Book Title

Cosimo Caputo, Basi linguistiche della semiotica: Teoria e storia & Cosimo Caputo, La scienza doppia del linguaggio. Dopo Chomsky, Saussure e Hjelmslev

Milano – Udine, Mimesis, 2021, 170 p. – ISBN : 9788857577647 & Roma, Carocci, 2019, 152 p. – ISBN: 9788843094530

Matteo SERVILIO

Université Federico II Naples

matteo.servilio@gmail.com

La relation fondatrice reliant la sémiotique et la linguistique est communément considéré comme allant de soi. Une grande partie des notions « fortes » et des catégories analytiques, encore utilisées dans les écrits et les livres de sémiotique, trouvent leur formulation originale dans certains textes classiques tels que le Cours de linguistique générale de Saussure et les Prolégomènes à une théorie du langage de Hjelmslev.

Dans le Cours, la sémiologie représente l’espace épistémologique dans lequel doit se situer la réflexion théorique et la pratique du linguiste. Dans l’ouverture de la revue Communications (1964), Roland Barthes redéfinit le rapport entre les deux disciplines en échangeant complètement la polarité des rapports de dépendance :

Il faut en somme admettre dès maintenant la possibilité de renverser un jour la proposition de Saussure : la linguistique n’est pas une partie, même privilégiée, de la science générale des signes, c’est la sémiologie qui est une partie de la linguistique : très précisément cette partie qui prendrait en charge les grandes unités signifiantes du discours. (p. 2)

Rétrospectivement, la tentative théorique de Barthes a ouvert au moins trois scénarii différents :

1. La langue naturelle, donc le signe verbal, est considérée comme le système de modélisation primaire, capable d’intervenir directement ou indirectement avec l’extralinguistique, à travers le travail d’articulation effectué par la langue.

2. La langue, dans son sens grammatical, a été élevée au rang de modèle pour l’analyse des systèmes sémiologiques non linguistiques. Par un processus d’hypostasie, les catégories identifiées et élaborées dans le cadre de l’analyse linguistique pourraient être appliquées verbalement à de nouveaux domaines d’investigation sémiotique.

3. La linguistique est à considérer comme le fondement épistémologique qui, à partir d’un processus méta-théorique, atteint l’élaboration de notions et de concepts qui vont au-delà des études strictement linguistiques, englobant l’ensemble du champ sémiotique.

Le volume de Cosimo Caputo intitulé Basi linguistiche della semiotica. Teoria e storia, publié par l’éditeur Mimesis dans la série « Sémiotica e filosofia del linguaggio », dirigée par Felice Cimatti et Claudia Stancati, a pour objectif d’enquêter et d’actualiser la relation complexe entre linguistique et sémiotique : « Bien que chez les sémioticiens les références à la linguistique des langues verbales se soient raréfiées, et dans certains cas, comme celui de Sebeok, la linguistique se voit refuser tout autre rôle que celui d’une vision réductrice de la sémiosis, la question théorique des rapports entre la sémiotique et la linguistique restent ouverte » (p. 3)1.

Le titre du texte, « Basi linguistiche », fait référence aux « bases épistémologiques » de la sémiotique que l’on trouve chez Ferdinand de Saussure et Louis Hjelmslev, les principaux interlocuteurs de Cosimo Caputo dans cet ouvrage, et dont l’importance se condense dans l’expression sémiolinguistique : « Dans sa spécificité disciplinaire », la sémiolinguistique est une « sémiotique linguistique » (une sémiotique dont les bases théoriques sont à trouver dans la linguistique) vs une « linguistique sémiotique » (une linguistique qui a une expansion sémiotique) (p. 13-14). L’auteur utilise ce terme pour souligner le lien intrinsèque entre les deux dimensions, qui se rejoignent dans la « capacité formative et métaformative » de l’homme. En même temps, comme chez Barthes, nous trouvons soulignée « la prééminence épistémologique du langage verbal » (p. 6), le seul qui soit capable, selon Caputo, de parler de lui-même et de tous les autres types de système de signes.

Comme l’auteur cherche à le montrer à travers le titre de son ouvrage, l’enquête sur les fondements linguistiques de la sémiotique a à la fois pour but de mettre en évidence les dettes théoriques entre les deux disciplines, et de redessiner leur physionomie, à partir des résultats des investigations philologiques qui au fil des ans ont enrichi la littérature relative aux deux maîtres. Le caractère théorique du volume est inextricablement lié à l’histoire de la discipline : « le moment de la vérification historique est intrinsèque à la recherche théorique et explique la double démarche de ce livre : la démarche théorique et la démarche historique » (p. 6).

Le principe fondateur à travers lequel se rouvre le rapport interne entre linguistique et sémiotique est celui de la « dualité », thème que l’auteur aborde plus amplement dans son volume intitulé La double science du langage (2019). Partant des réflexions saussuriennes, Caputo rappelle la double nature du langage, un « objet constitutivement double, composé de deux parties dont l’une ne vaut que par l’autre et chacune tire sa valeur du fait de s’opposer à l’autre ».

La notion de dualité est, en effet, au cœur de la théorie sémiotique saussurienne : la définition des entités concrètes de la langue, la bifacialité du signe, l’arbitraire du rapport interne entre ses composants, le rapport entre les dimensions individuelle et collective de la langue, le rapport entre synchronie et diachronie, le problème du format, jusqu’au rapport entre la représentation épilinguistique du locuteur, et la représentation métalinguistique, propre au grammairien.

Une condition incontournable de la sémiolinguistique est donc l’absence de critères préétablis pour la délimitation de son objet et de ses unités : la langue, lit-on dans le Cours, « […] ne se présente pas comme un ensemble de signes délimités d’avance » (CLG 146). En dehors du lien avec le signifiant, le signifié est pensée pure (masse amorphe), non pertinente pour le domaine linguistique ; hors du rapport avec le signifié, le signifiant est un flux phonique non linguistique.

La conséquence directe de cette condition est le principe d’arbitraire. Dans le deuxième chapitre du volume l’auteur relit l’arbitraire du signe à partir du débat qui s’est déroulé à la suite de l’article bien connu de Benveniste « Nature du signe linguistique », publié en 1939 dans la revue Acta Linguistica, fondée et dirigée par Viggo Brøndal et Louis Hjelmslev.

Caputo se concentre sur les interventions du linguiste italien Mario Lucidi (1950), élève d’Antonino Pagliaro, et du linguiste danois Niels Ege (1949), qui ont montré la nécessité d’une révision des sources du Cours. Lucidi propose la séparation entre sema (l’acte linguistique) et hyposème (sous-unité résultant de l’articulation fonctionnelle du sema) à travers la relecture critique de la notion de signe ; Ege place la question de l’arbitraire dans le paradigme glossématique. L’auteur peut ainsi approfondir une lecture hjelmslevienne de ce sujet et réaffirmer le rapport entre l’arbitraire et la nécessité du rapport interne entre les composantes du signe.

La fonction sémiotique, selon la théorie du linguiste danois, est l’interdépendance entre la forme de l’expression et la forme du contenu qui, à son tour, peut arbitrairement découper la matière et ainsi relier les substances. Dans la glossématique, en fait, signifiant et signifié sont traduits comme terminaux d’une fonction d’interdépendance – notamment la solidarité, qui exprime la nécessaire dépendance entre expression et contenu : « Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le signe est donc à la fois signe d’une substance du contenu et d’une substance de l’expression. C’est dans ce sens que l’on peut dire que le signe est signe de quelque chose » (p. 76)2.

Ainsi, en ce sens, la « réalité extérieure », qui selon Benveniste était implicite dans les pages du Cours consacrées à la définition du signe, est sémiotiquement articulée et interprétée, devenant substance par l’action formatrice de la fonction sémiotique.

Le thème de l’arbitraire nous conduit à celui de la formativité et de la traduisibilité. Partant de la formulation hjelmslevienne du caractère « omni-formateur » des langues, c’est-à-dire de la capacité des langues à traduire et à former toute autre sémiotique, Caputo fait dialoguer Hjelmslev avec Emilio Garroni et Tullio De Mauro. Si d’un côté les langues naturelles se présentent comme des systèmes de signes capables de traduire et de découper la matière de manière plus large, de l’autre, elles ne sont pas omni-formatrices au sens absolu. L’auteur s’engage ainsi sur un redimensionnement du concept d’omni-formativité entendu dans un sens verbocentrique, en optant pour une formativité sémiotique dans laquelle chaque système peut traiter l’inexprimable de manière singulière, en relevant et en formant des portions de matière plus ou moins larges : « Même si l’on peut dire plus, on ne peut pas, cependant, tout dire » (p. 63)3.

Dans le chapitre 3, Caputo relit l’essai de Hjelmslev « La stratification du langage » (1954) en termes historiques et théoriques. Le texte explore l’articulation interne de l’architecture du signe et ouvre la glossématique à la description des niveaux de la substance à travers la mise en évidence théorique du niveau interprétatif/évaluatif des appréciations collectives, du niveau socio-biologique et du niveau physique.

Les derniers chapitres du livre s’ouvrent sur une perspective historique et dialogique. Partant de la variabilité dont les pratiques de communication telles que les dialectes sont imprégnées, Caputo propose une lecture de la dialectologie qu’il définit comme sémio-dialectologie et dont il fait une base nouvelle pour revenir aux problèmes de linguistique générale. Dans une perspective de réinterprétation historique et dialogique, les traditions linguistiques européennes du XXe siècle sont également traversées, jusqu’à l’école romaine qui voit en De Mauro son plus récent champion et l’auteur d’une célèbre édition du Cours de linguistique générale (1967).

Le dialogue historiographique de Caputo atteint ainsi les grands paradigmes de la sémiotique et de ses écoles de pensée, mettant en lumière l’intrigue qui unit ces études et les différentes âmes de la discipline.

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1 Toutes les traductions de l’italien sont de l’auteur de ce compte rendu.

2 L. Hjelmslev, Prolégomènes à une théorie du langage, Paris, Minuit, 1971.

3 Sur ces questions, voir l’article de Caputo dans le numéro 71 (2018) des Cahiers Ferdinand de Saussure (dont le texte italien est une réélaboration).