La fonction symbolique chez Trần Đức Thảo
Je tiens à remercier M. Pierre-Yves Testenoire (ÉSPÉ de Paris – Université Sorbonne Paris 4) et M. Vincent Nyckees (Université de Paris) qui ont bien voulu lire ce travail et me faire bénéficier de leurs remarques, ainsi que les relecteurs pour leurs remarques avisées et leur aide dans la construction de cet article.
1. Introduction
Parmi les interprètes les plus célèbres et les plus influents de la philosophie d’Edmund Husserl dans la France des années 1940, le philosophe vietnamien, ancien élève de l’ÉNS de la rue d’Ulm, marxiste et anticolonialiste Trần Đức Thảo (1917-1993) est au centre d’un tout récent regain d’intérêt1. Le travail qui suit vise à combler une lacune dans la littérature en abordant une notion qui est au cœur de son ouvrage le plus célèbre, Phénoménologie et matérialisme dialectique (1951, dorénavant PMD)2, mais qui a très peu attiré l’attention des savants3. Il s’agit de la notion de « fonction symbolique », que Trần Đức Thảo (1951 : 287-295) introduit à un endroit-clé du texte (les paragraphes 1-5 de la deuxième partie), lorsqu’il décrit la transition de la conscience animale à la conscience humaine.
La théorie de Trần Đức Thảo est non seulement importante dans l’histoire des idées linguistiques et sémiologiques, dans la mesure où elle nous permet de voir à l’œuvre une série de concepts et notions qui étaient courants dans l’éthologie4 et dans la psychologie de l’enfant au début du siècle, mais également intéressante d’un point de vue théorique, car elle introduit toute une série de questions qui sont au cœur des débats actuels en philosophie du langage. En fait, Trần Đức Thảo a proposé une théorie matérialiste et dialectique du signe qui se fonde sur l’étude du comportement, de l’intentionnalité et des transferts depuis le niveau sensori-moteur jusqu’aux concepts abstraits grâce à des procédures métaphoriques (au sens large du terme). Il s’agit donc d’un matérialisme non réductionniste, dans lequel le corps, le comportement et la relation à l’environnement et à autrui jouent un rôle central. Cependant, la sémiologie de Trần Đức Thảo n’est pas sans difficultés et, dans les années 1960 et 1970, le philosophe vietnamien lui-même modifiera en profondeur son modèle (D’Alonzo 2016 et 2017a).
La première partie de PMD est entièrement consacrée à la reconstruction critique du parcours théorique de Husserl. Selon Trần Đức Thảo, les contradictions internes de la phénoménologie mènent au matérialisme dialectique et donc à la description dialectique de l’origine naturelle et sociale de la conscience (Riscali 2019). La seconde partie du livre s’ouvre ainsi avec un essai d’application des analyses phénoménologiques à la description du psychisme animal. Dans ce cadre, la fonction symbolique est une nouvelle forme d’intentionnalité dans l’évolution du vivant, dans la mesure où le sens visé par l’organisme « n’est pas simplement vécu dans la subjectivité de la conscience, mais apparaît sur le comportement lui-même, comme le sens qu’il exprime » (Trần Đức Thảo 1951 : 288).
Nous analyserons la typologie sémiologique introduite dans le livre de 1951 compte tenu de l’histoire des notions employées par Trần Đức Thảo. Il faut, avant cela, clarifier certains choix terminologiques faits par le philosophe vietnamien dans le petit nombre de pages qu’il consacre à la fonction symbolique. Une source d’ambiguïté peut être le fait que, même si Trần Đức Thảo semble employer une terminologie issue de la phénoménologie husserlienne, il propose une théorie qui a peu à voir avec celle de Husserl. D’une part, dans les pages qu’il consacre à la communication et au langage dans PMD, on peut lire des mots comme « intention », « intentionnalité », « expression », « signification », « consciemment », « conscience », « sens », etc. D’autre part, cette terminologie est souvent employée dans une acception psychologique et éthologique.
Mais qu’est-ce que « la fonction symbolique » ? En une phrase, la fonction symbolique est une « expression intentionnelle, visant consciemment une signification » (Trần Đức Thảo 1951 : 286). En d’autres termes, la fonction symbolique est l’usage d’une expression qui évoque ou remplace une signification ou une intention, une réalité imaginaire ou absente. Chez Trần Đức Thảo, la « fonction » est donc une relation ou un « rapport » qui, dans le cas du symbolique, à chaque expression fait correspondre une signification : « le rapport de l’expression à sa signification » (id. 1951 : 285). La notion de « fonction » était largement utilisée en linguistique et en psychologie à cette époque (comme nous le verrons plus loin, la théorie de Trần Đức Thảo dépend en grande partie de la psychologie de langue française et en particulier de Jean Piaget5).
La « fonction » se retrouve aussi dans le modèle instrumental du langage de Karl Bühler (1934 : 28), dont Trần Đức Thảo n’avait probablement aucune connaissance. Entre les deux, il y a beaucoup de choses en commun comme, par exemple, la référence aux actes de communication concrets, la critique du behaviorisme, la prise de distance par rapport à Husserl et la conception du sens comme construit par le locuteur. Il y a cependant aussi des différences profondes. Tout d’abord, pour Bühler, chaque signe linguistique a trois fonctions, car il est à la fois un symbole (relation aux objets et états de choses), un symptôme (expression de l’intériorité) et un signal (appel au récepteur). Les trois fonctions se retrouvent dans le schéma de Trần Đức Thảo mais, au lieu d’être présentées comme trois fonctions qui se dévoilent dans chaque signe, elles sont attribuées différemment à certaines espèces animales et à leurs capacités sémiotiques. En fait, Trần Đức Thảo consacre beaucoup d’efforts à décrire soit les formes de la fonction symbolique indépendantes du langage soit les signifiants motivés en leur attribuant la fonction d’appel et d’expression. Au contraire, les signes linguistiques n’ont qu’une fonction de « substitution » à la chose ou au concept, alors que les symboles utilisés dans le monde animal reposent sur une relation motivée entre expression et signification6. Chez Trần Đức Thảo, la notion même d’expression ne désigne que le signifiant et il ne s’agit pas de la fonction d’appel au sens de Bühler. En outre, la critique du behaviorisme ne conduit pas Trần Đức Thảo à considérer la fonction symbolique comme indépendante de l’état psychologique du locuteur et des événements du monde extérieur, sans pour autant réduire la communication aux processus mécanistes d’excitation et de réflexe.
Trần Đức Thảo répartit les produits de la fonction symbolique en deux catégories : les symboles et les signes. Quand le philosophe vietnamien parle de la fonction symbolique chez les animaux non humains, il utilise la notion de symbole. Dans ce cas, l’expression est partiellement liée à des aspects de la signification. Au lieu de cela, quand Trần Đức Thảo utilise la notion de signe, il décrit le langage humain. Dans les deux cas, la structure relationnelle de la fonction symbolique reste intacte, tandis que la nature de la signification visée se modifie. Pour Trần Đức Thảo, le mot « signification » a deux acceptions. Premièrement, le terme signifie « l’acte symbolique de signification », la fonction de l’expression intentionnelle visant une signification au sens étroit (Trần Đức Thảo 1951 : 288). Deuxièmement, il désigne la « signification visée », ce que les signes et les symboles évoquent, c’est-à-dire le sens visé : en ce cas, la fonction symbolique est donc l’« expression intentionnelle, visant consciemment une signification » (id. 1951 : 286). En tout cas, la fonction de l’acte symbolique de signification est de manifester une signification et plus en général, une intention, un désir, etc., à autrui. En ce sens, la signification coïncide aussi avec le but (présumé) du sujet, c’est-à-dire la raison pour laquelle l’acte symbolique a présumablement eu lieu. Mais cela ne signifie pas, comme on le verra dans les pages qui suivent, que le but réel de l’acte symbolique coïncide nécessairement avec l’intention signifiée par l’expression ni que l’expression est toujours un acte volontaire. En tout cas, l’expression est tout d’abord une manière d’influencer autrui en communiquant une intention (consciente ou inconsciente) et, pour cette raison, la communication est subordonnée à la fonction pragmatique de l’expression.
2. Le fondement physiologique de la fonction symbolique
La sémiologie de Trần Đức Thảo part du constat suivant : l’expression intentionnelle dépend du mécanisme physiologique de l’inhibition7. En fait, ce que le philosophe vietnamien appelle « expression » ne peut pas être considérée comme une conséquence qui accompagne les mouvements corporels car elle vise une signification et elle est un acte communicatif explicite.
Trần Đức Thảo voulait se démarquer du behaviorisme en se concentrant sur le rôle actif de l’organisme. Il faut lire la critique du behaviorisme et la tentative de Trần Đức Thảo de repenser la notion de comportement à partir des débats entre les marxistes français de l’époque. Parmi eux, Pierre Naville fut l’un des premiers promoteurs de la psychologie comportementale et physicaliste en France. Pour lui, le domaine de la psychologie est réductible à l’étude des mouvements et des comportements observables et tout ce qui est habituellement considéré comme le fruit du psychisme doit être expliqué en termes d’actions et réactions physiologiques. En d’autres termes, le matérialisme de Naville reprend le mécanisme physicaliste de la philosophie française du XVIIIe siècle : « l’homme est une machine biologique » (Naville [1942] 1963 : 316). Pour la même raison, la conscience, en tant qu’état interne non observable, se voit refuser toute légitimité en tant qu’objet de science. C’est précisément une telle interprétation du comportement que Trần Đức Thảo refusera tout le reste de sa vie (D’Alonzo 2019b)8.
À cet égard, il est important de dire quelques mots sur le « matérialisme dialectique » de Trần Đức Thảo, limité aux pages de PMD qui nous intéressent ici, en laissant de côté les différentes significations que le syntagme prend tout au long du texte. Du point de vue de la terminologie, le « matérialisme historique » est la doctrine selon laquelle les conditions matérielles d’une société (la manière donnée de produire et de reproduire les moyens d’existence humaine, c’est-à-dire la sphère économique) déterminent en quelque sorte son organisation, son développement, ses institutions et ses modes de pensée. Marx n’a pas utilisé l’expression « matérialisme historique ». Mais il y a une page très célèbre de sa Préface à la Contribution à la critique de l’économie politique (1859) où il décrit la relation entre la structure économique d’une société donnée et ses institutions et modes de pensée. En utilisant le syntagme « matérialisme dialectique », certains auteurs pensaient au matérialisme historique (Georgi V. Plekhanov, Karl Korsch, György Lukács, etc.). En 1938, Staline publie son pamphlet Le matérialisme dialectique et le matérialisme historique, où il déclare que le matérialisme dialectique est l’idéologie officielle de l’URSS. Après cela, il définit le matérialisme dialectique comme une approche pour étudier les phénomènes de la nature et pas seulement ceux de l’histoire humaine. En ce qui concerne l’histoire humaine, Staline emploie plutôt l’expression « matérialisme historique ». Il distingue donc clairement le matérialisme dialectique du matérialisme historique en considérant ce dernier comme une section du premier. Deuxièmement, Staline voit dans la dialectique de Hegel la méthode du matérialisme dialectique.
L’introduction du matérialisme dialectique en France passe par l’anthologie À la lumière du marxisme (Wallon 1935) éditée par le Cercle de la Russie Neuve (Gouarné 2010 ; Carlino 2014, 2015). Trois ans avant le livre de Staline, le volume liait le matérialisme dialectique à la dialectique hégélienne. Dans les mêmes années, d’autres marxistes occidentaux, parmi eux Henri Lefebvre, explorent aussi la relation entre la dialectique hégélienne et le matérialisme dialectique. La thèse principale de À la lumière du marxisme est celle de l’autonomie théorique du matérialisme dialectique par rapport au matérialisme mécaniste français du XVIIIe siècle. Deux ans après la brochure de Staline, Lefebvre (1940) souligne que le matérialisme dialectique ne peut se limiter à un économisme strict, et que les lois de la dialectique doivent être considérées comme universelles. Ainsi, elles peuvent être appliquées à tous les niveaux de la réalité : la nature, l’histoire et la pensée. Mais leur universalité ne dérive pas de principes a priori, mais est extraite de la réalité elle-même, qui en exprime les divers aspects. L’approche de Trần Đức Thảo dans PMD poursuit la ligne de Lefebvre.
En ce qui concerne Trần Đức Thảo, dans son article de 1949, l’expression « matérialisme dialectique » figurait déjà dans le titre : Existentialisme et matérialisme dialectique (Trần Đức Thảo 1949). Mais le choix semble ambigu dans la mesure où il entend par cette expression une interprétation particulière de l’histoire humaine. La situation change dans PDM9. Non seulement le matérialisme dialectique apparaît dans le titre, mais une section importante du livre est également consacrée à une étude dialectique du développement naturel. Après cette section, Trần Đức Thảo donne une description de l’histoire humaine. Ainsi, le choix du matérialisme dialectique n’était pas simplement formel, mais il peut plutôt être compris comme une adhésion à une perspective philosophique (et peut-être politique) plus globale.
Néanmoins, à la même époque, le Parti communiste français soutient une thèse différente, selon laquelle le principal prédécesseur du marxisme est le rationalisme traditionnel français de Descartes revisité par le matérialisme mécaniste du XVIIIe siècle (La Mettrie, Diderot et Voltaire). En fait, le marxisme revisité par le rationalisme français peut mieux soutenir l’introduction du marxisme dans les universités françaises que le marxisme hégélien. C’est ainsi que le positionnement idéologique du Parti a marqué le développement du marxisme dans l’Hexagone. Par exemple, le sous-titre de l’une des revues communistes les plus importantes des années 1940, La Pensée, est Revue du rationalisme moderne. En effet, le rationalisme représentait l’un des principaux choix théoriques dans les universités à l’époque. De toute évidence, Trần Đức Thảo prend consciemment ses distances avec ce choix et essaye de réhabiliter la dialectique hégélienne.
Contrairement aux articles de l’immédiat après-guerre où la synthèse entre phénoménologie et marxisme était égalitaire, avec la même contribution des deux courants philosophiques, à partir de « La Phénoménologie de l’Esprit » et son contenu réel, compte rendu de l’Introduction à la lecture de Hegel de Alexandre Kojève (Trần Đức Thảo 1948), et de l’article Existentialisme et matérialisme dialectique (1949), s’établit l’idée selon laquelle la phénoménologie doit être dépassée et préservée comme moment, dans le matérialisme dialectique. Le marxisme n’est plus une philosophie de la praxis, une pragmatique, ni une révélation phénoménologique de l’existence matérielle (Feron 2017 et 2018), mais une métaphysique ou une ontologie qui établit l’existence d’une substance unique, la matière, dotée de mouvement, existant avant et indépendamment du sujet et dont le sujet est un produit déterminé (Stanciu 2019). C’est ainsi que se radicalise l’attitude critique de Trần Đức Thảo envers le statut épistémologique de la phénoménologie de Husserl, qui ne serait rien de plus qu’une introduction au matérialisme dialectique (voici le résultat de la finkienne « phénoménologie de la phénoménologie » dont parle Feron 2019). Cette interprétation trouve sa pleine expression dans PMD, où les analyses phénoménologiques se voient attribuer un champ d’application limité à la seule psychologie animale : « le domaine privilégié de la phénoménologie pure n’est pas dans les significations humaines, mais bien dans les couches primitives et proprement animales » (Trần Đức Thảo 1951 : 297). La notion de fonction symbolique sert à Trần Đức Thảo de trait d’union pour relier la phénoménologie, appliquée à la psychologie (comme nous le verrons plus loin l’étude du langage et de la communication animale, selon les manuels scolaires de l’époque, relevait du champ de la psychologie), à l’étude de la réalité humaine à partir des conditions socio-économiques qui régissent le développement de la conscience. D’ailleurs, précisément à cause de cette nature hybride au sein du livre, entre phénoménologie, psychologie, éthologie et matérialisme dialectique, la description donnée par Trần Đức Thảo de la fonction symbolique ne peut être réduite à une seule de ces approches.
Or, Trần Đức Thảo cherche à fournir un fondement matérialiste à l’étude de la conscience. Dans ce cadre, il suit aussi la lecture matérialiste de la phénoménologie husserlienne déjà inaugurée par Merleau-Ponty (Montag 2013 : 46)10. D’ailleurs, tous deux défendent l’idée que la conscience est essentiellement incarnée en mettant en valeur le rôle joué par l’interaction entre l’organisme et l’environnement dans la formation de la conscience. Cependant, tandis que Merleau-Ponty propose une « phénoménologisation du naturalisme » (Smyth 2010 : 160), Trần Đức Thảo met en place une « naturalisation de la phénoménologie » (Benoist 2013).
Toutefois, il faut souligner que cette « naturalisation » n’implique pas une forme de physicalisme :
On voit l’erreur profonde du matérialisme mécaniste qui définissait la pensée comme une sécrétion du cerveau : c’était s’interdire par principe toute possibilité de compréhension et ignorer du même coup la structure du mouvement réel. La constitution de la conscience ne saurait en effet se définir sur le simple plan organique puisqu’elle implique une dialectique originale dans les trajets de l’influx nerveux : plus précisément, la structure du système nerveux ne peut se comprendre que par l’évolution du comportement, ce qui nous fait dépasser le cadre biologique comme tel. (Trần Đức Thảo 1951 : 265-266)
D’après Trần Đức Thảo, l’étude de la conscience à partir du comportement n’est possible qu’en adoptant une attitude à la fois matérialiste et dialectique. Pour cette raison, il emploie largement la notion d’« inhibition ». Il « traduit », pour ainsi dire, le concept hégélien de Aufhebung par celui, plus attrayant pour les scientifiques, d’inhibition. Or, l’Aufhebung a indiqué dans la philosophie de Hegel le mouvement conceptuel qui nie et préserve en même temps une catégorie dans le moment suivant, lorsque la première catégorie sera pleinement réalisée. Selon le philosophe vietnamien, l’organisme prend conscience de son comportement lorsque ce dernier n’est pas achevé. La répression du comportement produit à son tour un nouveau comportement plus sophistiqué. En d’autres termes, la conscience est le résultat de la négation, du dépassement et de la conservation idéale de l’acte réel.
Le philosophe vietnamien écrit à ce sujet :
La conscience, comme conscience de l’objet, n’est justement que le mouvement même de ces esquisses réprimées. Dans cette répression, le sujet, nous entendons l’organisme vivant, les maintient en soi et c’est ce maintien même qui constitue la conscience de soi. Ainsi, c’est bien dans sons sens vécu, et non simplement d’un point de vue « extérieur », que la conscience se définit par la dialectique du comportement. Les réactions réveillées par le stimulus et arrêtées par l’acte réel avant qu’elles n’aient pu arriver à la phase de l’accomplissement, s’intègrent dans le comportement total comme des moments supprimés, conservées, dépassés. (id. 1951 : 244)
Selon Trần Đức Thảo, l’inhibition arrête l’acte de l’organisme au niveau du comportement. Dans le cas de la fonction symbolique, le comportement ébauché devient l’expression qui évoque à la fois l’action inhibée et l’intention visée par le comportement inhibé. La condition pour avoir la fonction symbolique dépend alors de l’inhibition de l’acte à sa première étape d’accomplissement : la fonction symbolique est donc « un acte qui s’arrête dès la phase initiale de son accomplissement et renvoie par là-même à sa forme totale, non accomplie » (id. 1951 : 286). L’acte partiellement inhibé devient un acte symbolique qui communique le but visé par l’organisme. L’inhibition transforme le but réel en une intention qui peut être communiquée à autrui. Cela signifie qu’il n’y a pas forcément d’intention communicative avant la production d’un acte symbolique. Pour cette raison, l’expression intentionnelle ne peut être caractérisée en termes de co-produits mécaniques de certains actes comme dans le cas des poissons : « Bien que la production des sons se rencontre déjà chez certains Poissons, il ne peut s’agir à ce niveau que d’un simple accompagnement de l’action elle-même » (id. 1951 : 286)11. Dans ce cas, il s’agit en fait « d’un simple accompagnement de l’action », tandis que la fonction symbolique surgit lorsque « l’action en question […] n’est pas réellement accomplie » :
En revanche, il serait difficile de nier la présence d’une signification intentionnelle dans l’aboiement du Chien supposant à l’entrée d’un visiteur inconnu ou dans le manège par lequel il manifeste son désir de jouer à rapporter un objet ou de mener son maître vers un endroit déterminé. On ne saurait parler ici d’un simple accompagnement de l’action, puisque précisément l’action en question – par exemple chasser l’inconnu ou rapporter la balle – n’est pas réellement accomplie, mais simplement ébauchée, et ne vaut qu’en tant qu’ébauche. (id. 1951 : 286)
Pour clarifier la notion de fonction symbolique, Trần Đức Thảo illustre la différence entre la notion d’« ébauche » et la notion d’« esquisse » (id. 1951 : 288) :
On aura remarqué que nous distinguons nettement les deux notions de l’ébauche et de l’esquisse. L’esquisse s’arrête au niveau des commandes nerveuses et se trouve ainsi réfléchi comme mouvement intentionnel. L’ébauche est au contraire un acte réel qui commence à s’accomplir au niveau musculaire, mais ne peut s’achever en raison d’un obstacle extérieur ou de conditionnements antérieurement établis, ou encore parce que le stimulus n’est lui-même qu’ébauché et n’atteint pas le seuil nécessaire pour une réponse complète. Or, l’acte ébauché implique précisément son achèvement même, sous la forme d’une esquisse réprimée, vécue comme un mouvement intentionnel où se définit la signification dont l’ébauche devient l’expression. Ainsi se constitue une forme nouvelle de l’intentionnalité, où le sens visé n’est plus simplement vécu dans la subjectivité de la conscience, mais apparaît sur le comportement lui-même, comme le sens qu’il exprime.
L’ébauche est l’action arrêtée au niveau du comportement à la première étape de son accomplissement. En revanche, l’esquisse est la forme générale de la séquence totale des mouvements nécessaires à la réalisation du comportement. À la base de ces deux phénomènes il y aurait le fait que l’organisme utilise habituellement une certaine quantité d’énergie nerveuse pour accomplir un acte donné. Mais lorsque l’accomplissement de l’acte est inhibé après son commencement à cause d’un obstacle externe ou de conduites apprises, l’énergie nerveuse ne se développe pas au niveau du comportement et reste en circulation dans le cerveau. Pour cette raison, l’énergie nerveuse produit quelque chose au niveau cognitif, c’est-à-dire l’esquisse de l’acte inhibé dans son ensemble.
Ainsi, il y a deux moments : i) l’acte ébauché est l’acte arrêté à cause de certaines contraintes internes ou environnementales, et ii) l’esquisse, qui est la continuation de l’acte inhibé au niveau du système nerveux. L’acte ébauché devient le plan de l’expression d’une signification qui est vécue au niveau du système nerveux par l’organisme sous la forme d’esquisse, c’est-à-dire d’un « complément imaginaire de l’action qui ne parvient pas à sa fin » (id. 1951 : 288). Dans le sujet, alors, l’acte inhibé est vécu comme une intention signifiée, tout comme si l’acte avait été accompli. De cette façon, l’esquisse peut être considérée comme la forme idéalisée de l’acte inaccompli qui peut donc devenir l’objet de la conscience. Toutefois, le sujet n’est pas nécessairement conscient de l’acte symbolique lui-même puisque ce dernier se produit au niveau du comportement avant tout contrôle de la conscience : « l’acte symbolique en tant que comportement se constitue en effet avec un contenu effectif qui échappe une fois de plus à la subjectivité du vécu » (id. 1951 : 288).
3. Le circuit de la communication
Un des passages les plus intéressants consacrés à la fonction symbolique est la description que Trần Đức Thảo (1951 : 286-288) donne du circuit de la communication :
L’apparition du visiteur déclenche chez l’animal un mouvement offensif aussitôt arrêté et réprimé par la présence d’un obstacle ou en raison de conditionnements antérieurs. La réaction ne peut donc que s’ébaucher par l’aboiement, et s’achève sur une simple esquisse d’attaque non effectivement réalisée, mais qui donne par là-même au sujet la conscience de signifier son intention de chasser l’inconnu. Celui-ci, de son côté, répond en ébauchant un mouvement de fuite, mais sans l’accomplir réellement puisque l’animal n’avait lui-même qu’ébauché son mouvement d’attaque. La fuite ainsi ébauchée et aussitôt arrêtée s’achève sous la forme d’une esquisse vécue comme un mouvement idéal où le sujet perçoit bien le comportement de l’animal comme une attaque, mais une attaque simplement signifiée, non effectivement réalisée. En d’autres termes, l’aboiement du Chien apparaît au visiteur comme une expression dont il comprend le sens. Ainsi, le phénomène de l’expression ayant été défini comme un comportement ébauché, la compréhension résulte immédiatement de la réponse, en tant qu’elle ne consiste elle-même qu’en une ébauche aussitôt arrêtée. On remarquera que celle-ci fonctionne à son tour comme une expression, dont la signification renvoie précisément à la compréhension elle-même : en ébauchant son mouvement de fuite, le visiteur signifie qu’il a compris le comportement de l’animal. Celui-ci répond à son tour en redoublant ses aboiements, montrant ainsi qu’il comprend que l’autre l’a compris et serait prêt à s’en aller. Ainsi se constitue la corrélation originaire où se définit le fondement de la réciprocité. (id. 1951 : 286-287)
Il s’agit d’un circuit composé de quatre moments qui peuvent être répétés sans cesse : i) l’expression ; ii) la réception ; iii) l’expression comme réponse ; iv) la réception. Ces quatre moments impliquent deux sujets : i) l’émetteur et ii) le destinataire. Ces deux sujets échangent leurs rôles au cours du processus communicatif et en tant qu’interlocuteurs évoquent explicitement leurs intentions au moyen d’actes symboliques, c’est-à-dire de réactions esquissées. Trần Đức Thảo souligne ainsi le rôle du comportement pour déclencher le processus de la compréhension d’autrui. Comprendre ce que l’autre communique veut dire comprendre une activité du corps et plus précisément une activité qui répond à notre présence ou à nos activités : « l’autre m’affecte par l’affection dont je l’affecte » (id. 1951 : 288). Bien que Trần Đức Thảo ne le dise pas explicitement, on pourrait conclure que la compréhension de ce que nous-mêmes faisons dépend aussi de la réponse d’autrui à nos actions, puisque c’est de voir la réaction d’autrui à nos actions qui agit comme un point d’appui pour la conscience de soi, de même que la compréhension de soi passe par les réactions d’autrui par rapport à nous.
Ce que Trần Đức Thảo appelle « la corrélation originaire où se définit le fondement de la réciprocité » (1951 : 187) peut être comprise dans le contexte de certaines tendances de l’époque (Damourette et Pichon 1930 et surtout Bloomfield [1933] 1973 : 22-23). Mais la corrélation de la réciprocité était l’un des principaux problèmes de la phénoménologie husserlienne (Zahavi 1996, Römpp 1992, Kozlowski 1993, Iribarne 1994). Ce n’est pas le lieu ici de traiter la question de la théorie de l’intersubjectivité (Intersubjektivität) chez Husserl. Ce qu’il faut quand même souligner, c’est que Husserl a conçu la subjectivité transcendantale comme centre fonctionnel du sens. Pour lui, l’intersubjectivité est déjà donnée dans la structure primordiale de la subjectivité, dans la mesure où elle est une structure pré-donnée et pré-linguistique de la conscience. Contre cela, Trần Đức Thảo affirme que la réciprocité n’est pas quelque chose qui est pré-donné mais le résultat du circuit de la communication. Dans ce cas aussi, le comportement précède toute subjectivité.
4. La sémiogenèse
Trần Đức Thảo a proposé un modèle génétique de la fonction symbolique qui va des symboles aux signes. Ainsi, il a analysé trois étapes principales et deux étapes intermédiaires dans l’évolution des compétences sémiotiques. Or, il peut être utile de rappeler que, pour Trần Đức Thảo, la séquence génétique des compétences symboliques correspond à leur développement chez l’enfant. En ce sens, il suit la « loi biogénétique » de Ernst Haeckel selon laquelle l’ontogénèse recapitule la phylogénèse, bien que « les correspondances avec le développement de l’enfant ne portent évidemment que sur la dialectique générale des structures » (Trần Đức Thảo 1951 : 266)12. Ainsi, Trần Đức Thảo décrit schématiquement les étapes de la genèse des compétences sémiotiques chez les animaux ainsi que leur développement chez l’enfant. Parallèlement à ces facteurs, nous devrions également envisager des formes différentes d’interaction avec l’environnement ainsi que des stades différents de manipulation des objets13.
En arrière-plan, il y a le débat français sur la thèse de Trofim D. Lyssenko. En fait, l’établissement idéologique du matérialisme dialectique en France rencontre le débat soviétique entre Lyssenko et Nikolaj I. Vavilov. Plus précisément, ce dernier était le principal représentant des tendances génétiques mendéliennes en URSS. En 1936 et 1938 les premières traces de la dispute qui les a opposés sont apparues dans la presse mais c’est seulement en 1948 que le grand débat sur le lyssenkisme a officiellement commencé en Russie. En France, la revue française Europe consacre au débat l’ensemble du numéro d’octobre 1948 et publie les traductions des textes les plus importants. Dans La Pensée (n. 21, 1948), Marcel Prenant et Jeanne Lévy publient deux articles pour exposer le débat en détail (Prenant 1948 et Lévy 1948). Un an plus tard, Prenant écrit pour la même revue trois articles traitant du rôle du lyssenkisme dans l’histoire de la génétique. Plus précisément, Prenant (1949a) soutient que le problème principal du lyssenkisme concerne la thèse de l’hérédité des caractères acquis et il aborde donc la théorie de Jean-Baptiste Lamarck en génétique. Ce que Prenant considère comme l’un des principes fondamentaux du lamarkisme – l’interdépendance organisme-environnement qui avait été récemment réhabilitée par le biologiste français Étienne Rabaud – a été profondément mal compris par certains chercheurs du XIXe siècle. Ainsi Prenant critique le néo-lamarkisme, à savoir la thèse de ceux qui considèrent les besoins d’un organisme donné comme la clé pour expliquer l’usage d’un organe. Une telle vision est accusée d’idéalisme par Prenant. Mais pour Lamarck, continue Prenant, un changement d’environnement implique des changements d’habitudes et par conséquent des changements d’actions. Les actions, à leur tour, produisent une modification des organes qui peut être héritée. De ce point de vue, le darwinisme n’est pas opposé au lamarkisme mais plutôt au néo-lamarkisme. Pour Prenant, les deux perspectives, le darwinisme et le lamarkisme, pourraient être essentiellement combinées. D’un autre côté, Prenant critique le néodarwinisme du biologiste allemand August Weismann, selon lequel un organisme donné hériterait uniquement et simplement des caractéristiques innées données dans le plasma germinatif (ce que nous appelons gènes) de ses parents. Toutefois, selon Prenant, le néo-darwinisme de Thomas Morgan – promoteur de la « synthèse moderne » ou « nouvelle » de l’évolution darwinienne par sélection naturelle avec la génétique mendélienne – différait profondément de celui de Weismann. Prenant essaye donc de concilier les thèses de Morgan avec le lyssenkisme, en affirmant que Morgan, même s’il n’a pas encore conduit des études sur ce point, accepterait la possibilité que l’environnement puisse influencer les gènes. Prenant (1949c) souligne que l’hérédité des caractères acquis implique la théorie de l’influence de l’environnement, puisqu’à un génotype donné peut correspondre différents phénotypes, étant donné que l’organisme interagit avec l’environnement. Prenant critique donc le biologiste français Jacques Monod (dont les thèses étaient dans la ligne de celles du Parti communiste français, plus fidèle aux hypothèses du rationalisme et du mécanisme) qui insiste sur le fait que les protéines déterminent la formation de l’organisme. Les efforts de Prenant pour réhabiliter Lyssenko pourraient être considérés comme une fraction d’un plus grand travail mené par le biologiste anglais J. B. S. Heldane et le Français Georges Teissier. Ceux-ci ont suggéré une théorie biologique qui tentait de concilier le matérialisme dialectique avec les découvertes plus récentes de la génétique.
Après avoir mentionné Prenant et son analyse du phénomène de l’autocatalyse, Trần Đức Thảo (1951 : 240) ajoute en note de bas de page :
Bon nombre de savants se sont opposés à l’hérédité des caractères acquis en raison de l’arrière-fond finaliste qu’elle semblait impliquer. En fait, le processus en est parfaitement rationnel, puisqu’il ne s’agit, comme Lyssenko l’a précisé, que des caractères nouveaux qui introduisent des modifications dans la formation des cellules par l’échange de matière. Tout le monde sait que les mutilations chez les parents ne se transmettent pas aux enfants. Mais une adaptation de l’organisme individuel peut provoquer au niveau des tissus qu’elle concerne, des sécrétions particulières qui amènent à leur tour une modification de moments correspondants dans les cellules reproductrices.
Or, Trần Đức Thảo s’oppose à la vision simpliste selon laquelle toute modification du phénotype implique inévitablement une variation génétique et par conséquent la transmission des nouveaux caractères. Mais certaines modifications du phénotype individuel peuvent provoquer des variations génétiques. De cette manière, Trần Đức Thảo a adopté une vision ouverte des interactions entre les gènes et le phénotype à travers les interactions générales entre l’organisme et l’environnement. Ainsi il semble être d’accord avec le « lamarkisme » tel qu’il avait été exposé par Prenant.
4.1. La première étape (manipulation) : le chien qui aboie, l’enfant de neuf mois
Trần Đức Thảo décrit comment la forme la plus simple de la signification intentionnelle peut être observée dans le cas d’un chien qui aboie. L’expression signifie l’action qu’elle ébauche parce que l’expression montre uniquement la première étape de la séquence des mouvements qu’elle signifie. À son tour, la signification correspond à la fois à l’acte inaccompli et à son sens visé puisque le comportement inhibé n’est pas extériorisé mais devient le contenu de la conscience auquel l’acte de communication se réfère comme sa signification. Dans ce cas, la fonction symbolique suit le principe de la synecdoque : une expression dans laquelle un terme désignant une partie de quelque chose se réfère à l’ensemble de ce quelque chose ou vice versa. Évidemment, l’expression montre un lien naturel avec l’action qu’elle représente. À titre d’exemple, l’aboiement du chien est l’acte réprimé au début de l’attaque et qui par là-même évoque l’intention de chasser l’étranger comme si l’acte avait été accompli entièrement.
Pour aller plus loin, il faut ajouter que la fonction symbolique est employée par le chien qui aboie pour produire des changements dans l’environnement et pour manipuler le comportement d’autrui. Il s’agit ici du comportement de la « manipulation » que Trần Đức Thảo décrit ainsi : « La manipulation résulte du développement de l’appréhension retardée, les membres antérieurs maintenant l’objet en place pendant que l’animal s’apprête à le prendre dans la bouche » (Trần Đức Thảo 1951 : 270).
La dialectique du comportement de l’aboiement implique donc deux niveaux : i) le chien veut attaquer ; ii) le chien communique qu’il veut attaquer ou qu’il veut chasser l’inconnu. Le mécanisme physiologique de l’inhibition implique la transition de (i) à (ii). Ainsi, l’une des conditions de la fonction symbolique chez le chien est la répression du premier comportement (l’attaque) dans sa phase initiale (ébauche, expression) et l’idéalisation de l’intention correspondante (signification). Ainsi l’acte symbolique ne symbolise pas accidentellement une signification mais transforme plutôt un comportement donné en objet thématique (en termes husserliens : ce dont on parle) de l’acte symbolique (sa signification). Or, la première relation intentionnelle ne disparaît pas mais devient l’objet d’une relation intentionnelle, c’est-à-dire celle qui est réalisée par l’acte symbolique lui-même. Le chien qui aboie révèle donc une sorte de méta-intentionnalité. En bref, l’acte symbolique supprime, préserve, transcende (au sens hégelien de Aufhebung) l’acte intentionnel de l’attaque. Trần Đức Thảo écrit quelques pages plus haut :
[…] l’acte réprimé comprend nécessairement deux aspects : celui par lequel il s’esquisse, et celui par lequel il est réprimé. En tant qu’il s’esquisse et se porte vers sa fin, il détermine le sens de l’objet visé en tant que visé (νοημα), défini justement par cette fin même ; il est ainsi conscience de l’objet. Mais en tant que qu’il se trouve arrêté et réprimé, il est réfléchi comme le mouvement même des esquisses, en quoi consiste l’intentionnalité elle-même, comme synthèse constituante (νοησις), donné dans la conscience de soi. (Trần Đức Thảo 1951 : 262-263)
Toutefois, le chien, qui produit l’acte symbolique, n’a pas conscience de la valeur méta-intentionnelle de la fonction symbolique, c’est-à-dire du fait que l’acte symbolique thématise son intention. Le chien est conscient de l’intention de l’acte inhibé, c’est-à-dire de chasser l’étranger par son comportement, mais il n’a pas conscience de l’avoir accompli au moyen d’un comportement communicatif. Le chien devient explicitement conscient de l’acte intentionnel inférieur. Mais le chien ne peut pas être explicitement conscient de l’acte symbolique en tant que tel. L’expérience réelle du contenu d’un acte intentionnel ne peut être vécue avant l’émergence d’un acte intentionnel nouveau et plus complexe qui supprime, préserve et transcende le précédent :
En fait, ici encore, ce n’est pas la conscience qui dépasse le réel, mais bien le réel qui dépasse la conscience. L’acte symbolique en tant que comportement se constitue en effet avec un contenu effectif qui échappe une fois de plus à la subjectivité du vécu : car, du fait même de sa fonction signifiante, il n’est plus au niveau de la forme qu’il exprime, mais s’élève nécessairement au niveau immédiatement supérieur. Ainsi, à considérer le sens réel du comportement, le Chien qui aboie, chasse l’inconnu par l’intermédiaire de ses aboiements : or, le sens visé dans sa conscience ne porte évidemment que sur l’acte même de chasser l’inconnu, ce qui renvoie symboliquement au schème de la manipulation, et non pas sur l’aboiement à titre d’intermédiaire. Il est donc vrai que l’acte ébauché a ce privilège singulier de faire passer au vécu, à titre d’intention signifiée, la forme du comportement qui d’ordinaire lui échappe : mais ce n’est justement que pour la dépasser et l’absorber dans une structure plus élevée. (id. 1951 : 288-289)
Avant de passer au stade de « l’intermédiaire », il faut souligner que Trần Đức Thảo a partiellement suivi dans le passage sur l’aboiement la théorie de Charles Darwin sur l’expression des émotions chez l’homme et les animaux. En effet, Darwin (1872 : 50-51) avait donné l’exemple du comportement d’un chien devant « a strange dog or man in a savage or hostile frame ». Fait intéressant, l’image du chien était très populaire dans les manuels psychologiques français de l’époque, comme ceux de Rabier (1884 : 590), Cuvillier (1937 : 249-250) et Chevalier (1943 : chapitre 7), pour ne donner que quelques références. L’exemple était souvent considéré comme un argument en faveur de la théorie que Charles Bell introduit dans ses Essays on the Anatomy and Philosophy of Expression (1824) selon laquelle certains signes (naturels) signifient les actions qu’ils ébauchent. Contrairement aux signes conventionnels qui nécessitaient auparavant la connaissance de la convention sociale qui établit leur signification, les signes naturels sont universels et compréhensibles par tous.
4.2. La deuxième étape (l’intermédiaire) : les singes inférieurs, l’enfant d’un an
Trần Đức Thảo nous a dit qu’« à considérer le sens réel du comportement, le Chien qui aboie, chasse l’inconnu par l’intermédiaire de ses aboiements ». Or, bien que Trần Đức Thảo nous en dise très peu sur la fonction symbolique au niveau de l’intermédiaire, il y a plusieurs éléments dans PMD qui peuvent nous aider à compléter le tableau. Tout d’abord « la conduite de l’intermédiaire » suit celle de la manipulation et apparaît avec les singes inférieurs et chez l’enfant vers la fin de la première année. Dans le cas de l’intermédiaire, « l’horizon du monde réel » se constitue « comme milieu de rapports réels » (Trần Đức Thảo 1951 : 276). En fait
Dans ces comportements nouveaux, le milieu extérieur apparaît au sujet non plus comme la simple extension du monde fantôme dont se détachent un certain nombre de réalités singulières, mais comme un horizon de déplacement et de rapports réels, perçu dans un acte réprimé de manipulation qui porte idéalement l’objet dans tout le cours de sa trajectoire et dégage le rapport marqué par le mouvement de l’intermédiaire qui entraîne l’objet convoité. (id. 1951 : 278-279)
À ce stade, du point de vue de la fonction symbolique, l’expression apparaîtrait sporadiquement comme un intermédiaire externe pouvant servir n’importe quel objectif du sujet. De la même façon, « les déplacements de l’objet apparaissent dans la perception comme des mouvements réels dont l’ensemble définit une spatio-temporalité et une causalité réelle, comme structure d’un monde réel » (id. 1951 : 277). Plus généralement, « dans cette forme nouvelle, l’acte de manipulation se trouve réprimé et vécu comme un mouvement intentionnel où le sujet a conscience de porter l’objet tout le long de sa trajectoire et d’avoir ainsi en sa possession idéale non seulement l’objet comme tel mais la trajectoire même qu’il parcourt » (id. 1951 : 277). On peut donc soutenir que, pour Trần Đức Thảo, le stade de l’intermédiaire est caractérisé par la prise de conscience de l’efficacité d’un comportement symbolique du premier stade (manipulation). L’utilisation d’un symbole-intermédiaire donné établit une relation réelle (matérielle) entre le comportement symbolique et ses effets environnementaux.
Pour ce qui nous concerne ici, il faut souligner que le comportement intermédiaire consiste en l’inhibition de la manipulation directe au moyen d’un objet intermédiaire. Après le stade de l’intermédiaire, le même comportement tend à se reproduire et prend donc la forme d’un nouveau comportement intentionnel, celui du stade suivant, le niveau de l’instrument. Trần Đức Thảo avait déjà expliqué ce qu’il entendait par « le niveau de l’instrument » (id. 1951 : 276-277). En fait, chez les anthropoïdes, l’utilisation de l’instrument est le développement du comportement de l’intermédiaire. Dans ces passages, Trần Đức Thảo montre un intérêt pour le comportement des chimpanzés. De 1927 à 1937, plusieurs études consacrées aux chimpanzés ont été publiées (voir par exemple Köhler 1917 et 1921, voir aussi Guillaume & Meyerson 1987) et Trần Đức Thảo mentionne explicitement ces études14. Selon le philosophe vietnamien, chez le chimpanzé, le comportement communicatif est souvent, mais pas toujours, quelque chose qui est à disposition et peut être utilisé pour produire certains effets. En gros, le chimpanzé est conscient de la méta-intentionnalité de l’acte symbolique et l’acte symbolique devient un instrument.
4.3. La troisième étape (l’instrument) : le chimpanzé, l’enfant de 13-17 mois
À ce stade, le chimpanzé emploie consciemment et volontairement des actes symboliques comme des instruments :
On sait que les Chimpanzés en captivité aiment faire des niches aux visiteurs en faisant semblant de donner un objet pour le retirer rapidement aussitôt que quelqu’un tend la main pour le saisir. On les voit alors jouir de la déconvenue du visiteur naïf, parfois même profiter de la situation pour le frapper ou lui dérober quelque chose. L’acte symbolique ne fonctionne plus ici comme une simple expression immédiate qui implique son sens par elle-même, mais déjà comme un signe utilisé par le sujet dans une intention qui ne se confond pas nécessairement avec celle qu’il prétend exprimer. En d’autres termes, le mouvement de l’expression s’est développé dans la forme d’un instrument dont le Chimpanzé se sert pour attirer le visiteur à lui comme avec un bâton. On voit immédiatement que l’exercice répété d’une telle conduite aboutit à la stabiliser en un usage permanent où la fonction instrumentale du signe apparaît comme constamment disponible : ainsi, le Chimpanzé sur le point d’être pris en faute prend un air innocent et feint de s’occuper d’autre chose. (Trần Đức Thảo 1951 : 289-290)
Bien que ce genre de comportement ne soit déterminé encore que par la situation immédiate et dans la limite du champ perceptif, ce que nous appelons « l’instrument sémiotique » peut quand même être sporadiquement perçu comme une substance réelle dotée d’une efficacité intrinsèque (« la fonction instrumentale du signe apparaît comme constamment disponible ») :
Déjà, chez les Anthropoïdes, l’instrument pouvait prendre, par l’effet de l’habitude, un début d’autonomie et de stabilité. Ainsi l’on voit, dans une observation de Guillaume, un Chimpanzé accoutumé à l’emploi du bâton refuser de rendre l’instrument dont il vient de se servir et le mettre en sûreté sous son pied. Mais cet acte de conservation ne dépasse pas le court moment que dure l’influence de la situation précédente, et, au bout de quelques minutes, l’animal se laisse prendre le bâton sans résistance. (id. 1951 : 282)
L’utilisation instrumentale des actes symboliques nécessite la prise de conscience de la signification intrinsèque de l’expression indépendamment de l’intention réelle de l’utilisateur (« une intention qui ne se confond pas nécessairement avec celle qu’il prétend exprimer »). Pour cette raison, ce stade permet la simulation et le mensonge. Dans l’exemple qu’en donne Trần Đức Thảo, le chimpanzé produit une conduite (donner un objet aux visiteurs) dont le but ne coïncide pas avec l’intention réelle du chimpanzé (frapper le visiteur ou lui voler quelque chose). Pour le chimpanzé, le comportement communicatif est quelque chose qui est à disposition et peut être utilisé pour produire certains effets. Ainsi, le chimpanzé est conscient de la méta-intentionnalité de l’acte symbolique et l’acte symbolique devient un instrument. L’intention des utilisateurs détermine dans quelle mesure un acte symbolique est employé pour mentir ou pas. Ainsi, la différence entre la fonction symbolique générale et la fonction instrumentale ne concerne pas la nature des symboles mais plutôt leur emploi et la conscience qu’on en a.
Chez les chimpanzés, les vocalisations, comme Trần Đức Thảo le dit, peuvent déjà prendre la signification symbolique d’une médiation efficace :
Dès lors, les émissions vocales peuvent prendre déjà la signification symbolique d’une médiation efficace. Malgré l’insuffisance des recherches positives en ce domaine, il semble que les Anthropoïdes, en dehors des expressions immédiates telles qu’on les trouve chez les Mammifères en général disposent d’un certain nombre de sons, qui leur permettent de se comprendre avec une précision relative, du moins dans ce qu’ils ont à se dire et qui doit renvoyer, en principe, non pas évidemment à des concepts, mais à des formes générales de médiation comme modes de la fonction instrumentale. (id. 1951 : 290)
Selon Trần Đức Thảo, la fonction instrumentale des signes employés par les chimpanzés ne peut donc pas être réduite à la seule simulation. Les chimpanzés peuvent également utiliser des signes vocaux comme moyens de communication partagés. Plus précisément, ils utilisent la fonction instrumentale des signes pour coordonner leurs activités communes : « Ainsi, dans une observation de Crawford, on voit un Chimpanzé appeler un camarade avec des cris pour l’aider à attirer, au moyen d’une corde, une boîte pesante » (id. 1951 : 290). À ce stade, les signes servent d’instruments pour influencer autrui et, pour cette raison, Trần Đức Thảo parle d’une médiation efficace des signes-instruments.
Trần Đức Thảo est extrêmement prudent quand il se réfère au langage humain à ce niveau de développement de la fonction symbolique. Il était en fait conscient que l’analogie entre le comportement communicatif chez les chimpanzés et les vocalisations chez l’enfant est superficielle, car l’enfant grandit dans un contexte linguistique et exerce ses propres compétences linguistiques dès les premières étapes de sa vie :
On peut essayer en tout cas d’éclaircir le problème en se référant aux schèmes verbaux qui se développent chez l’enfant dans sa deuxième année, avant l’apparition des premières phrases. Il convient naturellement de marquer ici la plus grande prudence, l’exercice des sons articulés apparaissant très tôt chez l’enfant, de sorte qu’on ne saurait parler en ce domaine d’un parallélisme comparable à celui qui se constate dans le développement sensori-moteur. Il est impossible cependant de ne pas remarquer que les émissions vocales chez l’enfant, avant de fonctionner comme des mots désignant des structures conceptuelles, se réfèrent à des moyens concrets d’agir sur l’objet et apparaissent ainsi comme des formes symboliques d’efficacité instrumentale. (id. 1951 : 290)
Mais ce fait n’empêche pas Trần Đức Thảo de comparer l’utilisation instrumentale des signes verbaux chez l’enfant « de dix-huit mois » aux cris coopératifs des chimpanzés. Dans les deux cas, les signes sont utilisés comme des instruments pour réaliser un désir. L’enfant emploie des vocalisations comme un moyen d’agir sur l’objet. Avant d’être des signes de la pensée, les mots sont des moyens d’agir dans le monde. Avant d’être un moyen de raisonnement, le langage est un mode d’action15.
Petit à petit, les symboles deviennent des signes :
Ainsi, dans les observations de Piaget, on voit chez l’enfant de dix-huit mois le signe vocal « Panana » désigner non seulement le grand-père, mais également tout ce que réclame l’enfant, même en son absence, – le grand-père étant justement pour l’enfant l’instrument le plus efficace de ses désirs. Un autre dit « Maman » en montrant à son père une lampe à allumer et à éteindre, bien que ce jeu, précise l’observateur, soit une spécialité exclusivement paternelle. « A plus » signifie un départ, le fait de jeter un objet à terre, s’applique à un objet qui se renverse, au jeu de tendre un objet pour qu’on le renvoie : il s’agirait donc ici d’une médiation symbolique tendant non plus à obtenir l’objet mais à l’éloigner. L’émission du signe vocal se présente comme un acte ébauché d’utilisation s’achevant sur une esquisse qui médiatise idéalement l’effet désiré. (id. 1951 : 290-291)
Les signes sont des moyens de communication au sein d’une communauté donnée. En ce cas (« chez l’enfant de dix-huit mois »), le comportement symbolique est encore utilisé comme un moyen d’influencer autrui mais la fonction symbolique ne dépend plus du lien motivé entre l’expression et la signification. Ainsi, le comportement prend la forme de vocalisations qui ont plusieurs significations possibles (polysémie) : « non seulement le grand-père, mais également tout ce que réclame l’enfant, même en son absence ». Pour cette raison, le lien arbitraire entre la référence et le signe vocal est la condition pour avoir des changements de désignation. Ainsi, l’enfant peut employer les mêmes signes vocaux dans différents contextes. De cette façon, il est aussi capable de généraliser son expérience du monde. Mais, en supposant que les signes vocaux chez l’enfant restent des instruments pour communiquer ses propres intentions et influencer autrui (« ses désirs »), ces signes restent liés aux désirs privés et contingents de l’enfant. En outre, il faut souligner que selon Trần Đức Thảo on ne peut pas oublier que l’enfant peut renforcer l’efficacité des signes vocaux par des gestes : « montrer à son père une lampe ». Ainsi, les signes vocaux sont encore soutenus par des signes motivés. De la même manière, le contexte physique dans lequel l’enfant parle joue un rôle fondamental pour expliciter l’objet du désir. La communication chez l’enfant est donc encore liée au champ perceptif.
À cet égard, Trần Đức Thảo mentionne des exemples issus de Piaget pour montrer que l’enfant n’agit pas directement dans le monde mais parle pour persuader le partenaire de faire ce que l’enfant ne peut pas encore faire tout seul (Piaget 1945 : 290-292). Ainsi, le partenaire peut être défini comme l’instrument le plus efficace des désirs de l’enfant (« le grand-père étant justement pour l’enfant l’instrument le plus efficace de ses désirs »). Plus précisément, d’une façon qui semble paradoxale, les signes vocaux peuvent être des instruments parce qu’ils nomment l’instrument (« Panana »), ils nomment l’instrument et sont des instruments. En fait, les deux aspects ne sont pas mutuellement exclusifs. Pour l’enfant, le partenaire (grand-père, mère, père, etc.) est un instrument. À son tour, l’enfant utilise des signes vocaux pour nommer ces instruments : « Panana » est un mot-instrument qui signifie le grand-père ou quelqu’un d’autre qui peut aider l’enfant. Ainsi, « Panana » ne signifie pas une personne en chair et en os, mais plutôt une fonction, l’instrument qui sert à la satisfaction des désirs de l’enfant.
4.4. La quatrième étape (outil) : le langage humain
Le langage humain a une nature objective, car la langue transcende les désirs des individus. En effet, la condition préalable du langage est l’existence de relations sociales hors de la conscience. Selon Trần Đức Thảo, d’un point de vue historique, c’était la production et l’usage collective de l’outil qui a engendré le développement des premières formes de tradition et de collaboration stable (y compris les linguistiques, ajoutons-nous) entre les membres d’une même communauté :
[…] le développement de l’instrument qui mène à l’outil s’élabore nécessairement dans le cadre d’une activité commune, et engendre ainsi l’usage de l’outil sous la forme d’habitudes collectives, comme technique acquises dans le groupe et se transmettant de génération en génération. Dès lors, les conduites immédiates de collaboration et de tradition se différencient en s’articulant sur ces techniques et s’élèvent ainsi à la forme du langage. Dans l’exercice du langage, l’accord des individus ne dérive plus simplement de l’universalité objective de la fonction instrumentale, mais se constitue dans un mouvement où le sujet a conscience de réaliser intentionnellement un travail commun et une transmission de pouvoir […]. (Trần Đức Thảo 1951 : 285).
Les comportements naturels, y compris la communication, ajoutons-nous, sont devenus ainsi « un ensemble d’habitudes collectives » (id. 1951 : 292) :
[…] l’usage permanent de l’outil a entraîné, dès les premières hordes humaines, la constitution d’un ensemble d’habitudes collectives comme techniques acquises dans le groupe, et qui ne concernent pas seulement la fabrication même de chaque outil, mais également les modalités de son usage. Celui-ci se présente ainsi comme un ensemble d’opérations définies qui produisent par leur structure opératoire l’effet désiré. Ainsi par le ministère de l’outil, la forme de la production s’étend à l’ensemble des activités humaines, en tant qu’elles se trouvent désormais objectivement déterminées par les habitudes techniques du groupe. (id. 1951 : 292-293)
Trần Đức Thảo ajoute que « […] si l’on définit l’activité productrice comme une activité qui aboutit à son résultat suivant des règles, il est clair que ces règles se constituent tout d’abord en dehors de la conscience, dans la réalité du comportement, comme une conséquence objective des conditions matérielles de l’usage de l’outil » (id. 1951 : 293). La formation du langage à partir des interjections pré-linguistiques suit la même logique (1951 : 291-292). Dans le détail, il nous dit que « le cri animal passe au langage humain en s’articulant sur la structure du travail producteur » (id. 1951 : 293)16.
Or, selon Trần Đức Thảo, le langage est né des interjections pré-linguistiques qui accompagnaient un moment déterminé du processus général de production car elles coordonnaient rythmiquement les efforts collectifs pendant des tâches déterminées : « la profération du verbe résulte des arrêts rythmiques dans l’usage collectif de l’outil » (id. 1951 : 291). Il nous donne l’exemple suivant, que nous étudierons dans le détail plus loin :
Nous avons encore l’occasion dans la vie pratique de revivre ces expériences originelles. Ainsi le « Ho…Hisse ! » jaillit de la structure objective d’un effort collectif de traction et se trouve immédiatement compréhensible dans ce travail même. – On sait du reste que le verbe occupe une place privilégiée dans les langues primitives. (id. 1951 : 292)
Progressivement, les interjections sont devenues des mots qui signifiaient l’action correspondante : « le sens visé par le Verbe n’est précisément que l’opération même de la production en tant qu’elle s’esquisse, vécue comme un travail idéal […] » (1951 : 285). La reproduction des interjections qui a lieu lorsque le travail est interrompu entraîne l’émergence d’un corrélat conceptuel, c’est-à-dire le contour des opérations qui d’habitude sont associées à ces interjections : « Le travail idéal du concept n’est que le mouvement même du travail réel s’interrompant pour un instant en raison de sa structure objective et se poursuivant sur le plan symbolique par l’usage de la parole » (id. 1951 : 291-292). Ce corrélat conceptuel devient le sens de l’interjection qui, à son tour, devient un mot. Ce que Trần Đức Thảo décrit ici c’est la transposition de l’action pratique dans la forme de la pensée :
L’acte symbolique étant un acte ébauché dont le sens consiste dans son achèvement même, esquissé et réprimé, la profération du verbe résulte des arrêts rythmiques dans l’usage collectif de l’outil, comme un mouvement ébauché de production s’achevant idéalement sur l’opération productrice elle-même, vécue comme intention signifiée. (id. 1951 : 291)
Une telle transposition est médiatisée par des vocalisations, c’est-à-dire par un moment de la production collective de l’outil qui peut être réalisé indépendamment de l’activité productive correspondante et peut donc évoquer cette activité. Pour Trần Đức Thảo, la signification n’est donc pas une entité mentale qui existe avant d’être produite par le discours. Et pour cette raison, il refuse l’idée selon laquelle le langage surgit du besoin de communiquer : « l’Ancêtre humain n’a pas dit ce qu’il pensait parce qu’il le pensait, mais l’a pensé parce qu’il l’a dit » (id. 1951 : 292).
Pour Trần Đức Thảo, le « travail producteur » est donc la condition principale pour avoir le langage humain, tandis que les conditions physiologiques et anatomiques ne jouent pas un rôle causal direct. En ce sens, Trần Đức Thảo suit la théorie de Friedrich Engels du travail comme notion-clé afin d’expliquer les caractéristiques spécifiques à l’être humain et la transition du singe à l’homme (voir Marx et Engels 1962 : 444-455). Mais il y a entre les deux théories des différences importantes à souligner. Premièrement, selon Engels, le langage surgit chez nos ancêtres préhumains à la suite de certaines modifications anatomiques, et en particulier le bipédisme qui entraîne à son tour soit la production de l’outil (Werkzeug) soit des modifications du tractus vocal, tandis que Trần Đức Thảo ne prend pas en compte les modifications au niveau de l’anatomie. Mais plus important encore, pour Engels, le travail et la vie sociale ont fait ressortir la nécessité de communiquer avec les autres, tandis que Trần Đức Thảo a explicitement rejeté l’idée selon laquelle le langage surgit du besoin de communiquer. Trần Đức Thảo a supposé que le langage était apparu involontairement pendant le travail collectif parmi nos ancêtres humains, tandis que pour Engels, c’est le besoin de communiquer qui est la raison principale qui a forcé nos ancêtres à parler (« Kurz, die werdenden Menschen kamen dahin, daß sie einander etwas zu sagen hatten » : Marx & Engels 1962 : 446).
Trần Đức Thảo affirme que le langage humain est apparu au cours des activités collectives (production et usage collectif d’outils) parmi nos ancêtres humains. Il semble être utilisé pour coordonner les efforts collectifs (« Ho…Hisse ! ») puis pour transmettre les connaissances pratiques, mais nos ancêtres ont utilisé des sons qui étaient tout d’abord des moments de la production :
Ainsi la production idéale de l’objet dans la position du jugement trouve son fondement authentique dans la production réelle où s’engendrent les sons articulés. L’universalité n’est qu’un résultat où se réfléchit la possibilité indéfinie de répétition impliquée dans la structure objective du processus de l’outil. Par là se trouve justifié de manière ultime le phénomène de la connaissance […]. (Trần Đức Thảo 1951 : 293)
L’hypothèse de Trần Đức Thảo sur les origines du langage peut être mise en rapport avec la tradition qui commence avec le philosophe allemand Ludwig Noiré. Dans un livre de 1877 consacré à l’origine du langage et qui a eu un grand succès, y compris dans la linguistique marriste soviétique, jusqu’aux années 1970 (D’Alonzo 2017), Noiré soutient que le langage est apparu dans le contexte de tâches coopératives. Les efforts déployés dans le cadre de ces tâches ont produit des vocalisations involontaires qui ont constitué les premiers mots du langage humain et plus précisément des verbes signifiant des actions. Au fil du temps, ces vocalisations involontaires sont devenues partagées et reconnues par le groupe.
Les similitudes avec la théorie de Trần Đức Thảo sont remarquables. Mais lorsque Trần Đức Thảo a utilisé la notion de « rythme », il faisait probablement allusion au débat concernant la relation entre le langage et la musique. Ce débat a pris un nouvel essor au XIXe siècle, lorsque Darwin a insisté sur le fait que l’utilisation de la voix humaine avait ses racines naturelles dans les chants des animaux. Mais la théorie de l’économiste allemand Karl Bücher exposée dans son Arbeit und Rhythmus (1899) mérite une mention spéciale à cet égard. Pour celui-ci, le chant, le travail collectif et les mouvements corporels sont intimement liés, puisqu’ils servent à coordonner rythmiquement les efforts collectifs chez les peuples primitifs (D’Alonzo 2017). Au cours du XXe siècle la théorie de Bücher a été mélangée avec celle de Noiré, créant ainsi une sorte de modèle explicatif des origines du langage largement partagé. On retrouve ce modèle aussi dans les manuels scolaires de philosophie en langue française, comme celui de Paul Foulquié (1945 : 227 ; 1950 : 228). Ce n’est donc pas un hasard si, dans ce manuel, nous pouvons lire l’exemple précis que donne Trần Đức Thảo (1951 : 292) quand il décrit les sons pré-linguistiques produits pendant le travail collectif : « Ho…Hisse ! ».
Il peut être intéressant de souligner qu’une interjection telle que « Ho...Hisse ! » pourrait signifier l’action correspondante en vertu d’un mécanisme cognitif et sémiotique très semblable à la métonymie : le transfert sémantique est fondé sur la relation de contiguïté entre l’effet et la cause. Ainsi, nos ancêtres ont mobilisé les interjections involontaires émises lors du travail collectif comme effet des efforts musculaires, qui dans un premier moment ont servi à coordonner les efforts collectifs, puis à se référer à l’activité correspondante : « si c’est l’action qui originellement fait jaillir le vécu, le vécu de son côté prolonge et soutient l’action par ses esquisses répétés » (1951 : 298).
D’après Trần Đức Thảo, étant donné que ces premiers mots signifiaient des actions, ils étaient des verbes. Généralement, la tradition grammaticale et philosophique remontant à Herder et passant par la grammaire historique et comparée qui insistait sur la primauté des verbes a accentué la primauté de l’action sur la pensée (D’Alonzo 2017). Trần Đức Thảo parle également des peuples primitifs pour expliquer sa théorie des origines du langage17.
Or, la signification des premiers mots n’était rien d’autre que la partie inaccomplie de l’action ébauchée par les sons. Selon Trần Đức Thảo, la signification des mots est un « concept », c’est-à-dire la forme symbolique dans laquelle un moment déterminé de la production est esquissé. De cette manière, le concept n’est rien d’autre que l’internalisation d’un schéma comportemental donné. La caractéristique fondamentale du concept est qu’il peut être réalisé, en principe, dans un nombre infini d’occurrences. Pour expliquer ce pouvoir heuristique du langage humain, Trần Đức Thảo a ensuite introduit le mécanisme cognitif et sémiotique de l’analogie, dans la mesure où celle-ci établit au niveau cognitif une relation de similitude entre deux termes différents en vertu des ressemblances morphologiques des objets (selon Aristote il s’agit de la métaphore du troisième type, voir Poèt. 1457B, 1 – 1458A, 17). Or, Trần Đức Thảo dit que les significations linguistiques « correspondent à la transposition imaginaire des schèmes producteurs élémentaires sur toutes les données perceptives » (1951 : 294). Il cite l’exemple des enfants qui, lorsqu’ils commencent à parler, « identifient les nuages avec la fumée d’une pipe » (l’exemple peut être trouvé dans Piaget 1945 : 241) :
Ainsi, les enfants qui commencent à parler identifient les nuages avec la fumée d’une pipe, le vent avec le souffle envoyé par la bouche, les bébés qui grandissent avec des bulles d’air ou d’autres objets que l’on fait gonfler. Un des sujets de Piaget s’écrie en voyant les vagues sur une plage faire avancer et reculer les petits cordons de sable : « On dirait les chevaux d’une petite fille qu’on peigne ». (Trần Đức Thảo 1951 : 294-295)
La similitude entre les nuages et la fumée d’une pipe est possible en vertu de leurs ressemblances morphologiques qui relèvent de leur état gazeux. La similitude est composée de trois termes : fumée d’une pipe → nébuleuse, trouble, brumeuse, indéfinie, dense, etc., → nuages. Le terme intermédiaire révèle les propriétés que les deux autres termes ont en commun. D’ailleurs, la comparaison conduit du terme qui est le plus connu par le sujet au terme qui est le moins connu. Toutefois, la similitude met en évidence ce que deux termes ont en commun mais en même temps ne rend pas explicites leurs dissemblances.
5. Conclusions
Selon Trần Đức Thảo, le langage humain n’est rien d’autre que le résultat de la « culturalisation » d’une fonction symbolique plus générale que les humains partagent avec d’autres mammifères. Au début de la phylogénie humaine, le langage faisait sûrement partie d’une structure plus générale du comportement humain, c’est-à-dire le travail comme horizon partagé de pratiques, d’activités, de traditions, d’habitudes et de techniques.
Contrairement à la fonction symbolique chez les animaux, le langage humain implique des signes dont la signification dépend des habitudes collectives plutôt que du lien motivé entre la signification et l’expression. Ainsi, une fois que les structures conceptuelles sont à sa disposition grâce au langage, le locuteur peut produire une chaîne de concepts indépendamment de la situation immédiate. Un avantage évident de cette capacité cognitive est que la conscience peut orienter le comportement vers des modes de production plus sophistiqués, ce que Trần Đức Thảo (1951 : 295) appelle le « stade rationnel des opérations logiques reproduisant l’organisation complexe qui assure l’efficacité du travail réel ». En d’autres termes, au niveau le plus élémentaire, le langage permet aux humains de reproduire librement et consciemment, sous la forme de la pensée, des actions possibles ou impossibles. La pensée émerge donc chaque fois que les humains arrêtent de faire quelque chose et imaginent d’autres façons de le faire.
Néanmoins, la théorie de Trần Đức Thảo dans PMD soulève certains problèmes. Tout d’abord, le comportement sémiotique humain ne peut pas être réduit au langage conceptuel. Même si le langage humain est le résultat du développement de certaines compétences sémiotiques (expression immédiate, simulation, schèmes vocaux, etc.), Trần Đức Thảo ne traite pas ces autres moyens de communication par rapport au langage. Il ne dit pas si ces compétences sémiotiques continuent à être à l’œuvre dans les langues pleinement développées.
Deuxièmement, le langage reflète tout simplement ce qui existe déjà au niveau du comportement. Cela signifie que le travail dépend déjà de certaines compétences pratiques qui permettent de produire, de reproduire et de stocker des outils. Toute ces pratiques dépendent de la capacité à généraliser un comportement. Mais Trần Đức Thảo n’explique pas d’où vient cette capacité à généraliser et comment elle est née. On pourrait donc se demander s’il existe une sorte de savoir-faire pratique et pré-linguistique qui est déjà à l’œuvre dans la production et qui permet de généraliser le comportement. On pourrait aussi se demander si la métaphore est le résultat de l’intériorisation d’une capacité pratique proto-métaphorique ou si c’est quelque chose qui émerge avec le langage. Y a-t-il une relation entre la métaphore et la fabrication d’outils ? La métaphore est-elle une médiation entre la vie réelle et la pensée ?
Troisièmement, le mécanisme par lequel la structure de la vie pratique devient une structure conceptuelle est entièrement fondé sur l’association conventionnelle entre certains sons et un moment donné dans le processus de production. Mais quand ces sons font partie du processus de production, ils n’ont qu’une valeur fonctionnelle et pragmatique. Dit autrement, ces expressions pré-linguistiques peuvent avoir une signification linguistique seulement dans la mesure où le processus de production est interrompu. Par conséquent, le langage surgit en tant que tel comme un moment antithétique à la vie pratique. De cela découle que le langage fait simplement référence aux contenus mentaux et que ces derniers ne sont rien d’autre que le moment abstrait de la vraie relation pratique avec l’environnement. Le système des opérations intentionnelles n’est donc rien d’autre qu’un comportement qui n’existe plus. Le langage fait ainsi référence à un contenu de conscience qui est le moment abstrait de la vraie relation pratique avec l’environnement. Ou, en gros, le sens visé par le langage n’est rien d’autre que la négation, au sens hégélien, de la réalité du comportement et du rapport réel avec l’environnement. Il semble donc que la théorie du langage de Trần Đức Thảo n’arrive pas à dépasser l’isolement, ou l’affranchissement, de la conscience par rapport à la vie pratique18.
Le problème qui se pose à Trần Đức Thảo à ce stade est de savoir comment concilier le sujet linguistique et le sujet réel de la vie pratique. Dans ses travaux des années 1960 et 1970, il retient l’idée selon laquelle le langage est toujours le noyau de la médiation entre la pratique sociale et la vie de la conscience, mais il modifie sa propre conception du langage. Dans les Recherches sur l’origine du langage et de la conscience (1973), le langage fera déjà partie de la vie pratique, possédera déjà des significations et se référera nécessairement au monde (D’Alonzo 2018b). Et la conscience sera exactement le résultat de l’intériorisation de ces significations au cours de la vie pratique, et non en son absence. La question de l’origine phylogénétique du langage sera alors au centre des intérêts de Trần Đức Thảo puisqu’il devra montrer comment on passe, au cours de la phylogénie, de l’absence de langage et de conscience qui caractérise le monde animal à la conscience et au langage observables chez l’homme moderne.
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1 Pour un compte rendu récent consacré à la littérature secondaire sur le sujet voir D’Alonzo 2018a. Pour ce qui concerne la première période parisienne de Trần Đức Thảo (jusqu’en 1951) voir : Breda 1962, Hémery 2013, Feron 2013, 2018, 2019, D’Alonzo 2019a. Un exemple du regain d’intérêt actuel est donné par le colloque à l’ÉNS organisé par Jocelyn Benoist et Michel Espagne, dont les actes se trouvent dans Benoist et Espagne 2013, et par le colloque du centenaire à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 organisé par Jacopo D’Alonzo et Alexandre Feron en 2017 (D’Alonzo 2018a), dont les actes sont publiés dans la Revue Philosophique de Louvain 117/3 et Histoire Épistémologie Langage 42/2. Une partie importante de la littérature récente sur Trần Đức Thảo a un caractère essentiellement biographique et historique : voir par exemple Trinh Van Thao 2004 et 2013, Hémery 2013, Papin 2013, Feron 2014, D’Alonzo 2019a. On observe un intérêt croissant pour les écrits de Trần Đức Thảo sur la phénoménologie : voir Rovatti 1970, Tomassini 1970, Tomassini 1972, Brouillet 1975, Invitto 1985, Nardi 1994, Herman 1997, de Warren 2009, Moati 2013, Benoist 2013, Feron 2013, Giovannangeli 2013, Melegari 2014, Melançon 2016a, Feron 2017, 2018 et 2019. Un certain nombre de travaux ont porté sur le versant politique de la pensée de Trần Đức Thảo et, en particulier, sur la question coloniale : voir Federici 1970, McHale 2002, Majkut 2003, Espagne 2013, Melançon 2013, Simon-Nahum 2013, Melançon 2016b, Ford 2020. Une série de travaux récents se sont toutefois intéressés à la spécificité de la réflexion philosophique de Trần Đức Thảo, mettant en valeur son apport théorique : Bimbenet 2019, Melançon 2019, Riscali 2019, Feron 2019, Haug 2019, Stanciu 2019.
2 Pour des études récentes sur PMD voir en particulier : Benoist 2013, Feron 2013, Melançon 2016a, Feron 2019, Haug 2019, Riscali 2019, Bondì 2020, Dechauffour 2020, Flack 2020, Samain 2020.
3 La philosophie du langage de Trần Đức Thảo a fait récemment l’objet d’appropriations philosophiques par des auteurs contemporains (Lecercle 2004 et Bimbenet 2011). La plupart des articles consacrés au sujet prennent la forme de comptes rendus ou d’articles relativement généraux (Drévillon 1973, Caveing 1974, François 1974, Haudricourt 1974, Trognon 1975, Schmitz 1978, Baribeau 1986, Tochahi 2013, D’Alonzo 2016, 2017a, 2017b, 2018b, 2019b, 2020a, 2020b, Ponzio 2019), les seules exceptions étant D’Alonzo 2018c, entièrement consacré aux Recherches de 1973, D’Alonzo 2020c et D’Urso 2020a, qui analysent la réflexion linguistique et sémiologique de Trần Đức Thảo sous de multiples points de vue, et le tout récent dossier thématique de la revue Histoire Épistémologie Langage 42/2 : Bondì 2020, D’Alonzo 2020a, Dechauffour 2020, D’Urso 2020b, Flack 2020, Farjat 2020, Samain 2020.
4 La notion de « zoosémiotique » serait un anachronisme évident lorsqu’on se réfère à l’éthologie du début du siècle, étant donné qu’on ne peut commencer à parler correctement de zoosémiotique qu’à partir des travaux des années 1950 de Hockett, Sebeok et Tavolga (Gensini 2018). Pour la connaissance que Trần Đức Thảo avait des études de la zoosémiotique américaine, mais seulement à partir des années 1960-1970, voir D’Alonzo 2020a. Si l’éthologie, en effet, traitait la communication animale comme un aspect partiel du comportement animal en général, la zoosémiotique décide de la traiter dans le contexte d’une théorie des signes. Trần Đức Thảo et ses contemporains se trouvent à mi-chemin entre une approche et l’autre. En fait, il suffit d’ouvrir les manuels de philosophie utilisés dans les lycées français du début du siècle pour s’apercevoir que « structure générale des signes », « communication animale », « origine du langage », « linguistique » et « cognition humaine » étaient traités ensemble et dans la même section, c’est-à-dire dans le volume consacré à la « psychologie » (voir, par exemple, Cuvillier 1937, Chevalier 1943, Foulquié 1945 et 1950, dont nous parlerons plus loin). C’est la même approche, interdisciplinaire (pour nous), que l’on retrouve dans les travaux de Trần Đức Thảo et, entre autres, de Merleau-Ponty.
5 Pour plus de détails voir Dechauffour 2020.
6 Malheureusement, à maintes reprises, il y a chez Trần Đức Thảo (1951 et 1973) l’idée, un peu naïve, que les signes sont aussi des substituts des choses.
7 Pour la notion d’inhibition voir Smith 1992 et Buser, Kaufmann & Widlöcher 2016. Pour ce qui concerne la notion et le rôle de l’inhibition, Benoist (2013 : 36) renvoie à l’Entwurf einer Psychologie (1895, publié seulement en 1950) de Freud. D’une part, il s’agit d’une fonction exécutive qui permet à un individu d’inhiber ses réponses comportementales naturelles aux stimuli afin de sélectionner un comportement approprié et compatible avec la réalisation des objectifs (en ce sens, on peut ramener la notion à la tradition éthologique et comportementaliste) ; de l’autre, l’empêchement de l’action constitue la genèse de l’intériorité.
8 Bien que le behaviorisme ne se limite pas à Watson ou à Naville, il n’y a aucune preuve que Trần Đức Thảo connaissait à cette époque, par exemple, les ouvrages de Tolman. Cependant, à cet égard, le parallélisme proposé par Samain 2020 est passionnant.
9 Pour plus de détails, voir Feron 2018 et D’Alonzo 2019a.
10 La formation de Trần Đức Thảo à l’ÉNS de Paris a eu lieu en contact étroit avec Merleau-Ponty (Feron 2018). Ce qui est frappant, c’est aussi que Merleau-Ponty, qui était très proche de Trần Đức Thảo, avait commencé à travailler sur Saussure à l’époque où le philosophe vietnamien écrivait PMD. Mais Trần Đức Thảo ne fait nullement référence à un modèle sémiologique d’origine saussurienne.
11 Et il ajoute : « Le cas de Amphibiens et des Reptiles offrirait matière à discussion – notamment pour l’appel sexuel –, mais nous préférons ne pas considérer ces exemples encore douteux » (1951 : 286).
12 Bien que la thèse de la récapitulation ne soit pas une loi (pour nous), c’est Haeckel lui-même qui parle de « Biogenetische Grundregel » ou « Grundgesetzt », par exemple dans Haeckel 18702 : 361. Au-delà du classique Gould (1977), sur la fonction structurante que la notion avait au début du siècle, en particulier par rapport aux hypothèses ontogénétiques et phylogénétiques de Trần Đức Thảo et Piaget voir Dechauffour 2020.
13 Il s’agit de ce que Rossi-Landi (2016) appelle l’« homologie » entre le comportement symbolique et les compétences pratiques et qu’il reconnaît comme une contribution fondamentale de l’approche de Trần Đức Thảo dans PMD.
14 La question des compétences communicatives des anthropoïdes a eu une histoire problématique au tournant du siècle (Radick 2007 et Gensini 2013) mais l’intérêt pour la communication animale avait été manifesté par plusieurs savants au cours du XIXe siècle (Darwin 1872 ; Romanes 1882 : 471-498 ; Morgan [1894] 1903 : 59).
15 La même hypothèse avait été suggérée par certains anthropologues de l’époque tels que Mauss (1968 : 358) et Malinowski (1923 : 450).
16 Sur la notion de production dans PMD voir Haug 2019.
17 La question de la pensée primitive et des « langues primitives » à laquelle Trần Đức Thảo (1951 : 292) fait référence dans la note en bas de page était très débattue à l’époque parmi les anthropologues (par exemple, Thurnwald 1922, 1928 et 1938 ; Levy-Bruhl 1910 et 1922 ; Leroy 1927 ; Malinowski 1923 : 310-312).
18 Bien qu’il affirme que « nous contestons seulement le concept d’une conscience pure dont le rapport au monde impliquerait une transcendance métaphysique » (1951 : 298). Son projet était en fait d’esquisser une dialectique entre conscience et vie pratique.