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XIVème congrès IASS/AIS

Buenos Aires, 9-13 septembre 2019

Emanuele FADDA

Université de Calabre

emanuele.fadda@unical.it

Les congrès mondiaux de sémiotique sont désormais des événements dont la dimension scientifique stricto sensu (c’est-à-dire concernant plus spécifiquement la recherche sur des sujets de détail) passe au second plan au profit d’une dimension sociale et organisationnelle tout aussi importante, d’autant que la sémiotique est à présent (voire même depuis toujours) un champ de recherches plutôt qu’une discipline. Le quatorzième Congrès de l’AIS s’est déroulé à Buenos Aires en septembre 2019. Le choix de ce lieu a permis une large participation de sémioticiens américains (des États-Unis, mais aussi de toute l’Amérique du Sud et centrale). Les langues principales du Congrès étaient l’espagnol et l’anglais, et comme c’est souvent le cas lors de tels colloques, le titre choisi, Trayectorias (Trajectoires) était à la fois général et évocateur et soulignait « the unavoidable condition of development and restart that constantly shapes the work of semiotic research ».

L’organisation de cet événement vaste et complexe (cette complexité nous paraît plus importante encore aujourd’hui quand nous nous en remémorons avec une perception modifiée par la situation de pandémie) n’était pas fastueuse, surtout en raison des problèmes économiques que connaît l’Argentine de nos jours, mais elle s’est néanmoins avérée efficace.

Le colloque a été organisé en collaboration par l’Asociación Argentina de Semiótica et l’Universidad Nacional de las Artes, et les travaux se sont pour cette raison déroulés en deux endroits : le Centro Cultural General San Martín et le Département des Arts visuels de l’UNA. Ces deux lieux étaient assez éloignés, ce qui a considérablement réduit les déplacements de l’un à l’autre, et cette situation a accentué la sensation d’existence de deux sous-colloques (l’un plus théorique et l’autre plus applicatif, l’un plus général et l’autre plus axée sur l’analyse des produits artistiques et/ou audiovisuels). La plupart des participants ont choisi au début le sous-colloque auquel ils voulaient assister, et parmi rares activités communes, il y a eu le journal fair, consacré à la présentation de revues recensées et signalées par le IASS/AIS (les Cahiers sont désormais inclus dans la liste).

Comme dans tous les grands congrès, il avait une séparation entre les sessions parallèles et les sessions plénières, mais ces dernières étaient aussi, en fait, des sessions parallèles (d’ordinaire, il y en avait quatre en même temps), avec plus de temps pour les orateurs (choisis parmi les savant(e)s les plus connu(e)s, dont certaines ont fait l’histoire de la sémiotique : Fabbri, Fontanille, Gorlée, Klinkenberg, Nöth et bien d’autres). Les sessions sur le site de l’UNA se déroulaient en même temps, ce qui portait à quinze le nombre de sessions parallèles. Le programme général du congrès – dont la constitution a requis un exercice assez complexe de schématisation sémiotique – comportait 83 pages, sans les résumés.

Dans une telle situation, il est impossible de présenter ne serait-ce qu’un aperçu général du déroulement des travaux ou de leurs contenus. Je me limiterai donc à quelques remarques concernant les auteurs pris comme référence, avec une attention majeure à Saussure et au structuralisme sémio-linguistique européen. En fait, seuls Peirce et Eco ont eu l’honneur d’une session qui leur était consacrée, et de nombreuses contributions sur Peirce avaient un bon degré de spécialisation, non seulement applicative, mais aussi théorique (et parfois même philologique). Ce n’était pas vraiment le cas, à l’inverse, pour Saussure, qui n’était évoqué que dans le rôle de précurseur (ou presque). En effet, parmi les grands sémioticiens de la tradition structurale, seul Greimas était mentionné dans le titre des interventions (bien que Hjelmslev et Jakobson conservent un statut théorique important).

Pour ce qui concerne la tradition argentine et l’hommage à Luís Prieto, aucune section spécifique n’a été prévue, mais sont intervenus de manière individuelle divers savant(e)s qui en étaient proches, comme Maria Teresa Dalmasso (qui était son étudiante à Cordoue), Jean-Jacques Pinto (qui a édité le numéro de Semiotica qui lui a été dédié), et sont intervenus également par de jeunes chercheurs intéressés à sa pensée, comme le sémiologue mexicain Israél Chavez, qui travaille à une relecture bio-sémiotique de l’œuvre de Priéto. Aucune section n’a été consacrée non plus à Eliséo Verón, qui eut pourtant l’honneur d’un numéro de la revue De signis, présenté au cours du colloque.

Deux mots en guise de conclusion. Un observateur extérieur ne connaissant pas l’état des choses pourrait avoir l’impression qu’il est très difficile de trouver un noyau commun, ou plus simplement un fil conducteur entre des intérêts et des méthodologies aussi différents que ceux présentés à ce colloque, et il n’aurait pas entièrement tort. On dit souvent en effet que la sémiotique est cette chose dont les profanes se demandent ce qu’elle est, tandis que les sémioticiens se demandent ce qu’elle n’est pas. À cet égard, il est intéressant de rappeler une petite querelle (dont nous avons été le témoin) entre Paolo Fabbri et le sémioticien espagnol José-Maria (Chema) Paz Gago, qui avait considéré que l’idée d’une « sémiotique marquée »1 était insuffisamment inclusive (parce qu’enfin, ‘sémiotique’ serait tout ce qui se réclame de ce nom). Il est un fait que la sémiotique qui se réclame strictement du modèle épistémologique de la linguistique est aujourd’hui clairement minoritaire sur la scène internationale. Et pourtant, elle ne constitue pas simplement une niche écologique à protéger, mais est plutôt une occasion d’interlocution que même ceux qui s’intéressent moins à la linguistique et à l’histoire des idées linguistiques n’ont pas véritablement intérêt à abandonner. La tâche d’élargissement progressif du champ et des objets spécifiques de l’analyse ne peut s’accomplir sans une réflexion constante sur les principes hérités de la tradition. « The unavoidable condition of development and restart that constantly shapes the work of semiotic research » ; n’est-ce pas, enfin, ce que cela signifie ?

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1 Sur l’idée de « sémiotique marquée » défendue par Fabbri dans les dernières années de sa vie, cf. ici-même section V.