L’Hétérogénéité du langage : enjeux de la neurolinguistique
La reconnaissance de l’hétérogénéité du langage est au cœur de la théorisation saussurienne de la langue, qui s’attache précisément à ordonner cette dernière dans le cadre du concept de langue. Plus d’un siècle après la parution du Cours de linguistique générale, cette ordonnance paraît avoir cédé la place à un paradigme unifiant, qui tout à la fois se décline selon les principaux axes de cette hétérogénéité – linguistique, psychologie, neurosciences – et semble ainsi susceptible de rendre compte de cette dernière, et inclut le langage dans un ensemble plus vaste, qui le subsume tout en lui conférant une place privilégiée : la cognition, ou les fonctions cognitives supérieures. Le fait remarquable, dans la constitution de ce paradigme cognitiviste, est que, quel que soit le champ d’application envisagé, le cadre est organiciste : les neurosciences cognitives le sont par définition puisque leur objet d’étude est la cognition en tant que produit du fonctionnement cérébral ; la linguistique et la psychologie cognitives le sont par construction heuristique, dans la mesure où elles rapportent leur objet au fonctionnement de l’esprit, qu’elles ne distinguent pas de celui du cerveau – le modèle initial, dût-il ensuite être abandonné ou mis à distance, étant celui de l’ordinateur. C’est cet organicisme que je me propose ici de soumettre à une analyse épistémologique, tel que l’on peut l’appréhender à travers les travaux de deux auteurs emblématiques des neurosciences cognitives, Jean-Pierre Changeux et Stanislas Dehaene. Nous verrons tout d’abord la manière dont cet organicisme, en dépit des allégations contraires de ces auteurs, est solidaire d’un maintien du dualisme, avant de faire paraître la nécessité d’une rupture avec l’empirisme, dans le cadre de la construction saussurienne de l’hétérogénéité du langage.
1. Organicisme et dualisme
Dans Les neurones de la lecture, Stanislas Dehaene dénonce le « simplis[m]e » (Dehaene 2010 [2007] : p. 27) du « modèle implicite du cerveau » (Dehaene 2010 [2007] : p. 26) auquel adhéreraient la plupart des « chercheurs en sciences sociales » (Dehaene 2010 [2007] : p. 26), qu’il qualifie de modèle « de la plasticité généralisée et du relativisme culturel » (Dehaene 2010 [2007] : p. 26). L’ouvrage a pour dessein d’y opposer la théorie du « recyclage neuronal », qui implique au contraire une plasticité encadrée par une « inertie biologique » (Dehaene 2010 [2007] : p. 232) déterminant une forte unité culturelle de l’espèce humaine1 :
Notre cerveau s’adapte à son environnement culturel, non pas en absorbant aveuglément tout ce qu’on lui présente dans d’hypothétiques circuits vierges, mais en reconvertissant à un autre usage des prédispositions cérébrales déjà présentes. Notre cerveau n’est pas une table rase où s’accumulent des constructions culturelles, c’est un organe fortement structuré qui fait du neuf avec du vieux. Pour apprendre de nouvelles compétences, nous recyclons nos anciens circuits cérébraux de primates – dans la mesure où ceux-ci tolèrent un minimum de changement. (Dehaene 2010 [2007] : p. 28).
La représentation est celle d’un face à face entre un « environnement culturel » et un organisme biologique doté d’un cerveau qui doit s’adapter au premier. Le fait remarquable est que cette adaptation est d’emblée conçue dans les termes d’une alternative entre une absorption aveugle par des circuits vierges et une contrainte biologique forte, déterminée par la structuration du cerveau, c’est-à-dire entre deux types de modelage, externe (du cerveau par l’environnement) et interne (de l’environnement par le cerveau). Or, ce modelage interne a en réalité une vocation explicative. Le modèle du recyclage neuronal permet en effet de rendre compte de la « naissance d’une culture » (Dehaene 2010 [2007] : p. 201) : les représentations culturelles environnant le cerveau sont sélectionnées par ce dernier, qui « dispose […] d’une marge de plasticité au sein de structures fortement contraintes » (Dehaene 2010 [2007] : p. 201). La représentation, empruntée à Dan Sperber2, est celle de la circulation virale, opposée à l’imitation3 :
Une immense gamme de représentations culturelles nous sollicite en permanence, un peu comme des virus. Seules certaines prennent souche dans la population, parce qu’elles trouvent une résonance dans notre cerveau, exactement comme un virus mutant trouve une brèche dans les défenses de l’organisme. Nous propageons alors ces inventions nouvelles d’individu à individu, de façon active et non passive, intentionnellement, et à une vitesse record rendue possible par une pédagogie efficace. Les représentations gagnantes sont celles qui trouvent, à l’intérieur de l’architecture du cerveau humain, des circuits susceptibles d’un recyclage neuronal efficace, de sorte qu’elles s’intègrent vite, et pour longtemps, au sein de la mémoire.
Lorsque cela se produit, un trait culturel peut se propager rapidement jusqu’à envahir tout un groupe humain. On entre alors dans une période de stabilité culturelle, jusqu’à ce qu’une nouvelle invention voie le jour et déplace à nouveau l’équilibre. C’est ainsi que naissent, se propagent et meurent les cultures. (Dehaene 2010 [2007] : p. 202).
C’est là le premier aspect des contraintes biologiques : la sélection, par opposition à l’imitation. Le second est celui de la production même de l’environnement culturel, qui requiert l’adjonction d’une deuxième hypothèse à celle du recyclage neuronal. Demeure en effet, dans le cadre de cette explication de la naissance, de la propagation et de la mort des cultures, la question des raisons de l’absence de culture animale :
Comment expliquer cette immense distance qui nous sépare de nos cousins si proches si, par hypothèse, l’invention culturelle émerge d’une reconversion de dispositifs cérébraux que l’espèce humaine partage, pour la plupart, avec les autres espèces de primates ? (Dehaene 2010 [2007] : p. 408).
La réponse donnée à celle-ci s’appuie sur les hypothèses développées par Jean-Pierre Changeux dans L’homme neuronal4 et L’homme de vérité et sur celle, apparentée, qui sera ensuite développée plus avant dans Le code de la conscience, et que Stanislas Dehaene a élaborée en collaboration avec Jean-Pierre Changeux et Lionel Naccache : de « l’espace de travail neuronal global ». Le cerveau humain se caractérise notamment, par rapport à celui des primates, par un développement très important du lobe frontal, et en particulier de la substance blanche, donc des connexions ; selon cette hypothèse, un tel développement des connexions aurait permis de briser la modularité cérébrale, rendant possible l’émergence d’un « espace de travail mental » (Dehaene 2010 [2007] : p. 414), définitoire de la conscience. S’expliquerait ainsi la capacité d’invention culturelle de l’homme :
Le cerveau humain semble avoir connu une évolution particulière. Un vaste réseau de connexions, impliquant particulièrement le cortex préfrontal, s’est massivement accru au cours de l’évolution de ce primate singulier qu’est Homo sapiens. Il permet la confrontation des informations issues de multiples modules et leur activation à volonté, avec une marge de fluctuation. J’émets l’hypothèse que l’existence de ce réseau, l’apparition d’une conscience réflexive et la compétence culturelle de l’espèce humaine sont des phénomènes étroitement liés.
Tout au long de ce livre, je n’ai fait que proposer une idée : celle que nos inventions culturelles, comme la lecture, résultent du détournement de fonctions cérébrales préexistantes. L’activité spontanée et fluctuante du cortex frontal fournit un mécanisme neuronal à cette théorie du recyclage. Je formule l’hypothèse que c’est grâce à ce nouveau réseau de connexions que notre espèce, seule parmi les primates, parvient à jouer mentalement avec les idées jusqu’à les détourner vers des usages imprévus.
Grâce à l’espace de travail neuronal, nous pouvons amener à la conscience une infinité d’idées et les recombiner en synthèses nouvelles. L’activité spontanée du cortex frontal explore en permanence les diverses possibilités de rapprochement entre les contenus des processeurs cérébraux. De ces amalgames neuronaux fluctuants émerge peut-être la compétence particulière de notre espèce pour l’invention de nouveaux objets culturels. Cette activité, pour être fluctuante, n’erre pas entièrement au hasard. À l’échelle de l’individu, comme à celle de la société, nous sélectionnons les combinaisons d’idées les plus intéressantes, les plus utiles, ou parfois simplement les plus choquantes ou les plus contagieuses. Le cortex préfrontal dorsolatéral reçoit d’ailleurs des projections privilégiées des circuits d’évaluation et de renforcement associés notamment à la voie dopaminergique ascendante et aux cortex cingulaire et orbito-frontal. (Dehaene 2010 [2007] : p. 416-417).
S’explique ainsi en outre l’émergence même de « l’environnement culturel » caractéristique de l’espèce humaine, et dont l’existence détermine la nécessité d’une « adaptation » du cerveau à ce dernier : cet environnement est produit par l’activité combinatoire caractéristique de la conscience, à laquelle s’ajoute une activité de sélection, elle-même déterminée, outre par les contraintes biologiques faisant de l’adaptation un « recyclage », par le fonctionnement de circuits particuliers, d’évaluation et de renforcement. L’enjeu, perceptible tout au long de Les neurones de la lecture, et clairement exposé dans Le code de la conscience, est un refus du dualisme, auquel renvoie en réalité l’alternative entre deux modelages sur laquelle s’ouvre Les neurones de la lecture. Citons notamment, dans Le code de la conscience, cette opposition aux philosophes tenants de l’existence d’une « conscience phénoménale », à savoir « l’intuition, profondément ancrée en nous, que chacune de nos expériences conscientes est un phénomène “en soi”, qu’elle possède une qualité particulière, un quale irréductible de pensée » (Dehaene 2014 : p. 26) :
La douleur exquise d’une rage de dents, le vert inimitable d’une feuille fraîchement éclose sous le soleil de printemps… Selon les penseurs de cette obédience, ces qualités subjectives ne sauraient se réduire à une description scientifique ou à un état du système nerveux. Par nature, ces états internes, personnels et subjectifs échapperaient à toute tentative de description objective. Cependant, je m’inscris en faux contre cette idée. Dans ce livre, j’essaierai d’argumenter que la notion d’une conscience « phénoménale », intrinsèquement différente de celle d’accès conscient, est trompeuse et nous entraîne sur la pente glissante qui mène au dualisme.
Commençons par les choses simples, et tentons de comprendre comment une information sensorielle accède à la conscience. Une fois que nous aurons clarifié comment l’acte de perception transforme certaines des informations qui frappent notre rétine en pensées conscientes, la montagne philosophique que nous nous faisons du caractère ineffable de l’expérience subjective accouchera d’une souris… de laboratoire. (Dehaene 2014 : p. 26-27).
Notons ici – outre la poursuite de la caricature, due à une méconnaissance des recherches en question, des « chercheurs en sciences sociales », ici devenus « philosophes » – l’association (corrélative de cette caricature, j'y reviendrai) entre « description scientifique » et « état du système nerveux ». Cette association est en effet à entendre comme une équation, ce qui apparaît de manière tout à fait explicite sous la plume de Jean-Pierre Changeux qui, dans L’homme neuronal, définit comme suit le « point de vue déterministe » (Changeux, 1983 : p. 159) : « Rien ne s’oppose plus désormais, sur le plan théorique, à ce que les conduites de l’homme soient décrites en termes d’activités neuronales. Il est grand temps que l’Homme Neuronal entre en scène. » (Changeux 1983 : p. 159), et affirme : « L’alternative “spiritualiste” a été maintes fois proposée. Notre choix, contrairement à celle-ci, s’ouvre sur l’expérience, suscite une recherche. » (Changeux, 1983 : p. 210)5. Il s’agit donc bien, derrière le refus du dualisme, d’organicisme, c’est-à-dire de réduction du « mental » à l’organique. L’organique, en expliquant le « mental », en épuise le phénomène. Citons notamment, dans L’homme neuronal :
Les possibilités combinatoires liées au nombre et à la diversité des connexions du cerveau de l’homme paraissent effectivement suffisantes pour rendre compte des capacités humaines. Le clivage entre activités mentales et neuronales ne se justifie pas. Désormais, à quoi bon parler d’« Esprit » ? Il n’y a plus que deux « aspects » d’un seul et même événement que l’on pourra décrire avec des termes empruntés soit au langage du psychologue (ou de l’introspection), soit à celui du neurobiologiste. Le philosophe J. M. Zemb (1981) reconnaît la validité de ce point lorsqu’il écrit : « Le neurophysiologiste peut sans doute prendre du recul et dire en philosophe que son réductionnisme n’est pas un pari contre ce qu’il ne voit pas, mais une manière de dire ce qu’il voit6. » L’identité entre états mentaux et états physiologiques ou physicochimiques du cerveau s’impose en toute légitimité. (Changeux, 1983 : p. 334).
On trouve par ailleurs à cet égard deux affirmations extrêmement remarquables dans Les neurones de la lecture. L’organicisme de Dehaene est en effet bien lisible dans cette proposition relative au langage :
En rattachant la forme d’un mot à ses traits sémantiques, les connexions du lobe temporal résolvent le problème des fondements du sens. Ferdinand de Saussure soulignait, à juste titre, l’« arbitraire du signe » qui fait que n’importe quelle suite de sons ou de lettres est susceptible de représenter n’importe quel concept. Lorsque nous apprenons une langue, cet arbitraire cesse d’exister à nos yeux. Il nous est impossible de ne pas voir dans le mot « lion » un animal, ou dans le mot « mordre » une action violente. Chacun de ces mots écrits s’attache solidement, par le biais de nos connexions cérébrales, aux neurones dispersés qui lui confèrent son sens. (Dehaene 2010 [2007] : p. 158).
La résolution du problème du sens, apparemment lié à l’arbitraire du signe qu’il s’agit ainsi d’éliminer, est donc opérée par des connexions neuronales. On lit de même plus loin à propos de l’écriture :
Le réseau de connexions à longue distance qui culmine chez l’Homo sapiens permet la confrontation de modules cérébraux qui, en leur absence, ne communiqueraient pas. Je suis convaincu que les inventions culturelles naissent souvent de telles métaphores ou de mises en liaison nouvelles. L’invention de la lecture, en particulier, ne correspond pas seulement à la création d’un jeu de signes qui stimulent efficacement notre cortex visuel. Elle est avant tout mise en connexion de ces signes avec les aires auditives, phonologiques et lexicales responsables de la compréhension du langage parlé. Si l’idée de cette connexion n’est jamais venue à d’autres grands singes, c’est peut-être parce que l’architecture de leur cerveau, contrairement à la nôtre, ne permet pas de mettre à l’épreuve cette combinaison nouvelle. (Dehaene 2010 [2007] : p. 417).
Langage et écriture paraissent ainsi dépourvus de toute logique interne et s’expliquer comme de purs produits du fonctionnement cérébral, explication qui se substitue en droit à leur raison d’être. Or, cette conséquence entre en contradiction avec la reconnaissance, dans ces mêmes affirmations et au sein de l’ouvrage, d’une fonction de représentation du langage et de l’écriture. Ces affirmations témoignent ainsi, tout autant que celles qui identifient explication scientifique et organicisme, que l’organicisme est conçu par les neurosciences cognitives comme la seule hypothèse scientifique possible. Autrement dit, si l’organique, en expliquant le « mental », en épuise le phénomène, c’est en vertu d’un postulat, répondant à une problématique scientiste, et non au terme d’une élaboration scientifique. C’est pourquoi précisément, comme il apparaît ici à travers la contradiction relevée, le refus du dualisme se conjugue en réalité avec son maintien : à la rupture avec l’empirisme se substitue une réduction du dualisme.
Ce maintien du dualisme est clairement lisible dans la représentation à laquelle conduit l’argumentation de L’homme neuronal, de « deux “aspects” d’un seul et même événement que l’on pourra décrire avec des termes empruntés soit au langage du psychologue (ou de l’introspection), soit à celui du neurobiologiste »7. Il apparaît également, en particulier, dans la circularité du développement que Les neurones de la lecture consacre à la dyslexie. Dehaene commence par affirmer l’étiologie génétique de la dyslexie8. Cette étiologie ne s’oppose cependant pas à l’efficacité d’une intervention « psychologique », dans la mesure où si le niveau psychologique est « bien distinct du niveau cérébral » (Dehaene 2010 [2007] : p. 336), « puisqu’il existe une relation d’identité entre chacune de nos pensées et les assemblées de neurones de notre cerveau, on ne peut pas toucher à l’une sans affecter l’autre » (Dehaene 2010 [2007] : p. 336) :
Dans notre cortex, l’imbrication des niveaux d’organisation est telle que toute intervention psychologique se répercute dans nos circuits neuronaux jusqu’aux niveaux cellulaire, synaptique, moléculaire et va jusqu’à modifier l’expression des gènes. Ainsi, ce n’est pas parce qu’une pathologie se situe à une échelle neurobiologique microscopique qu’elle ne peut pas être compensée par une intervention psychologique… et vice versa. (Dehaene 2010 [2007] : p. 336).
Il apparaît bien ici, dans cette critique du « “crypto-dualisme” de notre société » (Dehaene 2010 [2007] : p. 335), que la réduction du dualisme implique d’abord le maintien de ce dernier : le « psychologique » demeure, et la psychologie est même appelée à une collaboration avec la neurobiologie9, mais le postulat organiciste de la correspondance psycho-neurologique le réduit à la portion congrue de phénomène explicable par le mécanisme neurobiologique qui le sous-tend. Portion congrue, mais portion néanmoins irréductible, de sorte que dans la mesure même de cet organicisme, la psychologie se trouve dans l’incapacité de rompre avec l’empirisme. Aussi Changeux parle-t-il avec raison d’un événement à « décrire ». Il s’agit bien, en effet, dans ce cadre, de description10.
2. Pour une rupture avec l’empirisme : l’hétérogénéité du langage
Cette absence de rupture avec l’empirisme apparaît de manière tout particulièrement nette lorsqu’il s’agit du langage. Stanislas Dehaene se réfère sans cesse au langage, mais sans ressentir la nécessité de le définir. On trouve en revanche dans les textes de Changeux des références à la définition traditionnelle du langage comme instrument de communication. On lit ainsi par exemple dans L’homme neuronal :
La machine cérébrale possède la propriété d’effectuer des calculs sur les objets mentaux. Elle les évoque, les combine, et de ce fait crée de nouveaux concepts, de nouvelles « hypothèses », pour finalement, les comparer entre eux. Elle fonctionne comme « simulateur », ce qui, comme l’écrit Craik (1943), donne à la pensée « son pouvoir de prédire des événements », d’anticiper le déroulement des événements sur la flèche du temps.
Suivant ce schéma, le langage, avec son système arbitraire de signes et de symboles, sert d’intermédiaire entre ce « langage de la pensée » et le monde extérieur. Il sert à traduire les stimuli ou les événements en symboles ou concepts internes, puis, à partir des nouveaux concepts produits, à les retraduire en processus externes. (Changeux 1983 : p. 169-170).
La notion de « langage de la pensée » est empruntée à Jerry Fodor11 ; elle revient quelques pages plus loin, au moment d’une définition explicite du langage comme instrument de communication, et concomitamment avec une référence – erronée12 – au Cours de linguistique générale, concernant l’arbitraire du signe :
Le langage intervient comme véhicule dans la communication des concepts entre individus du groupe social. L’arbitraire du système de signes implique un couplage percept-concept de type « neutre », qui fait l’objet d’un long apprentissage au cours du développement […]. Au contraire le « langage de la pensée », en permanence branché sur le réel, contiendra beaucoup moins d’arbitraire que le langage des mots. (Changeux 1983 : p. 177).
On lira de même dans L’homme de vérité, préfigurant l’affirmation de Dehaene citée ci-dessus13 :
[…] pour lui [Saussure], le signe est une entité psychique à deux faces, qui peut être comparée à une feuille de papier : la pensée – le signifié – est le recto, le son – le signifiant – le verso. Je dirais que le signifié renvoie à la connaissance que le sujet a d’un objet : la distribution neurale des traits qui lui correspondent. Le seul rôle du signifiant serait alors de permettre la mise en place d’un mécanisme de transmission des connaissances entre les individus. Saussure pense que la désignation, l’union du signifiant et du signifié, est le résultat d’un apprentissage dans chaque cerveau individuel, c’est-à-dire, conformément à notre conception, qu’elle résulte de la stabilisation épigénétique de réseaux neuronaux communs (Changeux 2002 : p. 162).
Or, cette définition du langage comme instrument de communication ou structure d’appariement du son et du sens est celle de la connaissance commune, avec laquelle la théorisation saussurienne de la langue a permis de rompre. Comme je l’ai montré en particulier dans La rupture saussurienne, le concept de valeur, au fondement duquel se trouve le principe de l’arbitraire du signe, constitue l’instrument d’une définition de la langue comme articulation socialement codée de la pensée dans la matière phonique. La langue saussurienne n’est pas une structure, un instrument permettant d’associer des « signifiants » à des « signifiés », et ainsi de véhiculer des contenus de pensée, mais elle est un fonctionnement, qui se met en place au cours de l’ontogenèse sous l’influence de la parole adressée au petit d’homme par ceux qui prennent soin de lui, dans le cadre duquel de petits bouts de pensée se trouvent délimités par leur articulation à des signifiants fournis par cette parole de l’autre, et progressivement identifiés comme tels par le petit d’homme.
Cette définition du langage rompt avec l’empirisme de la linguistique antérieure – mais qui persiste malheureusement dans la plupart des théories linguistiques contemporaines –, dans la mesure où le point de départ de l’élaboration est le constat de la nécessité de problématiser le donné, là où toutes les autres définitions du langage, plus ou moins explicites, et qui sont toutes sans exception des modulations théoriquement anecdotiques de la définition traditionnelle du langage mentionnée ci-dessus, ne dépassent pas le constat empirique de la structure du langage (appariement d’une manifestation sensible et d’une idée) et de sa fonction (s’exprimer, communiquer, penser, etc.), qu’elles se contentent de formaliser ou de décrire. Il faut citer en particulier cette affirmation récurrente des premiers textes de Saussure, ici dans une formulation des « Notes pour un livre sur la linguistique générale, 2 » (1893-1894) :
Voici notre profession de foi en matière linguistique : En d’autres domaines on peut parler des choses « à tel ou tel point de vue », certain qu’on est de retrouver un terrain ferme dans l’objet même. En linguistique, nous nions en principe, qu’il y ait des objets donnés, qu’il y ait des choses qui continuent d’exister quand on passe d’un ordre d’idées à un autre, et qu’on puisse se permettre de considérer des « choses » dans plusieurs ordres, comme si elles étaient données par elles-mêmes. (Saussure 2002 : p. 201).
La définition saussurienne est par ailleurs une définition de la langue, par opposition au langage. De fait, une autre manifestation de l’empirisme dans les « sciences du langage », au sens large (linguistique, psychologie, neurosciences, psychanalyse, etc.), est la référence au « langage » (ou, indifféremment, à la « langue ») comme objet unique, sinon homogène. Or, Saussure avait pour sa part reconnu l’hétérogénéité du langage, hétérogénéité dont le concept de langue permet précisément l’élaboration. On lit notamment dans le troisième cours de linguistique générale (1910-1911) :
Le langage est un terrain complexe, multiforme, hétéroclite dans ses différents aspects. Une conséquence, c’est qu’on n’arrive pas à le classer pris dans son tout avec d’autres faits humains. Il est à cheval sur des domaines divers (domaine physique, psychique, ou encore : domaine individuel, social). <On ne sait comment lui conférer l’unité>
La langue quoique complexe représente un tout séparable, un organisme en soi qu’il est possible de classer, quant à elle. La langue représentant une unité satisfaisante pour l’esprit on peut donner à cette unité la place prééminente dans l’ensemble des faits de langage. <Comprendre les autres choses comme subordonnées. La langue sera le centre, le reste en dépendra> Et ainsi on aura introduit un ordre intérieur dans les choses qui concernent le langage. (Saussure & Constantin 2005 : p. 214-215).
La définition saussurienne de la langue impose ainsi de distinguer entre différents objets : le langage comme faculté humaine, la langue, articulation socialement codée de la pensée dans la matière phonique, et l’idiome qui est la manifestation empirique du langage. S’ouvre alors la possibilité d’une élaboration théorique du dualisme, au lieu de sa réduction. À l’aune de la théorisation saussurienne de la langue, il apparaît en effet que le langage comme objet supposément un, outil de communication et de pensée, n’existe pas, mais n’était qu’une extrapolation illusoire à partir du donné empirique : l’idiome. Apparaît en particulier une hétérogénéité entre des conditions de possibilité neurophysiologiques et un fonctionnement psychique irréductible à celles-ci, bien que conditionné par elles, ontogénétiquement aussi bien que fonctionnellement. En effet, si le langage est une faculté spécifiquement humaine (puisqu’aucun autre animal n’est susceptible de devenir un être langagier), comme telle nécessairement génétiquement déterminée, cette faculté est mise en œuvre comme langue et, comme telle, comme fonctionnement psychique introduisant une discontinuité. Les conditions mêmes de ce qu’on appelle couramment son acquisition, connues dès longtemps, corroborent ce résultat de la recherche linguistique : non seulement aucun petit d’homme n’est jamais né en parlant déjà, mais l’acquisition du langage a pour condition absolument nécessaire une transmission sociale, une exposition à la parole d’un autre, ce qui la distingue d’autres acquisitions postnatales comme la marche.
Un pan important de cette construction théorique de l’hétérogénéité du langage a été effectué dans le cadre de la recherche psychanalytique depuis Freud, et jusqu’à la théorisation de la psychose proposée par Alain Manier. En effet, si la théorie linguistique saussurienne définit la langue comme mise en œuvre de la faculté du langage – comme une articulation socialement codée entre pensée et phonie, la théorie psychanalytique – freudienne puis lacanienne – montre le rôle décisif d’une telle articulation dans l’avènement puis le développement de la structure psychique constitutifs du sujet humain que tout petit d’homme est amené à devenir au cours de son développement jusqu’à l’âge adulte. Dans cette perspective, les dites « maladies psychiatriques » deviennent des troubles du langage, entendu au sens de la psychanalyse, c’est-à-dire défini comme la langue saussurienne, mais du point de vue de son effet sur le locuteur. Les théories freudienne et lacanienne sont des théories de la névrose, auxquelles s’ajoute à présent l’étiologie de la psychose élaborée par Alain Manier, qui, se fondant sur la théorisation saussurienne de la langue, définit cette affection, non comme un trouble du langage (c’est-à-dire comme une forme particulièrement grave de névrose), mais comme une structure psychique déterminée par un raté dans la transmission du langage au petit d’homme, dont l’effet est une absence d’articulation socialement codée entre pensée et phonie14. Au dualisme de la tradition philosophique se substitue ainsi une construction théorique de cet objet complexe et spécifiquement humain qu’est le langage (et avec lui des dites « fonctions cognitives supérieures »), biologiquement déterminé et pourtant irréductible à cette détermination biologique, et qui est ainsi doublement déterminé, par deux logiques hétérogènes mais néanmoins aussi incontournables l’une que l’autre : la logique du langage et la logique du vivant.
Le deuxième pan de cette construction théorique de l’hétérogénéité du langage constitue l’objet de la neurolinguistique, qui requerra une collaboration entre linguistes (saussuriens) et neurobiologistes, et un renoncement au réductionnisme et à l’organicisme. Comme nous l’avons vu plus haut, à cette double détermination par la logique du langage et la logique du vivant se substitue en effet dans le cadre de l’hypothèse organiciste la construction d’un objet intégrant, où le déterminisme biologique ménage un espace de jeu qui en desserre la rigueur au profit d’une interaction avec l’environnement. Comme l’écrit Jean-Pierre Changeux dans sa préface à Les neurones de la lecture :
Sans doute à cause du dualisme platonicien, la tradition occidentale a établi un clivage – que je n’hésiterai pas à qualifier de tragique – entre les sciences de l’homme et les sciences biologiques. Au point que l’on s’est longtemps accordé pour opposer le biologique au culturel, la nature à la culture, les gènes à l’apprentissage. Un des points forts des neurosciences contemporaines – l’ouvrage de Stanislas Dehaene le démontre à merveille – est d’avoir démontré que, chez l’homme, le culturel ne peut se penser sans le biologique et que le cérébral n’existe pas sans une puissante imprégnation de l’environnement. La césure platonicienne entre le cerveau et l’esprit s’abolit au bénéfice de la construction d’une architecture cérébrale commune, source d’un immense univers combinatoire entre les gènes et l’environnement. (Dehaene 2010 [2007] : p. 13-14).
Il s’agit donc d’intégrer l’environnement, dont l’importance ne peut être niée, dans la construction du cerveau, et cette intégration se substitue à toute réflexion sur la nature et la spécificité de ce phénomène propre à l’espèce humaine que Changeux et Dehaene désignent par le terme de culture. Il faut souligner, à cet égard, à quel point la notion de cognition – comme celle de langage pour les sciences du langage – joue pour les neurosciences cognitives le rôle d’un obstacle épistémologique. Il faut en effet prendre la mesure de l’erreur épistémologique que constitue l’organicisme, qui consiste à affirmer que la condition nécessaire (le cerveau) est aussi condition suffisante. Cette affirmation devrait au moins faire l’objet d’une démonstration15, ne serait-que sous la forme d’une réfutation de la théorie psychanalytique, ainsi qu’y invitait Freud lui-même dans un texte cité par Changeux :
La critique la plus sévère portera sur le projet même de l’ouvrage que concrétise son titre. Jeter une passerelle sur le fossé qui sépare les sciences de l’homme des sciences du système nerveux constituera pour certains un débordement abusif, voire illégitime. Pourquoi ne pas restreindre son propos au cerveau proprement dit, à son anatomie, à sa physiologie ou à sa biochimie et en écarter tout ce qui relève de près ou de loin de ce qu’il est convenu d’appeler le « psychisme » ? Ne serait-ce pas plus prudent ? À ceux-là, Freud (1920) apporte une réponse claire que cite A. Bourguignon dans un texte extrait de la Psychanalyse à l’Université (1981a) : « La biologie est vraiment un domaine aux possibilités illimitées : nous devons nous attendre à recevoir d’elle les lumières les plus surprenantes et nous ne pouvons pas deviner quelles réponses elle donnerait dans quelques décennies aux questions que nous lui posons. Il s’agira peut-être de réponses telles qu’elles feront s’écrouler tout l’édifice artificiel de nos hypothèses16. » (Changeux 1983 : p. 333).
Rappelons en effet que Freud, avant de devenir psychanalyste, était neurologue, et que la théorie psychanalytique est née pour répondre à la découverte d’un objet psychique hétérogène au neurologique, objet initial de la recherche freudienne, dont la découverte de la logique de l’inconscient est précisément une élaboration. Le caractère purement psychique de l’objet freudien est ainsi constitutif de la nature de rupture épistémologique de la théorie psychanalytique. Or, la théorie freudienne n’a jamais été réfutée par les neurobiologistes, mais seulement écartée comme non scientifique au motif du caractère purement psychique de son objet, et il est frappant de constater à quel point les neurobiologistes contemporains prennent ainsi – pour leur part sans rupture – le relais des confrères neurologues de Freud. L’autre mention de Freud dans L’homme neuronal n’est par exemple qu’une réaffirmation de l’organicisme :
Comme dans le cas des hallucinations, images et concepts s’actualisent et s’enchaînent pendant le rêve en l’absence d’interaction notable avec le monde extérieur, mais cette imagerie se développe dans le « brouillard » du sommeil lent et n’accède qu’occasionnellement à la conscience. Cette activité mentale fait donc bien partie du non-conscient, ou, si l’on veut, de l’inconscient. Toutefois, dire avec Freud que le rêve est « libération de l’inconscient » ou « accomplissement déguisé d’un désir réprimé » ne nous apprend que peu de chose sur ses « fonctions » et, surtout, sur les mécanismes qui règlent cette production spontanée d’objets mentaux. (Changeux 1983 : p. 191).
Quant à Dehaene, la section qu’il consacre à la théorie freudienne17 témoigne d’une méconnaissance totale du concept d’inconscient et de la psychanalyse. Il s’agit de montrer que tandis que l’« [o]n attribue généralement à Sigmund Freud (1856-1939) la paternité de la découverte que de nombreuses opérations mentales se déroulent hors de notre conscience » (Dehaene 2014 : p. 79), « [e]n réalité, il s’agit d’une légende que Freud lui-même a contribué à forger » (Dehaene 2014 : p. 79), tant il existe de « pionniers de l’inconscient » (Dehaene 2014 : p. 79), dont les premiers ont vécu dans l’Antiquité. Or, la découverte freudienne n’est pas celle de l’inconscient, dont nombre de philosophes et de psychologues antérieurs avaient de fait eu l’intuition, mais celle de l’existence de phénomènes aux manifestations variées (physiologiques, neurologiques, langagières, oniriques, mentales, etc.) dont on ne peut rendre compte qu’en faisant l’hypothèse d’un domaine distinct de l’organique – appelé « appareil psychique » – et d’une structuration de cet appareil psychique par une bipartition entre (pré)conscient et inconscient, répondant à deux logiques distinctes et hétérogènes et séparés l’un de l’autre par une impossibilité constitutive et définitoire des phénomènes inconscients à devenir conscients, impossibilité que vise ensuite à moduler la thérapie analytique. Corrélativement, il y a loin des phénomènes inconscients aux « instincts » (Dehaene 2014 : p. 81), « arc réflexe » (Dehaene 2014 : p. 81) et autres « automatismes humains » (Dehaene 2014 : p. 81) juxtaposés dans ce chapitre, juxtaposition qui témoigne d’une conception triviale de l’inconscient, tout comme d’ailleurs la convocation même de ce concept dans un ouvrage rendant compte de recherches portant sur « la perception subliminale » (Dehaene 2014 : p. 83). C’est donc bien, non de science, mais de scientisme, qu’il s’agit dans de tels propos : la réduction à l’organique serait un gage – le gage absolu – de scientificité.
Jean-Pierre Changeux affirme dans L’homme neuronal :
Le moment historique que nous traversons rappelle celui où s’est trouvée la biologie avant la dernière guerre mondiale. Les doctrines vitalistes avaient droit de cité, même parmi les scientifiques. La biologie moléculaire les a réduites au néant. Il faut s’attendre à ce qu’il en soit de même pour les thèses spiritualistes et leurs divers avatars « émergentistes ». (Changeux 1983 : p. 334).
On sait que la position de Georges Canguilhem, épistémologue des sciences du vivant, était plus nuancée à l’égard du vitalisme. C’est à lui que je voudrais laisser la parole pour conclure, en juxtaposant deux affirmations dont la confrontation me paraît tout particulièrement fructueuse au terme d’une analyse épistémologique des neurosciences cognitives telles qu’elles sont pratiquées par l’école Changeux-Dehaene – rappelons que la chaire de Dehaene au Collège de France s’intitule « Psychologie cognitive expérimentale ». La première se trouve dans l’introduction de « Qu’est-ce que la psychologie ? » (1956) :
En disant de l’efficacité du psychologue qu’elle est discutable, on n’entend pas dire qu’elle est illusoire ; on veut simplement remarquer que cette efficacité est sans doute mal fondée, tant que preuve n’est pas faite qu’elle est bien due à l’application d’une science, c’est-à-dire tant que le statut de la psychologie n’est pas fixé de telle façon qu’on la doive tenir pour plus et mieux qu’un empirisme composite, littérairement codifié aux fins d’enseignement. En fait, de bien des travaux de psychologie, on retire l’impression qu’ils mélangent à une philosophie sans rigueur une éthique sans exigence et une médecine sans contrôle. (Canguilhem 2002 [1968] : p. 365-366).
La seconde figure dans la discussion ayant suivi une intervention de Jean-Pierre Changeux devant la Société française de philosophie, mentionnée ci-dessus18 :
On peut, on doit tout accorder au physiologiste en tant qu’auteur et véhicule d’un savoir relatif au cerveau comme objet d’investigation expérimentale. Mais on peut et on doit lui demander d’assumer comme tout le monde son expérience d’homme en situation dans le monde, c’est-à-dire de renoncer à prétendre se promener dans la rue de son cerveau pour comprendre comment il se fait qu’il se trouve à la fenêtre. Il faut abandonner l’idée qu’il y aurait dans le cerveau, quelque part, une sorte de surface topologique où se rejoindraient, par torsion et continuité, un endroit objectif et un envers subjectif. (Changeux 1981 : p. 101).
Que penser, en effet, d’une psychologie perdurant après plus d’un siècle de psychanalyse, et d’une physiologie qui, outrepassant les limites définitoires de son objet, n’ambitionne rien de moins que d’être la mathématique des sciences humaines ?
Bibliographie
CANGUILHEM, Georges (2002 [196819]), Études d’histoire et de philosophie des sciences concernant les vivants et la vie, Paris, Librairie philosophique J. Vrin.
CHANGEUX, Jean-Pierre (1981), « Les progrès des sciences du système nerveux concernent-ils les philosophes ? » (Séance du 28 février 1981), Bulletin de la Société française de philosophie 75 (3), p. 73-105.
CHANGEUX, Jean-Pierre (2012 [1983]), L’homme neuronal, Paris, Pluriel.
CHANGEUX, Jean-Pierre (2002), L’homme de vérité, Paris, Odile Jacob.
DEHAENE, Stanislas (2010 [2007]), Les neurones de la lecture, Paris, Odile Jacob.
DEHAENE, Stanislas (2014), Le code de la conscience, Paris, Odile Jacob.
FODOR, Jerry (1975), The Language of Thought, New York, Thomas Y. Crowell.
FODOR, Jerry (1981), « The Mind-Body Problem », Scientific American 244 (1), p. 114-123.
MANIER, Alain (1995), Le jour où l’espace a coupé le temps. Étiologie et clinique de la psychose, Plancoët, La Tempérance.
MANIER, Alain (2003), « Le psychotique, Saussure et le psychanalyste », S. Bouquet (dir.), L’Herne Saussure, Paris, Éditions de l’Herne, p. 285-292.
SAUSSURE, Ferdinand (de) (2002), Écrits de linguistique générale, Paris, Gallimard.
SAUSSURE, Ferdinand (de) & CONSTANTIN, Émile (2005), « Ferdinand de Saussure : Notes préparatoires pour le cours de linguistique générale 1910-1911, -->Émile Constantin : Linguistique générale. Cours de M. le professeur de Saussure 1910-1911 », Cahiers Ferdinand de Saussure 58, p. 83-289.
SPERBER, Dan (1996), Explaining Culture: A Naturalistic Approach, Londres, Blackwell.
TOUTAIN, Anne-Gaëlle (2014), La rupture saussurienne. L’espace du langage, Louvain-la-neuve, Academia-Bruylant.
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1 Voir Dehaene (2010 [2007]) : p. 26-28, puis notamment p. 198-200 et 395.
2 Voir Sperber 1996.
3 La métaphore virale revient notamment ensuite lorsqu’il est question de la naissance de l’alphabet : de la mutation du virus de l’écriture que représente la naissance de l’écriture alphabétique (voir Dehaene 2010 [2007] : p. 252).
4 Où apparaît une alternative analogue à celle sur laquelle repose l’argumentation de Les neurones de la lecture, entre modelage externe et sélection corrélative d’une production. Voir Changeux (1983) : p. 295-296 et sqq.
5 Voir sinon notamment pour le refus du dualisme : Changeux (1983) : p. 173, 209-211, 333 et sqq.
6 Voir Changeux (1981) : p. 105.
7 Voir Changeux (1983) : p. 334, ci-dessus.
8 Voir Dehaene (2010 [2007]) : p. 314. Du moins, comme il est d’usage, cette étiologie est-elle valable « dans la majorité des cas » (Dehaene 2010 [2007] : p. 314).
9 On lit en effet quelques lignes plus loin : « Grâce aux avancées de la psychologie de la lecture, nous pourrons imaginer de meilleures méthodes d’enseignement et de rééducation de la lecture. Grâce aux prouesses de la neuro-imagerie, nous pourrons vérifier dans quelle mesure ces avancées restaurent effectivement des circuits neuronaux fonctionnels. » (Dehaene 2010 [2007] : p. 336-337). Voir aussi Dehaene 2010 [2007] : p. 397, où il est également question de la sociologie, qui conserve ainsi droit de cité dans les sciences à côté de la psychologie.
10 Je me réfère de nouveau à Changeux (1983) : p. 334. Voir aussi pour ce terme Changeux (1983) : p. 159, également cité ci-dessus.
11 L’argumentation anti-dualiste de Changeux est par ailleurs remarquable par sa référence au travail de Fodor. En effet, se conjuguent nettement, dans The Language of Thought (Fodor 1975) et dans « The Mind-Body Problem » (Fodor 1981), dualisme et scientisme (« matérialisme »). La solution de compromis préconisée, le fonctionnalisme, se fonde sur une métaphore (celle de la computation), dont il n’est dès lors pas étonnant qu’elle impose le recours à la définition traditionnelle du langage. Or, Changeux, tout à la fois, reprend à son compte la définition fodorienne du langage et reproche à Fodor son dualisme (voir Changeux, 1983 : p. 334).
12 « F. de Saussure, 1915 » (Changeux 1983 : p. 177, note 20), erreur que l’on retrouve dans la bibliographie (voir Changeux 1983 : p. 368), et dans L’homme de vérité (voir Changeux 2002 : p. 160). La première édition du Cours de linguistique générale date en effet de 1916. Je signale cette erreur, car il est clair, à la lecture en particulier de L’homme de vérité, où la pensée de Saussure est présentée comme assimilable à celle de Peirce, que Changeux n’a pas beaucoup travaillé sur le Cours de linguistique générale, non plus qu’il ne s’est renseigné sur la genèse et la spécificité de ce texte. C’est ce qui apparaît également à la lecture de la brève mention du « Traité de linguistique » (Changeux 1981 : p. 92) de Saussure faite par Changeux à l’occasion de sa conférence à la Société française de philosophie le 28 février 1981. Il affirme en effet tout d’abord que « de Saussure […] distingue les images du type auditif qu’il considère comme physiologiques et les images verbales et concepts qu’il considère comme psychiques » (Changeux 1981 : p. 92), puis que finalement, « [s]i on reprend la citation, il s’agit d’une réaction entre deux états physiques du système nerveux » (Changeux 1981 : p. 92), ce qui « implique une matérialité à la fois des images auditives et des concepts » (Changeux 1981 : p. 92). Autrement dit, à la lecture de Saussure dans le cadre de la problématique traditionnelle des rapports son/sens succède la projection dans ses propos de la notion d’objet mental promue par Changeux. Bien entendu, chacun sa spécialité, mais ce peu de précaution contraste avec l’assurance des affirmations, contraste et assurance révélateurs de l’obstacle épistémologique que constituent les notions de langage et de cognition (voir ci-dessous).
13 Dehaene (2010 [2007]) : p. 158. Voir encore plus précisément à cet égard Changeux (2002) : p. 165.
14 Voir notamment Manier (1995), Manier (2003), et dans ce numéro des Cahiers Ferdinand de Saussure, ainsi que Toutain (2014).
15 À cette démonstration se substitue – le fait est significatif – une justification. Ainsi par exemple un des passages de L’homme neuronal que j’ai cités ci-dessus se conclut-il par l’affirmation suivante : « L’identité entre états mentaux et états physiologiques ou physicochimiques du cerveau s’impose en toute légitimité. » (Changeux 1983 : p. 334 [je souligne]). Voir plus largement Changeux (1983) : p. 333-334.
16 Il s’agit d’« Au-delà du principe de plaisir », mais les affirmations de ce type sont relativement nombreuses dans l’œuvre de Freud.
17 Voir Dehaene (2014) : p. 79-82.
18 Significativement, Changeux répond ne pas avoir « très bien saisi l’argument » (Changeux 1981 : p. 104) de Canguilhem. Il ne comprend pas non plus en quoi sa position demeure dualiste, ce que s'efforce de lui montrer Jacques Merleau-Ponty.
19 Une première édition augmentée parut ensuite en 1983, puis une seconde en 1994.