Hans-Jürgen Lüsebrink, « Le livre aimé du peuple », les almanachs québécois de 1777 à nos jours
Québec, Les Presses de l’Université Laval 2014, 422 p., ill. (« Cultures Québécoises »)
Jean-Michel Mouthon
Hans-Jürgen Lüsebrink, professeur à l’Université de Sarrebruck, qui s’exprime une fois de plus avec autant d’aisance en français que dans sa langue maternelle, nous offre dans cet ouvrage qui intéressera même les lecteurs profanes, une rétrospective impressionnante sur « les Almanachs québécois de 1777 à nos jours ». Dès les premières lignes, l’étymologie nous est livrée : le mot almanach est dérivé de l’arabe al manakh, qui signifie le livre de comptes, et
que l’on trouve à partir du XIIIe siècle, et probablement pour la première fois chez le mathématicien et astrologue marocain Ibn el Bannâ de Marrakech, pour désigner un tableau d’éphémérides du soleil et de la lune.
Les almanachs sont apparus en Occident dès le XVe siècle, avec l’imprimé : ils permirent une lecture à haute voix, devenant ainsi vecteurs de la connaissance pour ceux qui ne savaient ni lire, ni écrire. En 1764, apparut le premier calendrier au Québec, suivi de l’Almanach encyclopédique en 1777 et de l’Almanach curieux et intéressant l’année suivante.
L’auteur souligne que l’almanach, calendrier accompagné de divers renseignements, a comporté dès l’origine une partie calendaire (signes du zodiaque, noms des saints, dates des éclipses de soleil), suivie d’un tableau des événements pendant l’année écoulée. La troisième partie fournissait des renseignements utiles. Enfin les variétés et anecdotes formaient l’ultime chapitre : l’ensemble devenait ainsi l’almanach des familles avec une chronologie de l’histoire universelle, jusqu’à nos jours, réalisant une « petite encyclopédie canadienne des événements, des gens et des choses ». Les illustrations se multiplièrent à la fin du XIXe siècle, période marquée aussi par la croissance du tirage de chacun des titres, jusqu’aux 80 000 à 100 000 exemplaires de l’Almanach du peuple dans les années 1900-1925. Le Guide du cultivateur était un véritable livre, conservé pour consultation bien au-delà de l’année de parution et devenu un véritable media. L’humour n’en était pas absent, telle cette historiette reprise par Hans-Jürgen Lüsebrink :
À la bibliothèque nationale, un monsieur avisant le garçon :
— Je voudrais bien avoir un ouvrage.
— Très bien ! Mais quel ouvrage ? De quel auteur ?
— Hauteur moyenne... C’est pour m’asseoir dessus.
Dans l’histoire du livre et de l’imprimerie au Québec, les éditeurs francophones étaient souvent passés par la France pour se former, quand ils n’étaient pas d’origine française : ce fut le cas de Fleury Mesplet (1734-1794), né à Lyon, imprimeur-libraire à Montréal de 1777 à 1791, après un séjour à Philadelphie en 1774-1776. Lui sont dus l’éphémère Almanach encyclopédique (année 1777), puis l’Almanach curieux et intéressant (1778-1784), pour un public plutôt cultivé, sans oublier l’« Avertissement » de son Catéchisme à l’usage du diocèse de Québec, également en 1777. Hans-Jürgen Lüsebrink s’est aussi intéressé à la librairie Jean-Baptiste Rolland, fondée en 1842, éditrice d’almanachs de 1877 à 1888, touchant ainsi un public plus vaste qu’avec les seuls livres de piété. En concurrence avec l’établissement Beauchemin et Perrault (1840-1940), le plus important de Montréal, éditeur de l’Almanach du peuple (de 1855 à nos jours), ces éditeurs, avec d’autres, réalisèrent un véritable « livre de famille qui pénétra dans tous les milieux canadiens ».
Ces quelques exemples choisis parmi tous ceux rapportés par l’auteur, mettent aussi en évidence le rôle de la publicité, et cela dès le XVIIIe siècle : il s’agissait de catalogues de livres, mais aussi d’objets d’utilisation courante, jusqu’aux rasoirs Gillette du XXe siècle. L’Almanach du Dr. Ed. Morin donnait des informations touchant à la santé, avec ses « Pilules Cardinales » et à la « Poudre » du même nom qui faisaient miracle contre l’anémie, la faiblesse et l’inappétence. Il en fut de même pour l’Almanach illustré Bristol à Montréal, conçu
à partir d’un almanach anglais, de type pharmaceutique, très répandu, notamment au Brésil (Almanaque de Bristol).
Tout au long de ce vaste panorama, retracé méticuleusement par l’auteur, le lecteur pourra retrouver les multiples aspects abordés, qui font finalement transparaître l’histoire du Québec à travers celle des almanachs. Des personnalités remarquables s’imposent, comme celle de Sylva Clapin (1853-1928), rédacteur d’un Almanach du peuple au caractère réellement encyclopédique, sans oublier, dès 1909, la rubrique « nos fautes », destinée à faire parler le « bon » français, ou encore le « Dictionnaire canadien français ». Peuvent être encore cités Louis Fréchette (1839-1908) et Albert Tessier (1895-1976), tandis que Robertine Barry (1863-1910) est la première femme de lettres et journaliste au Québec, et Marie-Claire Davely (1880-1968) l’« historienne de nos gloires féminines ».
Hans-Jürgen Lüsebrink insiste sur l’importance prise au fur et à mesure par les almanachs dans la constitution de la mémoire du passé, dans la réflexion politique sur le présent et dans la vision de l’avenir : à travers la chronique de chaque année s’organise un véritable recueil historique constitutif de la mémoire nationale, sans oublier le rôle des missionnaires et du catholicisme jusqu’à la moitié du XXe siècle. Les grandes figures de Jacques Cartier, de Champlain et de Montcalm sont évidemment évoquées, ainsi que celles des « Patriotes de 1837 » : ils marquent « quelques-uns des éphémérides des grands événements touchant le Canada ». Sur le plan littéraire, nul francophone n’a oublié Maria Chapdelaine de Louis Hémon. Le lecteur de langue française ne pourra qu’être reconnaissant à Hans-Jürgen Lüsebrink, spécialiste allemand des littératures et cultures francophones, d’avoir su retracer avec bonheur une véritable histoire du Québec de 1777 à nos jours, richement illustrée et complétée par une bibliographie et par un index des noms qui en facilitent la consultation.