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Transposition didactique et manuélisation du CLG : le rôle de Bally et Sechehaye

Muriel JORGE

Sorbonne-Université, INSPE de Paris

muriel.jorge@cnrs.fr

Si les questions de l’auctorialité du Cours de linguistique générale (désormais CLG) et de la fidélité du texte à la pensée de Saussure ont déjà été souvent traitées, on s’est jusqu’à présent peu interrogé sur le mot « cours », commun à l’enseignement de Saussure entre 1907 et 1911 et à l’ouvrage publié en son nom par Bally et Sechehaye en 1916. Pourtant, loin d’être univoque, ce mot a désigné et désigne encore des réalités hétérogènes décrites par Bruter (2008). Parmi celles-ci, on en retiendra deux. La première acception correspond aux cours dispensés oralement par Saussure : le « cours » est une suite de leçons lors desquelles est parcouru un domaine de savoir. Le CLG, en revanche, semble plutôt relever d’une seconde acception, à savoir le « cours » en tant que manuel universitaire, « ouvrage publié à l’usage des étudiants – ou du corps professoral – en relation avec un programme précis et dans un but pédagogique clairement défini », mais dont le lectorat dépasse souvent les cadres disciplinaire et universitaire (Choppin 1998 : 335).

Dans le cas du CLG, le processus qui mène de la première à la seconde de ces acceptions est plus complexe qu’il n’y paraît. En effet, une première transformation réside dans le passage du pluriel des trois cours professés au singulier de l’ouvrage publié, choix qui intervient tôt dans le projet de publication. La correspondance entre Bally et Meillet montre qu’on s’acheminait déjà en mai 1913 vers une publication unique synthétisant l’ensemble des cours de linguistique générale (Amacker & Bouquet 1989 : 102-103 ; Sofía 2015 : XXI). Dans une lettre à Bally de décembre 1913, Streitberg, l’homme de confiance de la famille de Saussure qui sert d’intermédiaire pour le projet éditorial, parle de « de Saussures Vorlesung über Linguistique générale » (Sofía 2015 : XXVI, nous soulignons), employant le singulier alors qu’il aurait été tout à fait possible d’écrire Vorlesungen, au pluriel.

Une seconde transformation, effectuée par Bally et Sechehaye, porte sur la « forme de l’enseignement oral, souvent contradictoire avec celle du livre » (CLG : 8). Cette difficulté, soulignée dès la préface, provient de la différence fondamentale entre deux types d’écrits. D’un côté, les notes de Saussure et de ses auditeurs sont des traces écrites réalisées avant, pendant ou après l’enseignement oral auquel elles sont intrinsèquement liées. De l’autre, un manuel est un écrit qui se présente comme un enseignement en lui-même, hors de toute oralisation. Si les premiers écrits, disponibles sous forme manuscrite, sont le fruit d’une élaboration initiale, réalisée par Saussure lui-même en vue d’une oralisation, d’un enseignement dispensé dans un contexte particulier, l’ouvrage imprimé est le résultat d’une seconde élaboration, par Bally et Sechehaye, avec pour but une publication dont la portée dépasse largement le cercle des auditeurs des trois cours de Saussure et même de l’Université de Genève.

Cette seconde étape correspond à une manuélisation qu’on définira comme le « processus par lequel les savoirs linguistiques s’exposent et se diffusent à des fins opératoires de transmission, appropriation, réinvestissement » (Puech 1998 : 15). Ce travail revient à fixer un savoir autonome, diffusable et susceptible d’être appris qui, dans le cas du CLG, reste néanmoins intrinsèquement lié à l’enseignement d’origine (Vallini 2013 : 188). Il s’agit en somme d’une tâche irréductible aux opérations déjà bien documentées d’annotation, de discussion ou même d’édition des manuscrits (Godel 1957 ; Saussure 1967/1968-1974 ; Sofía 2015).

Or, quand naît le projet de publication, le CLG est loin d’être le seul manuel universitaire dans le domaine de l’étude des langues et du langage. Bally et Sechehaye eux-mêmes ont déjà publié des manuels à partir de leurs cours respectifs au Séminaire de français moderne de l’Université de Genève. Le CLG n’est même pas le premier manuel universitaire à être publié de manière posthume : on pense notamment au Cours de grammaire historique de la langue française (1891-1897) d’Arsène Darmesteter. D’ailleurs, ces deux ouvrages ont en commun une dissociation auctoriale : comme Muret et Sudre l’avaient fait pour Darmesteter, c’est bien le cours d’un autre, en l’occurrence celui de Saussure, que publient Bally et Sechehaye.

À moins de considérer le CLG comme un ouvrage purement théorique, qui se trouverait incidemment avoir été fondé sur des cours sans que cela n’ait d’implication majeure, on ne peut l’envisager en tant que manuel universitaire en faisant l’économie d’une réflexion sur les liens entre savoirs savants et savoirs enseignés. Il est alors fondé d’interroger la part de la visée didactique dans son écriture. Dans cette perspective, on peut éclairer son élaboration en s’appuyant sur la manière dont Bally et Sechehaye conçoivent le genre du manuel universitaire au moment de commencer leur travail, d’une part, et sur la notion de transposition didactique (Verret 1975) 1, d’autre part.

1. Bally et Sechehaye, auteurs de manuels universitaires

Les enseignements de Bally et de Sechehaye ont donné lieu à trois publications avant 1913 :

— Précis de stylistique : esquisse d’une méthode fondée sur l’étude du français moderne (Bally 1905, désormais PS) ;

— Traité de stylistique française (Bally 1909, désormais TSF) ;

— Éléments de grammaire historique du français (Sechehaye 1909, désormais EGH)2.

À la lecture des avant-propos et des conclusions de ces ouvrages, dans lesquels les auteurs explicitent les principes qu’ils ont suivis, apparaissent deux grands types de manuels.

1.1. Le PS et les EGH, des manuels élémentaires

Comme l’indique l’usage des mots « précis » et « éléments » dans leurs intitulés, le PS et les EGH constituent un premier type de manuel, qu’on qualifiera ici d’élémentaire, qui a pour caractéristique de présenter un sujet de manière rapide et rudimentaire.

Le premier objectif de ces ouvrages, lié à la situation d’enseignement dont ils sont issus, est de compléter l’enseignement oral et de pallier les contraintes temporelles du face à face avec les étudiants. C’est ce que souligne Bally quand il dit vouloir « alléger [l’]enseignement de développements généraux qu’il est bien difficile d’ordonner systématiquement en un court espace de temps et de concilier avec certaines exigences pratiques » (PS : 1). Sechehaye s’exprime en des termes similaires : « à certains égards ce travail est un résumé, à d’autres, c’est un complément de notre enseignement oral » (EGH : 3). Ainsi, une fois devenu un objet physique, le « cours » ne perd pas nécessairement la trace de son origine en tant que suite de leçons. Les deux acceptions précédemment décrites du « cours » ne sont pas mutuellement exclusives. Le manuel ainsi caractérisé est un instrument offrant une vue d’ensemble, organisée et facile à comprendre, d’un domaine de savoir ; il vise à fournir des points de repère au lecteur.

Destinés au premier chef aux « auditeurs du Séminaire de français moderne à l’Université de Genève » (EGH : 3), parmi lesquels Bally distingue en particulier « ceux qui étudient un idiome étranger (i.e. notamment le français) » (PS : 2), ces manuels peuvent aussi être lus hors du cadre des cours dispensés par leurs auteurs, notamment par le grand public (PS : 1). Ils ont donc pour fonction d’introduire des novices à un domaine de savoir. C’est pourquoi Sechehaye se fixe pour but de ne « rien omettre de ce qui peut intéresser un débutant » (EGH : 3), tandis que Bally suggère que « les personnes qui abordent pour la première fois l’étude de la stylistique auront peut-être avantage à lire le Précis pour mieux comprendre le Traité » (TSF : VIII).

S’adresser à un tel public implique que ces manuels soient concis et aisément intelligibles : « nous nous sommes efforcé d’être bref et clair », écrit Sechehaye (EGH : 3). En outre, bien que liés à l’enseignement d’un maître en particulier, ces ouvrages reposent sur la synthèse de savoirs établis. C’est le cas du PS : « ce livre ne vise nullement à l’originalité ; il est basé sur des principes linguistiques déjà connus » (PS : 2). Par conséquent, à la concision et à l’intelligibilité doit s’ajouter l’objectivité, ce que rappelle Bally : « je me suis efforcé de présenter le sujet assez objectivement » (PS : 1).

1.2. Le TSF, un manuel spécialisé

L’usage du mot « traité » indique d’emblée un projet de manuel différent des deux précédents, qu’on qualifiera ici de spécialisé. Pour autant, ces projets ne sont pas mutuellement exclusifs. Bally commence par rappeler que le TSF est la « continuation » des recherches présentées dans le PS et qu’il est également issu de ses enseignements (TSF : VII). De plus, le PS peut servir de prolégomènes à la lecture du TSF dans la mesure où ils n’offrent pas le même degré de précision dans l’exposition des idées. Si Bally dit avoir fait « tous [l]es efforts pour dire les choses aussi simplement [qu’il ait] pu », le caractère « plus technique » (TSF : VIII) du TSF s’oppose au « manque de rigueur dans la terminologie et [au] mode général d’exposition » du précédent (PS : 2). Cela se traduit par deux éléments constitutifs moins bien représentés dans le PS. Il s’agit en premier lieu des exemples : « les principes [y sont appuyés] d’exemples beaucoup plus nombreux [que dans le Précis] » (TSF : VII). En second lieu, le TSF comprend un index et des définitions : « on trouvera dans l’Index la définition des principaux termes spéciaux dont la connaissance est nécessaire pour l’intelligence des explications » (TSF : VIII).

Bally insiste aussi sur la cohérence du plan général du TSF en écrivant que les « principes [sont] reliés entre eux d’une façon […] systématique » (TSF : VII). Toutefois, les parties conservent leur autonomie : « chaque partie peut être envisagée pour elle-même, tout en conservant sa place dans l’économie générale du plan » (TSF : IX). L’ouvrage s’oppose en cela au PS, décrit comme un « essai », où sont « consignées » des « notes » (PS : 1).

Tandis que, dans le Précis, les tendances expressives du langage sont caractérisées à grands traits et appuyées de quelques exemples, le Traité, poursuit un but plus défini, plus spécial et plus pratique. (TSF : VII)

Le caractère pratique du TSF se traduit en particulier par la présence d’un second volume qui contient des exercices permettant de mettre en application les connaissances développées dans le premier volume. En effet, le TSF s’adresse à un public déjà avancé. Bally mentionne particulièrement les « professeurs de lycées et de gymnases » (TSF : VIII). Plus encore, la portée du manuel dépasse l’enseignement universitaire et la formation des enseignants. À la différence du PS, que « les linguistes de profession trouveront donc peu de profit à […] lire » (PS : 2), Bally envisage le TSF comme un ouvrage pouvant également intéresser les spécialistes. « Peut-être les chercheurs y trouveront-ils aussi leur compte » (TSF : IX). En cela, le premier volume, consacré à la théorie, est proche du projet de Sechehaye dans Programme et méthodes de la linguistique théorique.

Nous avons essayé de tracer le programme de la linguistique théorique en nous servant des principes de subdivision et d’emboîtement que nous avons exposés. […] C’est donc, pensons-nous, dans les cadres que nous venons de tracer que tôt ou tard les chercheurs ordonneront leur travail. (Sechehaye 1908 : 263-266)

En effet, s’adresser à un lectorat de spécialistes implique des objectifs spécifiques. Premièrement, le TSF vise à distinguer une discipline, la stylistique, de ses voisines, autrement dit à délimiter son champ, afin de légitimer son existence même. Bally écrit que la stylistique « doit constamment s’occuper de ces disciplines [voisines i.e. art d’écrire, littérature, rhétorique, histoire de la langue] pour les empêcher d’envahir son domaine propre » (TSF : 10). À ce premier objectif portant sur les frontières disciplinaires extérieures s’en ajoute un second, interne au champ : il s’agit de le baliser en caractérisant les objets et les méthodes qui lui sont propres. En tant que manuel, le TSF permet ainsi d’ouvrir des programmes de recherche au sein de la discipline dont il traite : « j’ai profité de toute occasion pour indiquer les parties de ce vaste champ d’étude où l’observateur a le plus de chances de faire des découvertes intéressantes » (TSF : IX). Enfin, le troisième but spécifique assigné au TSF est de défendre une thèse. « Le but de ce livre est de montrer que cette solution [i. e. étudier les langues vivantes sans recourir à l’histoire] est possible ; les choses qui y sont dites ne s’expliquent et ne se justifient bien que par là » (TSF : 325). Les deux objectifs précédents – délimiter le champ et le caractériser – concourent à cette fin.

PS et EGHTSF
Public viséÉtudiants / auditeurs dont étudiants étrangers Grand publicÉtudiants / auditeurs Enseignants Chercheurs
ObjectifsCompléter un enseignement oral Initier à un domaine de savoirDélimiter un champ disciplinaire Caractériser les objets et les méthodes propres à un champ disciplinaire Légitimer l’existence d’un champ disciplinaire
Caractéristiques formellesSynthèse Objectivité Brièveté ClartéCohérence générale du plan Autonomie des parties Rigueur terminologique Précision des faits
Contenus spécifiquesNombreux exemples Index et définitions Exercices d’application

Tableau comparatif des caractéristiques des deux types de manuels discutés

Le tableau ci-dessus synthétise les principales caractéristiques identifiées pour les deux types de manuels. Tandis que le PS et les EGH sont essentiellement récapitulatifs et fondamentalement liés à l’enseignement oral dont ils sont issus, le TSF, qui s’adresse aussi aux professionnels, qu’ils soient enseignants de langue ou chercheurs, est plutôt prospectif. Au vu des disparités entre ces deux types de manuels et des sources que Bally et Sechehaye avaient à leur disposition, comment ceux-ci ont-ils mobilisé leur expérience d’auteurs de manuels pour élaborer le CLG ?

2. Faire de l’enseignement de Saussure un manuel

Le processus qui mène des trois cours dispensés par Saussure au CLG est complexe. Le savoir enseigné oralement devient, d’une part, un savoir savant, fixé par écrit et attribué à Saussure, et, d’autre part, un savoir enseigné par écrit, réélaboré par Bally et Sechehaye. Les dimensions didactique et théorique du livre sont conjointes, indissociables et, par conséquent, difficiles à départager.

Néanmoins, on peut éclairer ce processus à la lumière de la notion de transposition didactique en identifiant trois phénomènes propres au passage du savoir savant au savoir enseigné : une désyncrétisation, « division de la pratique théorique en champs de savoir délimités donnant lieu à des pratiques d’apprentissage spécialisées » ; une dépersonnalisation, c’est-à-dire la séparation du savoir de la personne qui l’a élaboré ; et une programmation de l’acquisition du savoir, permettant son acquisition progressive (Verret 1975 : 146). Or pour que cette dernière condition soit remplie, il faut que « l’objet catégoriel de l’apprentissage soit délimité et défini par rapport à d’autres dans un éventail d’objets possibles » et que « les séquences d’apprentissage [puissent] s’organiser dans un ordre raisonné de complexité croissante » (Verret 1975 : 168).

2.1. Programmer et dépersonnaliser le savoir

On sait bien – ils le rappellent eux-mêmes – que Bally et Sechehaye n’ont pas pu s’appuyer sur « une simple mise au point des notes personnelles de Ferdinand de Saussure » (CLG : 7), même combinées avec les notes d’étudiants. Ils ont réorganisé les contenus des cours dispensés par Saussure, ce qui leur a été souvent reproché, par exemple par De Mauro.

Tout ce commentaire voudrait prendre le contre-pied de ceux qui ont présenté et présentent la pensée de Saussure comme un ensemble de thèses qui se succèdent sans aucun lien logique, interne : mais une telle présentation est presque inévitable si l’on prend pour base la « vulgate » du CLG, dans laquelle les liens réciproques entre les différentes thèses, liens à la détermination desquels Saussure a consacré sa vie, sont bouleversés par la dislocation des différentes parties à laquelle se sont livrés les éditeurs. (De Mauro in Saussure 1972 : 422, note 65)

Les « éditeurs » ont certes bouleversé les liens entre les idées de Saussure. En l’inscrivant comme auteur, ils ont mis le maître en valeur tout en lui faisant assumer le contenu du livre, de telle sorte que le CLG et la linguistique générale en tant que discipline restent indissolublement liés à Saussure. Cependant, Bally et Sechehaye n’ont pas cherché à effacer leur propre contribution. La préface et leurs interventions évidentes dans le texte, que signalent par exemple les renvois d’une page à l’autre, le prouvent.

Si l’on se place dans la perspective de la conception d’un manuel universitaire, cette réorganisation des contenus ne relève-t-elle pas du processus de transposition didactique ? Dans un article de 1927 sur « L’école genevoise de linguistique générale », Sechehaye revient sur la réorganisation des contenus des cours de Saussure en vue de publier le CLG.

Si nous osons faire une comparaison [de M. Sechehaye] avec F. de Saussure, nous dirons que son disciple a en commun avec lui le goût – nous disons seulement le goût – des grandes abstractions et de ces vues de l’esprit qui dépassent et dominent les faits. Cependant M. Sechehaye y ajoute une préoccupation d’organisation et de système1). C’est là ce qui fait l’objet particulier de l’ouvrage intitulé : Programme et Méthodes de la Linguistique théorique.

1) Il est peut-être nécessaire de rappeler ici que l’ordonnance des matières dans le Cours de Linguistique générale ne remonte pas à F. de Saussure. Les trois cours qu’il a donnés étaient établis sur trois plans divers. Les rédacteurs du livre ont été obligés d’adopter un ordre plus ou moins synthétique qui leur a paru approprié. (Sechehaye 1927 : 234)

L’objectif de Bally et Sechehaye était donc non seulement de synthétiser les cours pour aller du pluriel au singulier, mais aussi d’ordonner les matières. C’est précisément l’organisation interne du CLG qui fait de la linguistique générale un savoir programmable. Le CLG, en tant que manuel, offre ainsi aux personnes n’ayant pas suivi les trois cours la possibilité d’apprendre la linguistique générale par une transmission strictement écrite, sans relation personnelle avec l’enseignant Saussure.

Pour autant, la théorie de Saussure est bien « l’argument du texte produit par Bally et Sechehaye » (Vallini 2013 : 187). C’est dire que le nom du maître sur la couverture n’est pas qu’un hommage. Il rappelle qu’en linguistique, comme dans toutes les sciences humaines, « si des apprentissages progressifs existent […] ce sont ceux que les grands auteurs ont programmés eux-mêmes » au sens où ils n’ont pas cherché à « rejoindre et enrichir le monument anonyme du savoir » (Verret 1975 : 174-175). De ce point de vue, que le savoir contenu dans le CLG soit l’œuvre d’un seul penseur et non le produit de l’unification forcée de théories contradictoires est plus significatif que le fait que l’organisation interne du livre ne soit pas celle des cours de Saussure.

2.2. Désyncrétiser le savoir

D’après un entretien de 1909 entre Saussure et Riedlinger, « la connaissance des problèmes posés et résolus par les linguistes dans le domaine des langues indo-européennes est une préparation nécessaire pour un “cours philosophique de linguistique” » (Godel 1957 : 35). Riedlinger lui-même rapporte les propos suivants.

M. de Saussure s’en est beaucoup occupé il y a 15 ans, et il lui faudrait au moins deux à trois mois de recueillement, pendant les vacances, avant d’entreprendre un pareil cours (on ne l’improvise pas d’une leçon à l’autre), et… des élèves déjà au courant des méthodes de la linguistique. (Riedlinger in Godel 1957 : 29)

La délimitation du domaine de savoir effectuée par Saussure lui-même consistait donc à poser d’abord des problèmes de linguistique indo-européenne, introduction indispensable à la bonne compréhension du « cours philosophique de linguistique » proprement dit. Il s’agissait de la part de l’enseignant d’un choix didactique : la nouveauté du sujet imposait, pour ne pas perdre les auditeurs, de s’appuyer sur leurs acquis.

En revanche, dans la préface de la première édition du CLG, Bally et Sechehaye, qui ne s’adressent pas à des auditeurs physiques mais « au public savant et à tous les amis de la linguistique » (CLG : 9), présentent le traitement des langues indo-européennes comme un obstacle à celui de la linguistique générale plutôt que comme un indispensable préalable.

Il fit trois cours de linguistique générale, en 1906-1907, 1908-1909 et 1910-1911 ; il est vrai que les nécessités du programme l’obligèrent à consacrer la moitié de chacun d’eux à un exposé relatif aux langues indo-européennes, leur histoire et leur description ; la partie essentielle de son sujet s’en trouva singulièrement amoindrie. (CLG : 7)

La délimitation vise cette fois à exclure les problèmes de linguistique indo-européenne, pourtant présents dans les cours et, par conséquent, dans les notes des auditeurs utilisées comme sources. Ces questions sont présentées comme extérieures et, dans une certaine mesure, superflues par rapport à la linguistique générale. Appartenant à un champ de savoir déjà borné, elles n’entrent pas en tant que telles dans le nouveau champ défini dans le CLG.

À cette délimitation interne à la linguistique s’ajoute une délimitation externe, par rapport aux autres disciplines. C’est ce que souligne De Mauro dans une note de son édition critique du CLG portant sur le passage qui traite de l’objet de la linguistique.

On remarquera l’absence ici comme dans d’autres passages semblables des notes manuscrites de l’incise « que nous séparons nettement de la linguistique ». Cette phrase contraste avec la thèse de Saussure (voir CLG 32 et sv.) selon laquelle la linguistique est une partie de la sémiologie, celle-ci étant à son tour une partie de la psychologie sociale. Elle contraste aussi avec l’attitude de Saussure, vivement intéressé en tant que linguiste historique et théoricien de la langue par des sciences voisines, de la phonétique à l’ethnographie, à l’économie politique, etc. La préoccupation de Saussure, ici et ailleurs, est de déterminer s’il y a un but spécifique à la recherche linguistique, et quel est ce but ; elle n’est pas de fermer la porte aux échanges avec d’autres disciplines. Les éditeurs lui ont pourtant prêté cette préoccupation. (De Mauro in Saussure 1972 : 417, note 51)

Cette double délimitation, interne et externe, rappelle les objectifs définis par Bally pour le TSF : distinguer la linguistique générale des disciplines voisines – ce que précise de nouveau l’introduction du CLG (Chiss et Puech 1980 : 76) – ; baliser ce champ disciplinaire et, partant, ouvrir des perspectives pour de futures recherches ; et défendre une thèse, à savoir l’idée qu’il faut renouveler la manière d’aborder la linguistique.

Bally et Sechehaye, quand ils justifient leur choix de délimitation et d’organisation des savoirs dans le CLG, se révèlent en tant « qu’agents de la transmission » (Verret 1975 : 144). Par la manuélisation de la linguistique générale, elle-même résultat d’une transposition didactique qui s’appuie sur leur propre conception du manuel universitaire, ils contribuent à sa disciplinarisation et, ainsi, à la réalisation du projet saussurien.

3. Transferts de modèles et transposition didactique dans le CLG

Plus concrètement, la manuélisation des savoirs dans le CLG se traduit par la présence de notions également employées dans les manuels précédemment publiés par Bally et Sechehaye telles que celles d’appendice et de place naturelle.

3.1. La notion d’appendice

La notion d’appendice apparaît fréquemment dans les manuels universitaires de grammaire et de linguistique de la fin du XIXe siècle. On la trouve notamment dans le Cours de grammaire historique de la langue française d’Arsène Darmesteter. Issu du cours de langue française dispensé à l’École normale supérieure de jeunes filles de Sèvres entre 1881 et 1888, ce manuel a été publié de manière posthume à partir de rédactions de cours, c’est-à-dire de résumés des leçons du maître rédigés par les élèves après la classe.

Le premier volume, édité par Muret, contient un appendice, ce que l’éditeur justifie ainsi dans son « Avertissement » : « Les textes publiés à l’appendice ont été autrefois copiés pour A. Darmesteter par M. Bédier, aujourd’hui professeur à l’université de Fribourg en Suisse » (Darmesteter 1891 1 : XII) 3. En l’occurrence, le contenu de l’appendice correspond à des textes qui ne sont pas de la main de l’enseignant ou de ses élèves, d’une part, et qui ne font pas partie du cours à proprement parler, au sens où ils n’ont pas directement été produits par Darmesteter en vue d’enseigner4.

Les manuels de Bally comportent également des appendices. Celui figurant dans le PS porte sur « la traduction », comme le montre la table des matières reproduite ci-dessous.

Table des matières

Avant-propos

Chapitre I. – La Stylistique ; sa définition, ses rapports avec d’autres disciplines

Chapitre II. – Les mots

Chapitre III. – Les synonymes

Chapitre IV. – La phraséologie

Chapitre V. – Le langage figuré

Chapitre VI. – La construction

Chapitre VII. – Le langage subjectif

Appendice. – La traduction

Conclusion

Pourquoi un appendice plutôt qu’un chapitre ? L’auteur explique ce choix de la façon suivante.

On a pu constater que la méthode esquissée dans ce livre ne repose pas sur la comparaison entre deux ou plusieurs langues et que la recherche porte sur les moyens d’expression d’une langue envisagée en elle-même en tant qu’organisme indépendant : ce principe n’est, du reste, pas en contradiction avec cette constatation capitale, à mon avis, que les particularités d’un idiome étranger nous frappent surtout par contraste avec les caractères de notre langue maternelle. Si donc, théoriquement, la traduction ne doit pas nous occuper ici, j’ai cru bon cependant d’ajouter sous forme d’appendice quelques remarques sur ce sujet, parce que la traduction peut être utile et cet instrument d’observation et d’expérience peut rendre des services qu’il ne faut pas négliger […]. (PS : 163, nous soulignons)

Le thème de la « traduction », en partie hors-sujet sur le plan théorique, est néanmoins utile sur le plan pratique. Son traitement dans un appendice est donc lié au public du PS, partiellement composé d’étudiants qui apprennent une langue étrangère.

En revanche, alors que dans ce premier ouvrage, Bally n’avait pas considéré qu’il fût nécessaire de justifier la place du langage figuré auquel il consacrait un chapitre à part entière, c’est dans un appendice que ce thème est traité dans le TSF. Cet appendice est placé à la suite de la quatrième partie de l’ouvrage, consacrée aux « caractères affectifs naturels ». Sa place est justifiée à deux reprises : une première fois à la fin du chapitre précédent, puis une seconde au début de l’appendice lui-même.

L’expression figurée est étudiée à cette place, parce que la présence des images dans le langage pose, une fois de plus, et impérieusement, la question de savoir si le langage est esthétique dans son essence et sa fonction naturelle ; en outre, parce que les effets résultant des images sont plus souvent des effets naturels que des effets par évocation. (TSF : 185)

Le thème ne peut pas entrer dans la cinquième partie, « Effets par évocation ». Il se rattache en revanche aux « caractères affectifs naturels » qui font l’objet de la quatrième partie. Cependant, l’écart du plan régulier, normalement constitué de parties divisées en chapitres, s’explique par l’importance relative accordée au langage figuré par rapport au reste de la quatrième partie : l’unique chapitre de la partie compte quatorze pages quand Bally en consacre dix-huit au langage figuré. L’appendice permet, d’un côté, de prolonger le chapitre sans le rallonger excessivement et, de l’autre, de conserver et la cohérence du plan et l’autonomie de ses sections.

Il existe donc plusieurs types de justifications à l’existence d’appendices dans les manuels universitaires de la fin du XIXe et du début du XXe siècle et à leur localisation dans les ouvrages. D’abord, quand l’enseignant n’édite pas son cours lui-même, c’est un moyen pour l’éditeur d’introduire des passages établis à partir de sources extérieures aux notes autographes de l’enseignant ou aux notes d’auditeurs ayant assisté au cours. Ensuite, du point de vue de l’auteur, les appendices permettent d’adapter l’ouvrage aux besoins du public visé. Ils peuvent ainsi conférer une dimension pratique à un ouvrage théorique. Enfin, ils constituent un prolongement thématique de la partie précédente tout en s’en distinguant sur une base qui pourrait être remise en cause ou, du moins, discutée.

L’utilisation de la notion d’appendice permet en somme à l’auteur de traiter l’ensemble des matières abordées en cours sans déroger aux principes de cohésion de l’ouvrage et d’autonomie des parties qui sont, on l’a montré plus haut, des caractéristiques essentielles des manuels universitaires, en tout cas tels que les conçoivent Bally et Sechehaye. Dans cette mesure, la notion de place naturelle s’avère indispensable pour justifier la localisation des appendices.

3.2. La notion de place naturelle

Dans le TSF, Bally invoque l’idée de place naturelle à propos du langage figuré pour légitimer non pas la pertinence du sujet ni la manière dont il l’aborde, mais bien son insertion dans le plan général en tant qu’appendice de la quatrième partie.

La valeur esthétique des faits de langage est donc une question où la stylistique prend le mieux conscience d’elle-même, et elle a cela de commun avec la question du langage figuré, en raison de sa valeur esthétique et littéraire ; il est donc tout naturel que nous en parlions à cette place. (TSF : 184, l’auteur souligne)

Bally appuie son argumentation sur l’identification d’un point commun entre le langage figuré et ce qui vient d’être traité. Le langage figuré se trouve en effet aux « limites flottantes entre le langage littéraire et la langue de tous » et peut « servir de trait d’union entre le style et la stylistique » (TSF : 182). Il se rapproche à ce titre du comique et des expressions descriptives ou pittoresques, traités à la fin de la quatrième partie, juste avant l’appendice.

Pour autant, la qualification de « naturel » ne porte pas toujours sur l’ordre des parties. Il arrive qu’elle serve à justifier la répartition des contenus entre différentes parties. Ainsi, Sechehaye écrit dans les EGH que

cette « histoire des sons » sera suivie d’une « histoire des mots ». Beaucoup de choses que le lecteur s’étonnera peut-être de ne pas rencontrer ici, trouveront leur place naturelle dans cette seconde partie. (EGH 1 : 3, nous soulignons)

Il est d’usage dans les ouvrages de grammaire historique que le traitement des sons de la langue précède celui de son lexique. En revanche, la seconde partie des EGH, « Histoire des mots », commence de manière inhabituelle par deux paragraphes intitulés « Accidents phonologiques ».

Réservant le terme de « phonétique » pour tout ce qui concerne l’évolution régulière des sons, nous appellerons « phonologiques » toutes les altérations que la prononciation d’un mot peut subir et qui ne s’expliquent pas par l’évolution d’un de ses phonèmes. (EGH 2 : 4)

Ces « accidents phonologiques », à savoir l’assimilation, la dissimilation, la syncope, l’épenthèse et la métathèse, sont exclus du premier volume sur la base d’une triple distinction au sein de l’étude des sons d’une langue. Leur place naturelle se justifie en effet, à un premier niveau, par la différence des types de changements envisagés, réguliers dans un cas, accidentels dans l’autre. La seconde distinction, qui se superpose à la première, est d’ordre épistémologique : elle concerne la différence entre phonétique et phonologie. Ces deux premiers niveaux sont ceux qui transparaissent dans le titre des paragraphes concernés. Une troisième subdivision, explicitée dans le corps du texte uniquement, s’appuie sur une différence d’échelles d’analyse : le changement régulier, celui qui est régi par les lois phonétiques, se trouve du côté des sons, tandis que ce sont les mots qui subissent des « accidents phonologiques » quand ils sont prononcés ; or, loin d’être anecdotique, cette distinction est essentielle.

L’explication en est formulée dans Programme et méthodes d’une linguistique théorique, où Sechehaye définit les « transformations brusques qui sont dues à des inductions de sons » (1908 : 193), appellation qui recouvre ce qu’il désigne dans les EGH en tant qu’« accidents phonologiques ».

La cause première du phénomène, l’induction, est phonétique ; aussi sommes-nous bien dans la science des sons du langage. Mais le phénomène lui-même est conditionné morphologiquement ; aussi emboîtons-nous cette étude dans celle de la forme du langage et de ses procédés. (Sechehaye 1908 : 198)

Ainsi, tout en conservant dans les EGH l’organisation canonique de la grammaire historique, qui sépare « Histoire des sons » et « Histoire des mots », Sechehaye y introduit de manière tacite une autre logique, répondant au principe d’emboîtement qui organise le langage, à ses yeux (cf. Curea 2015 : 186-208). Qualifier cette répartition des savoirs de naturelle lui permet donc de concilier ces deux modes d’organisation, pourtant a priori incompatibles, en se justifiant de manière minimale.

3.3. Place naturelle et appendices dans le CLG, traces d’une transposition didactique

Qu’il s’agisse de la répartition des contenus de savoir ou de leur mise en ordre relative, la notion de place naturelle ressortit aux problèmes de désyncrétisation et de programmation des savoirs auxquels Bally et Sechehaye sont de nouveau confrontés au moment d’élaborer le CLG.

Il s’agissait donc d’une recréation, d’autant plus malaisée qu’elle devait être entièrement objective ; sur chaque point, en pénétrant jusqu’au fond de chaque pensée particulière, il fallait, à la lumière du système tout entier, essayer de la voir sous sa forme définitive en la dégageant des variations, des flottements inhérents à la leçon parlée, puis l’enchâsser dans son milieu naturel, toutes les parties étant présentées dans un ordre conforme à l’intention de l’auteur, même lorsque cette intention se devinait plutôt qu’elle n’apparaissait. […] Nous nous sommes bornés à recueillir et à mettre en leur place naturelle les indications fugitives de ce programme à peine esquissé ; nous ne pouvions aller au-delà. (CLG : 9-10)

En l’absence d’un enseignement oral que le CLG complèterait, ce travail « d’assimilation et de reconstitution » (CLG : 9) nécessite non seulement, comme l’affirme Bally à propos du PS, de chercher à « recueillir et ordonner les vues éparses, les principes, les conseils pratiques qui forment le canevas [des] conférences » (PS : 1), mais encore de mettre en évidence pour le lecteur une logique d’ensemble sous-jacente. La notion de place naturelle sert ainsi à justifier des choix fondés sur une interprétation de l’intention de Saussure, elle-même à la fois savante et didactique. Elle révèle la convergence des valeurs heuristiques de l’écriture et de l’enseignement tant du point de vue de l’enseignant que de celui des concepteurs du manuel.

Parmi les appendices que contient le CLG, les trente pages des « Principes de phonologie » possèdent une place naturelle : elles prolongent le septième chapitre de l’introduction, lui-même consacré à la phonologie. Ce choix semble justifié au vu des pratiques habituelles d’édition de manuels à partir d’un enseignement à l’époque5. Outre que son texte a été établi à partir de sources liées à l’enseignement de Saussure mais différentes de l’essentiel du CLG (De Mauro in Saussure 1972 : 434-435, note 112), l’appendice apporte des connaissances élémentaires qui ont nécessité la compilation d’informations tirées d’autres manuels.

La description un peu sommaire de F. de Saussure a été complétée d’après le Lehrbuch der Phonetik de M. Jespersen […]. Mais il s’agit là de questions de forme, de mise au point, et le lecteur se convaincra que ces changements n’altèrent nulle part la pensée de F. de S. (CLG : 67)

Puisqu’il n’existe pas de manuel élémentaire de linguistique générale qui jouerait un rôle similaire à celui du PS par rapport au TSF, le CLG cumule les fonctions des deux types de manuels. Il donne des points de repère à des lecteurs qui n’ont pas, pour l’immense majorité d’entre eux, suivi les cours de Saussure lui-même. L’équilibre entre transposition didactique du savoir et fidélité à la pensée du maître implique la mise en œuvre de plusieurs principes de confection de manuels universitaires : synthèse, clarté et objectivité, comme dans les manuels élémentaires, mais aussi cohérence générale du plan et autonomie des parties, comme dans un manuel spécialisé.

Conclusion

Le savoir établi et présenté par Bally et Sechehaye dans le CLG se distingue de celui dispensé par Saussure dans ses cours de linguistique générale. Par sa désyncrétisation, sa dépersonnalisation et sa programmation, les « éditeurs » ne se sont pas livrés à un simple travail d’édition, mais à une véritable recomposition, une transposition. En effet, voué à être diffusé en tant qu’écrit uniquement et destiné avant tout au public savant, l’ouvrage ne s’inscrit pas dans une complémentarité avec un enseignement oral mais doit pouvoir servir d’introduction à un domaine nouveau dont il n’existe encore aucun manuel.

L’emploi des notions de place naturelle et d’appendice, présentes dans les manuels publiés par Bally et Sechehaye avant l’écriture du CLG et, plus largement, dans les manuels de grammaire et de linguistique de l’époque, montre l’imbrication de la dimension savante et de la dimension enseignée du savoir. En tant que manuel universitaire, le CLG remplit ainsi l’ensemble des objectifs et correspond aux caractéristiques formelles des deux types de manuels, élémentaire et spécialisé.

À partir de ce premier travail exploratoire, de nouvelles pistes de recherche pourraient être envisagées dans une perspective didactique : qu’on songe par exemple aux renvois à d’autres manuels, à la construction des définitions ou à certains choix typographiques dans le CLG. Saisir son élaboration non seulement du point de vue théorique, mais aussi dans sa dimension d’enseignement permettrait de poser à nouveaux frais la question de l’auctorialité, sans s’enfermer dans le débat autour de la « trahison » de Bally et Sechehaye par rapport à Saussure ni se limiter à considérer qu’ils ont « édité » des notes manuscrites.

Bibliographie

Abréviations

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VERRET, Michel (1975), Le temps des études, Paris, Honoré Champion, 2 volumes.

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1 Bien que la notion soit surtout connue grâce aux travaux du didacticien des mathématiques Chevallard (1985), celui-ci s’appuie sur la thèse de Verret (1975), conçue dans une perspective plus sociologique. Cette approche nous a paru mieux adaptée à la visée de cet article ; c’est pourquoi on s’en tiendra ici à cette référence.

2 Nous n’avons pas retenu ici l’ouvrage de Sechehaye intitulé Programme et méthodes de la linguistique théorique : psychologie du langage, paru en 1908, dans la mesure où il ne relève pas du même processus de composition que les trois autres ouvrages envisagés. En effet, l’ouvrage ne se rapporte par à un cours préalablement professé par l’auteur. Chevalier souligne d’ailleurs que « la réputation de difficulté et d’abstraction » de Programme et méthodes…, qu’il oppose à « l’allure didactique » du PS et du TS de Bally, a occulté l’intérêt de Sechehaye pour l’enseignement des langues (Chevalier 1999 : 69).

3 Dans l’avant-propos des EGH, Sechehaye remercie Muret de ses « bons conseils » qui lui ont « permis d’apporter de notables améliorations à [son] travail ».

4 Il y a également deux appendices au troisième volume, « Formation des mots et vie des mots ». L’un porte sur les « doublets » ; l’autre présente des « principes d’étymologie ». Toutefois, leur présence dans l’ouvrage n’est pas justifiée par Sudre, qui édite ce volume.

5 Sur la diversité des stratégies d’édition de cours en sciences humaines et sociales cf. Testenoire (2018).