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Yannick Portebois et Dorothy Speirs, Entre le livre et le journal. Tome 1 : Le recueil périodique du XIXe siècle. Tome 2 : Des machines et des hommes

Lyon, ENS Éditions / Institut d’histoire du livre, 2013 (« Métamorphoses du livre »)

Anthony Glinoer

Sherbrooke

Dans le renouveau des études sur la presse du XIXe siècle, dû en bonne partie aux efforts de Marie-Ève Thérenty et d’Alain Vaillant, et qui a trouvé un aboutissement dans la somme que ces deux chercheurs ont co-dirigée avec Dominique Kalifa et Philippe Régnier, La Civilisation du journal (Nouveau Monde éditions, 2011), l’attention a surtout porté sur le journal quotidien. La revue, sans doute parce qu’elle souffre tout au long du XIXe siècle d’une grande ambiguïté quant à son identité même (périodicité, format, ambition) a fait l’objet de relativement peu de travaux. C’est donc une vaste lacune que comble le livre de Dorothy Speirs et de Yannick Portebois, d’autant que c’est la voie de l’histoire du livre, particulièrement féconde en l’occurrence, que les deux auteures ont choisie pour traiter cet objet complexe.

L’objectif est de cerner ce que les auteures appellent, avec prudence et lucidité, le « recueil périodique ». Pour l’aborder, elles opèrent une double ouverture. La première ouverture tient au support : à la revue (surtout les « grandes » revues généralistes du type Le Mercure de France et la Revue des deux-mondes et les « petites » revues littéraires de la fin de siècle) avec ses longs articles, sa périodicité mensuelle ou trimestrielle, sa mise en page sobre et son identité visuelle très proche de celle du livre, s’ajoute en effet le « magasin », destiné à un public plus vaste, paraissant le plus souvent sur base hebdomadaire, aux articles plus courts, disposés en colonnes et abondamment illustrés. La seconde ouverture est thématique. Dans la centaine de revues et de magasins conservés (en tout ou en partie) à la Collection du XIXe siècle français Joseph Sablé de l’Université de Toronto, que les auteures, professeures dans cette institution, ont dépouillée, on trouve tout autant des recueils périodiques consacrés à la littérature ou aux affaires publiques, que des publications scientifiques, religieuses, juridiques et pédagogiques.

Ainsi élargi, le corpus des recueils périodiques couvre l’ensemble du long XIXe siècle et est organisé en trois périodes : la première va du début du siècle à 1830, et est dominée par des revues en assez faible nombre et peu distinctes du livre sur le plan matériel ; la deuxième, de 1830 à 1880 environ, est marquée par l’explosion du phénomène, notamment grâce à l’introduction des magasins illustrés ; la troisième période s’étale de 1880 à 1914, et voit d’une part la prise en main par des écrivains et des artistes d’un grande nombre de petites revues à vocation littéraire et artistique, et d’autre part la naissance de « magazines » illustrés de photographies et publiés à grand tirage.

Le recours à l’histoire du livre est double dans cet ouvrage, comme l’expliquent Speirs et Portebois dans leur longue et impeccable introduction : cette discipline est d’abord mobilisée pour le dépouillement du corpus des recueils. Chacun des 103 recueils périodiques choisis fait l’objet d’une notice bibliographique où sont répertoriés les adresses de correspondance, les noms de l’imprimeur, du ou des directeur(s) de publication, les dates de publication, l’orientation politique affichée, les rubriques, les types d’illustration utilisés, les noms des principaux collaborateurs et les formules d’abonnement. On imagine ce qu’à l’avenir des études quantitatives sur les réseaux littéraires ou sur la géographie éditoriale parisienne pourraient tirer comme profit d’une telle recension. Le second volume d’Entre le livre et le journal reprend d’ailleurs le recensement de quelques recueils périodiques illustrés (la répétition au mot près des notices publiée dans le premier volume ne s’imposait sans doute pas), pour accompagner un riche imagier fait de représentations de machines, d’individus et de lieux (librairies, cabinets de lecture, bureaux de rédaction) associés au monde du livre et de l’imprimé périodique. À ces images font pendant des textes dans le premier volume.

L’histoire du livre est en effet mise à contribution d’une autre façon, qui consiste à étudier le recueil périodique comme un « observatoire du monde de l’imprimé ». Sont résumés et, si nécessaire, cités, les articles de recueils périodiques portant sur des sujets liés au commerce du livre, aux libraires et aux éditeurs, aux formats, à la censure, aux bibliothèques publiques, aux technologies, aux gravures ou encore aux métiers du livre et de l’imprimé. À l’heure de la numérisation massive des revues et journaux du XIXe siècle8, un tel dépouillement, qui fait la part belle à la paraphrase des articles, est éminemment utile pour accompagner la lecture de l’immense corpus des recueils périodiques. Et ce d’autant plus que les deux volumes du livre s’achèvent sur un indispensable index non seulement des noms (de journalistes, de graveurs, d’éditeurs) et des titres de recueils, mais aussi des thèmes qui sont traités dans ceux-ci, comme « mauvaises lectures », « propriété littéraire » ou « contrefaçon ». Tout cela fait du rigoureux et érudit Entre le livre et le journal un outil des plus précieux, que tous les amateurs d’histoire du livre et de l’imprimé au XIXe siècle auront intérêt à garder à disposition.

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8 De fait la collection de Toronto a été entièrement mise en ligne sur le site archive.org.