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Roman Jakobson, Lo Sviluppo della semiotica e altri saggi

Saggio introduttivo di Umberto Eco, saggio conclusivo di Nunzio La Fauci, traduzioni di Andrea La Porta, Emilio Picco e Ugo Volli, Bompiani, Campo aperto, 2020, 191 p. – ISBN 978-8830102309

Marie-José BÉGUELIN

Université de Neuchâtel

Marie-José.Beguelin@unine.ch

Cet ouvrage est la réédition d’un classique paru en 1978, sous le même titre et chez le même éditeur. Il s’ouvrait sur un essai introductif d’Umberto Eco (ci-après : UE) intitulé « Il pensiero semiotico di Jakobson » (version italienne d’un texte paru en anglais deux ans plus tôt, à l’occasion du quatre-vingtième anniversaire de Roman Jakobson). Il contenait ensuite, traduites en italien, quatre études1 du grand savant russo-tchéco-américain, jugées déterminantes pour l’essor disciplinaire de la sémiotique2.

L’édition 2020 reproduit à l’identique les textes de 1978, avec deux ajouts significatifs. D’abord (p. 9-11), une nécrologie signée par UE dans L’Espresso du 15 août 1982, suite au décès de Roman Jakobson (1896-1982). UE y brosse un portrait succinct du maître à la longévité scientifique exceptionnelle, auteur de 630 publications, présenté comme un protagoniste majeur de la civilisation contemporaine, d’envergure égale à celle de savants et d’artistes mieux connus du public tels qu’Einstein, Picasso, Bertrand Russell, Stravinsky. L’édition 2020 s’enrichit en outre, à l’autre bout, d’une substantielle étude de Nunzio La Fauci (ci-après : NLF), intitulée « D’altro canto » (= « d’un autre côté, sous un autre angle », p. 137-179). Comme le laisse augurer son titre, l’auteur y rompt avec la perspective hagiographique3 (et promotionnelle par endroit) des propos liminaires de UE. À quarante ans de distance, NLF réévalue le legs jakobsonien, qu’il met en balance avec l’héritage sémiologique non pareil de Ferdinand de Saussure. Une revue commentée des publications qui ont fait date, traductions comprises, complète utilement son étude (p. 180-191).

Tout lecteur intéressé trouvera dans cette réédition bienvenue de quoi rafraîchir, compléter et parfois remettre en cause ses connaissances relatives à la science des signes, au plan historique comme au plan théorique. Car dans cet ouvrage dense, où s’entrecroisent les voix de savants de générations différentes, le débat épistémologique est omniprésent. Au moins trois des quatre textes de Jakobson en relèvent, de même que les analyses de ses éminents commentateurs.

Ainsi, dans son premier essai (voir n. 1), Jakobson évalue l’apport des pionniers de la science des signes, de l’âge classique au milieu du XXe siècle. À commencer par John Locke, qui à la fin du XVIIe promeut un type d’études qu’il dénomme σημειωτική, puis Jean-Henri Lambert, qui intitule « Semiotik oder Lehre von der Bezeichnung der Gedanken und Dinge » une section de son Neues Organon de 1764. À partir du XIXe siècle, Jakobson distingue les contributions de Joseph Marie Hoene-Wronski, Bernard Bolzano, Edmund Husserl, Charles Sanders Peirce, Ferdinand de Saussure (dont l’apport est jugé, p. 62, « plus modeste et restreint »)4, Ernst Cassirer. À l’issue de son recensement, Jakobson plaide pour l’extension du champ de la sémiotique à l’ensemble des manifestations culturelles humaines : arts plastiques, musique, chorégraphie, rituels, etc. (p. 71-77). L’essai suivant, consacré aux intuitions des médiévaux, témoigne d’une même érudition dévorante. Jakobson y valorise les propos des modistes et des rhétoriciens du Moyen Âge, injustement méconnus et décriés à ses yeux, puis ceux des grammairiens de la Renaissance et de l’âge classique. Dans une tradition pluri-centenaire où Peirce lui-même a puisé, il décèle les bases d’une théorie moderne du signe et de la signification (p. 92, 95, 97-98), une description des partes orationis comme faisceaux de traits élémentaires (p. 89), une représentation appropriée des niveaux d’analyse fondée sur la notion de double articulation (p. 90) et, sous le concept de grammatica rationalis, l’ambition d’une grammaire universelle (p. 91)5. Si le troisième essai, plus bref, présente et illustre le célèbre schéma (dit « jakobsonien ») des six fonctions du langage, le débat métathéorique ressurgit dans le quatrième, où sont contestés quelques postulats de la vulgate saussurienne (arbitraire du signe, linéarité du signifiant, opposition synchronie-diachronie)6.

Le chapitre liminaire de UE vient, si l’on peut dire, parfaire l’état des lieux, en y intégrant l’apport scientifique de Jakobson lui-même. Bien que maints philosophes, grammairiens ou logiciens – des présocratiques à Éric Buyssens et aux formalistes russes – se soient intéressés au fonctionnement des signes, l’émergence de la sémiotique en tant que branche unifiée du savoir requérait, dixit UE, un « séisme méthodologique », un renversement de perspective autorisant l’identification d’un objet commun à des sciences diverses (p. 16). Le rôle essentiel des médias dans la civilisation contemporaine, l’essor de la cybernétique et de la théorie de l’information, créaient certes l’environnement favorable qui jusqu’alors avait fait défaut. Mais, selon UE, c’est Roman Jakobson qui, grâce à son sens de la systématisation et à l’étendue de ses investigations, a joué le rôle de catalyseur d’une « “réaction sémiotique” contemporaine »7, amplifiée ensuite par la vague des travaux de Barthes, Greimas, Lacan, etc. (p. 39-41).

Jakobson n’a jamais rédigé de traité de sémiotique8, mais son œuvre entière, soutient UE, illustre et incarne la discipline : les lois du langage y sont, dès le départ, décrites en lien avec celles d’autres systèmes sémiotiques (poésie, folklore, arts plastiques…) ; les langues y sont appréhendées dans le cadre élargi des comportements signifiants en général (p. 18-20) ; enfin une attention vigilante est portée non seulement à leur dimension symbolique, mais aussi à leurs composants iconiques et indexicaux (p. 32). Les recherches éclectiques de Jakobson (dans les domaines de la poésie, de la phonologie, du cinéma, du théâtre, de la gastronomie, des gestes ostensifs, de la signalétique routière, de la musique, des aphasies, de la théorie de l’information, etc.) l’ont conduit, comme son collègue et ami Lévi-Strauss9, à l’idée que les systèmes anthropologiques et sociologiques sont de nature fondamentalement communicative : omniprésente, la signification n’est point l’apanage des codes linguistiques (p. 23, p. 39). Quant aux tâches de la sémiotique, elles consistent notamment, pour UE, à dévoiler les « mécanismes constants ou universels de signification » (p. 24), par recours à des « transferts interdisciplinaires » qui sont la base de la méthode (p. 25-28 et passim) ; elles consistent en outre à décrire les spécificités des divers types de signes, en prenant appui sur la triade peircienne symbole-indice-icône (p. 23, p. 32). Le concept de signe sur lequel s’édifie la sémiotique générale est caractérisé comme suit : « Il y a signe chaque fois que s’établit une “relation de renvoi”, c’est-à-dire quand aliquid stat pro aliquo. »10 (p. 22 ; UE répercute ici le propos de Jakobson qui figure p. 73).

Dans son essai conclusif à vocation de bilan, NLF s’en prend à cette vision du signe fondée sur une « relation de renvoi » (it. rimando). Elle ne fait, écrit-il, que perpétuer un poncif charrié par une herméneutique philosophique millénaire, d’autant plus facile à faire admettre par des spécialistes de disciplines diverses qu’il émane tout droit du sens commun (p. 152-153). Dans le cadre du Congrès milanais de 1974, et « sous le module rhétorique de l’innovation conservatrice » (p. 173), la formule sibylline aliquid stat pro aliquo – floue, applicable ad libitum11 reprend du service et devient l’étendard usé d’une science qui se veut nouvelle : on y désigne par signe, le plus traditionnellement du monde, une forme qui « renvoie » à une signification (ou à un sens) (p. 149-150 ; voir p. 85 la citation médiévale anonyme mise en exergue par Jakobson). Cette conception ressassée trouve à la fois un ancrage et une ratification dans le moule syntaxique à complément adnominal typiquement associé à signe « x est signe de y ». Lequel accrédite l’idée que la forme-signe a pour « fonction », ou pour finalité, de porter un sens, en accord avec le postulat téléologique des Thèses de 1929 du Cercle linguistique de Prague12 où la langue est décrite comme un système fonctionnel, « un système de moyens d’expressions approprié à un but » (p. 162 ; cf. Hénault 1992 : 86). (Dans cette perspective notons-le, le moyen privilégié pour étudier le sens est la paraphrase, la « traduction », comme l’expose Jakobson aux p. 117 sqq. du Sviluppo della semiotica.)

Ferdinand de Saussure esquisse quant à lui son projet sémiologique au cours des années 1890, solitairement et sans égard pour la tradition herméneutique. Linguiste avant tout, il envisage une « science au futur » à partir de son expérience du fonctionnement des langues indo-européennes anciennes (et, suis-je tentée d’ajouter, à partir d’une réflexion de haut vol sur la place et la légitimité de la linguistique parmi les autres sciences, humaines ou exactes). La théorie du signe élaborée dans ces conditions diffère foncièrement de celle qui sera remise au goût 80 ans plus tard lors du Congrès de Milan13. En effet, relève NLF, le signe à la Saussure n’est pas « signe de » : il est signe tout court, il manifeste une relation, interne à la langue, entre un signifié et un signifiant. Et dans cette relation, signifié n’a que peu de choses à voir avec ce qui est appelé en français sens, en anglais sense et meaning, en allemand Sinn et Bedeutung, en italien senso et significato (p. 151)14. Les créations terminologiques élégantes de signifié et signifiant15, l’un comme l’autre nominalisations de participes, ont pour vertu que signifié et signifiant « se qualifient exclusivement réciproquement16 et le font par la voie d’une opposition de diathèse, une opposition toute intralinguistique. La diathèse est médio-passive dans la qualification du premier, elle ne l’est pas dans celle du second. » (p. 151-152, ma traduction). Au contraire du trivial « signe de… », le signe à la Saussure est bifrons ; psychique sous ses deux faces, il est indissolublement constitué d’un signifié qui au plan conceptuel est pure contrepartie d’un signifiant, et d’un signifiant qui au plan de l’image acoustique est pure contrepartie d’un signifié17. Ce rapport fonctionnel – au sens mathématique du mot fonction et nullement en son sens téléologique pragois – permet de « rendre discrètes des grandeurs autrement continues » (p. 152), tout en « justifi[ant] pleinement la conception de la langue comme système » (p. 162)18.

Pour appuyer sa démonstration, NLF applique, on l’aura relevé, l’analyse linguistique à la terminologie linguistique elle-même. Il jette ainsi la lumière, en toute sobriété, sur la singularité19 souvent mal perçue du programme sémiologique saussurien. On comprend mieux, à lire son essai, pourquoi Saussure annonce « au futur » ce programme qu’aucune tradition ne corrobore – au risque que son apport soit estimé « plus modeste » que celui d’autres savants (p. 62 et n. 4) ; on comprend mieux, d’autre part, les malentendus et les retours en arrière qui ont conduit à ce que le paradigme saussurien, selon le mot de J. Coursil, « a eu l’étrange destin de n’être jamais né » (2015 : 29).

Cependant, NLF ne se borne pas à confronter la dualité saussurienne à la conception dualiste traditionnelle du signe, ni même à relever la relation parfois ambivalente de Jakobson à l’égard de l’enseignement de Saussure (p. 190-191). Il retrace aussi, avec acuité, les circonstances historiques, individuelles et théoriques qui ont conduit à l’avènement de la sémiotique comme discipline-phare des sciences humaines. Il suit les étapes de l’exil forcé de Jakobson (de Moscou, à Prague, de Prague en Scandinavie, puis de Scandinavie aux États-Unis), indiquant au passage les rencontres qui ont compté (Karcevski, Kruszewski, Troubetskoy, Lévi-Strauss, Benveniste, etc.), ainsi que les influences déterminantes (notamment celle de l’œuvre de Peirce, longtemps inédite, que Saussure n’avait pu connaître). Aux yeux de NLF, la sémiotique avait trouvé en Jakobson le dominus dont elle avait besoin et, écrit-il de manière un peu provocante, elle n’a guère survécu à sa disparition (p. 170). L’œuvre foisonnante de Jakobson est constituée, comme l’observait déjà UE, d’une mosaïque d’études ponctuelles plutôt que de sommes, ce qui tient peut-être, suggère NLF, à la nature même du programme que s’était donné le maître (ibid.). Si NLF blâme le recyclage racoleur du « signe de… », il n’en trie pas moins le bon grain de l’ivraie : il admire notamment chez le Russe l’élan visionnaire, la généralisation du concept de système issu de la phonologie, l’extrapolation à divers domaines d’études – avec une « allusivité fascinante », p. 160 – des notions linguistiques de sélection et de combinaison, la mise en relief des paramètres de la communication verbale et de leurs reflets dans les productions langagières (p. 170). Quand l’occasion se présente, et avec le sens de la polémique qu’on lui connaît, NLF décoche quelques flèches ironiques bien senties contre le penchant de courants de recherches prétendument novateurs à recycler des truismes (la sémiotique n’est pas seule concernée, cf. p. 166-167), à proroger une approche désespérément lexicaliste de la langue, ou encore à développer des modèles surpuissants, dont le champ d’application demeure impossible à circonscrire.

Le présent compte rendu capte, on l’aura deviné, quelques aspects seulement d’une riche matière, abordée sous plusieurs angles de vue dans l’ouvrage. Concluons ce commentaire par une discussion de détail. Au détour d’un développement, p. 152, NLF évoque la célèbre phrase finale du Cours de linguistique générale de 1916, « la linguistique a pour unique et véritable objet la langue envisagée en elle-même et pour elle-même ». À contre-courant de nombreux exégètes (p. ex. de Mauro, in Saussure (1972 : 476) ; Bouquet (2010 : 39), Jäger (2017) et préface à Saussure (2003), etc.), il estime que les éditeurs caractérisent fidèlement, par cette formule que l’on sait apocryphe20, le projet sémiologique de Saussure. Sous forme de « note terminologique », il ajoute que « langue, ici, n’est pas le terme avec lequel on désigne un des pôles oppositifs par complémentarité de la dichotomie langue-parole. » (ma traduction, p. 152). Ce propos intriguera peut-être les auteurs qui ont vu dans le couple saussurien langue-parole une dualité indécomposable au même titre que signifié-signifiant (cf. Saussure (2002 : 273, 298-299) ; Kyheng (2005) ; Béguelin (2011 : 644-656) ; Rastier (2015 : 110)21), et qui ont reproché à Bally et Sechehaye de dépeindre, hors de toute vraisemblance, un Saussure fermé à l’idée d’une linguistique de la parole. Le défi auquel est confronté le diachronicien ne consiste-t-il pas, justement, à penser le système de signes non seulement « en soi », mais aussi comme « application », et en même temps comme « produit incessant de l’action sociale » (Saussure 2002 : 129, Nouveaux documents, 102, Notes Item)22 ? Plutôt marginale par rapport aux thématiques du Sviluppo della semiotica, l’interprétation qui est faite dans ces lignes du terme « langue » mériterait donc, compte tenu de ses retombées, d’être justifiée un peu davantage.

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1 En voici les titres : « Lo sviluppo della semiotica » (traduction de « Coup d’œil sur le développement de la sémiotique », présentation inaugurale au premier Congrès de l’International Association of Semiotic Studies, tenu à Milan en juin 1974) ; « Qualche osservazione sulle intuizioni dei medievali in materia di scienza del linguaggio » (= « Glosses on the Medieval Insight into the Science of Language », 1975) ; « Il metalinguaggio come problema linguistico » (= « Metalanguage as a linguistic problem », 1956) ; « Segno e sistema del linguaggio » (contribution à une discussion parue en 1962 dans Schriften zur Phonetik, Sprachwissenschaft und Kommunikationsforschung, Berlin, vol. IV). Notons que les études 3 et 4 sont assez nettement antérieures aux premières ; et que les thématiques abordées dans ce livre recoupent en partie tout au moins le contenu de Jakobson (1963) et (1973).

2 On sait que le terme de sémiotique fut choisi (au détriment de sémiologie, également en usage surtout dans la tradition francophone) dans les statuts de l’International Association of Semiotic Studies, avant de s’imposer à l’échelon international lors du Congrès de Milan (n. 1). Nunzio La Fauci analyse, dans sa postface, les facteurs politico-institutionnels et les ambitions personnelles qui pesèrent sur la décision (p. 137-140, 154-156, 172, 180-181).

3 Les réticences exprimées par UE à l’égard des principes jakobsoniens sont rares. Elles touchent à sa définition de code, jugée ambiguë (p. 30-31), et, plus marginalement, à son « binarisme » extrapolé de la phonologie, qui s’est prêté sous d’autres plumes que la sienne à des extensions abusives (p. 26).

4 Avis qu’UE reprend à son compte (p. 15 ; voir p. 176 le commentaire de NLF).

5 Au risque peut-être de succomber au « “virus du précurseur” », c’est-à-dire au « préjugé d’anticipation qui méconnaît la cohérence interne du savoir d’un temps » (Hénault 1992 : 120).

6 La discussion, parue en 1962, date de 1959. Si elle n’est pas dénuée d’intérêt pour l’histoire de la discipline, elle n’est plus guère d’actualité aujourd’hui quant au fond, car elle repose sur un état périmé de la documentation disponible. Une quinzaine d’années plus tard, dans sa contribution inaugurale au Congrès de Milan (voir n. 1), Jakobson fait référence à l’édition synoptique du Cours de linguistique générale par Rudolf Engler (1968-1974) ; il semble avoir pris conscience des problèmes interprétatifs associés à la vulgate de 1916 (p. 63). Ajoutons que lors du IXe Congrès des linguistes à Cambridge (Mass.), Jakobson avait fait la connaissance de Robert Godel, auteur des Sources manuscrites du Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure (Godel 1957). Suite à cette rencontre, et comme Vahé Godel, fils de Robert, le rappelle dans ses souvenirs, Jakobson invita le savant suisse à Cambridge University où il donna en 1964, pendant un semestre, un cours d’arménien classique (Godel 2018 : 222). Sur les relations entre Godel et Jakobson, et sur l’intérêt très vif que celui-ci manifesta pour les recherches de Saussure sur les anagrammes, voir Testenoire & Willemin (2021), ici même, § 3.1 ; et cf. également, pour notre propos, ibid., n. 32.

7 Le terme de réaction est à comprendre ici au sens nucléaire (ou chimique) du terme.

8 Contrairement à UE lui-même, on peut le souligner : cf. Eco (1975).

9 Cf. l’abondante correspondance entre les deux hommes : Jakobson et Lévi-Strauss (2018).

10 Ma traduction ; relation de renvoi est en français dans le texte. On peut traduire la formule latine aliquid stat pro aliquo par « quelque chose se trouve à la place de quelque chose d’autre ».

11 « Il n’y a rien qui, par principe, ne puisse être “signe de…”, et c’est une telle observation qui permet de justifier la revendication, par ailleurs évidente, de la part de la sémiotique du caractère illimité de son champ d’action. » (p. 150, ma traduction).

12 Dont Jakobson fut, rappelons-le, l’un des membres fondateurs.

13 Les promoteurs de la sémiotique se réclament volontiers de Saussure, mais ont-ils tous perçu le fossé qui les en sépare ? Comme l’écrit J. Coursil, « entre la conception strictement différentialiste de Saussure et les programmes qui se sont néanmoins réclamés de lui pendant un siècle, il y a, semble-t-il un malentendu ontologique irréconciliable. » (Coursil 2015 : 21 ; lire l’entier de son paragraphe intitulé « Paradigmes linguistiques au XXe siècle » (2015 : 16-21).

14 M. De Palo formule les choses de la sorte : « La notion saussurienne de “signe biface” incite la linguistique à une sorte de révolution copernicienne selon quoi, le signe ne renvoie plus à une idée externe mais inclut le sens. Il s’agit d’une mise en ordre gestaltiste de la linguistique qui a acquis son autonomie et établit à l’avance les conditions théoriques d’une étude linguistique du sens. » (2016 : 60)

15 On sait que Saussure a introduit pour la première fois ces deux termes le 26 mai 1911, dans le cadre de son troisième cours de linguistique générale à l’Université de Genève. Ses Notes Item gardent toutefois la trace de diverses tentatives visant à distinguer dans la terminologie « signe dual » (= sème) et « signe-forme » (= aposème ou sôme, ou inertôme), Saussure 2002 : 104 sqq.), entreprise que lui-même jugeait très difficile, pour ne pas dire vouée à l’échec (2002 : 123). Cf. infra n. 18.

16 Aussi l’initiative de Hjelmslev consistant à remplacer signifiant et signifié par expression et contenu est-elle à juste titre qualifiée de malencontreuse par NLF (p. 153).

17 Cf. à ce sujet les citations réunies par Bouquet (1997 : 158-161) et Toutain (2013 : 40 sqq.).

18 J. Coursil a souligné les distorsions dont le vocabulaire technique de Saussure a fait l’objet. Sous la plume des fonctionnalistes, et à la faveur d’incompréhensions profondes, le signifiant redevient « sensible » : « Défini par Saussure comme entité négative complexe et forme psychique, le signifiant a traversé le siècle sous forme matérielle en son nom. » (Coursil 2015 : 17-18)

19 Cf. Hénault (1992 : 37 sqq.) ; Rastier (2015 : 115 sqq.).

20 Comme le montre C. Forel (2016 : 94), la formule fait écho à un passage du Précis de stylistique de C. Bally : « mon but est […] d’amener à une conception d’une langue vivante, quelle qu’elle soit, prise en elle-même et étudiée pour elle-même. » (Bally 1905 : 3, mes italiques)

21 Cf. ce propos d’A. Utaker : « Il ne suffit pas d’avoir des règles pour faire un jeu, il faut des joueurs, un lieu qui convienne, etc. C’est le jeu tel qu’il est joué qui fait son autonomie et qui fait qu’il s’agit d’un tout. » (2002 : 285)

22 NLF en convient tout à fait et précise ainsi son interprétation : Bally et Sechehaye auraient usé de langue, dans la formule finale du Cours, comme d’une « désignation simple et non technique, un peu générique, mais finalement exacte de l’objet de la linguistique » (communication personnelle, 16.1.2022). Cf. La Fauci (2011 : 20).