La ville et les livres, ou comment former une bibliothèque
Notes historiques sur la formation et sur le catalogue de la première bibliothèque publique de São Paulo (1825-1887)
Marisa Midori DEAECTO
Université de São Paulo (Brésil)
Je vous prie de transmettre à Sa Majesté Impériale toutes mes argumentations, en attendant les avantages apportés par ledit Auguste Seigneur, qu’il accède à cette démarche [l’ouverture d’une bibliothèque publique], dont j’attends que la multiplication de ces avantages, parmi d’autres établissements d’égal intérêt, promeuve la civilisation et l’instruction publique, et renforce la grande nation du Brésil. Dieu vous garde. São Paulo, 1er Septembre 1824.
[Lucas Antonio Monteiro de Barros, Président de la Province de São Paulo].
Fondée en 1825, la bibliothèque publique de São Paulo naît alors que la jeune nation du Brésil venait de proclamer son indépendance à peine trois ans plus tôt. Il s’agissait d’un projet conçu sur les bases institutionnelles de la monarchie brésilienne, et par conséquent d’une stratégie d’intégration des quelques centres provinciaux dont les élites ont eu un rôle dans le processus d’émancipation de l’État. À ces deux facteurs d’ordre politique, il faut en ajouter un troisième : le mouvement de laïcisation culturelle avec des contours libéraux impulse alors un peu partout au Brésil l’essor des institutions de lecture1.
Cette bibliothèque publique est créée dans une ville (plutôt une grosse bourgade ?), certes de quelque 20 000 habitants, mais dont les fonctions ne dépassaient pas celles d’un peuplement qui se trouve au croisement de routes importantes de commerce et de circulation vers le Centre-Sud du pays2. À part le commerce de produits de subsistance en gros et en détail qui fait la fortune de quelques familles locales, São Paulo a très tôt développé, en grande partie grâce à la présence des ordres religieux, une fonction éducationnelle, avec ses collèges, ses intellectuels, et évidemment, ses bibliothèques – les Jésuites, les Franciscains, les Bénédictins et les Carmélites disposaient de bibliothèques dont la réputation fut attestée par des gens de lettres de la région et par des observateurs forains.
Rien d’étonnant à constater que cette première bibliothèque est constituée par la réunion de deux fonds déjà connus dans la ville. La partie la plus riche – 3 196 volumes – correspond à la bibliothèque des Franciscains3. L’ordre s’était établi en ville au milieu du XVIIe siècle, et le travail des frères auprès de la population, surtout dans le domaine de la mission et de l’enseignement, leur a valu une notoriété certaine. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, ils tiennent des cours de Philosophie, Théologie, Langues et Arts ouverts à tous, mais ils assurent aussi des cours de formation technique, notamment dans le domaine de la géométrie appliquée à la construction des voies de communication. Au tournant du siècle, une crise déjà amorcée quelques décennies plus tôt, avec les lois fort restrictives envers les activités religieuses appliquées au Portugal et à ses colonies par l’administration du marquis de Pombal (1699-1782)4, touche directement les religieux paulistas. Les difficultés du recrutement, le manque de ressources et l’interdiction des activités d’enseignement, vident les couvents. À l’époque de l’Indépendance (1822), les Franciscains de São Paulo ne représentent plus qu’une communauté réduite, et en franche mutation : leur situation devient encore plus difficile avec la loi de l’Empire, selon laquelle les biens des ordres religieux pourraient être saisis au profit de l’intérêt public5.
L’autre partie de la collection est due à un achat d’occasion, fait à la mort de l’évêque D. Mateus de Abreu Pereira (1824). Celui-ci, né à Funchal en 1741, passe la licence en droit canon à Coimbra et, après quelques missions, est nommé évêque de São Paulo en 1794 : il arrive en ville trois ans plus tard, et sa demeure devient très tôt un pôle d’étude. Pereira était un homme éclairé, qui ouvrait sa propre bibliothèque aux gens de lettres, et qui aurait été le premier à essayer la production de la soie6. Deux voyageurs bavarois qui exploraient le territoire du Brésil pour une mission scientifique considéraient la bibliothèque de l’évêque comme l’une des plus riches de la ville, avec celles des Bénédictins, des Carmélites et des Franciscains7. À son décès, le gouverneur de la province s’efforce d’acquérir l’ensemble, soit 1 059 volumes, pour la future bibliothèque publique annoncée à la population de la ville. Le profit de la vente était destiné à la mitre, ce qui semble étrange puisque le frère du prélat, Antonio Joaquim de Abreu Pereira, était toujours vivant, et actif comme chantre paroissial. C’est que la bibliothèque de l’évêque n’était pas considérée comme un bien personnel : il s’agissait d’une collection ancienne, ce qui rend son histoire encore plus intéressante, surtout étant donnée la personnalité du prédécesseur de Pereira, D. Fr. Manuel da Ressurreição (1718-1789), lui aussi un intellectuel éclairé, professeur de latin, de philosophie et de français, et qui a joué un rôle fort important pour l’instruction des gens de la ville, au milieu du XVIIIe siècle8.
C’est à la faveur de cette vague libérale et anticléricale que naît la première bibliothèque publique de São Paulo9. On comprend que, dans une ville éloignée des principaux centres urbains constituant le système économico-administratif du pays, les ordres religieux ont joué un rôle fondamental dans la vie culturelle, ce qui dépassait leur vocation purement évangélisatrice10. Ces bibliothèques s’inséraient dans un système plus large de rassemblement et de diffusion du savoir, elles constituaient la seule « république des lettres » possible dans une communauté aux ressources souvent limitées. Preuve irréfutable de l’intérêt que la nouvelle collection éveilla au sein de l’administration, deux ans plus tard, la bibliothèque publique, d’abord institution provinciale, devient une institution de l’Empire, c’est-à-dire gérée par le ministère de l’Intérieur. Le changement se fait parallèlement à la fondation de la première institution d’enseignement supérieure au Brésil, à savoir la faculté des Sciences juridiques et sociales de São Paulo. Le statut de la bibliothèque est modifié en 1827 quand, de « publique » elle devient « juridique », ce qui renvoie à sa nouvelle vocation, à son lectorat et à l’orientation future de ses collections.
DU PUBLIC AU JURIDIQUE : LE PRINTEMPS
L’histoire de la première bibliothèque de São Paulo relève ainsi de deux étapes bien distinctes : une première période est de courte durée (1825-1827), lorsque l’institution se développe dans la logique des bibliothèques publiques en tant qu’élément de civilisation et de progrès des peuples ; et une deuxième, beaucoup plus étendue (1827-1887), se dessine selon les lignes d’une culture juridique conçue comme une panacée pour la construction de l’État brésilien – en tant que Nation qui veut s’organiser en société spécifique, avec des lois et des principes délivrés du fantôme de la tradition portugaise, celle de l’université de Coimbra.
Si d’un côté le paradigme de « bibliothèque publique », qui s’impose en 1825, s’insère dans celui des Lumières, comme on peut l’observer à Paris, dans les provinces et un peu partout en Europe et en Amérique, il faut bien reconnaître que l’ouverture des bibliothèques privées, de nature religieuse ou laïque, à un public plus large, ne constitue pas un apanage du XVIIIe siècle11. Les règles de fonctionnement des bibliothèques coloniales définissent à leur tour les modèles possibles d’institutions plus ou moins accessibles aux lecteurs durant l’Ancien Régime. Nul doute que les procédures mises en œuvre par les religieux paulistes dans leurs bibliothèques s’accordaient bien aux idées de l’époque : en 1821 par exemple, la salle de lecture des Franciscains était ouverte « aux gens lettrés de la ville » de 8 h à 11 h du matin, et il existait bien un service de prêt, puisque certains volumes sont réclamés par le premier bibliothécaire public, Fr. José Antonio dos Reis, en 1826, lors de la préparation du premier catalogue. Ces habitudes sont conservées après le changement du statut juridique de l’institution, mais elles posent problème :
Dans l’avis du 12 Septembre de l’année dernière, Sa Majesté l’Empereur communiqua à ce Gouvernement que, devant les abus de voir sortir de la Bibliothèque publique de cette Ville Impériale [São Paulo] à titre de prêts des traités entiers et aussi des volumes séparés, que maintes fois les lecteurs n’ont pas restitués, en portant préjudice audit établissement et en contrariant les intérêts de l’institution... [Signé par Lucas Antonio Monteiro de Barros, Président de la Province de São Paulo, 31 janv. 1827]12.
Du point de vue idéologique, les discours sur la bibliothèque, et plus généralement sur la faculté de Droit, synthétisent les contradictions reconnues au niveau politique : on parle de libéralisme, et celui-ci s’inscrit dans une monarchie dont le pouvoir est très centralisé. Malgré l’intérêt de certains intellectuels brésiliens pour les institutions nord-américaines, et leur modèle de bibliothèques publiques complètement différent, nous sommes dans un système d’inspiration libérale, mais nullement républicaine13.
La redéfinition du statut de la bibliothèque, en 1827, n’implique pas d’exclure les lecteurs anciens. Le seul document rendant compte de la réaction des habitants de la ville aux changements concerne la défense de l’intégrité physique du couvent, dont l’immeuble a aussi été revendiqué au nom de l’intérêt public pour y installer la bibliothèque, puis la faculté de Droit : une pétition dans ce sens est présentée à l’Empereur, sous le titre de Représentation de nombreux citoyens de São Paulo à D. Pedro I, Empereur du Brésil, pour l’annulation de la cession du couvent de Saint François d’Assise en faveur de la Faculté de Droit de São Paulo, ce qui suppose l’expulsion de ses religieux [São Paulo, 1828, doc. signé par Antonio Joaquim de Abreu Pereira et d’autres signataires]14. Pourtant, le couvent a bien été divisé, et la faculté de Droit s’est établie sur ce même terrain, où elle demeure jusqu’à nos jours.
D’après le catalogue préparé par le bibliothécaire Fr. José Antonio dos Reis, la collection présente, au delà des titres religieux, un répertoire très significatif d’ouvrages d’histoire universelle, tant pour le fonds de l’évêque que pour celui des frères (22 % ; 17 %) – les deux étant inventoriés séparément. Le deuxième groupe le plus nombreux est celui des « Miscellanées » (23 % ; 17 %), suivi des titres regroupés comme relevant de la « Philosophie, Mathématique, Histoire Naturelle et Physique » (14 % ; 5 %)15. Au total, une collection hétérogène, dont l’étude débouche sur des questions importantes sur la vie intellectuelle d’une petite ville de province dans ce passage du XVIIIe au XIXe siècle.
Mais reprenons la trajectoire de notre bibliothèque lors de sa deuxième fondation. À l’origine, le fonds légué n’était pas riche en œuvres de droit : seule la rubrique « Droit naturel et civil » relève de cette aire d’intérêt, soit, dans la collection de l’évêque et dans celle du couvent, respectivement 6 % et 9 % des titres. Les Ordenações afonsinas, manuelinas e filipinas, soit l’ensemble des lois et réglementations conduisant la vie dans le royaume portugais sous l’Ancien Régime, y compris la question des rapports métropole-colonie, y figuraient – autant de travaux prisés par les juristes qui fréquentèrent la bibliothèque dès sa fondation et jusqu’à l’époque contemporaine.
De France, on remarque l’œuvre de Mably, Direito público da Europa et A Legislação, o Princípio das leis, les deux titres en portugais. Il est probable que le bibliothécaire était familier de ces titres qu’il a notés dans sa langue maternelle. L’œuvre de Mably figurait au programme juridique de Coimbra, et cette familiarité – observée déjà dans d’autres occurrences – a permis de suivre avec fidélité la version originale. Pour autant, les catalogues en ligne des bibliothèques européennes et brésiliennes ne donnent pas de références sur ces éventuelles éditions en portugais. Cette remarque nous invite aussi à réfléchir sur le type de catalogage alors en cours de confection, et dont les informations étaient loin de reproduire les mêmes intérêts, sinon la même méthode que les catalogues des bibliothèques européennes. Dans cette première phase de formation du fonds de la bibliothèque, les catalogues restent manuscrits et ils remplissent une fonction patrimoniale plutôt qu’une fonction d’information, de diffusion, ou tout simplement de préservation de la connaissance16.
Une fois le catalogue achevé et la bibliothèque bien installée au centre ville, il convenait de la munir d’une bonne collection d’ouvrages juridiques. En 1837, le Recensement de la ville et de la province de São Paulo, publie la notice suivante :
L’Académie de Droit possède une bibliothèque dont le fond compte 6 045 volumes ; dans cet ensemble, on compte des œuvres anciennes et de valeur qui sont en bon état de conservation ; il y manque d’ailleurs tous les ouvrages modernes, surtout ceux qui appartiennent à la classe de la Jurisprudence. Dans le domaine des Belles Lettres, la collection est presque nulle. L’Encyclopédie est incomplète. Aux temps du directeur Carneiro de Campos on a reçu : – The Edimburgh review or critical journal, n° 1, oct. 1802 jusqu’au n° 125 de 1835. – The Quartely review, n° 1, fév. 1809, n° 109, déc. 1835. – The Westminster review, n° 1, janv. 1824, n° 49, oct. 1835. – Encyclopédie populaire, vol 1 à 125. – Jornal do Instituto Histórico, oct. 1834-août 1835. – Jornal dos conhecimentos uteis, n° 1, oct. 1831 à déc. 1835. – Encyclopedia dos conhecimentos uteis, n° 1, oct. 1822, à n° 48, sept. 1834 (de la lettre A jusqu’à CA). – Revue britannique, de janv. 1833 à déc. 1835. – Revue Encyclopédique, janv. 1833 à 1834. – Revue des deux mondes, oct. 1834 – janv. 183517.
Si, comme le dit Michel Espagne, « les lieux de concentration de livres étrangers sont en même temps des lieux de concentration du savoir »18, nous sommes devant un fonds qui se renouvelle selon les exigences de son lectorat, à savoir une élite de professeurs et d’étudiants qui ont déjà bien intégré le modèle de la haute culture fondée sur le système universitaire européen. Les livres étrangers, dans ce cas les revues spécialisées en langue étrangère, suggèrent l’existence d’une classe distincte de lecteurs, qui maîtrisent d’autres langues, ce qui n’est pas évident dans une ville provinciale. C’est au demeurant la bibliothèque qui assure à la nouvelle institution d’enseignement supérieure son substrat intellectuel : elle représente une tradition brisée, certes, mais où la part d’innovation est essentielle. L’évolution du fonds à travers les nouvelles entrées constitue un élément décisif pour le bon fonctionnement de la faculté voire, plus largement, de la communauté de lecteurs qui existe à son entour19. Et, le plus important, la présence de livres étrangers témoigne du développement du commerce de la librairie brésilienne à l’échelle internationale. C’est sans doute là le point le plus fragile de l’institution : malgré l’annonce de l’entrée d’éditions étrangères contemporaines, le commerce de la libraire était faible, et la plupart des volumes venait en fait de la cour de Rio de Janeiro. Les acquisitions étaient lentes et rares, ce qui justifiait les critiques à l’encontre de la bibliothèque envisagée comme « garde livres ».
En 1857, cette ville, qui ne compte encore que quelque 30 000 habitants, possède pourtant déjà un ensemble plus large de professionnels, avec des avocats, des médecins, des ingénieurs, en un mot, des membres des professions libérales, et un réseau de services publics plus complexe. La croissance démographique de São Paulo ne s’engagera réellement que dans les décennies suivantes, pour s’accélérer de façon exponentielle au tournant du siècle20. Mais la bibliothèque prend de nouvelles orientations. Le Catalogue des ouvrages juridiques de la Bibliothèque de Droit de São Paulo, 1857, élaboré par le conservateur en chef Luís Eugenio Barbosa, présente des informations plus complètes : auteur, titre (en langue originale), format, édition et nombre de volumes, mais pas le lieu d’édition. L’inventaire ne concerne que les acquisitions récentes dans le domaine juridique, ce qui confirme la volonté de constituer une bibliothèque plus spécialisée21. Il confirme aussi les objectifs maintes fois annoncés par les conservateurs, d’actualiser le fonds en se procurant des titres contemporains.
Les entrées les plus importantes correspondent aux éditions imprimées dans la période 1800-1857. Si l’on considère le fonds d’origine, dont les ouvrages remontaient aux bibliothèques religieuses de l’Ancien Régime, on observe que, dans son premier demi-siècle d’existence, la collection n’a pas toujours eu les moyens de se renouveler, sinon dans les branches les plus actuelles des sciences juridiques : sur 107 titres d’œuvres spécialisés contemporaines, 39 relèvent du droit administratif, 31 du droit politique et 10 de la jurisprudence. Par ailleurs, les anciens in-folio sont peu à peu remplacés par des in-8° plus maniables, selon la tendance générale du marché de la librairie.
En 1872, un nouvel inventaire, celui-ci présenté au directeur de l’institution avec un tableau synoptique, autorise un regard plus complet de la collection22. Sur 9 682 volumes inventoriés, 6 634 (68,5 %) représentent des éditions en langues étrangères. Parmi les titres en portugais (31,4 %), la majorité est imprimée au Brésil (65,5 %). Les éditions nationales sont, bien entendu, les plus récentes, et se concentrent dans le domaine juridique : il s’agit, très probablement, des travaux des professeurs de la Faculté de São Paulo et de Recife. Par ailleurs, le fond s’ouvre à des sections plus générales, où la présence d’éditions étrangères est beaucoup plus importante : Littérature, Poésie, Romans et « Novellas » (en quantité moindre), sans oublier les périodiques, y compris les annuaires et almanachs.
L’enrichissement du fonds dépend, toutefois, de l’insertion de São Paulo dans le marché international. Depuis les années 1860-1870, le chemin de fer rejoint la côte atlantique (à Santos) à l’hinterland de la province, toute en traversant la capitale de São Paulo. Encore une fois les caractères géographiques de São Paulo – un nœud naturel de convergence des routes terrestres et fluviales – en font le centre le plus important situé entre le port et l’intérieur, où se développent les plantations de café, véritable moteur de l’économie agro-exportatrice. En d’autres termes, la richesse des exportations se convertit en infrastructure urbaine. On parle d’un cycle vertueux de l’économie qui attire des négociants étrangers actifs dans le commerce de détail, souvent commerce spécialisé en produits fins importés, dont les livres. Une nouvelle classe de consommateurs émerge, qui correspond à une bourgeoisie attentive à suivre les modes de vie européens, voire français23. Les transferts culturels entre la France et le Brésil s’élargissent alors : il ne s’agit plus d’un groupe restreint de savants qui cultivent les lettres françaises, mais d’une fraction plus large de la société pour laquelle la littérature et les œuvres générales jouent un rôle de formation, mais aussi de loisir. La bibliothèque, toujours la principale institution de lecture de la ville, devient l’épicentre de ces mutations24.
LA BIBLIOTHÈQUE ET LA VILLE : LA MATURITÉ
En 1887, la bibliothèque connaît son premier (et plus complet) catalogue imprimé. L’institution commémore alors son 60e anniversaire, et la faculté de Droit s’affirme comme l’épicentre de la vie culturelle et politique du pays. La présentation du catalogue contraste, cependant, avec l’optimisme attendu de la célébration d’un tel événement :
En réalité, il faut regretter le fait que la bibliothèque ne bénéficie pas des avantages de l’édifice où elle se trouve, par de larges installations pour les salles de lecture et une entrée indépendante, et qu’elle ne s’enrichisse pas d’œuvres nouvelles et importantes, d’une collection, enfin, qui corresponde au développement actuel des sciences ; si l’on améliore les services de cette bibliothèque au profit de la faculté, on le fait aussi pour la capitale qui ne possède pas d’autre bibliothèque publique !
La bibliothèque appartient à la faculté, dont l’enseignement concerne les sciences sociales et juridiques, mais la classe de la Jurisprudence, que l’on estime la plus riche de cet établissement, n’en reste pas moins en retrait par rapport à l’Histoire, à la Géographie et aux Sciences et Arts.
On n’en attend pas moins que le retard et la crise où se trouve la bibliothèque, disparaissent à court terme. On attend que le Ministre de l’Empire, dont l’esprit éclairé examinera cette humble exposition, plus significative que de longues dissertations, que le Seigneur Ministre se penche sur ces problèmes avec attention, et qu’il puisse les mettre en condition d’être résolus [Antonio de Padua Fleury, S. Paulo, 11 août 1887]25.
Si le directeur de la Faculté exagère, avec son exposition peu réjouissante et dont les sous-entendus politiques renvoient aux discussions sévères qui se déroulent alors au niveau national – nous sommes à la veille du coup d’État qui mettra fin à la monarchie brésilienne (1889) –, la préface au catalogue de 1887 donne une idée du poids du passé sur l’institution, mais aussi du rôle de celle-ci pour une communauté de lecteurs qui ne dispose pas d’autre bibliothèque dans la ville, voire dans toute la province26. Pourtant, les correspondances des conservateurs rendent compte des efforts alors mis en œuvre pour l’enrichissement du fonds. L’essentiel des enrichissements au XIXe siècle s’est fait grâce aux donations des anciens étudiants et professeurs de l’Académie, selon la désignation de l’époque. Mais, au fur et à mesure que l’essor de la ville entraînait le développement de son commerce, les conservateurs insistent sur l’intérêt d’avoir des relations avec les libraires et importateurs locaux – et sur les conditions à remplir pour ce faire.
Acquis en 1882, le Manuel du libraire et de l’amateur de livres de Brunet sert traditionnellement de livre de chevet des conservateurs et bibliophiles, comme le prouve sa présence dans les inventaires de l’époque27. Il est probable que cette acquisition était en relation avec l’effort pour établir un catalogue plus complet servant à la consultation de la bibliothèque (en l’occurrence, le catalogue de 1887), et pour promouvoir la collection. De même, les correspondances des conservateurs témoignent de l’habitude nouvelle de rechercher les titres recommandés par les lecteurs, et de les acquérir auprès des libraires de la ville. Quelques mois après l’achat du Manuel, le conservateur Fernando Mendes d’Almeida annonce la réception d’un gros paquet de 81 volumes :
Les livres sont arrivées en très bon état, tous solidement reliés, selon mes recommandations, et l’œuvre complète de Cujacio (Venitiis et Mutince, 1758-1783) est la plus estimée. La collection Dalloz – jurisprudence générale – fut complétée jusqu’en 1880, et la reliure desdits volumes est semblable à celle des volumes déjà acquis dans notre collection [ABFD, 17 déc. 1882]28,
pour un montant de 590$620 [reais]29. Un mois plus tard, un nouveau rapport rend compte du payement d’une autre facture, cette fois avec la somme de :
96$720, pour l’achat (et les dépenses liées) de 21 volumes, très bien reliés, comme ceux de la première livraison, tout en signalant que la facture correspond bien aux volumes reçus...30
À la fin de cette même année 1882, une année singulièrement faste dans la suite des correspondances du XIXe siècle, le conservateur présente une facture de 226$800 [reais] pour l’achat de 16 titres en 29 volumes31. Mais les choses ne se déroulent pas toujours de façon si simple, les « demandes repoussées » sont une constante32, et les rapports du conservateur avec le principal libraire de la ville, Anatole Louis Garraux, ne restent pas toujours très pacifiques. Le libraire semble d’abord abuser de son exclusivité sur le marché de São Paulo – en général, les titres importés et les titres spécialisés devaient être commandés à Rio de Janeiro –, mais les contacts plus réguliers avec l’Académie rendent les négociations moins dures. L’un des conservateurs de la bibliothèque en vient à déclarer que les prix pratiqués par Garraux sont plus avantageux que ceux des libraires de la cour. En définitive, l’expérience acquise dans les relations avec le milieu de la librairie permet de limiter les effets d’un budget trop faible, et d’enrichir la collection : par exemple, les conservateurs ont des relations avec les libraires extérieurs, au Brésil ou à l’étranger. La consultation des catalogues de librairie leur permet d’être au courant des prix pratiqués dans une échelle plus large que celle à laquelle on était habitué quelques décennies plus tôt33. La lettre ci-dessous donne une idée des nouvelles procédures :
En réponse à l’ordre [de] Monsieur le directeur de la faculté de Droit34, d’acheter directement auprès des libraires européens des œuvres diverses destinées à la Bibliothèque, je les ai acquis chez Brunhs et Cie., négociants de cette ville, sous les conditions suivantes : 1) que les ouvrages soient achetés avec un rabais de 20 % par rapport à la valeur inscrite dans le catalogue, selon l’habitude des libraires de Paris ; 2) que les volumes soient tous modestement reliés, en veau ou en mouton ; 3) que ladite entreprise qui assure l’importation de ces livres reçoive 10 % du montant négocié lors de la remise des produits [Fernando Mendes de Almeida, conservateur en chef]35.
Le travail des bibliothécaires se traduit par une suite de documents manuscrits qui nous donne une idée des changements observés dans les dernières décennies du XIXe siècle : rapports, demandes, communications, budgets, bilans comptables, listes de prix, catalogues, factures, demandes d’importation, correspondances, signatures étrangères, échanges, etc. Il s’agit d’un ensemble beaucoup plus spécialisé que celui des anciennes correspondances, qui donnaient le tableau d’un travail bridé par l’insuffisance des moyens et par la rareté des lecteurs. En un mot, la gestion de la bibliothèque de la faculté de Droit se modernisait.
CONCLUSION
Nous avons essayé dans cet article de mettre en évidence les grands traits de la formation et du développement de la bibliothèque publique de São Paulo au XIXe siècle. Il ne s’agit évidemment pas d’un processus linéaire et constant de constitution d’un fonds, mais chaque époque a apporté sa contribution, tandis que les grandes tendances intellectuelles du lectorat sont toujours sensibles. Ce n’est pas par hasard si la première époque coïncide avec la prépondérance religieuse, et si le fonds d’origine contraste avec les intentions libérales et anticléricales du programme politique soutenant la fondation de la première bibliothèque publique. Le deuxième moment, « le printemps » de cette institution prometteuse, ne répond pas absolument aux espoirs. Certains acquisitions des années 1850-1870 ne correspondent pas au modèle d’une bibliothèque publique, dont la vocation est de servir de façon large une communauté de lecteurs, ni à celui d’une bibliothèque juridique spécialisé, dont on attend qu’elle mette à disposition les ouvrages représentatifs des débats les plus importants observés à l’extérieur. La dernière phase, celle de la « maturité », est marquée par l’articulation plus étroite entre les progrès de l’institution et l’essor et de la ville et de la communauté qui l’entoure, sur le plan intellectuel comme sur le plan matériel. Les rapports de la bibliothèque avec les libraires et les entreprises d’importation de la capitale de São Paulo témoignent du renouvellement de la conjoncture : les multiples possibilités d’enrichissement des fonds (mais aussi les obstacles à cet enrichissement), et, plus largement, les enjeux de la circulation et de la diffusion du livre dans la société paulista.
Mais toute collection de livres suppose des lecteurs et un groupe d’intellectuels usagers – ici, les conservateurs, les directeurs, les professeurs et les étudiants –, et la bibliothèque doit répondre, dans les différentes conjonctures qui se succèdent, à des horizons d’attente parfois très différents : on s’est efforcé de dégager ceux-ci d’après la lecture des correspondances internes de la bibliothèque, tout en laissant à la marge les avis éventuels des lecteurs. L’année 1891, quand l’institution s’affirme comme la plus importante de la République et que São Paulo concentre le plus grand nombre d’institutions d’enseignement du pays, nous donnera une idée du mouvement de consultation de la bibliothèque : 4 202 titres de Jurisprudence, 620 d’Histoire et géographie, 460 de Sciences et arts, 205 de Belles Lettres et 60 de Théologie. Une donnée significative des transferts culturels entre la France et le Brésil, et de la nature du lectorat fréquentant l’établissement, tient dans le fait qu’on lisait alors plus d’ouvrages et de revues en français (2 230 titres) qu’en portugais (2 154)36. Enfin, l’horaire d’ouverture reste d’abord très limité, soit 9 h-14 h, malgré les pétitions pour l’élargissement37. Mais, à la faveur du passage à la République, l’institution de la bibliothèque elle aussi se penche vers de nouvelles orientations :
À compter du 1er juillet, et selon le nouveau règlement daté de 2 janvier 1891, la Bibliothèque sera ouverte aux lecteurs de 9 h à 14 h, et de 6h [sic] à 20 h le soir [Antonio Teixeira da Silva, conservateur en chef]38.
C’est qu’une révolution technique a rendu possible de multiples changements dans le fonctionnement de la bibliothèque, quand l’électricité permet la lecture nocturne. Le progrès touche, enfin, cette institution austère qu’est la première bibliothèque publique de São Paulo, et celle-ci va désormais s’adapter à tous les changements du nouveau siècle.
Extrait du catalogue de 1857 selon la répartition des livres par genre, format et date d’édition.
Format | … 1650 | 1650-1699 | 1700-1749 | 1750-1799 | 1800-1849 | 1850-1857 | Non declare | |
In-folio | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | |
In-4° | 0 | 0 | 2 | 5 | 0 | 0 | 0 | |
In-6° | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | |
Jurisprudence | In-8° | 0 | 0 | 0 | 12 | 10 | 0 | 0 |
Indefini | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | |
Total | 0 | 0 | 2 | 17 | 10 | 0 | 0 | |
In-folio | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | |
In-4° | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | |
In-6° | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | |
Droit public | In-8° | 1 | 1 | 2 | 11 | 31 | 0 | 3 |
In-12 | 0 | 0 | 0 | 3 | 1 | 0 | 0 | |
Indefini | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | |
Total | 2 | 1 | 3 | 15 | 32 | 0 | 4 | |
In-folio | 0 | 0 | 1 | 1 | 0 | 0 | 0 | |
In-4° | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | |
In-6° | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | |
Droit des gens | In-8° | 0 | 0 | 1 | 2 | 3 | 0 | 0 |
In-12 | 0 | 0 | 2 | 0 | 2 | 0 | 0 | |
Indefini | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | |
Total | 0 | 0 | 4 | 4 | 5 | 0 | 0 | |
In-folio | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | |
In-4° | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | |
In-6° | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | |
Droit maritime | In-8° | 0 | 0 | 0 | 1 | 4 | 0 | 2 |
In-12 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | |
Indefini | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | |
Total | 0 | 0 | 0 | 1 | 4 | 0 | 2 | |
In-folio | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | |
In-4° | 0 | 0 | 1 | 1 | 1 | 0 | 0 | |
Droit administratif | In-6° | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
In-8° | 0 | 0 | 0 | 3 | 39 | 0 | 0 | |
In-12 | 0 | 0 | 0 | 5 | 4 | 0 | 0 | |
Indefini | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 2 | |
Total | 0 | 0 | 1 | 9 | 44 | 0 | 2 | |
In-folio | 6 | 14 | 58 | 13 | 2 | 0 | 7 | |
In-4° | 0 | 0 | 3 | 13 | 2 | 2 | 0 | |
Droit civil (de la patrie) | In-6° | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
In-8° | 1 | 0 | 4 | 10 | 6 | 3 | 2 | |
In-12 | 0 | 0 | 1 | 2 | 1 | 0 | 2 | |
Indefini | 0 | 0 | 1 | 2 | 1 | 0 | 2 | |
Total | 7 | 14 | 67 | 38 | 11 | 6 | 11 | |
In-folio | 5 | 3 | 15 | 1 | 0 | 0 | 1 | |
In-4° | 1 | 1 | 0 | 3 | 0 | 0 | 0 | |
In-6° | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | |
Droit romain | In-8° | 0 | 0 | 3 | 6 | 1 | 0 | 1 |
In-12 | 1 | 0 | 4 | 1 | 0 | 0 | 0 | |
Indefini | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | |
Total | 7 | 4 | 22 | 11 | 1 | 0 | 2 | |
In-folio | 11 | 17 | 75 | 15 | 2 | 0 | 8 | |
In-4° | 2 | 1 | 6 | 23 | 3 | 2 | 1 | |
In-6° | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | |
Total | In-8° | 2 | 1 | 10 | 45 | 94 | 3 | 8 |
In-12 | 1 | 0 | 7 | 9 | 7 | 1 | 0 | |
Indefini | 0 | 0 | 1 | 2 | 1 | 0 | 4 | |
Total | 16 | 19 | 99 | 95 | 107 | 6 | 21 |
Statistique de la collection de la Bibliothèque de la Faculté de Droit (1872).
Imprimes en portugais | Imprimes en langue etrangere | Imprimes bresiliens | Total | ||||
Titres | Vol. | Titres | Vol. | Titres | Vol. | Titres | |
Almanachs et annuaires | 91 | 280 | 1 | 9 | 90 | 261 | 92 |
Agriculture | 28 | 52 | 25 | 145 | 6 | 9 | 53 |
Biographie | 37 | 46 | 29 | 169 | 3 | 3 | 66 |
Diplomatie | 6 | 10 | 17 | 88 | 4 | 10 | 23 |
Droit et Jurisprudence | 692 | 1154 | 602 | 1532 | 495 | 941 | 1294 |
Statistique | 168 | 396 | 1 | 1 | 168 | 396 | 169 |
Histoire | 161 | 416 | 254 | 1069 | 22 | 78 | 415 |
Journaux | 53 | - | 1 | - | 53 | - | 54 |
Philologie | 26 | 50 | 121 | 245 | 7 | 10 | 147 |
Litterature | 36 | 51 | 104 | 314 | 30 | 35 | 140 |
Plans et Atlas | 9 | 9 | 20 | 21 | 9 | 9 | 29 |
Navigation | - | - | - | - | - | - | - |
Mathematique | 28 | 33 | 20 | 29 | 13 | 15 | 48 |
Medecine | 20 | 20 | 38 | 94 | 14 | 14 | 58 |
Philosophie | 4 | 6 | 66 | 186 | 3 | 3 | 70 |
Poesie | 19 | 19 | 46 | 112 | 10 | 10 | 65 |
Œuvres juridiques | 40 | 233 | 26 | 805 | 29 | 190 | 66 |
Rhétorique et Poétique | 1 | 1 | 14 | 15 | - | - | 15 |
5Romans et « Novellas » | 1 | 3 | 5 | 22 | - | - | 6 |
Sciences naturelles | 5 | 11 | 63 | 224 | - | - | 14 |
Théâtre | 1 | 12 | 13 | 49 | - | - | 14 |
Voyages | 6 | 8 | 48 | 186 | 5 | 7 | 54 |
Géographie | 9 | 15 | 27 | 85 | 3 | 4 | 36 |
Total | 1515 | 3048 | 1995 | 6635 | 966 | 1997 | 3510 |
____________
1 La première bibliothèque publique fondée au Brésil est celle de Salvador-de Bahia, en 1813. Le fonds de livres d’origine appartenait à plusieurs donateurs de la ville qui ont adhéré au projet de constituer une sorte d’institution dite « publique », mais qui fonctionnait selon les principes des cabinets de lecture parisiens. La Bibliothèque royale avait ouvert en 1811 sa collection au public, c’est-à-dire, aux savants, grâce à un financement du souverain. Cf. Rubens Borba de Moraes, Livros e bibliotecas no Brasil Colonial, Rio de Janeiro, Livros Técnicos e Científicos ; São Paulo, Secr. da Cultura, Ciência e Tecnologia do Estado de São Paulo, 1979, pp. 143-144 ; Gilberto Vilar de Carvalho, Biblioteca Nacional (1807-1990) – Biografia, Rio de Janeiro, Irradiação Cultural, 1994, p. 40.
2 Maria Luiza Marcílio, La Ville de São Paulo. Peuplement et population, 1750-1850, d’après les registres paroissiaux et les recensements anciens, Paris, PUF, 1968.
3 Cette collection a été enrichie par le legs de D. Luiz Rodrigues Villares (1796-1811). Né à São Paulo, Villares a fait ses premières études dans le séminaire de D. Fr. Manuel da Ressurreição. Il part ensuite à Coimbra se former en droit canon. Sa carrière religieuse s’est faite à Funchal (Madère), dont il est l’évêque jusqu’à son décès. Marisa Midori Deaecto, Império dos livros. Instituições e práticas de leituras na São Paulo oitocentista, São Paulo, Edusp, 2011, p. 87.
4 L’idée de civilisation mise en avant à l’époque de Lumières a conduit, du point de vue de la politique étatique, à des projets très centralisés. Au Portugal, les réformes réalisées par José Ier et par son ministre le marquis de Pombal, ont renforcé le monopole d’État sur les institutions d’enseignement auparavant gérées par l’Église, notamment les Jésuites. L’expulsion de ceux-ci et la dissolution de leur ordre dans le monde ibérique et en Europe, ont été suivies dans le royaume portugais par des mesures conduisant à l’affaiblissement général du clergé régulier. Dans la colonie, une loi interdisant l’accueil de nouveaux novices dans les monastères, couvents et séminaires, a vidé ceux-ci à la fin du XVIIIe siècle. Basilio Rower, Páginas da história franciscana, Petrópolis, Vozes, 1971, p. 134. Sur les réformes de Pombal dans le champ de l’éducation, Aurea Adão, Estado absoluto e ensino das primeiras letras. Escolas Régias (1772-1794), Lisboa, Calouste Gulbenkian, 1997.
5 Proclamé Empereur du Brésil en 1822, D. Pedro Ier doit unifier le territoire et consolider les institutions politico-administratives de la jeune nation. Les premières années du gouvernement ont été marquées par les guerres provinciales, par l’opposition des factions favorables au retour du roi portugais, mais aussi par le dialogue entre les différents groupes politiques. Depuis 1824, date de l’édit constitutionnel, on assiste à un mouvement de centralisation du pouvoir à travers la publication de lois à vocation libérale, comme celle qui préconisait la prise des biens de l’Église par l’État (de 1826). Rien de comparable, il faut dire, aux événements vécus par le peuple français à l’époque de la Révolution, ou plus tard, au Portugal après la Constitution libérale de 1834, quand la confiscation des couvents et monastères apporte au marché des bouquinistes et des ventes aux enchères une quantité de livres inconnue dans l’histoire du commerce de la librairie au Portugal. Artur Anselmo, Estudos de história do livro, Lisboa, Guimarães Editora, 1997.
6 Homme de son temps, fidèle aux principes de la physiocratie, l’évêque ne négligeait pas les lectures religieuses, ni celles d’usage plus pratique. On relève dans sa collection les Dissertações filosófico-políticas sobre o trato das sedas, pelo Pe. José Antônio de Sá, 1 v., in-8° , le Diccionario Universal de Agricultura, etc. etc., par l’Ab. Rozier, trad. en espagnol par D. J. A. Guerra, broch., in-4° , 1 vol. (l’auteur est devenu célèbre par son Cours d’Agriculture, 9 v., 1781-1793) ; et les Cartas de hum cultivador americano, por M. Sto. John, 3 v., in-8° . Cf. Myriam Ellis, « Documentos sobre a primeira biblioteca oficial de São Paulo », dans Revista de História, São Paulo, 1957, n° 30, p. 400-447.
7 « L’évêque, malgré son âge bien avancé, garde un grand intérêt pour la science, et c’est avec un enthousiasme vibrant qu’il aime présenter ses livres. La bibliothèque contient nombre d’œuvres historiques, du droit canon, des classiques anciens, et elle constitue un important outil de formation pour les jeunes séminaristes, ceux qui font des études théologiques dans le Séminaire jusqu’au moment de recevoir les ordres... » : Martius, Spix, Viagem pelo Brasil, 1817-1820, trad. Lucia Farquim Lahmeyer, rév. et ann. Ramiz Galvão et Basilio de Magalhães, 2e éd., São Paulo, Melhoramentos, [s. d.], t. I, p. 147.
8 Selon le président de la province, Lucas Antonio Monteiro de Barros, le désir de rendre publique la collection des livres a été exprimé par l’évêque dans son testament : Ellis, art. cité, p. 399.
9 Le président de la province de São Paulo argumente dans son mémorial adressé au fonctionnaire de la trésorerie de l’État : « Illustrissime et Excellentissime Seigneur. Étant certain que les bibliothèques publiques aident au progrès des arts et des sciences, ce qui est bénéfique pour les peuples, et considérant que V. Majesté [sic] l’Empereur protège avec sollicitude l’instruction et les lettres dans son Empire, je crois nécessaire d’œuvrer dans cette même direction pour satisfaire les bienveillantes intentions de notre Empereur. Pour cette raison j’ai décidé, en accord avec le conseil de la Fazenda royale, d’établir dans cette capitale une bibliothèque. En allant plus loin, je juge que cette mesure doit conforter les moyens de fonder une université dans cette province, selon ce que l’Assemblée générale vient de délibérer, et en considérant le fait que dans la ville la classe des savants et hommes de talent est nombreuse, et que si elle ne cultive pas les bonnes lettres ce ne serrait que parce qu’elle manque de bons livres, et de possibilités de les acheter, je pense obvier à ces inconvénients avec cette démarche... »
10 Sans doute selon un modèle créé dans l’esprit de la Contre-Réforme, et basé sur l’idée « de favoriser l’évangélisation en associant la religion aux développements de la culture moderne ». Frédéric Barbier, « En France, le privé et le public, ou Qu’est-ce qu’une bibliothèque des Lumières ? », dans Un’istituzione dei Lumi : la biblioteca. Teoria, gestione e pratiche biblioteconomiche nell’Europa dei Lumi. Convegno Internazionale, Parma, 20-21 maggio 2011, éd. Frédéric Barbier, Andrea De Pasquale, Parma, Museo Bodoniano, 2013, pp. 10-28, ici p. 13.
11 Les modèles d’ouverture sont multiples et disent beaucoup sur l’époque, sur la nature de l’institution et sur le public qui la fréquente, comme l’observe Frédéric Barbier, « En France... », art. cité.
12 Myriam Ellis, « Documentos... », art. cité, pp. 401 et 405-406.
13 Sur le modèle de bibliothèque publique mis en œuvre aux États-Unis dans les premières décennies du XIXe siècle, voir Edward Bansfield, « Needed : a public purpose », dans The Public library and the city, Boston (Mass.), M.I.T. Press, 1966, p. 104 ; The American Peoples Encyclopedia. A modern reference work, New York, Grolier Inc., 1968. [articles « Library » et « Public »] ; Anne-Marie Bertrand, Bibliothèque publique et public library : essai de généalogie comparée, Villeurbanne, ENSSIB, 2010.
14 Anais da Biblioteca Nacional, Rio de Janeiro, 1953, n° 74, v. II.
15 Dans cette rubrique, on trouve la Bibliothèque de l’homme public de Condorcet, et une collection (complète ?) de L’Encyclopédie méthodique. En Histoire universelle, une collection sous le même titre, « publiée par une Société de Gens de Lettres » et un Dictionnaire universel, « par une Société de Savants » (13 v., in-8°). La partie consacrée à la Philosophie est la plus riche, par ses titres en portugais comme en français, voire en espagnol. Il n’est pas possible de préciser dans quelle mesure le bibliothécaire a traduit ou simplement ignoré les titres originaux des œuvres en grec ou en latin, compte tenu du fait que les frères avaient au moins une formation latine. Myriam Ellis, « Documentos... », art. cité, et Marisa Midori Deaecto, O Império dos livros, ouvr. cité, pp. 76-98.
16 Les exemples à ce propos sont nombreux, comme on le voit dans Frédéric Barbier, Histoire des bibliothèques. D’Alexandrie aux bibliothèques virtuelles, Paris, Armand Colin, 2013. Par ailleurs, nous disposons de quelques études sur des différentes modalités d’appropriation des catalogues, par ex. Emmanuelle Chapron, « Circulation et usages des catalogues de bibliothèques dans l’Europe du XVIIIe siècle », dans Un’istituzione dei Lumi, ouvr. cité, pp. 29-49.
17 Daniel Pedro Müller, Ensaio d’um quadro estatístico da província de São Paulo. Ordenado pelas leis provinciais de 11 de abril de 1836 e 10 de março de 1837, 3e éd. (fac-similé), São Paulo, Governo do Estado, 1978, p. 258 [Secretaria da Academia Jurídica de S. Paulo, 16 de Dezembro de 1836. Ildefonso Xavier Ferreira, Official Guarda Livros servindo de secretario o fez].
18 Michel Espagne, « Transferts culturels et histoire du livre », dans Histoire et civilisation du livre, Genève, Droz, 2009, p. 208.
19 Il faut dire que ce public était aussi peu nombreux. Le même recensement de 1836 rend compte d’une population à 21 933 habitants, dont seules « 1 009 personnes [chiffre étonnant de précision] sachant lire et écrire, ce qui leur donne des conditions de trouver un emploi ». Daniel Pedro Müller, Ensaio d’um quadro estatístico da província de São Paulo, ouvr. cité, p. 11.
20 En 1872 : 31 385 hab. ; en 1890 : 64 934 ; en 1900 : 239 820 ; en 1920 : 579 033. Synopse do recenseamento realizado em 1 de setembro de 1920 – População do Brazil, Rio de Janeiro, Ministério da Agricultura, Indústria e Commercio, Instituto de Expansão Comercial, 1926, p. 183.
21 Archives de la Faculté de Droit [dorénavant : MAFD], Correspondance du bibliothécaire avec son directeur, Livre 18.
22 Repartição dos livros por assunto, formato e ano de edição; Quadro estatístico do acervo da Biblioteca – 1872 [par Francisco de Souza Dias Ribeiro, conservateur en chef]. MAFD, Livro 152, f. 60. Cf. infra, p. , tabl. 2.
23 Marisa Midori Deaecto, Comércio e vida urbana na cidade de São Paulo (1889-1930), São Paulo, Senac, 2002 ; Pierre Monbeig, « La Croissance de la ville de São Paulo », dans Revue de géographie alpine, 1953.
24 De nouvelles bibliothèques ouvertes au public ne seront installées dans la ville que dans les années 1860, surtout à l’initiative des clubs, sociétés et institutions d’enseignement privées – il faut aussi tenir compte de l’action de la maçonnerie : citons notamment la Biblioteca da Sociedade Propagadora, dont le but était de propager l’enseignement gratuit, technique ou professionnalisant, dans des cours du soir ; ou encore la Bibliotheca Germania, fondée dans les années 1860 par les immigrants allemands. Une nouvelle bibliothèque ne sera fondée par les pouvoirs publics qu’en 1895, sous les auspices du régime républicain. Selon un recensement de 1891, « dans la capitale [de la province], il y a deux Bibliothèques publiques, celle de la Faculté de Droit de S. Paulo et celle du « Liceu de Artes e Ofícios », alors l’institution la plus importante dans le domaine des arts et métiers et qui offre, en d’autres termes, des cours à vocation technique et professionnelle. La première est administrée par le Gouvernement fédéral, et la seconde par l’Association humanitaire du Liceu de Artes e Ofícios de S. Paulo, dont le président-fondateur est le digne Monsieur Carlos Leoncio de Carvalho » (Marisa Midori Deaecto, O Império dos livros, ouvr. cité, pp. 228-238, notamment p. 233).
25 Catálogo impresso das obras adquiridas pela Faculdade de Direito, 1887, São Paulo, Seckler, 1887.
26 Théologie, 751 titres ; Jurisprudence, 1018 ; Sciences et arts, 1100 ; Belles Lettres, 510 ; Histoire et géographie, 1237.
27 Jacques Charles Brunet, Manuel du libraire et de l’amateur de livres, contenant..., 6e éd., Paris, Firmin Didot Frères, 1860-1865, 6 vol.
28 MAFD, f. 03.
29 MAFD, f. 03.
30 Ibidem.
31 Ibidem.
32 Selon le rapport de 1895 : « La bibliothèque (...) n’a rien acquis cette année. Le budget est faible et insuffisant pour l’achat d’ouvrages comme pour l’abonnement à des journaux et revues. Les dons n’ont pas non plus été satisfaisants, même si j’ose dire qu’une institution comme celle-ci ne devrait pas avoir à compter sur eux. La reliure d’un grand nombre de volumes est une nécessité absolue, car il serait criminel d’abandonner des collections entières aux teignes. Toutefois, pour les sauver, le simple travail des bibliothécaires ne suffit pas. Messieurs les professeurs [et] Messieurs les lecteurs se plaignent tous les jours de l’absence des ouvrages les plus récents (...). Il y a des mois, j’ai dressé moi même une liste des ouvrages les plus indispensables aux études juridiques, et je vous l’ai envoyée, sans avoir depuis reçu aucune réponse. Jusqu’à présent, la bibliothèque ne possède pas la collection complète des lois de la République [fondée le 15 nov. 1889], malgré la demande faite directement au ministre de l’Intérieur, au directeur de la Presse nationale et au directeur de la Bibliothèque nationale... » (Joaquim Mendonça Filho, Rapport annuel, 1895 : MAFD, Livre 18, f. 18).
33 Les études portant sur les catalogues en tant qu’instruments de diffusion et de renforcement d’une certaine connaissance bibliographique pour les collectionneurs, certes, mais aussi pour les conservateurs de bibliothèque, constituent un chapitre très important de l’histoire du livre, dans la perspective des circuits de diffusion et de réception de l’imprimé. Sabine Juradic, « Les libraires parisiens et les bibliothèques au XVIIIe siècle », dans Un’istituzione dei Lumi, ouvr. cité, pp. 165-180.
34 Ilmo. Exmo. Snr. Conselheiro Dr. Director da Faculdade de Direito de São Paulo André Augusto de Padua Fleury.
35 MAFD, fl 07.
36 MAFD, Livre 18, fl. 66.
37 « Jusqu’au 31 juin la bibliothèque s’ouvre de 9 h à 2 h de l’après-midi ». MAFD, Livre 18, fl. 70.
38 Ibidem.