Un ouvrage technique français de la Bibliothèque bleue, le Bâtiment des recettes
Geneviève DEBLOCK
Conservatrice en chef des bibliothèques, diplômée de l’EPHE
Le Bâtiment des recettes fait partie des quelques ouvrages techniques appartenant au XVIIIe siècle à la Bibliothèque bleue, une littérature bon marché diffusée par des colporteurs, composée d’ouvrages très divers, médiocrement imprimés, édités et souvent réédités en grand nombre.
Ce recueil anonyme de secrets pratiques est imprimé dès 1539. Il est alors traduit, avec quelques ajouts, du recueil italien Dificio di ricette, lui-même édité dans les années 1525. Les cinquante huit éditions retrouvées du Bâtiment des recettes, parues entre le XVIe et le XIXe siècle, témoignent de l’intérêt certain qu’il suscite en France dès le début du XVIe siècle, et de la longévité de ce succès. Cependant, les facteurs de cet intérêt évoluent au cours des siècles. Les différentes transformations de l’ouvrage, même minimes, en attestent1.
LE XVIe SIÈCLE
L’ouvrage se construit en deux temps, durant la première moitié du XVIe siècle, époque à partir de laquelle il est possible de dérouler son histoire. Il est composé d’une suite de recettes diverses, souvent brèves : vie domestique, enfantement, artisanat (autour du livre et de la teinture), préparations de denrées de luxe (confitures, parfums, savons), et recettes de médecine, soins du corps, cosmétiques, qui sont les plus nombreuses. Le vocabulaire est simple, composé de verbes d’action. Les nombreux ingrédients mentionnés sont en général des végétaux, assez communs. Les prescriptions sont faciles à effectuer. La magie naturelle, qui propose une vision mystique de la nature et de ses mystères, est bien présente dans ce monde de la Renaissance. À cela s’ajoutent l’humour et le divertissement. Ils émaillent l’ouvrage, et sont souvent apportés par des recettes de bateleurs ou de charlatans.
La littérature de secrets2 est une forme littéraire qui fait de ses lecteurs des expérimentateurs. C’est là son originalité. Avec l’imprimerie, elle est plus largement divulguée, et prend une dimension nouvelle. Ainsi, dans la littérature imprimée du XVIe siècle, nos deux titres, italien et français, sont portés par un concept commercial nouveau, une recherche d’innovation de produit3 à une époque où le marché du livre donne des signes de saturation. Il devient en effet nécessaire d’élargir le public du livre imprimé et de capter une clientèle plus importante que celle des clercs et autres lecteurs habituels des livres manuscrits et imprimés. Une dimension nouvelle est alors donnée à des pratiques culturelles déjà en place, mais accessibles jusque là à un public très restreint. Pour cela, le Dificio di ricette emprunte à la fois à la tradition médiévale des nombreux livres manuscrits de secrets, et à la production de manuels pratiques imprimés. Le Bâtiment des recettes reprend cette formule performante, et la traduit.
Le choix d’utiliser une langue vernaculaire plutôt que le latin, correspond bien, de la part des imprimeurs libraires, à la décision de conquérir sur place un nouveau lectorat parmi l’élite sociale alphabétisée. La date de la première édition française, chez le parisien Jean III Du Pré, 1539 d’après le privilège, coïncide avec celle de la signature par François Ier de l’ordonnance de Villers-Cotterêts4, qui instaure le français comme langue officielle du royaume. L’ordonnance ne fait qu’accentuer cette tendance déjà sensible à réduire l’utilisation du latin au profit d’un français, certes toujours lu et parlé par une minorité, mais tout de même plus largement accessible que le latin.
Le choix d’un contenu technique, et même pratique, lié à la vie quotidienne, renvoie aussi à la volonté de capter une large clientèle, dès lors accessible grâce à l’invention de l’imprimerie et à la multiplication des exemplaires. Parallèlement aux éditions latines des grands textes scientifiques, les ouvrages techniques sont en général imprimés dans les différentes langues vernaculaires5. Parmi ceux-ci, une littérature médicale se développe en France dès les années 1530, mue par une volonté de promouvoir une forme de santé publique et de diffuser un savoir spécialisé6. Les livres et les livrets de secrets en font partie.
Le Dificio di ricette, n’est pas un résumé des grands recueils de secrets tels que ceux d’Alexis le Piémontais7 ou de Giambattista Della Porta8, car ceux-ci paraissent trente ans plus tard. Il est un savant dosage de recettes domestiques, de recettes artisanales et de tours de charlatans. C’est donc à la fois un ouvrage potentiellement utile dans un univers où les produits de consommation sont confectionnés à domicile, et une source de divertissements. Le Bâtiment des recettes est plus important : l’adjonction de deux nouveaux recueils9 le transforme, et l’oriente plus vers l’automédication, médecine domestique destinée à des non spécialistes, et vers le divertissement. Ces nouvelles orientations lui ouvrent l’accès à un public plus diversifié.
Cependant, les deux recueils ont pour but, non pas quelque apprentissage théorique, mais la diffusion de savoirs empiriques utiles pour le quotidien, de « savoir-faire » liés au geste lui-même10 et proches de la transmission orale dont certaines recettes sont issues. Les quelques conseils rencontrés dans certaines recettes transmettent d’ailleurs des savoir-faire ponctuels, des astuces pour réussir les recettes, issues d’un constat dans l’expérience de l’échec et de la réussite à travers la répétition de gestes quotidiens11. Ils sont donc de l’ordre de la mémoire, fragiles et précaires. C’est ce qui peut expliquer l’immuabilité du texte au cours du temps.
Le Dificio di ricette ne comporte aucun texte dédicatoire à un quelconque mécène ou protecteur. Il est cependant le premier, et le mieux structuré parmi les nombreux livrets de secrets imprimés qui paraissent durant le XVIe et le XVIIe siècle en Italie. Il est introduit par une table des matières et une épître au lecteur. L’engouement particulier pour ce titre en est peut-être la raison, parmi la quantité de livrets semblables, qui prouvent au demeurant l’intérêt de l’époque pour ce genre de littérature12. Les pages de titre de ses premières éditions sont de véritables pages publicitaires, qui focalisent l’attention sur la nouveauté plus ou moins vraie, mais destinée à attirer le client. Le procédé semble être efficace, puisqu’il est repris dans au moins cinq éditions successives. Il s’agit bien d’un produit commercial, fabriqué à moindre prix et destiné à être vendu en nombre.
Le Bâtiment des recettes reprend cette technique d’annonces publicitaires. On retrouve par exemple dans le titre, jusqu’au XIXe siècle, l’expression trompeuse « augmenté d’une infinité de beaux secrets depuis peu mis en usage ».
Dans le Bâtiment des recettes, deux dizains sont ajoutés à l’épître au lecteur et à la table des matières traduites du Dificio di ricette. Ils sont donc probablement écrits ou commandés par le libraire Jean III Du Pré, qui a organisé cette traduction. Puis, de nouveaux paratextes sont ajoutés avec l’apparition du Plaisant jardin (1551), une épître du translateur et une postface en prose, ainsi qu’un huitain et un neuvain.
Il n’y a pas d’auteur concepteur de textes dans le Bâtiment des recettes, mais, plutôt un ou plusieurs compilateurs, rédacteurs, traducteurs, qui travaillent autour d’un projet de l’imprimeur libraire. Ces polygraphes ne semblent pas être reconnus comme des acteurs importants de l’édition, puisque les recueils sont anonymes. En effet, un seul nom est mentionné, en dehors de ceux des imprimeurs libraires, celui du traducteur du Plaisant jardin, Quillery de Passebreve – et il semble avoir été déformé13, ce qui peut être vu comme le signe d’un collaborateur subalterne. Il ne s’agit d’ailleurs pas de la présentation de travaux et de découvertes personnelles, mais de la transmission de savoirs empiriques, acquis pour certains par des siècles de traditions et d’observations.
Un élément tient une place importante dans les épîtres au lecteur : l’imprimerie, outil indispensable du double but clairement annoncé de l’ouvrage, utilité publique et plaisir du lecteur. L’auteur ou le compilateur dit en effet avoir été prié par ses amis,
pour l’utilité publique, de faire imprimer & mettre en forme le grand nombre de beaulx secretz à ce que ilz & tous pareillement qui se délectent & prennent plaisir à semblables honnestetez en peussent avoir la copie14.
Le médecin et chirurgien Leonardi Fioraventi fait de même dans son recueil encyclopédique de secrets, Dello specchio di scientia universale. Il ajoute que, grâce à l’imprimerie, les livres ont multiplié ce que chacun peut savoir, spécialement parce que la majorité d’entre eux sont publiés dans leur langue maternelle15. C’est le cas ici, comme en général dans les recueils de secrets. L’édition en langue vernaculaire est donc une double source de progrès.
À la notion d’utilité est ajoutée à celle de plaisir, importante et tout à fait réelle au XVIe siècle. L’auteur de l’épître du Bâtiment des recettes précise même, avec un vocabulaire fort, avoir travaillé pour que les lecteurs « se délectent & prennent plaisir à semblables honnestetez ». La dédicace du poète Dionigi Atanagi aux Capricci medicinali de Leonardo Fioraventi16 développe cette même idée : elle loue le style d’écriture, simple, clair, de ce « précieux joyau », dont le but est d’être compris par le commun des mortels. Ce n’est donc pas uniquement le contenu très utilitaire qui enthousiasme les lecteurs humanistes du XVIe siècle, mais c’est aussi, au-delà de son utilité, l’existence d’un tel ouvrage jusqu’alors inaccessible, la conviction de l’intérêt qu’il y a à publier des savoirs plutôt qu’à les cacher, et l’ouverture que cela représente pour la société. On comprend mieux à cette lecture la vague d’éditions et de traductions de recueils de secrets qui envahit l’Europe des Temps modernes.
La volonté humaniste de servir la société et parallèlement la volonté de comprendre la nature, c’est-à-dire le monde, sont des préoccupations de la Renaissance qui coïncident avec la notion de littérature de manuels d’apprentissage. Mais on peut avancer plus loin, avec William Eamon, dans l’interprétation de ce discours récurrent. Il reflète en effet les controverses importantes et graves qui accompagnent cette mutation, et qui dureront jusqu’au XVIIe siècle : le dilemme dans lequel se trouvent les auteurs de recueils de secrets vient de ce qu’il leur est précisément reproché de divulguer des savoirs cachés jusqu’ici et de le faire en langue vernaculaire. Les paratextes sont pour eux l’occasion d’une mise au point sur leurs conceptions. Par la formulation d’une réponse publique, ils font face aux critiques du monde érudit.
Par contre, l’annonce de tours et de joyeusetés est probablement la marque de livrets vendus par des saltimbanques ou des charlatans à l’occasion de leurs spectacles17. Les recettes en sont dispersées dans l’ouvrage : elles sont très diverses, allant du tour d’illusionnisme à la farce ou bien à l’extraordinaire et au merveilleux. Une série fait cependant exception. Intitulée « Pour faire choses à plaisir, & par joyeuseté », elle a dû être vendue séparément avant son intégration au recueil. Ce genre de recettes est même présenté comme un gage de sociabilité et un argument de vente dans le neuvain qui introduit le Plaisant jardin. Celui-ci se termine par une boutade promettant de guérir les « testes » par l’amusement, aussi bien que les corps sont guéris par la médecine, mais cela toujours « en tout honneur » :
Tu as icy pour t’amuser
Ce petit livre de receptes
D’esquelles tu pourras user
Soit en jours ouvriers ou aux festes
En batissant choses honnestes
Pour resjouir tout noble cœur
Et guarir tant de pieds, mains, que testes
Qui te fera bruyt & honneur.
Ces préoccupations ne sont pas partagées par les grands professeurs italiens de secrets tels qu’Alexis le Piémontais, Isabelle Cortese, ou bien en France par Nostradamus (1503-1566). Elles donnent à l’ouvrage un ton ludique et invitent au divertissement. Certaines, peu nombreuses, pour se désenivrer ou bien pour apprendre à « chaparder » vont même à l’encontre de l’ordre établi. Elles abordent la transgression de l’interdit, et donnent un certain goût de liberté face à celui-ci. On les retrouve dans la Magie naturelle de Giambattista Della Porta, qui reconnait qu’il aurait
estimé convenable de passer sous silence ces choses (...) et les laisser à deschiffrer aux ruffiens, supposts de taverne, cuisiniers et cabaretiers, comme moult eslongnées de nostre dessein, mal convenables, & moins propres pour insinuer aux oreilles pures18.
Mais il ne résiste pas au plaisir de citter parmi les « merveilles de la nature »19 quelques supercheries qu’il trouve astucieuses.
Il y a parmi celles-ci une part de magie. La magie naturelle fait partie de la pensée au XVIe siècle20, et elle est un ingrédient à part entière qui s’intègre parfaitement dans le recueil de recettes, au point que le lecteur ne puisse en délimiter les frontières21 :
Dans les sociétés où on ne fait pas de distinction fondamentale entre nature et surnature, on ne peut pas non plus distinguer la technique de la magie22,
d’autant qu’elle fait appel à des notions ou à des langages dont nous avons souvent perdu les clés.
Les recettes destinées à créer des illusions d’optique à partir de lampes à huile, proposées dans le Bâtiment des recettes, en sont un exemple : elles sont anciennes, et sont reprises et mieux expliquées par G. Della Porta23. Mais, les ingrédients utilisés vont d’une huile mêlée de vert de gris, créant une ambiance cadavérique, à une huile mêlée de têtes de lièvres et de chiens pulvérisées, faisant basculer l’expérience dans une dimension surnaturelle « pour faire sembler qu’en une chambre il y ait une chasse de bêtes sauvages ». Ce sont surtout ces dernières recettes, les plus terrifiantes mais aussi les plus attractives commercialement, qui sont choisies dans le Bâtiment des recettes. Souvent inutiles si ce n’est pour la distraction, elles ont leur part d’importance parmi les multiples préoccupations domestiques et artisanales.
L’association de recettes pratiques, de magie, de facéties et de bons tours conduit en effet à une juxtaposition de différents niveaux d’écriture et de réception des messages où s’insinuent rire, terreur, confusion, doute ou hésitation. Outre une dimension très sociable de « plaisir et joyeuseté », ce mélange invite le lecteur à une distanciation par rapport au texte imprimé. Il y a d’ailleurs une logique à présenter sur le même plan les recettes extraordinaires et spectaculaires : que celles-ci relèvent d’une supercherie, d’un spectacle, ou bien de la magie naturelle, elles ont toutes un caractère paradoxal24. Les unes sont considérées comme des secrets de nature, les autres relèvent d’un truquage, d’une falsification25 ou d’une facétie. Le compilateur peut ainsi jouer de l’ambiguïté.
Durant le XVIe siècle, la mise en page du Bâtiment des recettes se transforme assez profondément suivant les éditions, allant de l’impression de lettres d’attente destinées à un livre précieux dans certaines éditions (Jean III Du Pré, 1539, Marnef 1540) à des éditions de livrets à bon marché, archaïsants, non chiffrés, sans table des matières (Paris, Ponce Roffet, 1544) ou utilisant des caractères gothiques (Anvers, 1544). Ces différences de traitement d’un même texte impliquent une diversité de destinations de l’ouvrage, liée à une diversité de diffusion, dans les librairies, ou bien hors de celles-ci par des colporteurs et des merciers. La formule qui consiste à reprendre des ouvrages à succès dans des éditions à bon marché, traditionnellement attribuée au troyen Nicolas Oudot au début du XVIIe siècle, est donc déjà bien connue au XVIe siècle.
Le public potentiellement intéressé par ces recueils de recettes est principalement urbain, et il semble assez large et diversifié : on sait qu’existe à Venise tout un puissant artisanat centré autour du manuscrit, du livre et de la couleur, et cette ville est précisément le berceau du Dificio di ricette. Mais ces recueils s’adressent aussi à des élites sociales urbaines, masculines et féminines, raffinées et alphabétisées, qui usent de cosmétiques, savons et parfums, lisent, écrivent et peuvent avoir l’utilité d’encres sympathiques ou d’une chandelle « pour voir bien cler la nuit », qui emportent du papier encré pour écrire en voyage, qui se préoccupent de leur plaisir (recettes de confitures, élevage d’un rossignol en cage), de leur bien-être et de leur paraître, qui peuvent avoir une résidence campagnarde, des domestiques pour l’entretien des vêtements de tissus précieux comme l’écarlate et le velours, et posséder des armes pour la protection en ville.
Si les recettes de confitures s’adressent à « gens mesnagers », elles s’adressent aussi à un public féminin. En effet, contrairement à la cuisine, qui est une activité ancillaire, ces préparations intéressent des maîtresses de maisons aristocratiques, qui collectionnent et rédigent elles-mêmes les recettes manuscrites ou imprimées. Elles le font pour leur plaisir et pour accomplir leurs devoirs d’hôtesses, d’hospitalité et de secours aux malades et aux plus pauvres26. Comme d’autres ouvrages tels que L’Excellent & moult utile opuscule à touts necessaire, qui désirent avoir cognoissance de plusieurs exquises receptes..., de Michel de Nostre Dame, ou la Pratique de faire toutes confitures, condiments, distillations d’eaux odoriférantes et plusieurs autres recettes très utiles (Lyon, Benoist Rigaud, 1558), le Bâtiment des recettes possède la double spécialité de recettes de confitures et de cosmétiques, et propose en outre des recettes de savons ou de parfums27. Jean-Louis Flandrin fait de ce genre de petit livre d’économie domestique l’ancêtre de ce qu’il appelle les « livres d’offices » des XVIIe et XVIIIe siècles, qui ajoutent des recettes d’eaux distillées, de boissons rafraichissantes et de glaces aux recettes de confitures, de savons et de pommades. Il note qu’
en France et en Italie, les recueils de secrets ne fournissent jamais de recettes de cuisine, mais tout au plus des recettes de confitures, conserves, électuaires, etc., spécialités sucrées longtemps associées aux remèdes et donc à la thérapeutique.
On peut ajouter à ce lectorat certains domestiques attachés à l’entretien de la maison, et ce que Robert Halleux appelle les « hommes de la pratique » : officiers, marchands, architectes, ingénieurs et artistes, qui ont un accès à l’écrit et à la culture savante, peuvent être intéressés par les recettes proposées et sont à l’interface des savoirs savants et pratiques. La frontière entre les gens de l’écrit et l’illettrisme n’est certes pas étanche28 : la recette d’une chandelle « pour voir bien cler la nuyct » s’adresse à un public de lecteurs, mais aussi de graveurs :
Beau secret pour voir bien cler la nuit, et sans corrompre la veue, tant pour vieux que jeunes, soit pour escrire ou estudier, ou faire quelque ouvrage delié29 comme taille et autre cas.
Certaines éditions proposant des recettes pour protéger les récoltes contre les charançons (Ponce Roffet, 1543) peuvent s’adresser à des gentilshommes campagnards, « hobereau, riche laboureur ou maître d’école », tels que le sire de Gouberville ou le riche laboureur Robin Chevet, mentionnés par Henri-Jean Martin30. Ces recueils sont-ils enfin destinés également à certains lecteurs désireux de gagner quelque argent,
Soit en jours ouvriers ou aux festes...
Pour résjouir tout noble cœur
Et guarir tant de pieds, mains que testes
Certaines recettes comme celle proposée par Symon de Milan
pour faire une gentillesse devant grans seigneurs c’est à savoir faire de deux façons vin : l’ung semblera vin et l’autre eau, et en boutant tout ensemblera estre laict31,
pourraient le confirmer. Mais, l’illusionniste Fanch Guillemin voit plutôt « quelques simples trucs drôles, qui à défaut d’être efficaces, amuseront pour le moins l’acheteur », car leurs auteurs préservent leur gagne pain et n’expliquent pas vraiment leurs tours – dont la technique est souvent très élaborée et difficile à acquérir, il est important de le rappeler32.
Les rares traces de possesseurs du XVIe siècle que nous avons pu relever, confirment cette diversité des publics, quoiqu’aucun métier ne soit mentionné : un exemplaire parisien édité par Jean Ruelle (1560) et détenu par un habitant de Valenciennes, un exemplaire édité à Caen chez Michel Angier (1552), détenu par un « noble et puissant seig[neur] », ou bien un exemplaire édité par le grand imprimeur libraire lyonnais Jean I de Tournes (1551) et ayant appartenu au célèbre Marc Fugger. Frédéric Barbier parle d’une « nouvelle frange inférieure, alphabétisée, des possédants »33, William Eamon parle, pour l’Italie, d’une classe moyenne grandissante, « plus intéressée par des préoccupations matérielles que spirituelles ou purement intellectuelles », et Pamela H. Smith met l’accent sur la croissance d’une culture urbaine et la montée d’une classe moyenne à forte mobilité sociale, ne bénéficiant plus de la transmission familiale d’un savoir technique, et désireuse de trouver des conseils de tous ordres34.
Cependant, le lectorat prend la liberté de recevoir ces recettes à sa manière, qui ne correspond pas obligatoirement aux prescriptions et aux attentes des auteurs. Le premier dizain du Bâtiment des recettes, qui introduit l’ouvrage, donne clairement le ton :
Lecteur, il ne fault que tu pense,
Que celluy qui fist cest ouvraige
N’aye eu regard a la despense,
Et ne face riens par oultraige.
Pour autant, ne te descouraige,
Sen esprouvant son escripture
Tu faillois par cas d’aventure
Car il est bref, & presuppose
Que saches drogues & misture.
Bon esprit ne veult nulle glose35.
Il insiste sur l’importance d’un certain savoir-faire, et du suivi précis d’une recette pour obtenir un bon résultat. D’autres auteurs de recueils, comme Isabelle Cortese, Leonoado Fioraventi ou Alexis le Piémontais, avertissent de la possibilité qu’une recette échoue. Alors, écrivent-ils, il faut que le lecteur
regarde de ne s’être abusé en quelque chose, & qu’il la commence, de nouveau, avec plus grande diligence36.
Il semble cependant que, malgré les injonctions des auteurs à suivre scrupuleusement leurs prescriptions, les lecteurs prennent plus de liberté avec le texte. William Eamon remarque que nombre d’exemplaires des Secrets d’Alexis le Piémontais parvenus jusqu’à nous ont été largement compulsés jusqu’à l’usure, et annotés de commentaires, d’additions et même de corrections de certaines recettes37. La lecture est une aventure personnelle faite de
danses entre lecteurs et textes là où, théâtre désolant, une doctrine orthodoxe avait planté la statue de « l’œuvre » entourée de consommateurs conformes ou ignorants38.
Si l’on ne peut faire que rarement le même constat pour le Bâtiment des recettes, n’est-ce pas parce que les exemplaires de ces livrets moins onéreux ont tout simplement disparu, ou bien parce que leurs possesseurs, s’ils savent lire, sont moins à l’aise avec l’écriture ? L’apprentissage de la lecture et celui de l’écriture sont deux apprentissages séparés jusqu’au XIXe siècle, et l’on sait que, longtemps, la capacité à savoir lire est plus répandue que la maîtrise de l’écriture. On a relevé la présence dans certains exemplaires de notes manuscrites aux orthographes fautives ou phonétiques, qui ne sont pas particulières à tel ou tel titre, puisque Marie-Dominique Leclerc fait les mêmes constats au sujet d’autres ex-libris manuscrits39 rencontrés dans des ouvrages de grande diffusion.
ÉVOLUTION À TRAVERS LES SIÈCLES
À partir des années 1562, aucune nouvelle édition italienne n’est retrouvée. Par contre, le Bâtiment des recettes continue à être édité jusqu’aux premières années du XIXe siècle. Son contenu offre une grande continuité, du XVIe au XIXe siècle, sans paraître jamais influencé par une littérature savante autre que celle de son siècle, le XVIe siècle, empreint de magie naturelle.
Comme l’ensemble des livres de colportage, ce recueil de secrets participe d’un monde intemporel parallèle à celui de la littérature savante, alors que les XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles sont des périodes de bouleversements dans la pensée et l’édition scientifique, et les XVIIIe et XIXe siècles dans l’édition de vulgarisation scientifique. Pourtant, malgré une apparence d’immobilisme, le Bâtiment des recettes a une histoire. Il évolue au cours des siècles, dans son contenu comme dans sa perception.
Sa longue carrière traverse plusieurs phases. L’ajout d’un nouveau recueil intitulé Plaisant jardin des recettes dans les années 1550 peut être déjà considéré comme une dégradation de la mise en livre, car la table des matières et l’épître au lecteur ne sont pas actualisées40 et perdent donc en partie leur fonction de présentation de l’ouvrage. C’est aussi à cette époque que la note de sérieux introduite lors de la première traduction par le dizain transcrit plus haut, « Lecteur il ne faut que tu penses », disparaît au profit, semble-t-il, de l’introduction du recueil du Plaisant jardin. Ce nouveau texte contient plus de « tours » et de magie parmi les recettes que le précédent, et le huitain transcrit plus haut, « Tu as icy pour t’amuser ce petit livre de receptes » annonce d’ailleurs tours et amusements comme des arguments de vente de l’ouvrage. Le Plaisant jardin est suivi du divertissement poétique de la « Médecine de Maistre Grimache », une suite de pièces en vers, parodies de recettes de médecine censées luter contre les vicissitudes de la vie, « pour n’avoir jamais pauvreté, pour n’avoir jamais faim », etc. Il y a donc durant la deuxième moitié du XVIe siècle une deuxième phase de construction, un bref recentrage du texte, qui correspond à une période plus riante et sinon plus lettrée, du moins plus poétique, dans une France pourtant en pleine guerre de Religions.
Au XVIIe siècle, les éditions de colportage deviennent l’apanage de villes provinciales comme Troyes ou Rouen. Dès les premières années, le divertissement poétique qu’est la Médecine de Maistre Grimache disparaît, et le Bâtiment des recettes redevient une simple compilation de secrets. Parallèlement, certaines recettes archaïques sont supprimées dès le début du XVIIe siècle et durant le XVIIIe siècle. De même, l’épître au lecteur est dans une certaine mesure actualisée41 : elle est amputée de sa deuxième partie, c’est-à-dire du plan de ce qui n’est plus que le premier recueil de recettes d’un ensemble intitulé Bâtiment des recettes. Elle conserve uniquement la première partie, dans laquelle le compilateur expose son projet de transmission d’un savoir pour l’utilité publique et pour la délectation de ses lecteurs.
Au cours du deuxième tiers du XVIIe siècle, le seul dizain restant,
Un berger las de sa musette, / Ne voulant plus muser ne rire,
En menant sa trompe doucette, / Ha voulu son esprit reduire
Aux herbes, et d’elles escrire / Quelque vertus (sic) à son plaisir.
Et pourtant qu’il avoit desir / Satisfaire à sa bergerotte,
Pour elle ha cy voulu choisir / Quelque recepte plus mignotte.
est déplacé au début du texte42. Il introduit alors les éditions par l’image emblématique du berger, détenteur d’un savoir « naturel »43 traditionnel, et maintient donc toujours la vision philosophique d’un monde magique.
Puis, tous les paratextes disparaissent vers la fin du XVIIe siècle. Ces disparitions sont accompagnées d’une dégradation générale des éditions, que l’on constate dans l’ensemble de la littérature de colportage et particulièrement au XVIIIe siècle : utilisation de papiers de mauvaise qualité, présence de coquilles dont certaines sont graves au point de rendre la recette incompréhensible, mots oubliés. Ces erreurs s’accumulent au fur et à mesure des éditions, quelles qu’en soient les villes d’édition qui se copient les unes et les autres. Excepté un essai de réécriture et de modernisation d’un texte vieilli, tenté à Lyon par le libraire Jacques Lions à la fin du XVIIe siècle, les quelques réactualisations se font en négatif, en supprimant paratextes ou recettes vieillis et non en les remplaçant par de nouveaux textes. Le projet éditorial n’est plus celui d’une construction, mais celui d’un recyclage44. La volonté humaniste d’un lettré de servir la société en diffusant des secrets n’est plus d’actualité, ni même le « grand plaisir » à lire cette littérature. Les idées véhiculées par les paratextes sont devenues obsolètes : même si ceux-ci exprimaient une volonté d’explications de la part des auteurs pour leurs lecteurs, ils sont peu à peu purement et simplement supprimés, sans essai de réactualisation de la part des imprimeurs libraires.
La fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle correspondent aussi à un essor de l’alphabétisation en France, dont découle un changement de dimension dans l’édition de colportage. Les imprimeurs libraires de livres à bon marché élargissent alors la diffusion de leurs ouvrages : en s’ouvrant davantage à un public rural (cette population représente au début du XVIIIe siècle environ 85 % de la population du royaume), ils accroissent leur rendement. Le nombre de colporteurs et de « libraires forains » augmente, qui sillonnent les villes, mais aussi les campagnes. L’ajout, dans une édition lyonnaise de 169345, d’un recueil entièrement consacré à la médecine vétérinaire montre que le Bâtiment des recettes se vent dans le monde rural, non plus seulement auprès de propriétaires de résidences campagnardes, mais aussi de paysans éleveurs de vaches et de brebis.
Le procédé de diffusion des réseaux de colporteurs qui vont au-devant de leurs lecteurs, en ville, puis aussi dans les campagnes46, est un paramètre important dans le succès de la Bibliothèque bleue. Cette stratégie commerciale très efficace permet de rallier à l’univers des librairies un public diversifié peu ou pas habitué. Elle se systématise au tournant du XVIIIe siècle, et permet d’augmenter substantiellement la production d’ouvrages, car elle
ne laisse pas d’être avantageu[se] aux libraires de Paris, de Limoges, de Lyon, de Toulouse, et autres grandes villes où ces colporteurs se pourvoient47.
Mais elle participe aussi à la dégradation des éditions des livres dits de large diffusion, et l’essor de la littérature de colportage se fait au détriment de la qualité des produits. Des éditions de plus en plus médiocres et bon marché sont diffusées par des colporteurs de plus en plus nombreux auprès d’un public de plus en plus diversifié. Le libraire forain Noël Gille dit La Pistole vend à des libraires comme à des particuliers « tout ce que sa clientèle lui réclame »48, livres de théologie et de piété, livres d’histoire en plusieurs volumes, littérature de colportage (comme L’Albert moderne, Le Parfait bouvier, etc.), livres interdits de Voltaire, cahiers et même montres en or.
Les quelques exemplaires du Bâtiment des recettes de cette époque encore conservés, sont en général issus de bibliothèques de collectionneurs, ou bien d’une petite élite scientifique d’apothicaires, de médecins, de vétérinaires, qui perpétuent dans ce savoir traditionnel empirique la recherche d’une manne précieuse à exploiter, autant pour identifier les erreurs que pour redécouvrir et divulguer des recettes utiles49. Ces lecteurs sont probablement gênés par la médiocrité des éditions. Le vétérinaire Jean-Baptiste Huzard (1755-1838), membre de l’Académie des sciences et de la Société pour l’encouragement de l’industrie nationale, intercale un feuillet manuscrit dans l’exemplaire relié de l’édition troyenne de 1699 qu’il possède50 : ce feuillet explique et corrige minutieusement une erreur grossière due à une inversion de pages, inversion que l’on retrouve ensuite dans toutes les éditions connues du XVIIIe siècle et qui ne sera en partie corrigée qu’au XIXe siècle. Ceci peut aussi expliquer la préférence que semblerait avoir ce lectorat pour des éditions du XVIe siècle, à la vue des quelques exemples d’ex-libris retrouvés. Un manuscrit du XVIIIe siècle conservé à Carpentras et reproduisant des recettes du Plaisant jardin transcrites d’une édition du XVIe siècle, constituerait un autre exemple de la confiance plus grande accordée par un médecin du XVIIIe siècle à un ouvrage ancien qu’à un ouvrage contemporain de la Bibliothèque bleue. Tous comportent les mêmes recettes, il est vrai dans des éditions de qualités différentes.
Il est plus difficile de connaître les nouvelles clientèles du livre de colportage. La plupart des exemplaires a disparu, et ceux qui sont parvenus jusqu’à nous proviennent de fonds de librairies, ou sont dépourvus d’annotations. Ces publics intermédiaires, semi-alphabétisés pour certains, illettrés pour d’autres, appartiennent encore au monde de la communication orale, dont on sait qu’il est une des formes d’accès au livre dans toutes les couches de la société. Le Bâtiment des recettes, avec sa structure en paragraphes brefs, son vocabulaire simple et stéréotypé comme on en retrouve dans l’ensemble de la Bibliothèque bleue, est d’un accès facile pour un lecteur malhabile, qui peut en faire une lecture fragmentée51. Et puis, ces publics peuvent être moins regardants face aux approximations, aux mises en pages médiocres et aux coquilles d’imprimerie. Sans oublier que la manipulation, la détention du livre, et a fortiori sa lecture, sont la marque d’un accès à un statut nouveau, et la possibilité, pour un public socialement défavorisé, de pénétrer un univers privilégié, hors de portée jusqu’alors52. Nous pourrions ajouter que, toutes proportions gardées, un livre de recettes, apporte à son possesseur ce que décrit pour notre époque Umberto Eco53 au sujet du Word Wide Web : l’accès possible à un « catalogue d’informations qui nous fait nous sentir riches et tout-puissants » grâce à la possession de notions parmi lesquelles se mêlent vérités et erreurs.
Il faut dire que parallèlement, un grand bouleversement traverse la société scientifique, dont le vocabulaire lui-même témoigne. La physique, qui au XVIe siècle recouvrait la connaissance des choses de la nature, la philosophie naturelle et la médecine, se transforme dès les travaux de Galilée (1564-1642) et tout au long du XVIIe siècle, en une conception mathématique du monde. L’univers de la physique expérimentale prend peu à peu le dessus54. Dans la France du XVIIIe siècle où l’alphabétisation progresse, les sciences et les arts et métiers deviennent à la mode au sein de l’aristocratie et de la bourgeoisie55. Les cabinets de physique et les livres de jeux scientifiques fleurissent. Les Leçons de physique expérimentale de l’abbé Nollet, éditées de 1745 à 1775, sont de véritables ouvrages de vulgarisation. Elles sont destinées à un public non averti d’hommes et de femmes, issus d’un milieu aisé, et qui correspond à ce qui a été le lectorat potentiel du Bâtiment des recettes. Mais, elles ont un contenu théorique et un but éducatif :
La lanterne magique est un de ces instruments qu’une trop grande célébrité a presque rendu ridicules aux yeux de bien des gens. On la promène dans les rues. On en divertit les enfants et le peuple ; cela prouve, avec le nom qu’elle porte, que ses effets sont curieux et surprenants ; et parce que les trois quarts de ceux qui les voyent, ne sont pas en état d’en comprendre les causes, est-ce une raison pour se dispenser d’en instruire les personnes qui peuvent les entendre56 ?
Le coté paradoxal et surprenant de la magie naturelle est ici canalisé par une présentation logique et cohérente du monde. L’abbé Nollet l’exprime bien : son intention
a toujours été [que le lecteur] trouva un cours de physique expérimentale, et non pas un cours d’expériences57.
Cependant, l’édition de colportage se met aussi au goût du jour. La Bibliothèque bleue est, elle aussi influencée, indirectement, par les Lumières. Parmi les livres de jeux et de prestidigitation qui paraissent au XVIIIe siècle, des titres issus de la Bibliothèque bleue revendiquent un but éducatif :
Nous avons (...) la prétention de plaire à ceux qui aiment à dépenser leurs loisirs à des distractions agréables et qui, dans des jeux en apparence frivoles, savent trouver une utile recette pour chasser l’ennui ou pour développer de plus en plus leur intelligence,
est-il écrit dans un livre de Tours d’escamotage, de prestidigitation et d’adresse58. La magie n’est plus vraiment un mystère de la nature. Elle perd sa dimension surnaturelle et se trouve progressivement reléguée parmi les croyances populaires. Les phénomènes paradoxaux, inexplicables, qui la caractérisaient, sont perçus comme des truquages, de l’illusionnisme, une forme de spectacle et une source de divertissement, dans une société qui se laïcise. Un autre livret de la Bibliothèque bleue, édité à Rouen au XVIIIe siècle et intitulé La Magie naturelle ou Mélange divertissant concernant des secrets merveilleux et tours plaisants59, en est une démonstration.
Un décalage de plus en plus important apparaît donc entre le texte du XVIe siècle figé par l’édition, et ses lecteurs. L’édition de recettes artisanales et domestiques habituellement transmises oralement, a l’inconvénient de couper le texte du contrôle de la pratique, de le simplifier et de le figer dans un certain système de compréhension du monde en décalage avec l’évolution de la société60. Le vocabulaire et le contenu de l’ouvrage vieillissent. Ce décalage est aussi d’ordre sociologique61, entre le lectorat diversifié des XVIIIe et XIXe siècles, et l’élite sociale du XVIe siècle, demandeuse de recettes raffinées de parfums on d’encre à écrire.
Si le monde des recueils de secrets, où se mêlent sciences, religion et magie existe toujours, il n’est plus reconnu par l’élite intellectuelle du siècle des Lumières, qui le trouve même dangereux : le Bureau de la Librairie censure le Bâtiment des recettes à Rouen en 1709. Cela n’empêche d’ailleurs pas de nouvelles rééditions jusqu’au début du XIXe siècle, mais, elles se dégradent et s’adressent à un lectorat de moins en moins cultivé.
Il est certain, par contre, qu’outre l’accès offert par le Bâtiment des recettes à des savoirs pratiques, cette forme littéraire qu’est le recueil de recettes, familiarise son public avec des énoncés techniques, des recettes62. Il l’ouvre à une méthode expérimentale qui peut être porteuse de nouvelles attitudes et donner naissance à une certaine autonomie face au texte imprimé.
À cette constatation, nous ajouterions volontiers le rôle de l’humour et du divertissement, que l’on retrouve souvent dans la Bibliothèque bleue, et dont le grand maître est le chansonnier et auteur de pièces de théâtre Jean-Joseph Vadé (1720-1757), à la mode dans les salons de l’aristocratie comme dans les théâtres parisiens des grands boulevards63. Dans le Bâtiment des recettes, le rire est apporté par les recettes de bateleurs ou de charlatans, qui ne vieillissent pas. C’est le mode d’expression d’une littérature de vulgarisation dont on attend un plaisir de lecture, et des moments de détente. Mais c’est aussi l’expression d’une littérature qui sait ne pas se prendre au sérieux. En associant recettes pratiques, magie, facéties et bons tours, le compilateur donne à l’ouvrage une dimension très sociable de « plaisir » et « joyeuseté », mais aussi, il mélange différents niveaux d’écriture et de réception des messages. Et cela offre au lecteur une certaine distanciation, qui l’émancipe du texte imprimé. Le rire est un apport important de la culture populaire médiévale et renaissante. Il est en effet, dit Mikhaïl Bakhtine,
comme une victoire sur la terreur mystique (« terreur divine ») et la peur qu’inspiraient les forces de la nature, mais avant tout comme une victoire sur la peur morale qui enchainait, accablait, obscurcissait la conscience de l‘homme, la peur de tout ce qui était sacré et interdit64.
Il offre un certain goût de liberté face à l’ordre établi On observe en fait que le texte du Bâtiment des recettes ne change pas en lui-même, ou si peu. Cependant, si son contenu ne change pas au cours des siècles, ses lecteurs changent, et le volume évolue au travers de leur perception.
Nous voyons avec notre cerveau autant qu’avec nos yeux65.
En effet, c’est une classe sociale privilégiée, alphabétisée, à la recherche de raffinements dignes de son état, que veulent toucher les imprimeurs libraires du XVIe siècle en lui proposant une littérature pratique, correspondant à ses préoccupations quotidiennes et domestiques. Puis, nous voyons le profil des lecteurs évoluer avec la transformation de la société, et l’ouvrage en tant qu’objet se dégrader. Ces constatations nous aident à entrevoir ce que Roger Chartier nomme « une histoire sociale des interprétations, partant des usages des textes par leurs publics successifs »66. Au demeurant, cette transformation des mentalités est lente et complexe. Antoine Furetière (1619-1688) considère toujours la magie naturelle comme une science, l’ouvrage de Giambattista Della Porta intitulé Magie naturelle est toujours édité au XVIIe et même au XVIIIe siècle, et un membre de l’Institut tel que Jean-Baptiste Huzard (1755-1838) possède, étudie et corrige une édition de 1699 du Bâtiment des recettes. Dans quelle mesure, et à quelle époque s’effectuent ces basculements, il est difficile de le dire, car cette évolution se fait progressivement et différemment en fonction des contextes historiques, géographiques et sociaux.
On observe d’autre part que le Bâtiment des recettes est tout au long de son existence un ouvrage que l’on peut qualifier de populaire, c’est-à-dire lu par différentes couches de la société. Il est en effet, selon les épîtres au lecteur rédigées au XVIe siècle, la manifestation d’une volonté humaniste d’utiliser l’imprimé pour transmettre plus largement un savoir destiné jusqu’alors à un public restreint. Mais il est aussi, toujours depuis le XVIe siècle, un simple ouvrage pratique, joignant l’utile et l’agréable, édité dans l’intention d’élargir le marché local du livre. Cette littérature déclassée aux yeux de certaines élites, est toujours entendue, achetée, et pour longtemps encore. Que les médecines dites populaires « soient des survivances de conceptions anciennes abandonnées par la science actuelle », c’est possible, écrit le folkloriste Albert Marinus, « mais elles sont en harmonie avec ceux qui en usent et y croient. Elles vivent donc »67. Ainsi, le Bâtiment des recettes véhicule une des formes de la pensée commune :
Longtemps, cependant, plus longtemps qu’on ne serait tenté de le penser, les élites se trouvèrent partagées entre deux formes de culture68.
Mario Infelise donne une définition intéressante et très complète des « livres pour tous », que l’on nomme à d’autres époques « livres populaires », selon un schéma applicable au Bâtiment des recettes. Ce sont des ouvrages qui ont eu une longue vie. Ils ont été longtemps accessibles, diffusés à travers diverses rééditions mais aussi sous forme de copies manuscrites. Ce sont des longsellers, à ne pas confondre avec ce que l’on nomme à notre époque bestsellers, ces livres dont le succès ne dure que quelques années, voire quelques mois. En effet, au cours de leur longue vie, ils ont circulé dans différentes couches de la société, savantes ou non, et pas uniquement dans les couches que l’on appelle populaires dans le sens de classes inférieures, marquant discrètement, mais profondément les habitudes culturelles. Ces ouvrages, enfin, sont pénalisés par un préjugé négatif, ce qui fait que souvent, on ne les trouve ni en vente dans les librairies, ni conservés dans les bibliothèques69, ni mentionnés dans les inventaires après décès.
Ce qui définit le caractère plus ou moins « populaire » d’un imprimé, c’est donc moins son contenu en lui-même, que la déqualification de ce contenu, la forme matérielle du volume, son canal plus ou moins spécifique de distribution et notamment le colportage, canal dont l’administration se défie comme étant potentiellement dangereux, enfin, bien évidemment, son prix de vente70.
On peut alors considérer qu’un ouvrage tel que le Bâtiment des recettes, dont le but initial est la transmission d’un savoir empirique, a sa place dans l’évolution générale des mentalités. Car, parallèlement au déroulement de la révolution scientifique dans les milieux savants, le recueil de recettes est une forme de littérature qui donne elle aussi une place importante à l’approche expérimentale des phénomènes, en faisant de ses lecteurs des expérimentateurs. Ainsi est amorcé sur le long terme un processus d’observation, de scepticisme, et de laïcisation du savoir-faire, que Marcel Mauss décrit bien :
Pour nous, les techniques sont comme des germes qui ont fructifié sur le terrain de la magie ; mais elles ont dépossédé celle-ci. Elles se sont progressivement dépouillées de tout ce qu’elles lui avaient emprunté de mystique ; les procédés qui en subsistent ont, de plus en plus, changé de valeur ; on leur attribuait autrefois une vertu mystique, ils n’ont plus qu’une action mécanique ; c’est ainsi que l’on voit de nos jours le massage médical sortir des passes du rebouteux71.
La structure particulière du Bâtiment des recettes, en introduisant de l’humour, en juxtaposant des contenus et des niveaux et de lecture différents, contribue à sa manière à sa longévité, et à une démystification du texte écrit. Ses formes d’édition, une innovation de produit puis un recyclage de textes, ainsi que sa forme de diffusion, par colportage, lui confèrent une fonction économique et culturelle. En effet, il contribue à l’élargissement du public du livre, d’abord vers une certaine bourgeoisie, puis vers un public beaucoup plus vaste.
L’histoire de ce recueil technique de recettes, comme celle de la littérature de colportage en général, est donc, au-delà des contenus, celle d’un phénomène dont l’histoire de la littérature n’est qu’une facette, un phénomène social72 qui émerge et prend de l’ampleur à partir d’une invention, l’imprimerie, avant de peu à peu se dégrader pour devenir en partie son propre fossoyeur, avec l’émergence d’une nouvelle société. C’est en effet, au-delà des contenus divers de l’ouvrage, une conquête et une appropriation de la pratique de la lecture d’un texte technique et de ses corolaires, observation, réflexion, scepticisme, par un public qui dépasse rapidement le seul public lettré, savant. Il est donc important de prendre la mesure du rôle qu’a pu jouer ce genre de littérature dans le cheminement de l’ensemble de la société des Temps modernes vers ce que l’on pourrait appeler l’esprit critique, ou le processus d’émancipation de l’individu.
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1 Geneviève Deblock, Le « Bâtiment des recettes », un livre de secrets réédité du XVIe au XIXe siècle, Mémoire EPHE, dir. Frédéric Barbier.
2 Forme littéraire identifiée comme telle au XIXe siècle par John Ferguson, Bibliographical notes on histories of inventions and books of secrets, 2 vol., London, Holland Press, 1959 [1re éd. Glasgow, Robert Maclehose and Co, 1896-1914].
3 Frédéric Barbier, L’Europe de Gutenberg. Le livre et l’invention de la modernité occidentale, Paris, Belin, 2006.
4 10-15 août 1539.
5 Emmanuel Bury, Tous vos gens à latin. Le latin langue savante, langue mondaine (XIVe-XVIIe siècle), Genève Droz, 2005.
6 Evelyne Berriot-Salvadore, La littérature médicale en français de 1500 à 1600, http://www.biusante.parisdescartes.fr/histmed/medica/littmed16e.htm.
7 De secreti del Reverendo Donno Alessio Piemontese, vraisemblablement un pseudonyme du polygraphe Girolamo Ruscelli, Venise, per Comin da Trino, 1557 ; Les Secrets de Reverend Signeur Alexis Piemontais, traduit la même année à Anvers, chez Christophe Plantin. L’ouvrage a connu plus de quatre-vingt dix éditions dans toutes les langues d’Europe aux XVIe et XVIIe siècles (William Eamon, Science and the secrets of nature. Books of secrets in Medieval and Early Modern Culture, 1994, p. 140-142).
8 G. Della Porta, La Magie naturelle ou les Secrets et Miracles de la Nature, traduit de l’italien, Lyon, Benoît Rigaud, 1591 (1re éd., Naples, 1558). Sur Giambattista Della Porta, philosophe et alchimiste napolitain fondateur de l’Accademia dei Secreti vers 1563, et son ouvrage traduit et réédité durant deux siècles dans toute l’Europe, voir William Eamon, Science and the secrets of nature, ouvr. cité, p. 210-217.
9 Autres secretz medicinaux, oultre ceux que l’exemplaire italien ha cy dessus proposé[s], expressement pour les femmes, est un recueil français ajouté dès la premières édition, en 1539. Le Plaisant jardin des recettes est ajouté dans les années 1550 (1551) (les citations sont prises de l’édition Parisienne de Jean Ruelle, 1560, sauf autres mentions). Plusieurs autres recueils apparaissent et disparaissent au fil du temps.
10 Simplification apparente du savoir, qui invite à une utilisation immédiate liée à des gestes, à la fabrication, (...) préparation... : Lise Andries, « Les livres de secrets dans la littérature de colportage », dans Curiosité et libido sciendi de la Renaissance aux Lumières, textes réunis par Nicole Jacques-Chaquin et Sophie Houdard, [publ. par le] Centre de recherche LIDISA, Littérature et discours du savoir, Fontenay-aux-Roses, ENS éd., 1998, p. 366.
11 La recette Pour faire rosette très belle précise : note qu’il faut que l’eaue du brasil ou rosette, soit tiede quand tu y mettras l’eaue susdite.
12 William Eamon, Science and the Secrets of Nature, ouvr. cité.
13 François Grudé, sieur de La Croix du Maine, Les Bibliothèques françoises de La Croix-du-Maine et de Du Verdier,... Nouvelle édition (...) augmentée, Paris, Saillant et Nyon, 1772-1773, vol. I, p. 546, donne à « l’auteur » du Plaisant jardin le nom de Evilleri de Passebresme ou Evillery de Passebrême, un médecin français du XVIe siècle, spécialiste d’astrologie judiciaire et d’alchimie, selon Jean-Chrétien Ferdinand Hoefer, Nouvelle biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, avec les renseignements bibliographiques et l’indication des sources à consulter, Paris, Firmin Didot, 1863.
14 Épître au lecteur. Importantes similitudes avec l’épître au lecteur des Secrets d’Alexis le Piémontais (Venise, 1557 ; et sa traduction en français, Anvers, Plantin, également 1557), qui paraît presque vingt ans après la première édition du Bâtiment des recettes (1539), et reprend des secrets déjà imprimés dans le Bâtiment des recettes.
15 Dello specchio di scientia universale, Venise, 1567, mentionné par William Eamon, « How to read a book of secrets », dans Secrets and knowledge in medicine and sciences, 1500-1800, éd. Elaine Leong et Alisha Rankin, 2011, p. 32.
16 Venise, Avanzi, 1561.
17 William Eamon, Science and the secrets of nature, ouvr. cité, p. 247-248.
18 Magie naturelle, ouvr. cité, f. 110 v°.
19 Magie naturelle, ouvr. cité, Préface.
20 Antoine Furetière, dans son Dictionnaire universel, La Haye et Rotterdam, A. et R. Leers, 1690, décrit la magie naturelle comme une « science qui apprend à faire des choses surprenantes & merveilleuses. Jean Baptiste Porta a escrit de la Magie naturelle, des secrets pour faire des choses qui sont produites extraordinairement par des causes naturelles ».
21 Pamela H. Smith, « What is a secret ? Secrets and craft knowledge in Early Modern Europe », dans Secrets and knowledge in medicine and science, 1500-1800, ouvr. cité, p. 47-66.
22 François Sigaut, « Les techniques dans la pensée narrative », Techniques et culture, nos 43-44, Mythes. L’origine des manières de faire, décembre 2004 [en ligne, revues.org].
23 Della Porta, ouvr. cité, chapitre XVII.
24 François Sigaut, « La formule de Mauss », dans Techniques et culture, n° 40, 2003 [en ligne, revues.org].
25 Dans la tradition alchimiste d’action sur la nature ou de son imitation. La distillation est d’ailleurs un procédé utilisé dans les recettes.
26 Histoire de l’alimentation, sous la dir. de Jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari, Paris, Fayard, 1996, p. 562-670 ; Secrets and knowledge in medecine and science 1500-1800, ouvr. cité, p. 2.
27 Recettes de cosmétiques, de soin de la peau et des dents, parfums et recettes d’obstétrique, comme Le Recueil de plusieurs secretz tres utiles, tant pour l’ornement que la santé corps humain, tirez des plus excellens auteurs, tant grecz que latins. Auquel avons adiousté un traicté des destillations...Nouvellement traduict d’Italien en François par S. E. S. X, Paris, Vincent Sertenas, 1561, [http://www2.biusante.parisdescartes.fr/livanc/?cote=87796x02&do].
28 Robert Halleux, Le Savoir de la main, savants et artisans dans l’Europe préindustrielle, Paris, Armand Colin, 2009.
29 Délié : fin, délicat.
30 Henri-Jean Martin, « Culture écrite et culture orale, culture savante et culture populaire dans la France d’ancien régime », dans Journal des savants, juillet-septembre, octobre-décembre 1975, ici pp. 233-234.
31 Recueil ajouté dans l’éd. Anvers, Jean Richart, 1552 et 1555.
32 François Guillemin, dit Fanch Guillemin, Recueils de textes magiques rares, ouvr. cité.
33 Frédéric Barbier, Histoire du livre en occident, ouvr. cité, p. 176.
34 Pamela H. Smith, « What is a secret ? », art. cité, ici pp. 53-54.
35 Traicté nouveau intitulé bastiment de receptes, Poitiers, Marnef, 1540.
36 Alexis le Piémontais.
37 William Eamon, « How to read a book of secrets », art. cité, pp. 34-35.
38 Michel de Certeau, L’Invention du quotidien, tome 1, « arts de faire », Paris, Gallimard, 1990, p. 253.
39 Marie-Dominique Leclerc, « Ex-libris manuscrits et notes dans les impressions de grande diffusion (XVIIe-XIXe siècle) », dans Histoire et Civilisation du livre, 2, Lyon et les livres, 2006, pp. 323-345.
40 Le lyonnais Thibaud Payen est le seul, en 1557, à présenter une table des matières contenant l’ensemble des recettes contenues dans son édition.
41 Paris, Pierre Ménier, [s. d., vers 1598-1605].
42 Ce dizain introduisait le deuxième recueil intitulé Autres secrets medicinaux (...) expressément pour les femmes.
43 Calendrier des bergers, préface de Max Engammare, Paris, PUF, 2008.
44 Annie Chassagne-Jabiol fait le même constat pour la fin du XVIIe siècle au sujet du roman de La Belle Hélène, qui perd prologue et table des matières, et dont les remaniements s’effectuent au travers de coupures de textes, de suppressions des répétitions et de corrections ponctuelles du vocabulaire vieilli : Évolution d’un roman médiéval à travers la littérature de colportage : la Belle Hélène de Constantinople, XVIe-XIXe siècle, thèse d’École des chartes dactylographiée, 1974.
45 Lyon, Jacques, Lion, 1693.
46 Frédéric Barbier, Histoire du livre en Occident, ouvr. cité, p. 193 ; Jean-Dominique Mellot, « Rouen et les “libraires forains” à la fin du XVIIIe siècle : la veuve Machuel et ses correspondants (1768-1773) », dans Bibliothèque de l’École des chartes, 1989, t. 147, pp. 503-538 ; Anne Sauvy, « Le livre aux champs », dans Histoire de l’édition française, t. II, pp. 430-443.
47 Mémoire au sujet des colporteurs dans diverses provinces, fait pour M. Anisson. 1755. Bibliothèque nationale, ms fr. 22. 128, pièce 92.
48 Anne Sauvy, « Noël Gille, dit La Pistole, “marchant forain libraire roulant par la France” », dans Histoire de l’édition française, t. 2, p. 431.
49 La Rhétorique de la recette, indéfiniment répétée dans l’épaisseur du temps traversé, fait partie d’un monde autarcique de savoir-faire, qui peu à peu se heurte à un monde nouveau où l’on veut décrire, expliquer, rendre compte d’un processus intelligible, Marie Leca-Tsiomis, « La rhétorique de la recette : remarques sur le dictionnaire oeconomique de Chomel (1709) et l’Encyclopédie », dans Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, n° 25, Varia [en ligne sur Revues.org].
50 Médiathèque de Troyes, cote B. bl. 833 : le texte de la page 37 (C8 r°) se poursuit à la page 48 (D4 v°), les pages C8 v° et D4 v° étant inversées. Cette erreur aboutit à donner un texte incompréhensible.
51 Ce qui n’est pas le cas de recueils de recettes plus longues et plus complexes, tel le recueil de Nostradamus, parsemé d’un grand nombre de références destinées à un public de lettrés.
52 Roger Chartier, « Livres bleus et lecture populaire », dans Histoire de l’édition française, t. II, ouvr. cité, p. 508.
53 Umberto Eco, Vertige de la liste, Paris, Flammarion, 2009, p. 360.
54 Le terme « physique » a toujours jusqu’au XVIIe siècle le sens étymologique de connaissance des choses de la nature (Antoine Furetière) et même de « philosophie naturelle » (Dictionnaire historique de la langue française, dir. Alain Ray, Paris, 1992). C’est au cours du XVIIe siècle qu’il évolue vers le sens moderne et se différencie des sciences naturelles. Cette évolution s’effectue dans la classe savante de la société, et se répercute beaucoup plus lentement dans l’ensemble de la population. Son utilisation au sens de « philosophie naturelle » au XIXe siècle est un archaïsme et peut être mal comprise par certains lecteurs.
55 On estime qu’en 1700, la bourgeoisie urbaine et la majorité de l’aristocratie européennes sont alphabétisées. Cf. Frédéric Barbier, Histoire du livre en Occident, ouvr. cité, p. 187.
56 Jean-Antoine Nollet, Leçons de physique expérimentale, Paris, chez les frères Guérin, t. V, 1755, pp. 567-568 [http://cnum.cnam.fr/CGI/fpage.cgi?12C14.1/5/100/463/0004/0455].
57 Jean-Antoine Nollet, Leçons de physique expérimentale, ouvr. cité, t. I, 1755, préface.
58 MuCEM, 1R 506.
59 Mentionné par Patrick Desile, Généalogie de la lumière, Paris, l’Harmattan, 2000.
60 Frédéric Barbier, « Les codes, le texte et le lecteur », dans La Codification. Perspectives transdisciplinaires, actes des journées d’études organisées à Paris à l’Institut national d’histoire de l’art les 8-10 juin 2006, édité par Gernot Kamecke et Jacques Le Rider ; avec la collaboration d’Anne Szulmajster, coll. Études et rencontres du Collège doctoral européen EPHE-TU Dresde, Paris, Collège doctoral européen, impr. 2007, pp. 46-47 ; Robert Halleux, Les Textes alchimiques, Turnhout, Brepols, 1979.
61 Lise Andries, « Les livres de secrets dans la littérature de colportage », art. cité, pp. 359-369.
62 Liliane Hilaire-Perez et Marie Thébaud-Sorger, « Les techniques dans l’espace public... », dans Revue de synthèse, 5e série, année 2006, 2, pp. 393-428.
63 Lise Andries, Geneviève Bollème, La Bibliothèque bleue, littérature de colportage, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2003 ; Daniel Roche, Le peuple de Paris. Essai sur la culture populaire au XVIIIe siècle, Fayard, 1998 : « Il faudrait reprendre l’histoire du rire populaire qu’alimentent un grand nombre de livrets bon marché ».
64 Mikhaïl Bakhtine, L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, 1970, p. 98.
65 François Sigaut, « Des idées pour observer », dans Techniques et culture, 54-55 vol. 1, 2010.
66 Roger Chartier, « Librairie de colportage et lecteurs populaires », dans Colportage et lecture populaire. Imprimés de large diffusion en Europe, XVI-XIXe siècles, actes du colloque des 21-24 avril 1991, Wolfenbüttel, dir. Roger Chartier et Hans-Jürgen Lüsebrink, Paris, IMEC, Editions de la Maison des sciences de l’homme, 1996, ici p. 13.
67 Citation du folkloriste belge Albert Marinus, mentionnée par Robert Halleux, Carmelia Hopsomer, « L’insaisissable médecine populaire », art. cité, pp. 334-336.
68 Henri-Jean Martin, Culture écrite et culture orale, art. cité, p. 276.
69 Deux lieux représentatifs d’une élite intellectuelle.
70 Frédéric Barbier, Conférence EPHE 2008-2009 [http://histoire-du-livre.blogspot.fr/p/ ephe-conference-2008-2009.html].
71 Marcel Mauss, « Esquisse d’une théorie générale de la magie (1902-1903) », dans Sociologie et anthropologie, ouvr. cité, p. 135.
72 Ainsi, la littérature de colportage, qu’elle donne ou qu’elle reçoive, participe-t-elle aux grands courants de civilisation. Outre l’histoire littéraire, [elle] intéresse de vastes secteurs de l’histoire sociale : Georges-Henri Rivière, préface de Pierre Brochon, Le livre de colportage en France depuis le XVIe siècle, sa littérature, ses lecteurs, Paris, Gründ, 1954.