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Luca Pesini, La linguistica genetica di Charles Bally. Gli appunti del manoscritto BGe Ms. fr. 5034

Alessandria, Edizioni dell’Orso, (« Studi e Ricerche », 151), 2017, 261 pages – ISBN 978-88-6274-788-2, 30,00 €

Claire A. FOREL

Université de Genève

claire.forel@unige.ch

Dans la mouvance de publications de manuscrits de linguistes, Luca Pesini nous offre la transcription d’un dossier de Charles Bally sur la « linguistique génétique ». Il s’agit des notes d’un cours dit « de linguistique générale » du semestre d’hiver 1923-1924, retravaillées en janvier 19311.

L’ouvrage comprend deux parties. La première, environ 116 pp. sur 261, décrit les circonstances autour du manuscrit, mais elle comporte surtout une discussion de son contenu. La deuxième, un peu plus importante, est la transcription du texte manuscrit (parfois dactylographié) de Bally. On y trouve également une bibliographie des références trouvées dans le manuscrit et une autre des ouvrages utilisés par l’auteur. Un index de tous les noms propres, aussi bien ceux trouvés dans le manuscrit que ceux auxquels l’auteur fait référence, vient compléter l’ouvrage.

Dans sa préface, Luca Pesini explique l’importance de ce manuscrit à ses yeux. Il y trouve beaucoup des idées développées ultérieurement par Bally, notamment dans son dernier ouvrage Linguistique générale et linguistique française, auquel il ne manque pas de faire référence dans sa discussion. En outre il explique que l’idée de la génétique est très présente dans les recherches scientifiques faites à Genève à l’époque, celles de Théodore Flournoy bien connu pour sa collaboration avec Saussure2, mais aussi chez Edouard Claparède, le psychologue fondateur de l’Ecole des sciences de l’éducation, Adolphe Ferrière auteur d’une approche pédagogique nouvelle et enfin chez Jean Piaget. Le lien entre ces approches et les travaux de Bally est explicité plus loin, dans le cadre de la discussion.

L’Introduction (chapitre 1) est quant à elle centrée sur la carrière de Bally et notamment sur ses rapports avec Sechehaye, ce qui pose les jalons de l’ultime partie du manuscrits, les commentaires de Bally sur l’Essai sur la structure logique de la phrase.

Le chapitre 2 intitulé « “Qu’est-ce qu’un signe ?”, aspects du problème sémiologique chez Bally », discute entre autres de la différence établie par le linguiste genevois entre les signes et les indices, et on peut regretter à ce propos qu’il n’y soit à aucun moment fait référence à l’un des successeurs de Saussure et donc de Bally, Luis Prieto, qui a soigneusement systématisé cette question. Pour ce qui concerne l’arbitraire du signe, l’auteur revient sur la dispute mémorable initiée par Benveniste. Enfin une dernière section de ce chapitre est consacrée aux limites de l’arbitraire, particulièrement importante si l’on s’intéresse à la genèse du signe chez l’enfant, qui dépend essentiellement de la situation au début jusqu’à devenir finalement une entité virtuelle, actualisée dans la parole.

Le chapitre suivant (3) est deux fois plus important que le premier (57 pp.) porte sur la théorie du signe dans une perspective génétique. Aux yeux de Bally, elle est tellement essentielle qu’il reproche à Sechehaye de : « n’[aborder] le problème génétique pur, qui seul, à mon sens, donne la clef qui ouvre de grandes portes » (ms fr 5034/f. 378r, p. 37). Le premier paragraphe (3.1) porte sur « la naissance de la syntaxe du monorème à la phrase ». Puis on trouve « les origines du langage et le primitif » (3.2) ce qui constitue bien évidemment un terrain très redouté des Saussuriens. Bally précise donc que « “genèse” ne se confond ni avec “évolution”, ni avec “origine du langage” » mais il ajoute « du moins cette condition n’est pas nécessairement impliquée dans la définition du mot », avant de retomber dans une approche plus familière de sa linguistique : « il y a genèse toutes les fois qu’une valeur de pensée au moins confusément et non encore signifiée arrive à s’exprimer par un signe » (ms fr 5034/f. 382r, p. 51). Les paragraphes suivants traitent de sujets que l’on peut retrouver ailleurs dans les écrits et les publications du linguiste genevois, notamment dans son dernier ouvrage Linguistique générale et linguistique française : 3.3 Signe zéro, sous-entendu et ellipses ; 3.4 Phrase nominale et genèse des signes de relation et, enfin, 3.5 Actualisation et modalité.

Le chapitre 4 s’intéresse à « Bally lecteur critique de Sechehaye ». Il se fonde sur, mais vient aussi enrichir, le travail commencé par A. Fryba-Reber en partant d’un matériau auquel elle n’avait pas eu accès lorsqu’elle travaillait sur « Sechehaye et la syntaxe imaginative ». Une petite phrase de la lettre adressée par Bally à son collègue pour lui renvoyer son manuscrit en dit long sur la manière dont il envisage leurs relations : « Peut-être pourriez-vous dire dans votre préface que vous avez été influencé autrefois par mes idées, mais que, actuellement nous nous sommes sensiblement séparés l’un de l’autre » (ms 5034/f. 378v.). Il résume son point de vue sur les questions posées par Sechehaye dans ce qui allait être publié comme l’Essai sur la structure logique de la phrase de la manière suivante : « Pour moi, je pense que ce qui est en cause, c’est tout simplement l’essence et la genèse du signe grammatical » (ms fr 5034/f. 378r) dont il vient de faire le sujet de son cours du semestre d’hiver 1924 (la lettre est datée du 28 septembre 1924). Nous avons néanmoins les notes de Bally qui sont rassemblées dans la dernière partie du manuscrit 5034, soient les feuillet 378r à 391 (pp. 228-237). Bally commence par énoncer des « Principes généraux » (ff. 379-381), suivis d’un passage appelé « Genèse » (ff. 382-385), avant une dernière partie intitulée « Remarques détachées » consistant en une critique en 36 points de différents passages du travail de Sechehaye (ff. 386-391). Luca Pesini a eu l’excellente idée de nous redonner les passages entiers de l’Essai sur lesquels portent les « remarques détachées » de Bally. Du pain béni pour qui voudrait creuser la question davantage !

Le chapitre 5 est une brève conclusion de deux pages qui arrive à une constatation que peuvent faire ceux qui travaillent sur Bally et plus particulièrement sur ses manuscrits de cours : « Il suo pensiero trae senza dubbio robusta linfa da discipline comme la psicologia, l’etnologia, l’antropologia e la sociologia, che agli inizi del Novecento entrano a far parte dell’orizzonte epistemologico del linguista. » (pp. 108-109)3.

Le reste de l’ouvrage, soit le chapitre 6 est la transcription sur quelque cent trente pages des feuillets du manuscrit. Elle est précédée d’une description du document y compris les inévitables remarques ajoutées par Alice Bally après la mort de son époux. En bon philologue, Luca Pesini nous donne la liste des pages « blanches » du document, c’est-à-dire des pages recyclées par Bally et dont le verso a été biffé. Suit un sommaire des différentes parties que l’on peut distinguer, dû à l’initiative d’Alice Bally toujours. Enfin les critères d’édition sont soigneusement indiqués. Il s’agit d’un travail très soigné, l’auteur donnant en note ce qui a été biffé, ajouté a posteriori, resté incomplet ou illisible. Les manuscrits de Bally étant plus fluides que ceux de Saussure, ces notes de bas de page ne compliquent pas la lecture. Elles ne l’enrichissent pas toujours non plus, mais elles ont le mérite de donner une vue aussi claire que possible du document en l’absence de photos. On peut regretter le parti pris de Luca Pesini de ne pas avoir donné de notes explicatives ça ou là sur des auteurs très locaux évoqués par Bally, comme M. Candeaux au f. 48r (p. 131) et que le lecteur devra faire l’effort de retrouver par lui-même.

En conclusion, saluons ce travail très méticuleux et souhaitons que la série de publication de manuscrits se poursuivent donnant accès à ce que L.J. Prieto appelait « la cuisine [au sens de l’élaboration] de la science ».

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1 On ne voit pas très bien dans quel autre cours elles auraient été utilisées. D’après le programme des cours de la Faculté des lettres. Bally donnait un cours de « Linguistique générale et stylistique » au cours du semestre d’hiver 1930-1931, donc en janvier 1931, et il était en congé sabbatique au semestre d’été 1931.

2 Notamment en ce qui concerne les productions de la médium Hélène Smith, v. son ouvrage Des Indes à la planète Mars paru en 1910 chez Alcan.

3 « Sa pensée tire sans doute sa force de disciplines telles que la psychologie, l’ethnologie, l’anthropologie et la sociologie, qui, au début du XXe siècle, se sont inscrites dans l’horizon épistémologique du linguiste. »