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À l’écoute de la langue-parole : considérations à partir de la théorie saussurienne

« À escuta da langue-parole : considerações a partir da teoria saussuriana ». Thèse dirigée par Luiza Ely Milano, Universidade Federal do Rio Grande do Sul, soutenue le 27 août 2020 à Porto Alegre, devant un jury composé par : Giuseppe D’Ottavi (ITEM – CNRS/ENS), Daiane Neumann (UFPel) et Gabriel Ávila Othero (UFRGS). La version finale du texte a été approuvée et est composée de 186 pages. Disponible sur : <http://hdl.handle.net/10183/217016> (consulté le 10.09.2022).

Aline VARGAS STAWINSKI

Universidade Federal do Rio Grande do Sul

aline.stawinski@gmail.com

1. Introduction

L’écoute est devenue le problème de cette thèse à partir de la lecture des sources saussuriennes à la recherche de l’aspect phonique de la langue. Notre hypothèse est que l’oreille opère comme une fonction d’analyse linguistique en dépassant une conception passive de l’écoute. Le regard porté sur la position d’auditeur et sur sa relation avec la délimitation des unités linguistiques a été notre porte d’entrée. Cette approche a eu des répercussions méthodologiques, qui se sont traduites dans l’organisation de la thèse en trois chapitres : (1) Monsieur B et la position d’auditeur ; (2) Monsieur A : la rencontre langue-parole ; (3) L’écoute linguistique : des effets de l’oreille.

Envisager le circuit de la parole par le biais de l’auditeur nous a permis d’établir une relation entre l’écoute et le découpage des unités linguistiques – c’est-à-dire, dans la perception de ce qui est un signe linguistique. Nous commençons ce parcours de recherche en étudiant les implications terminologiques liées à l’emploi d’oreille chez Saussure, afin de défendre la position active de l’auditeur et de souligner son rôle dans l’analyse linguistique. En inversant la logique prédominante unidirectionnelle, qui va du locuteur à l’auditeur, nous passons, dans la deuxième partie de ce travail, à des considérations sur le sujet parlant, en renforçant le caractère pendulaire du circuit de la parole. À la fin de la thèse, nous cherchons à élaborer une construction théorique sur ce qui peut être une notion ou un concept d’écoute d’un point de vue linguistique : pour cela, nous considérons d’abord différentes perspectives (qui vont de de l’approche philosophique à la linguistique appliquée) avec comme horizon les principes saussuriens comme le découpage des unités linguistiques, la double essence du langage et le point de vue synchronique de la langue.

2. Monsieur B et la place de l’auditeur

Pour essayer de rendre compte de la tâche de penser l’écoute d’un point de vue linguistique, dans la première partie du travail, nous cherchons à analyser comment l’oreille est présente dans la réflexion saussurienne. Pour cela, nous sommes appuyé sur la collection terminologique organisée par Giuseppe Cosenza (2016). Le chercheur souligne le caractère d’adaptation constante et de reconsidération dont Saussure fait preuve dans ses manuscrits, ce qui empêche la délimitation d’une terminologie fermée.

Comme nous le vérifions dans les collections terminologiques1, le terme oreille est inclus dans les index des éditions de Komatsu du premier et du troisième cours et dans Phonétique. Selon notre interprétation, la détermination de ce qui doit ou non être considéré comme un son d’un idiome dépend de la reconnaissance des sons linguistiques. Un tel point de vue est souligné, par exemple, dans un extrait du manuscrit Phonétique :

Oreille : [v. area A ; soprattutto per il ruolo che ha nella determinazione dei suoni linguistici, in questo senso inteso come organo dell’udito nel suo complesso] ; L’oreille ne peut naturellement décider que les ressemblances, identités et différences des perceptions. Ce ne sont pas les perceptions, mais leurs causes qui sont dans une dépendance mutuelle ou peut être supposée y être. (p. 99) Cfr. acoustique, phonème, sensation. (Cosenza 2016 : 298)

Cette conception d’oreille va donc au-delà de la réception sonore : son rôle est fondamentalement de déterminer les sons d’une langue. Dans Stawinski (2016), on a souligné cet aspect de l’utilisation d’oreille en tant qu’opérateur de la théorie saussurienne à partir de la lecture du CLG, des ELG et de Phonétique, étant donné l’insistance de ces occurrences dans le sens de délimitation, de jugement et de perception des unités linguistiques. Herman Parret, premier explorateur – après Roman Jakobson – des manuscrits d’Harvard, a eu une grande influence pour corroborer la pertinence de notre questionnement sur l’oreille. Dans « Le son et l’oreille », Parret (2014) parvient au concept d’« oreille-analyste », notion qui sous-tend la fonction de découpage des unités linguistiques dans la chaîne parlée.

D’autres occurrences du terme renforcent notre point de vue. Dans le premier cours de Saussure, nous rencontrons la définition suivante :

Oreille : [v. area A ; importanza dell’orecchio nel distinguere gli elementi della catena parlata] ; Il faut insister toujours sur ce point que nous ne pouvons faire des coupures, distinguer des unités dans la chaîne parlée, que grâce à l’oreille, à la donnée acoustique ; c’est elle qui nous avertit qu’à tel endroit est une voyelle, qu’on passe d’une voyelle à une consonne, d’une syllabe à une autre syllabe. (p. 24) Cfr. acoustique, chaîne parlée, phonème {Ph ; III corso}. (Cosenza 2016 : 476)

L’oreille fonctionne comme une synthèse des opérations fondamentales de la relation du sujet auditeur-parlant avec la langue : sentir, couper, différencier – donner de la valeur à ce qui pourrait être simplement une masse amorphe, dépourvue de statut linguistique. Ce n’est pas par hasard si, dans la collection de Cosenza, oreille est l’un des termes liés aux entrées méthode et valeur : ce sont tous deux des concepts fondamentaux mobilisés par Saussure pour discuter de ce qui peut théoriquement être défini comme langue.

Les extraits sélectionnés sont un échantillon de la façon dont nous pouvons comprendre l’oreille à partir de Saussure et de sa relation avec une notion d’écoute linguistique. La relecture du circuit de la parole, de ce point de vue, nous a permis d’aller au-delà de la position de locution et elle a fonctionné comme un déclencheur pour les considérations sur la place de l’écoute dans la relation de dialogue. L’un des chercheurs dont le travail a été un appui pour notre réflexion est le linguiste Giuseppe D’Ottavi (2010), notamment son article dédié au côté B du circuit de la parole : « Ferdinand de Saussure e Monsieur B ». Le circuit a une grande importance dans le contexte de lecture de la théorie saussurienne. Saussure utilise le circuit pour dire qu’il s’intéresse à la spécificité de la langue (devant la multiplicité des signes qui pourraient circuler entre A et B), et que la façon dont les signes linguistiques circulent entre A et B a quelque chose de social, mais aussi quelque chose d’individuel. Nous savons que le fait physique est évident – il y a une oreille devant Monsieur A – et cela ne donne pas de choix à Monsieur B : il écoute.

Pour D’Ottavi (2010 : 76), il y a une symétrie évidente : « Monsieur A e Monsieur B sono specularmente identici e si dividono equamente lo spazio ». D’Ottavi note que, jusque-là, le circuit de la parole ne dit rien d’autre que ce qui était représenté par le modèle de réception selon Shannon et Weaver2. Le circuit de la parole de Saussure a cependant un mérite : la représentation claire de la nécessité de deux positions : celle de l’émetteur et celle du récepteur. Le modèle de Saussure n’a donc pas de sens unilatéral, ce qui confère une valeur théorique inédite à l’alternance dialogique : « la disposizione simmetrica presenta Monsieur B come il riflesso speculare di Monsieur A e una sostanziale omologia operativa lega i momenti produttivo e ricettivo » (D’Ottavi 2010 : 77). Cette alternance renvoie au mouvement d’un pendule, dont la récursivité révèle le caractère essentiel de l’échange entre « l’auditeur qui parle » (Monsieur A) et le « sujet parlant qui écoute » (Monsieur B)3.

À partir de la relation sujet auditeur-parlant, c’est-à-dire, en inversant la logique du circuit de la parole, nous pouvons souligner ce que D’Ottavi (2010) appelle le statut saussurien de la conscience du sujet parlant :

Se da un lato, infatti, si può sostenere che è nell’impressione acustica che vada ricercato il fondamento della coscienza linguistica dell’individuo e che siano le impressioni acustiche a improntarne l’attività produttiva, è anche vero che solo una volta collezionate, una volta inserite nella circolazione in una comunità linguistica, le impressioni acustiche diventano lingua : in un gesto teorico tipicamente saussuriano, il ruolo del ricevente sembra svanire, per così dire, per essere assorbito nel quadro sociale, nella « communauté d’images auditives », nella moltiplicazione di soggetti implicita nell’idea dello scambio comunicativo come « circuito ». (D’Ottavi 2010 : 90)

C’est entre les rôles actifs et passifs de Monsieur A et Monsieur B qu’il devient possible de percevoir le lien inséparable du couple conceptuel langue-parole, en contredisant l’interprétation polarisée d’activité du sujet parlant et de passivité de l’auditeur.

3. Monsieur A : la rencontre langue-parole

Dans la deuxième partie de la thèse, nous traitons des conceptions du sujet parlant et des effets de cette notion dans les sciences du langage, une tâche initiée par une recherche dans des dictionnaires et des encyclopédies spécialisées. Cette recherche nous a conduit à une discussion sur le problème du sujet dans les sciences du langage, abordé par Marina De Palo (2010), qui a conduit notre réflexion d’une conception de sujet à une notion de sujet parlant. De là, nous avons pu approfondir la place du sujet parlant à partir de Saussure, en observant la dépendance entre les concepts de langue et de sujet parlant.

Inspirée par les considérations du linguiste Antonino Bondì (2014), nous avons commencé à mettre l’accent sur la parole en tant qu’expérience linguistique. Notre objectif était d’aborder l’indissociabilité du couple conceptuel langue et parole, une perspective qui est étayée par Godel (1957), ainsi que par Tullio De Mauro (Saussure 1972). Envisager la parole comme une expérience nous a conduit à la problématisation du sentiment de la langue (ou du sujet parlant) présente dans les manuscrits saussuriens, en s’appuyant sur les observations d’Alessandro Chidichimo (2009) et d’Emanuele Fadda (2013).

Le parcours résumé jusqu’à présent était essentiellement basé sur une question : quelle est la place du sujet parlant dans le contexte de la théorie saussurienne ? Nous avons pu trouver quelques définitions de sujet parlant avec l’appui du Lexique de la terminologie saussurienne d’Engler (1968) et dans la collection terminologique de Cosenza (2016) ; cela nous aide à mettre l’accent sur la relation conceptuelle entre sujet parlant et langue. Comme on peut le voir dans l’extrait ci-dessous, l’existence de la langue est clairement liée à la conception de sujet parlant :

Sujet parlant : l’individu se servant de la langue. « La langue n’existe pas comme entité, mais seulement les sujets parlants » 98 (L’ensemble des sujets parlants 1600) formant la masse parlante : « pour qu’il y ait langue, il faut une masse parlante se servant de la langue. La langue pour nous réside dans l’âme collective » 1285. – subjectif  analyse.  fait. (Engler 1968 : 49)

La langue a son fondement dans la masse parlante, car il n’est pas possible de parler dans un système linguistique abandonnant le fait social. Il y a la langue parce qu’il y a la parole, il y a la parole parce que nous écoutons, et l’écoute n’est possible que grâce à la langue dans son partage avec l’autre.

Dans Cosenza (2016), nous avons trouvé des entrées pour définir le sujet (parlant), un terme qui n’apparaît dans aucun des index des œuvres consultées par l’auteur, à l’exception du LTS d’Engler (1968), dont nous reproduisons ci-dessus la définition. Pourtant, l’expression sujet parlant a des occurrences textuelles dans plusieurs manuscrits : en considérant uniquement la recherche de Cosenza (2016), des occurrences de sujet parlant figurent dans De la double essence du langage, Notes Item et dans les notes préparatoires pour le premier, le deuxième et le troisième cours de linguistique générale enseignés par Saussure à Genève. Nous soulignons l’une des définitions d’un extrait appartenant à De la double essence du langage :

Sujet parlant : [individuo che parla una lingua, la cui coscienza linguistica costituisce il punto di riferimento per lo studio degli stati di lingua (Cfr. conscience, état de langue)]; La première expression de la réalité serait de dire que la langue (c’est-à-dire le sujet parlant) n’aperçoit ni l’idée a, ni la forme A, mais seulement le rapport a/A ; cette expression serait encore tout à fait grossière. Il n’aperçoit vraiment que le rapport entre les deux rapports a/AHZ et abc/A, ou b/ARS et blr/B etc. (p. 156 § 79) ; Cfr. conscience, esprit, état de langue, langue, mental, modification, opération, opposition, pensée, psychique, sentiment. {Ph ; Notes Item ; LG ; I corso ; II corso ; III corso}. (Cosenza 2016 : 360)

Ici, l’idée de sujet parlant est liée à la fonction d’auditeur, car c’est l’oreille qui perçoit la relation forme/sens. Dans un passage du manuscrit, une relation de synonymie entre langue et sujet parlant est établie : la langue (c’est-à-dire le sujet parlant) – et cela sans faire abstraction de toutes les relations possibles d’un système donné. Le concept de sujet parlant est essentiellement lié au point de vue de la linguistique synchronique : après tout, il n’y a linguistiquement que ce qui est perçu et reconnu comme ayant une valeur pour le sujet parlant-auditeur. La langue, de cette façon, se définit à partir de l’écoute de celui qui parle : quand nous parlons en conscience, c’est le sujet parlant dans sa fonction d’écoute qui est en jeu. Lorsque nous traitons du thème de l’écoute, nous circonscrivons notre discussion dans un entrelieu – c’est-à-dire que nous pensons à la langue-parole en tenant compte du sujet parlant comme une position devant la chaîne discursive, une position qui est nécessairement liée à celle de l’auditeur.

4. L’écoute linguistique : sous l’effet de l’oreille

Le dernier chapitre de la thèse visait à élaborer une conception théorique de l’écoute linguistique à partir des études saussuriennes. Pour cela, dans un premier temps, on est parti de la distinction entre entendre et écouter (Barthes & Havas 1987). Toujours pour élargir et complexifier la notion d’écoute, nous nous appuyons sur des études de trois philosophes : Jean-Luc Nancy (2014), Rafael Echeverría (2003) et Maurice Merleau-Ponty (1999). Ces philosophes du langage ont contribué à l’enrichissement de la compréhension de l’écoute, en soulignant son caractère actif et singulier, et son rôle dans l’établissement de l’altérité.

Ensuite, nous nous tournons vers l’écoute du sens, à partir de réflexions promues par Roman Jakobson (1971), ainsi que les considérations de Federico Albano Leoni (2014). Enfin, nous proposons d’entreprendre une lecture basée sur le livre d’Arild Utaker (2016), chercheur qui s’est particulièrement intéressé aux effets de l’oreille dans le 9e chapitre de sa thèse.

À partir des analyses d’Utaker, nous avons pu souligner le rôle de l’oreille dans la délimitation des unités linguistiques, en réfléchissant sur l’oreille en tant qu’organe et sur l’oreille en tant que fonction – cette dernière étant strictement liée à la conception saussurienne de la langue. Avec cet auteur, nous soulignons la notion de résonance pour penser, en plus de l’aspect phonique, la nécessité de l’autre afin que nous puissions définir ce qu’est la langue. En ce sens, il n’y a pas de place pour une conception monologique du langage, une vision partagée par d’autres auteurs mobilisés dans la thèse – qu’ils soient linguistes ou philosophes.

C’est surtout à partir de la compréhension du son comme un double phénomène – une discussion chère à Saussure – qu’Utaker démontre l’interdépendance entre l’organe et la fonction linguistique, sans toutefois la réduire à l’appareil phonateur et à l’oreille :

Phénomène méconnu, la dualité sonore explique comment le corps de l’homme devient un corps du langage. Car le son – à la fois articulé et entendu – renvoie d’un côté à un organe – l’appareil vocal –, de l’autre à la fonction linguistique qui s’exerce par l’ouïe. La fonction dépend d’un organe, mais ne s’explique pas à partir de lui. (Utaker 2016 : 215)

La fonction exercée par l’écoute est ce qui nous permet de dépasser la conception de la parole au-delà du biais articulatoire : il est certain que nous dépendons d’un corps – mais c’est dans son caractère symbolique, caractérisé par l’aliénation même de la matière, que l’on retrouve la langue saussurienne. La langue a la caractéristique de dépendre d’une matérialité qui n’est pas palpable, mais sensible ; soit en tant que phénomène sonore ou visuel, la parole produit des effets qui ne sont pas réductibles à un enregistrement matériel. Le phénomène sonore témoigne du caractère éphémère de la parole ; et la suppression de l’oreille dans la théorie linguistique semble être liée précisément à sa matérialité sensible – ce qui peut également être perçu à partir d’Albano Leoni (2014).

En bref, notre proposition d’un concept d’écoute est fondée sur les considérations résumées ci-dessous, basées sur la tentative de répondre à la question suivante : qu’entendons-nous par écoute linguistique ?

À cette question, nous soutenons que l’écoute est une fonction linguistique, que nous pouvons définir à partir de trois présuppositions :

(1) La double essence du langage, c’est-à-dire, le dépassement de la figure vocale en tant que telle à la figure vocale en tant que signe. On peut dire que l’écoute a un aspect concret et abstrait, car l’écoute dépend de la matérialité (substance) qui sera perceptible, alors qu’elle a besoin de la dépasser pour devenir compréhensible (abstraction). De notre point de vue, nous soulignons que l’écoute dépend d’un sens physique qui ne se limite pas à l’ouïe. Ainsi, l’écoute est une action provoquée par la perception d’une matérialité phonique ou visuelle4, qui permet la délimitation des unités linguistiques.

(2) Écouter, c’est être sous l’effet de la langue-parole. La délimitation des unités linguistiques est une opération active de découpage de la matière sensible en signes linguistiques, et l’écoute, donc, est ce qui délimite la langue. Cette condition est liée à la présence de l’autre dans la chaîne discursive et, de ce fait, à l’aspect social de la langue. La délimitation des unités, en tant qu’opération active, met en évidence l’aspect dialogique du circuit de la parole et cherche à unir les notions de sujet parlant-auditeur et de langue.

(3) L’interlocution est la condition qui sous-tend l’écoute et qui est opérée par la position d’auditeur, une position constante et inséparable de celle de sujet parlant. L’écoute doit donc impliquer l’idée d’une écoute linguistique, en s’éloignant des aspects strictement physiologiques de l’audition.

5. Considérations finales

La trajectoire de recherche de la thèse résumée ici nous a permis de concevoir l’écoute comme faisant partie d’un réseau conceptuel, lié aux conceptions de langue, de parole et d’oreille. L’écoute n’a pas été proposée ou développée par Saussure comme un fondement théorique ; néanmoins, nous avons cherché à démontrer comment la question de l’oreille et de ses effets fait partie de la conception saussurienne de la langue. L’oreille de Saussure est celle qui juge, sanctionne, délimite, perçoit les unités de la langue.

La présence de cette oreille est ce qui nous a amené à percevoir une écoute à partir des considérations du linguiste ; cependant, l’intention n’était pas de nous limiter essentiellement à ce que nous pouvons trouver textuellement dans les manuscrits saussuriens, mais aux effets découlant d’une pensée qui était constamment en construction. En ce sens, nous suivons les mots de Daniele Gambarara : « lire Saussure, le lire vraiment, lentement et réfléchir à ce qui est lu, dans les nouveaux documents les plus importants, cela signifie se déplacer, faire un pas, non en arrière, mais de côté » (Figueira & Gambarara 2019 : 423). Nous espérons qu’il s’agit d’une invitation à l’écoute.

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1 Pour l’élaboration de son travail, Cosenza a utilisé les œuvres suivantes : le lexique de Godel (1957) – SM (Sources manuscrites) ; le lexique de la terminologie d’Engler (1968) – LTS (Lexique de la terminologie saussurienne) ; les index des publications suivantes sont également utilisés : les notes des trois cours de Saussure publiés par Komatsu entre 1993 et 1997 – KI, KII, KIII ; les manuscrits publiés par Marchese, dans 1995 et 2002 (Phonétique – Ph et Théorie des Sonantes – ThS) ; les manuscrits édités par Bouquet et Engler dans 2002 – ELG (Écrits de linguistique générale) et le manuscrit sur la double essence du langage, réédité par Amacker dans 2011 – ScL (Science du langage) ; finalement, le lexique computationnel Simple_FdS, développé par l’ILC-CNR (Cosenza 2016).

2 Claude Shannon (1916-2001) et Warren Weaver (1894-1978) sont connus pour créer un modèle mathématique d’échange d’informations dans la communication.

3 Nous nous sommes inspiré de Coursil (2000) et nous avons adopté une nomenclature différente pour Monsieur A et Monsieur B du circuit, qui met l’accent sur l’écoute. Alors que l’auteur parle d’« auditeur qui parle » et d’« auditeur qui écoute », nous utilisons les expressions « auditeur qui parle » et « sujet parlant qui écoute » (Stawinski 2016 : 102), en cherchant à éviter une hiérarchie ou une dichotomie entre « auditeur » et « sujet parlant ».

4 On peut écouter un livre à travers la lecture, ou écouter une parole en langue des signes. Ce qui est en jeu, ce n’est pas le canal, mais la fonction.