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Peter Wunderli (1938-2019)

Daniele GAMBARARA

Université de Calabre

daniele.gambarara@gmail.com

Né à Zurich le 30 mai 1938, Peter Wunderli est décédé à Biel le 27 mars 2019. Depuis juillet 2003, il était professeur honoraire à l’Université Heinrich Heine de Düsseldorf, où il avait enseigné depuis 1976, et il était retourné à vivre dans sa Suisse natale. Longtemps collaborateur des Cahiers, qui lui avaient rendu hommage pour ses 60 ans dans le CFS 51 (1998-1999), il avait récemment accepté d’être membre du Comité scientifique du colloque « Le Cours de linguistique générale, 1916-2016 : L’émergence, le devenir », et aurait dû y donner une conférence à Genève en janvier 2017, à laquelle il renonça pour raisons de santé. La communauté des saussuriens a ainsi perdu l’occasion de l’écouter et de discuter avec lui, encore une fois1.

Autant que son ami Rudolf Engler, Wunderli a éminemment mis en évidence le rapport entre linguistique (et philologie) romane et linguistique générale, à la lumière de F. de Saussure. La linguistique romane produit ses fruits très tôt : l’étude du subjonctif roman le pousse à revoir tout l’enchevêtrement des temps et des modes dans le système du verbe (Modus und Tempus, Beiträge zur synchronischen und diachronischen Morphosyntax der romanischen Sprachen, 1976). À partir de ce travail se consolide une méthode d’investigation qui fait suivre l’édition critique d’un texte d’un commentaire linguistique, qui est souvent un vrai essai de description. L’influence de Wunderli sur les études romanes s’est également exercée à travers sa direction de Vox Romanica, en collaboration avec Ricarda Liver (vol. 51-60, 1992-2001).

Comme on le sait, le premier ouvrage sur Saussure de Wunderli date de 1972, il est donc contemporain de ses travaux de linguistique romane, et le sujet choisi le montre attentif et indépendant (FdS und die Anagramme, 2e éd. 2011 ; CR : CFS 28 [1973], p. 73-75) : à cette époque, travailler sur les anagrammes signifiait une rupture avec une certaine « orthodoxie » dans les études saussuriennes. Cet ouvrage est suivi en 1981 par les Saussure-Studien: exegetische und wissenschaftsgeschichtliche Untersuchungen zum Werk von FdS, et en 1990 par les Principes de diachronie. Contribution à l’exégèse du Cours de linguistique générale de FdS. Que l’on remarque ce dernier sous-titre : entre le premier volume de 1972 et le dernier de 1990, Wunderli s’est appliqué à mettre le CLG au centre de sa réflexion saussurienne. C’est au CLG qu’il a dédié en 2013 son édition avec traduction et commentaire : travail formidable, de traduction interprétative et de commentaire explicatif, philologique et théorique, qui désormais prend place à côté de ceux de T. De Mauro et de R. Harris2.

Les articles sur Saussure sont très nombreux, plusieurs se trouvent dans les CFS de 1976 à 1988. Dans les dernières années, Wunderli a écrit beaucoup de comptes rendus d’ouvrages sur Saussure, les utilisant aussi pour réaffirmer ses positions (parfois sans trop de considération pour celles de l’auteur recensé) : v. Jäger 2010 (HL 39/1 [2012], p. 159-167) ; Amacker 2011 et Bravo 2011 (VR 71 [2012], p. 229-240) ; Joseph 2012 (HL 40/1-2 [2013], p. 229-247) ; Forel et Robert (dir.) 2017 (HL 45/1-2 [2018], p. 211-24 – le moins généreux). Il a été à son tour l’objet de polémiques parfois tranchantes.

Le dernier volume contenant des contributions sur Saussure, et que, à quelques jours près Wunderli n’a pas pu voir imprimé (sa préface est datée de Pâques 2019, mais elle a été écrite plus d’un mois auparavant), a un titre suggestif : Glanures3 ; plus précisément : Glanures – Ährenlese – Spigolatura – Spicilegium. Sechzehn Aufsätze zu Ferdinand de Saussure, den altokzitanischen Bibelübersetzung und zum Aquilon de Bavière4. Au terme de travaux importants (éditions et rééditions) dans ses trois champs préférés – sur les traductions de la Bible en ancien occitan5, sur le roman franco-italien Aquilon de Bavière6, et sur le CLG de Saussure –, Wunderli revient sur chacun des trois en ajoutant des précisions, en apportant un éclairage sur des questions encore ouvertes, et en en signalant d’autres qui méritent de nouvelles recherches. Ainsi, dans ce volume, on trouve quatre articles sur les traductions de la Bible en ancien occitan (p. 81-109), et six sur Aquilon de Bavière (p. 110-201)7.

Placée en ouverture, la section sur Saussure (p. 1-80) donne le ton aux deux sections qui suivent.

Le six chapitres saussuriens sont en grande partie inédits8, et tous ont été remaniés pour cette édition. Ils suivent un ordre à peu près axiomatique : 1. Le signe (p. 1-11) ; 2. Langage, langue, parole (p. 12-24) ; 3. La sémiologie et les sémiologies (p. 25-36) ; 4. Synchronie, diachronie, panchronie (p. 37-46) ; 5. Syntagmatique et paradigmatique (p. 47-56) ; 6. Saussure, Raggiunti e la semiologia (p. 57-80, en italien). Par rapport aux chapitres des deux sections suivantes, ils sont dotés d’une particularité : les chap. 1 à 5 forment quasiment l’esquisse d’une étude thématique, qui pourrait bien compléter son édition du CLG.

Il faut remarquer tout d’abord que pour Wunderli la linguistique générale de Saussure s’identifie au CLG de 1916 et aux trois cours de 1907-1911 ; les autres notes sont rarement citées et toujours brièvement et à l’appui d’autres citations. Wunderli n’était pas intéressé par les nouveaux manuscrits retrouvés, et il ne les considérait pas comme des textes autosuffisants (cf. par ex. CFS 58 [2005], p. 293-297) – c’était un objet de discussion avec L. Jäger et J. Fehr.

Chacun de ces articles 1 à 5 est centré sur un nœud terminologique et théorique. Wunderli cite les passages pertinents du CLG, les met en regard des notes des étudiants correspondantes, citées d’après l’édition d’Engler, et en déduit une théorie saussurienne claire et presque sans contradictions9. Certes, la relative homogénéité de l’exposition de Saussure dans le Cours et les cours (surtout si on lit ces derniers sur la base du premier) permet de le faire, et sa réflexion apparaît alors achevée et fermée. Ce qui va laisser à d’autres lecteurs de Saussure le plaisir de rechercher mouvements et ouverture de cette pensée.

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1 La bibliographie de Wunderli jusqu’en 1998 se trouve dans le Festschrift Et multum et multa, publié pour son 60e anniversaire par E. Werner et alii. Une bibliographie allant jusqu’à 2007 est téléchargeable sur https://www.phil-fak.uni-duesseldorf.de/fileadmin/Redaktion/Institute/RomanischesSeminar/Romanistik_IV/wu_bibl.doc ; quatorze articles de 1970 à 2012 se trouvent sur sa page Academia : https://uni-duesseldorf.academia.edu/wunderlipeter. Une autobiographie intellectuelle (« Zwischen Philologie und Linguistik ») a été publiée dans K.-D. Ertler (Hg.), Romanistik als Passion: Sternstunden der neueren Fachgeschichte II, 2011, p. 561-576 (et aussi sur la page Academia mentionnée). À ma connaissance, il n’existe pas encore de mise à jour post mortem de son travail et de sa bibliographie : un bref rappel de sa personnalité a été publié par V. Borso et M. Niklaus dans VR 78 [2019], p. 308-312 (voir aussi sur https://www.romanistik.de/aktuelles/3830).

2 Cf. D. Gambarara, CFS 67 (2014), p. 332-338.

3 La valeur du terme a changé. Dans l’Ancien Testament, Dieu défend aux propriétaires de glaner leurs propres champs (ainsi c’est Ruth qui va glaner dans le champ de Booz), cf. https://www.academie-francaise.fr/glaner-glaneur-glanure. Wunderli avait toujours incité ses élèves et ses collègues à continuer son travail (il le fait encore ici dans sa préface). Dans cet ouvrage il donne lui-même l’exemple : ce volume constitue ses Parerga et Paralipomena.

4 Tübingen, Narr Franke Attempto, VII + 201 p., paru le 29 avril 2019 ; CR : J. Abrecht, Romanische Forschungen 132/3 [2020], p. 356-396.

5 À corriger dans la table des matières : « Bibelübersetz[u]ngen ». Il y travaillait depuis 1969 ; dernier ouvrage : Éléments de l’Ancien Testament en occitan : rédaction du XV e siècle, Ms. BN fr. 2426, Volume 1 : Introduction et édition critique, Tübingen, Narr Francke Attempto, paru le 28 janvier 2019. Voir aussi P. Wunderli (éd.), Le Nouveau Testament de Lyon (ms. Bibliothèque de la ville A.I.54/Palais des arts 36), 2 vol., Tübingen, Narr, 2009 ; CR : G. Larghi, VR 69 [2010] p. 348-355.

6 Il y travaillait depuis 1975 ; dernier ouvrage : Aquilon de Bavière : Roman Franco-Italien en Prose (1379-1407), Volume III : Commentaire, paru le 15 décembre 2011, Walter de Gruyter (1re éd. 2007).

7 Le dernier article « Le franco-italien – une langue imaginaire ? » reprend un vieux thème de Wunderli ; il serait intéressant de le comparer avec le pseudo-sanscrit d’Hélène Smith.

8 Le chap. 3 (La sémiologie et les sémiologies) est très proche de l’article publié dans Semiotica 217 [2017], p. 135-146, probablement déjà conçu dans ce même cadre. De panchronie (chap. 4) il s’était occupé, de façon différente, en 1976 et dans le volume de 1990. L’article 6 sur Renzo Raggiunti (1916-2007) reprend des discussions anciennes, voir les articles de Raggiunti dans VR 57 [1998] et 59 [2000]. Raggiunti avait discuté de Saussure aussi avec Tullio De Mauro et Luis J. Prieto.

9 Avec quelques nouveautés, comme, par ex., la dimension diachronique de la sémiologie (p. 26-27).