Bertrand d’Argentré in 1582 », dans M. Walsby, N. Constantinidou, Documenting the Early Modern Book World: Inventories and Catalogues in Manuscript and Print, Leyde, Brill, 2013, pp. 117-140.
80 AD Meurthe-et-Moselle, H 1028 : Index librorum bibliothecae conventus lunevillensiae, 1740.
81 BM Nancy, ms. 1066(655), doc. cité, fol. 156-161v.
82 AD Doubs, 95H5, Catalogue de la bibliothèque des RP Dominicains de Quingey, [s. d., milieu du XVIIIe siècle], p. 1.
83 Ilana F. Silber, « Entre Marcel Mauss et Paul Veyne : pour une sociologie historique comparée du don », dans Sociologie et sociétés, 2004, no 2, pp. 189-205, ici p. 194.
84 Sur la lecture symbolique du don, voir J. T. Godbout, ouvr. cité.