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Questions d’accentologie lituanienne : l’hypothèse d’une isoglosse balto-germanique

À propos de Jay H. Jasanoff, The Prehistory of the Balto-Slavic Accent, Brill, Leiden/Boston, 2017

Silvia PICCINI

Istituto di Linguistica Computazionale “A. Zampolli”

silvia.piccini@ilc.cnr.it

1. Aperçu de The Prehistory of the Balto-Slavic Accent

Si l’accentologie constitue un domaine à part, souvent regardé avec un certain sentiment d’effroi et d’admiration par la plupart des linguistes1, c’est encore plus vrai de l’accentologie balto-slave. Elle assume souvent les contours d’un domaine « ésotérique » réservé à quelques initiés en mesure de se repérer dans une forêt de changements phonétiques, de lois et d’effets analogiques.

À cela il faut ajouter que, bien que l’accentologie balto-slave ait attiré l’attention de nombreux savants au fil du temps, la parution de compendiums ou monographies consacrés à ce sujet reste sporadique2, les différentes théories étant dispersées dans les journaux.

L’ouvrage intitulé The Prehistory of the Balto-Slavic Accent – dû à Jasanoff, professeur renommé de linguistique indo-européenne à l’Université de Harvard – comble donc un vide dans la littérature.

Il s’agit d’un ouvrage dense, complexe, riche en théories bien établies et en aperçus nouveaux où les travaux précédents de l’auteur, portant sur les différents aspects de l’accentologie balto-slave, sont repris et systématisés dans une théorie générale organique.

Le point de départ est le suivant : le védique et le grec conservent la situation la plus archaïque tandis que la branche balto-slave a acquis au fil du temps une physionomie spécifique dans le domaine prosodique, en s’éloignant de plus en plus de la situation indo-européenne. Des changements si profonds se sont produits que Meillet en 1916 écrivait : « On ne peut rapprocher que les procédés généraux du védique, du grec, du baltique et du slave. Ces procédés concordent en gros ; mais les divergences sont telles qu’il est impossible de reconstituer avec quelque détail l’état indo-européen »3.

Cette épigraphe, placée en tête du premier chapitre de l’ouvrage, synthétise le défi auquel nous confronte tout un siècle d’études. Or, ce défi est relevé par Jasanoff. L’entreprise n’est pas banale, le but du travail étant ambitieux : reconstruire l’histoire – ou plutôt la préhistoire – des phénomènes prosodiques qui ont caractérisé le balto-slave et qui le distinguent des autres langues indo-européennes.

Grand connaisseur du sujet, Jasanoff expose ses théories et leur donne une base solide en tenant compte des contributions majeures des savants d’autres écoles.

La lecture de cet ouvrage peut être abordée à la fois par les spécialistes et par les lecteurs les moins expérimentés dans le domaine de la phonétique indo-européenne, qui seront habilement amenés par l’auteur à prendre progressivement conscience des idiosyncrasies et des spécificités du système balto-slave par rapport aux autres branches de l’indo-européen.

Dans le premier chapitre (pp. 1-30), Jasanoff, en cinéaste expérimenté, donne tout d’abord un aperçu du système phono-prosodique de l’indo-européen, pour pointer ensuite la caméra sur les langues filles individuelles, à l’exception du balto-slave qui constitue le sujet princeps de tous les chapitres suivants.

Les aspects théoriques fondamentaux sont résumés en 6 pages environ (pp. 2-7). L’inventaire phonologique du proto-indo-européen (PIE) établi par les Néogrammairiens, dont le Grundriss est l’une des expressions les plus achevées, n’a pas subi de grandes réécritures au fil du temps, la seule différence substantielle consistant en l’introduction des laryngales.

D’un point de vue prosodique, le PIE était caractérisé par un accent libre qui pouvait affecter toute syllabe du mot et qui était réalisé comme un accent de hauteur consistant essentiellement en une élévation de la voix sur la syllabe accentuée. L’interaction profonde entre l’accent et l’apophonie dans la flexion nominale trouve sa systématisation dans une subdivision en quatre classes (acrostatiques, proterocinétiques, hysterocinétiques et amphicinétiques), qui cesse d’être opérationnelle à la fin de la période indo-européenne.

À l’exception de la branche balto-slave, les langues filles conservent plus ou moins fidèlement la situation héritée : l’indo-iranien (pp. 7-10), le plus conservatif, montre – au-delà de quelques exceptions – une forte tendance à généraliser l’accent columnal ; le grec (pp. 10-15) introduit une structure moraïque des voyelles longues et des diphtongues à laquelle est associée la distinction entre accent aigu et accent circonflexe. Après un bref survol de l’anatolien (pp. 15-16), l’auteur passe au germanique (pp. 16-20), qui lui fournit l’occasion de présenter au lecteur la distinction entre voyelles bimoriques – générées à partir de séquences du type *-VH# après la chute des laryngales – et voyelles trimoriques, à savoir des voyelles longues en position finale absolue, articulées avec quelques millisecondes de longueur supplémentaire et produites à partir de séquences du type *-VHV# après la chute des laryngales. Comme le lecteur le découvrira dans les pages suivantes, il s’agit d’une distinction déterminante également en balto-slave, où – selon l’auteur – elle aurait joué un rôle fondamental dans la genèse de l’acuité.

Après un bref aperçu du comportement de l’accent et de l’apophonie dans les processus de dérivation secondaire interne et externe, le chapitre se conclut par des considérations théoriques plus générales. L’auteur, tout en reconnaissant le potentiel de l’approche générativiste compositionnelle inaugurée par Halle et Kiparsky, en souligne les limites pour les analyses diachroniques. Il reste ainsi dans la « tradition » en adoptant une approche définie par lui-même comme « néogrammairienne générativiste » (generative Neogrammarianism), où une place centrale est réservée aux lois phonétiques et à l’analogie, considérées comme les deux forces motrices principales des changements phonologiques et morphophonémiques.

À partir du chapitre suivant, des questions purement balto-slaves sont abordées.

En particulier, le deuxième chapitre (pp. 31-73) est consacré à une description synchronique du système accentuel du proto-balto-slave reconstruit à travers la comparaison des langues baltes d’un côté – le lituanien, le samogitien, le letton et, autant que possible, l’ancien prussien – et du proto-slave de l’autre, ce dernier reconstruit à partir des langues slaves individuelles.

Bien que pour Jasanoff le lituanien constitue « still the most conservative individual language overall » (p. 31), c’est le proto-slave qui préserve les caractéristiques à attribuer à un stade proto-balto-slave plus ancien. Le système aurait donc été caractérisé par l’introduction de deux innovations fondamentales par rapport au PIE.

Tout d’abord, l’intonation était totalement indépendante de l’accent, le contraste aigu ~ circonflexe étant phonologiquement réalisé même dans les syllabes non accentuées, comme le démontrent le lituanien d’une part et le slave d’autre part.

Le fait qu’il n’existe aucun rapport nécessaire en lituanien entre l’intonation et l’accent constitue la grande intuition, implicitement présupposée par la loi de Leskien, et rendue explicite par Saussure4, qui parvient ensuite à la formulation de la célèbre loi présentée pour la première fois à ses collègues à l’occasion du Xe Congrès international des orientalistes.

La conséquence fondamentale de la loi de Saussure consiste en une réduction des quatre paradigmes accentuels décrits par Kurschat à deux paradigmes ; le système acquiert une « parfaite simplicité des schémas », le paradigme immobile s’opposant au paradigme mobile, où l’accent se déplace entre la syllabe initiale et la syllabe finale, dessinant ce que l’école de Moscou appelle la « courbe accentuelle » (акцентная кривая) du paradigme.

L’équivalent de la loi de Saussure dans le domaine slave est la loi énoncée par Dybo5, selon laquelle l’accent non aigu se déplace sur la syllabe suivante. La preuve du lien entre intonation et syllabe atone est dans le corollaire de la loi : si la syllabe est caractérisée par un aigu avant de recevoir l’accent, elle reçoit une intonation aiguë (ascendante) ; si la syllabe n’est pas marquée par l’aigu avant de devenir tonique, elle acquiert un accent circonflexe (descendant), déplacé ensuite à gauche sous l’effet de la loi de Stang-Ivšić.

Les effets de la loi de Dybo sont analogues à ceux que détermine la loi de Saussure : les trois paradigmes toniques du proto-slave A, B, C – identifiés pour la première fois par Stang dans l’œuvre phare Slavonic Accentuation6 – sont réduits à deux, le paradigme A et le paradigme B fusionnant en une seule classe accentuelle immobile.

La deuxième innovation balto-slave identifiée par Jasanoff est la distinction entre deux types d’accent phonétique, caractérisés par des contours différents de hauteur : l’accent lexical (lexical accent) affectant toute syllabe, longue ou brève, réalisé par une intonation ascendante et l’accent marginal-gauche (left-marginal accent). Par ce néologisme forgé en 20087, l’auteur désigne l’accent attribué par défaut aux mots dépourvus d’accent lexical qui appartiennent aux paradigmes toniques mobiles. Contrairement à l’accent lexical, l’accent marginal-gauche affecte toujours la syllabe initiale et est caractérisé par une intonation descendante.

Cette opposition entre l’accent lexical et l’accent marginal-gauche, perdue en lituanien, se refléterait en samogitien et en letton, où le noyau aigu affecté par l’accent lexical serait réalisé par une intonation rude (sustained tone) tandis que le noyau aigu affecté par l’accent marginal-gauche8 aurait une intonation traînée (broken tone). En d’autres termes, le letton aurait transformé l’acuité associée à l’accent marginal-gauche en une constriction glottale. Ce fait corroborerait une hypothèse avancée pour la première fois par Vaillant en 19369 et aujourd’hui soutenue par de nombreux savants, selon laquelle l’acuité correspondrait d’un point de vue phonétique-articulatoire à une interruption de la voix « normale » semblable au stød. Cette idée est renforcée par des tendances aréales (livonien et danois) et typologiques montrant ainsi que le passage d’un trait segmental à un trait tonal n’est pas rare10.

Dans le troisième chapitre (pp. 74-103), Jasanoff introduit le lecteur au cœur de la première grande question que se pose tout érudit voulant traiter de l’accentologie balto-slave : quelle est l’origine de l’acuité ?

S’il existe un large consensus sur le fait que ce trait innovant balto-slave consiste en fait en une constriction glottale, une profonde divergence caractérise au contraire les théories portant sur son origine. À la thèse quantitative traditionnelle, dont Jasanoff constitue l’un des principaux partisans11, s’oppose la thèse du « contact glottalique », défendue à plusieurs reprises et avec ardeur par Kortlandt12, pour qui l’acuité est le reflet phonétique direct de la présence d’une consonne laryngale voisine ou d’un arrêt glottal. Entre les deux linguistes un débat à coups d’articles a commencé de longue date, prenant parfois les tons amers et durs d’une véritable diatribe13.

Contrairement à Kortlandt, Jasanoff pense que l’acuité est liée à la longueur de la voyelle : toutes les voyelles longues normales génèrent des aigus en balto-slave (« Acuteness is a reflex of normal vowel lenght » : p. 80). Plus spécifiquement, après la chute des laryngales, l’ancien contraste, attesté en germanique entre la prononciation « normale » des voyelles bimoriques et l’articulation extra-longue des voyelles trimoriques, aurait été rephonologisé en balto-slave et traduit en une opposition aigu ~ non-aigu, renforcée par l’insertion d’un stød. Les exceptions sont expliquées par le recours à l’analogie et surtout à la métatonie douce, à savoir le passage des noyaux historiquement aigus aux circonflexes, un phénomène massif en baltique à la base du processus dérivationnel.

La différence de point de vue concernant l’origine de l’acuité en balto-slave repose – en réalité – sur une divergence de vues concernant la question plus large du traitement des voyelles proto-indo-européennes intrinsèquement longues, et en particulier des voyelles longues apophoniques (ablaut de Narten et dérivation vr̥ddhi).

Kortlandt attribue à ces voyelles un destin différent de celui des voyelles longues produites par les laryngales ou la loi de Winter, qui seules auraient donné un accent aigu en balto-slave. Les voyelles intrinsèquement longues, en effet, selon le linguiste néerlandais, auraient toujours donné un accent circonflexe en balto-slave – une thèse jugée sans fondement par Jasanoff : « A priori, there is no reason outside the context of the glottalic theory why long vowels of Winter’s Law origin should have been treated differently from ordinary lengthened grades. From anyone other than a committed glottalicist, a finding that Winter’s Law and “normal” long vowels had different intonational outcomes would be very marked indeed » (p. 83 note 26).

On arrive ainsi au quatrième chapitre (pp. 104-130), entièrement consacré à l’autre grand trait innovant de la branche balto-slave, à savoir la mobilité accentuelle.

Le premier souci de l’auteur est d’établir une chronologie relative correcte de la mobilité qui constitue sans doute la plus ancienne innovation identifiable en balto-slave, antérieure – dans l’ordre – à la loi de Hirt, à la perte des laryngales tautosyllabiques avec allongement compensatoire et enfin à l’émergence consécutive du contraste aigu ~ non aigu.

Quelle que soit l’ancienneté de cette innovation, Jasanoff efface immédiatement l’idée d’une mobilité balto-slave dérivant de la mobilité proto-indo-européenne. Le modèle amphicinétique du PIE – dont il ne reste que de faibles traces dans la flexion nominale du grec, de l’anatolien et de l’indo-iranien – ne peut être comparé que vaguement à la mobilité balto-slave, caractéristique envahissante du système accentuel à la fois pour les noms et pour les verbes. L’auteur s’éloigne ainsi des idées proposées par Meillet qui, au fil du temps, ont trouvé des adeptes éminents tels que Stang et Illič-Svityč, pour revenir plutôt aux théories avancées dans le célèbre article de 1896 par Saussure, qu’il caractérise à juste titre comme « le découvreur » de la mobilité.

Et l’opération menée par l’auteur consiste à projeter dans une époque proto-balto-slave la règle de rétraction de l’accent postulée par Saussure, en la transformant – selon la reformulation de Pedersen – en une loi phonétique dans le sens néogrammairien du terme, surmontant ainsi les « obstacles » évoqués par le maître genevois14. Cette loi nommée par Jasanoff « la loi Saussure-Pedersen » (Saussure-Pedersen’s Law ou SPL) a le pouvoir d’expliquer en même temps la rétraction d’une syllabe à gauche de l’accent PIE affectant une syllabe ouverte brève en position interne et la création d’un accent marginal-gauche dans le cas particulier où la syllabe qui reçoit l’accent se trouve en position initiale. Le changement phonétique obéissant à la loi Saussure-Pedersen se déroule de façon régulière et les effets de la loi se propagent sous la pression de l’analogie. Toutefois, cette première phase de proto-mobilité entraîne une surgénération de formes à accent marginal-gauche. C’est dans une phase subséquente – celle de la mobilité canonique balto-slave – que les mots composés de plus de trois syllabes – en particulier les cas forts15 et les présents athématiques du type *vede/o- – perdent leur accent marginal-gauche et deviennent oxytons, par l’effet d’une seconde loi, nommée par Jasanoff « la loi Proto-Vasil’ev-Dolobko » (Proto-Vasil’ev-Dolobko’s Law ou Proto-VDL).

Jasanoff construit ainsi une théorie de la mobilité envisageant d’un point de vue purement « mécanique » deux mouvements, un module de rétraction de l’accent (retraction module) et un module de progression de l’accent (advancement module).

La force de la solution proposée par Jasanoff est de fournir une explication de la mobilité qui intéresse en même temps le système nominal et le système verbal, surmontant ainsi les limites de la loi de mobilité proposée par Olander, qui échoue de manière dramatique avec les verbes : « Olander’s final-syllable-based sound law, which yields an indifferent fit with the data and fails dramatically with verbs » (p. 118).

En effet, l’identité étymologique entre la mobilité balto-slave et l’oxytonie indo-européenne, théorème fondamental sur lequel se fondent la plupart des théories, semble se lézarder lorsqu’on cherche à donner une explication de la mobilité dans le système verbal, où certaines formes ne deviennent oxytons qu’à un moment ultérieur, à partir de formes indo-européennes à accent radical.

Les deux chapitres suivants (Chapitre 5 et Chapitre 6) sont dédiés à une « more systematic review of data » ayant pour but ultime de (dé)montrer la validité de la théorie de la mobilité illustrée précédemment, et en particulier la capacité des deux lois phonétiques – la loi Saussure-Pedersen et la loi Proto-Vasil’ev-Dolobko – à expliquer la courbe accentuelle des paradigmes mobiles nominaux et verbaux.

Les premiers paragraphes du cinquième chapitre (pp. 131-179) sont consacrés aux « cas faibles » (light cases) des thèmes mobiles en -ā, -i, -u et consonantiques (pp. 133-140) et des thèmes masculins en -o (pp. 141-147), car ceux-ci présentent une courbe accentuelle « normale ». En effet, la place de l’accent dans les différentes formes du paradigme est héritée du stade balto-slave ou est dérivable régulièrement par l’action de la loi Saussure-Pedersen ou de l’analogie. Les seules exceptions sont représentées d’un côté par l’accusatif singulier et pluriel, pour lesquelles une loi phonétique est introduite qui règle la rétraction de l’accent dans les séquences finales du type * -V̌NC, et d’un autre côté par des formes des thèmes masculins en -o (génitif singulier, locatif singulier et nominatif pluriel).

Jasanoff passe ensuite aux « cas forts » (heavy cases) et au génitif pluriel, où le déplacement de l’accent sur la syllabe finale est expliqué par l’action de la loi Proto-Vasil’ev-Dolobko qui, après une première phase d’application aux formes à quatre syllabes ou plus, subit une véritable morphologisation.

La force de la théorie élaborée par Jasanoff repose tout entière dans son pouvoir explicatif majeur par rapport à la théorie avancée par Olander, pour qui l’émergence de la mobilité bipolaire dans les verbes et dans les cas forts n’est pas considérée comme un phénomène unitaire balto-slave, mais comme une conséquence de deux lois qui agissent tardivement et indépendamment l’une de l’autre, à savoir la loi de Saussure en lituanien et la loi de Dybo en slave.

Les neutres (pp. 158-168) et les pronoms (pp. 169-172) faisant l’objet d’une discussion séparée, le chapitre se conclut par une analyse critique de la distinction entre morphème à valence dominante et morphème à valence récessive introduite par Dybo et l’école de Moscou. Cette distinction perd tout fondement dans le cadre théorique décrit par Jasanoff, comme le montre le processus de dérivation secondaire. Que le suffixe soit étymologiquement récessif ou dominant, la forme dérivée obéit toujours à la même règle, nommée par Jasanoff « règle de l’accent dérivationnel » (Derivational Accent Rule ou DAR) : la forme dérivée copie l’accent de la forme de base.

Le sixième chapitre (pp. 180-230), entièrement consacré à l’étude de la mobilité dans la flexion verbale, représente le fleuron de cet ouvrage. Ici Jasanoff aborde un sujet rarement examiné dans les études précédentes, souvent confinées à la flexion nominale. Les motivations de cette lacune sont faciles à comprendre : « It is easy to understand the traditional lack of attention to verbs in the accentological literature. The data are less abundant and less transparent than in nouns. East Baltic has no mobile finite paradigm at all, and the Slavic facts were a hopeless jumble until the work of Stang » (p. 116).

La mobilité verbale constitue un phénomène vivant en slave, mais difficile à reconstruire sur la seule base du lituanien. Dans le contexte baltique c’est plutôt l’ancien prussien qui peut venir à la rescousse avec le letton, où le contraste intonationnel reflète une opposition plus ancienne mobile ~ immobile.

Dans la première partie du chapitre l’analyse se concentre sur le système du présent et part de ce que l’auteur – contrairement à Olander – considère comme le lieu le plus important de la mobilité verbale en balto-slave, à savoir les présents thématiques simples en *-e/o-. La courbe accentuelle mobile qui caractérise ces formations – accent marginal-gauche dans la 1ère personne singulier et accent final dans toutes les autre formes – aurait été générée par l’action successive de la loi Saussure-Pedersen et de la loi Proto-Vasil’ev-Dolobko. Elles auraient affecté au début les formes préfixées pour s’étendre subséquemment aux formes simples sous l’effet de l’analogie. Ensuite la courbe accentuelle se serait répandue dans les présents du type tudáti, dans les présents à infixe nasal avec valeur inchoative et anticausative, dans les présents en *ske/-o (suffixe inchoatif correspondant au lituanien -sta) et *-ie/o, après un processus analogique, appelé par Jasanoff « barytonisation thématique » (thematic barytonization), qui aurait eu pour effet de déplacer l’accent affectant la voyelle thématique sur la syllabe radicale (par exemple i.e. *gr̥h3 – é/ógŕ̥h3 – e/o).

Après les présents thématiques c’est au tour des présents « semi-thématiques », à savoir les présents en *-ā- et *-ĭ- du balte et les présents en *-i- du slave. Ces derniers donnent l’occasion à l’auteur de traiter l’une des principales questions de l’accentologie slave, à savoir les verbes en -iti qui appartiennent – selon la terminologie de l’école de Moscou – au paradigme accentuel b2 (APb2), s’opposant d’une part aux dénominatifs en -iti qui appartiennent au paradigme accentuel c et d’autre part aux itératifs en -iti. Ces derniers, appartenant à la classe accentuelle APb1, à l’ère proto-slave, ont généralisé, par effet de l’analogie, le paradigme immobile qui s’opposait au paradigme mobile des formes simples. Il s’agit d’une situation ancienne dont des traces demeurent à présent dans le phénomène connu sous le nom de poluotmetnost’ (« semi-rétractivité »), typique des dialectes stokaviens et en partie cakaviens.

En ce qui concerne les formes athématiques, Jasanoff se concentre sur les deux seuls verbes qui conservent la mobilité, comme le démontrent l’ancien lituanien et le slave, à savoir *dōdmi « donner » (lit. dúomi) et *ēdmi (lit. ė́mi) « manger », cette dernière forme – originairement immobile – étant devenue mobile par effet analogique de *dúodmi, avec lequel elle partageait la structure de la racine.

Le regard de l’auteur dépasse, donc, le système du présent pour se poser sur les autres temps. La situation à laquelle le lecteur est confronté en slave est très simple, se caractérisant par une parfaite correspondance accentuelle entre le présent et les autres temps verbaux. L’autonomie propre du PIE, où chaque temps obéit à des règles accentuelles spécifiques, a complètement disparu ; les temps verbaux « copient » la situation du présent, rappelant la « règle de l’accent dérivationnel », comme le démontrent l’infinitif, le supin, l’aoriste et le participe. Dans ce dernier cas, seules les formes résultatives en *-lo- des présents dont la racine se termine par une obstruction conservent leur immobilité archaïque, bien que le présent soit mobile.

Le chapitre se conclut par une brève mention de la situation balte : ici la correspondance mise en évidence par Stang, selon laquelle aux présents thématiques – fondamentalement mobiles – correspondent des prétérits mobiles et aux présents caractérisés par l’infixe nasal ou le suffixe -sta- – essentiellement immobiles – correspondent des prétérits immobiles, semble renforcer l’hypothèse d’un alignement du prétérit sur le présent en balte comparable à l’alignement entre aoriste et présent en slave.

Le septième chapitre (pp. 231-234) résumant les principaux concepts abordés dans les différents chapitres, le livre se conclut par une annexe contenant un glossaire particulièrement utile aux néophytes, consacré à la terminologie utilisée par l’auteur et à la définition des principales lois phonétiques de l’accentologie balto slave.

2. Du système de Baranauskas-Saussure à la théorie de l’acuité de Jasanoff : une nouvelle hypothèse à l’étude

La théorie de Jasanoff portant sur l’émergence de l’acuité en balto-slave évoque certains aspects du système vocalique et prosodique du lituanien tel qu’il a été décrit par Antanas Baranauskas dans l’ouvrage Ostlitauische Texte, publié en 1882 avec la collaboration d’Hugo Weber16.

Le système esquissé par le Lituanien n’a en réalité pas obtenu le succès et suscité l’attention qu’il aurait mérités chez les grammairiens et les linguistes de son époque. Il n’y a que Saussure qui ait compris l’importance des observations de Baranauskas en en tenant dûment compte dans son célèbre article, datant de 1894, consacré à l’accentuation lituanienne.

En effet, le système proposé par le linguiste lituanien est jugé par le Maître genevois plus solide que celui que proposent Schleicher17 ou Kurschat18, où « on ne rencontre qu’anomalie et surprise », et il acquiert encore plus de valeur du fait qu’il est « uniquement fondé sur l’expérience et l’observation de la langue parlée » (Saussure 1922 : 501-502)19.

La grande innovation de Baranauskas consiste en une distribution des voyelles sur une échelle à trois degrés, comprenant voyelles brèves (kurz), voyelles semi-longues (mittelzeitig) et voyelles longues (lang). Dans la terminologie courante on parle respectivement de voyelles unimoriques, voyelles bimoriques et voyelles trimoriques.

La description donnée par le linguiste lituanien confirmerait donc la présence dans l’aire linguistique balte du contraste – attesté en germanique – entre voyelles longues bimoriques et voyelles hyper-longues trimoriques20. Plus spécifiquement, ce contraste serait attesté dans les dialectes orientaux21 de la Lituanie.

En ce qui concerne la quantité vocalique des syllabes en position finale22, toutefois, les différences entre la description synchronique de la langue lituanienne réalisée par Baranauskas et la situation germanique reconstruite par Jasanoff sont évidentes.

Jasanoff note que – en position finale – la séquence PIE *-VH, qui en germanique donne lieu à des voyelles longues (bimoriques dans la terminologie de Baranauskas), en lituanien apparaît comme caractérisée par une intonation aiguë ; les séquences *-VHV, par contre, correspondent en germanique à des voyelles hyper-longues (trimoriques dans la terminologie de Baranauskas) et en lituanien à des tranches vocaliques caractérisées par une intonation douce et donc par un accent circonflexe (p. 77).

Dans le modèle prosodique du lituanien décrit par Baranauskas, on peut avoir – en position finale – une opposition entre voyelles brèves unimoriques et voyelles semi-longues bimoriques. Tertium non datur, les voyelles longues trimoriques n’apparaissant jamais en position finale. Du point de vue de l’intonation, cela revient à dire que les tranches vocaliques à intonation rude ne peuvent pas se trouver en position finale, où sont possibles seulement des tranches bimoriques à intonation douce (geschliffen) et des tranches vocaliques unimoriques caractérisées par l’accent grave marquant l’absence de contraste d’intonation.

Une différence émerge immédiatement : à l’opposition entre voyelles bimoriques et voyelles trimoriques du germanique en position finale correspond en lituanien une opposition entre voyelles unimoriques et voyelles bimoriques.

Les deux systèmes sont-ils si incompatibles qu’il semblerait à première vue ?

Supposons que la situation reconstruite pour le germanique ait également caractérisé le proto-balte : dans une première phase la séquence PIE *-VH# aurait donné des séquences bimoriques à la fois en proto-balte et en germanique. De surcroît, en proto-balte, la présence d’une laryngale aurait entraîné, comme reflet indirect, l’émergence du trait [+ aigu], conception qui est déjà en germe chez Saussure et qui a été ensuite développée par de nombreux savants, parmi lesquels Kortlandt.

La séquence *-VHV#, par contre, aurait donné lieu dans les deux branches à des tranches vocaliques trimoriques, articulées avec quelques millisecondes de longueur supplémentaire par rapport aux voyelles longues23 et caractérisées en balto-slave par une intonation douce, générée par opposition avec l’intonation rude24.

Subséquemment, dans une deuxième phase, et en particulier dans le passage du proto-balte au lituanien, on assisterait à un abrégement général qui aurait investi toute tranche vocalique en position finale, les voyelles trimoriques se transformant en voyelles bimoriques et les voyelles bimoriques en voyelles unimoriques. Par conséquent, ces dernières auraient perdu leur intonation aiguë en accord avec la loi de Leskien, la tranche vocalique brève étant synonyme de tranche non intonable. Les voyelles bimoriques, par contre, auraient conservé leur intonation douce. Le phénomène d’abrégement des voyelles en position finale dans certains dialectes aurait fini par affecter également les voyelles unimoriques jusqu’à en entraîner la chute, comme par exemple dans roñk (de ran̄kà) ou gałw (galwà)25.

Que se passe-t-il en position interne ?

En position interne, comme Jasanoff lui-même le souligne26, le contraste entre *-VH- et *-VHV- est attesté seulement en balto-slave et de manière résiduelle. Une comparaison avec le germanique est donc impossible.

Le système des Baranauskas prévoit – en position interne – une opposition entre voyelles bimoriques et voyelles trimoriques, l’intonation aiguë étant associée exclusivement aux séquences trimoriques et l’intonation douce circonflexe aux séquences trimoriques et semi-longues. Ces dernières dérivent historiquement d’anciennes brèves27, qui seules auraient subi l’allongement d’une more en position interne, créant ainsi une sorte d’« asymétrie ».

Afin de rétablir un « équilibre », on peut donc avancer l’hypothèse selon laquelle un phénomène d’allongement aurait affecté les syllabes internes, comme le phénomène d’abrégement a affecté les syllabes finales. Par conséquent, en position interne, la tranche syllabique semi-longue serait devenue trimorique, en conservant l’intonation aigüe due à la présence d’une ancienne laryngale après consonne (séquence *-VHC-) ; les voyelles unimoriques seraient devenues bimoriques et auraient acquis une intonation douce par opposition aux tranches syllabiques dérivant historiquement de la séquence PIE *-VHC-.

Un problème ouvert serait représenté par la séquence « voyelle + laryngale + voyelle » (*VHV), dont la présence en position interne est toutefois très rare, la plupart des exemples étant confinés aux morphèmes grammaticaux28. En supposant, en effet, que la séquence *-VHV- subisse un allongement, on aurait des séquences composées de plus de trois mores, séquences qui en réalité ne sont pas attestées en lituanien sauf dans de rares cas29.

Nombreux, par contre, sont les exemples de voyelles trimoriques à intonation aiguë en position interne, qui dérivent de la séquence *-VH-30 : dė́ti < *dheh1- ; bróžti <*bhreh2- ; dúona <*dhoH-neh2- ; výras <*ṷiH-ró ; pū́rai <*puH- ró-, etc.

Le tableau 1 offre une représentation schématique de la situation reconstruite pour le germanique comparée au système prosodique du lituanien proposé par Baranauskas.

POSITION FINALE
PIEGermanique (Jasanoff)Proto-balteLituanien (Baranauskas-Saussure31)
*-VHTranche bimoriqueTranche bimorique + Intonation aiguëTranche unimorique - Intonation (Lex Leskien)
*-VHVTranche trimoriqueTranche trimorique + Intonation douceTranche bimorique + Intonation douce
POSITION INTERNE
*-V-Tranche unimorique - IntonationTranche bimorique + Intonation douce
*-VH32-Tranche bimorique + Intonation aiguëTranche trimorique + Intonation aiguë

Tableau 1. Reconstruction en diachronie du système Baranauskas-Saussure sur la base de la comparaison avec le germanique

La comparaison ici proposée constitue seulement une hypothèse de travail, un certain nombre de questions méritant une étude ultérieure plus approfondie, comme par exemple le cas des séquences *-VHV- en position interne, ou le rapport entre le système de Baranauskas et la situation du lituanien standard.

La possibilité, toutefois, d’identifier une évolution similaire dans les branches germanique et balte à partir d’une situation indo-européenne donnée constitue un élément intéressant en faveur de ceux qui affirment que la région balto-slave aurait entretenu des relations étroites avec le proto-germanique, comme différentes isoglosses le démontrent33.

De surcroît, une telle hypothèse permet de placer la lex Leskien et l’allongement des voyelles brèves en position interne dans le cadre plus général de changements qui éliminent toute asymétrie, le phénomène d’abrégement affectant toutes les tranches vocaliques finales et le phénomène d’allongement affectant toutes les tranches vocaliques internes. Dans ce contexte, l’acuité resterait fondamentalement indifférente à la variation de la quantité syllabique, qu’elle soit bimorique ou trimorique, malgré l’origine commune du contraste d’intonation et du contraste quantitatif.

En d’autres termes, la présence de l’intonation aiguë serait exclusivement déterminée par la présence d’une laryngale en position finale de la syllabe et totalement indépendante du contraste entre une tranche vocalique bimorique et une tranche vocalique trimorique.

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1 Cf. P. Garde, « Spécificités de l’accentologie », Baltistica 7 (2011), pp. 87-102.

2 Parmi les principales, cf. : P. Garde, Histoire de l’accentuation slave, Paris, Institut d’études slaves, 1976 ; V. A. Dybo, Славянская акцентология [Slavic accentology], Moscow, Nauka, 1981 ; Th. Olander, Balto-Slavic accentual mobility, Berlin, de Gruyter, 2009 ; R. Sukač, Introduction to Proto-Indo-European and Balto-Slavic Accentology, Newcastle upon Tyne, United Kingdom, Cambridge Scholars Publishing, 2013.

3 A. Meillet, « Sur l’accentuation des noms en indo-européen », Mémoires de la Société de linguistique de Paris 19, 2 (1916), pp. 65-84.

4 F. de Saussure, « À propos de l’accentuation lituanienne (intonations et accent proprement dit) », in Recueil des publications scientifiques de Ferdinand de Saussure [Rec.], dir. Ch. Bally et L. Gautier, Genève, Société anonyme des Éditions Sonor, 1922, pp. 490-512 (= Mémoires de la Société de linguistique de Paris 8 (1894), pp. 425-446) : « C’est une conséquence directe, ou plutôt la supposition préalable de la loi de Leskien sur l’abrègement des finales, que les intonations “geschliffen” et “gestossen” existent (ou ont existé ò un moment donné) aussi bien chez les longues atones que chez les longues toniques » (p. 490).

5 V. A. Dybo, « O реконструкции ударения в праславянском глаголе [On reconstructing the accent in the Proto-Slavic verb] », Вопросы славянского языкознания 6 (1962), pp. 3-27.

6 Ch. S. Stang, Slavonic Accentuation, Oslo, Universitetsforlaget, 1957.

7 Cf. J. H. Jasanoff, « The accentual type *vèdō, *vedetı̍ and the origin of mobility in the Balto-Slavic verb », Baltistica 43, 3 (2008), pp. 339-379 et J. H. Jasanoff, « Balto-Slavic mobility as an Indo-European problem », in From present to past and back: Papers on Baltic and Slavic accentology, dir. R. Sukač, Frankfurt, Peter Lang, 2011, pp. 52-74. Ici l’auteur introduit une distinction entre « in situ accent » et « left-marginal accent » (accent marginal-gauche). Dans l’ouvrage qui fait l’objet du présent compte rendu, le premier terme est remplacé par « lexical accent », tandis que le deuxième a été conservé.

8 Ou plus précisément, tout noyau qui n’est pas affecté par l’accent lexical.

9 A. Vaillant, « Le problème des intonations balto-slaves », Bulletin de la Société de linguistique de Paris 37 (1936), pp. 109-115.

10 Cf. Garde, « Spécificités de l’accentologie ».

11 Cf. à titre d’exemple : J. H. Jasanoff, « The nom. sg. of Germanic n-stems », in Verba et Litterae: Explorations in Germanic Languages and German Literature. Essays in Honor of Albert L. Lloyd, dir. A. Wedel, H.-J. Busch, Newark, Delaware, 2002, pp. 31-46 ; J. H. Jasanoff, « Acute vs. circumflex: Some notes on PIE and post-PIE prosodic phonology », in Per Aspera ad Asteriscos. Studia Indogermanica in honorem Jens Elmegård Rasmussen (= Innsbrucker Beiträge zur Sprachwissenschaft 112), dir. A. Hyllested et al., Innsbruck, 2004, pp. 247-256 ; J. H. Jasanoff, « The accentual type *vèdō, *vedetı̍ ».

12 Cf. F. Kortlandt, Slavic accentuation: A study in relative chronology, Lisse, Peter de Ridder Press, 1975 ; F. Kortlandt, « Historical laws of Baltic accentuation », Baltistica 13, 2 (1977), pp. 319-329 ; F. Kortlandt, « Long vowels in Balto-Slavic », Baltistica 21, 2 (1985), pp. 112-124 ; F. Kortlandt, « PIE. lengthened grade in Balto-Slavic », in Festschrift for Eric P. Hamp, dir. D. Q. Adams, vol. II, [col. Journal of Indo-European Studies, monograph 25], Washington, D.C., Institute for the Study of Man, 1997, pp. 26-31 ; F. Kortlandt, « The rise and fall of glottalization in Baltic and Slavic », Linguistica Baltica 7 (1998), pp. 147-150 ; F. Kortlandt, Baltica & Balto-Slavica, Amsterdam, New York, Rodopi, 2009.

13 Cf. F. Kortlandt, « Balto-Slavic accentuation: Some news travels slowly », Baltistica 39, 1 (2004), pp. 7-9 ; F. Kortlandt, « Noises and nuisances in Balto-Slavic and Indo-European linguistics », Baltistica 40, 1 (2005), pp. 9-11 ; F. Kortlandt, « All’s well that ends well », Baltistica 44, 1 (2009), pp. 59-63 ; J. H. Jasanoff, « Balto-Slavic accentuation: telling news from noise », Baltistica 39, 2 (2004), pp. 171-177.

14 Cf. F. de Saussure, « Accentuation lituanienne », in Recueil des publications scientifiques de Ferdinand de Saussure [Rec], dir. Ch. Bally et L. Gautier, Genève, Société anonyme des Éditions Sonor, 1922, pp. 526-538 (= Indogermanische Forschungen, Anzeiger 6, 1896, pp. 157-166) : « Il est malheureusement difficile de dire le caractère qu’aurait cette loi, car il y a des obstacles à la transformer en loi phonétique pure et simple » (p. 533 note 1). La règle de rétractation de l’accent postulée par Saussure dans l’article de 1896 ne doit pas être confondue avec la célèbre loi formulée au début du même article.

15 Il sera utile de rappeler au lecteur que le terme est utilisé par Jasanoff pour désigner le locatif pluriel en *-su et les « cas en m » (m-cases) de l’instrumental singulier, du datif-instrumental duel, du datif pluriel et de l’instrumental pluriel.

16 Cf. A. Baranowski, H. Weber, Ostlitauische Texte: mit Einleitung und Anmerkungen, Weimar, H. Böhlau, 1882.

17 A. Schleicher, Litauische Grammatik, Prag, Calwe’sche Verlagsbuchhandlung, 1856.

18 F. Kurschat, F., Grammatik der littauischen Sprache, Halle, Verlag der Buchhandlung des Waisenhauses, 1876.

19 Cf. également les passages suivants tirés de A. Baranowski, H. Weber, Ostlitauische Texte, p. XV : « Von einschneidender Bedeutung für die litauische Grammatik ist die Lehre Baranowski’s von der Quantität und dem Accente, in welcher er Schleicher und Kurschat weit überholt » ; ou ibidem, p. XXI : « Dass diese scheinbar schematischen Verhältnisse gerade auf genauester Beobachtung der lebenden Sprache beruhen und der Wirklichkeit entsprechen, wird bald noch deutlicher hervortreten ».

20 Afin d’éviter des malentendus liés à des différences de terminologie, il faut remarquer que les voyelles longues bimoriques et les voyelles hyper-longues trimoriques mentionnées par Jasanoff correspondent respectivement aux voyelles semi-longues et aux voyelles longues du système de Baranauskas.

21 Bien que cette distinction à trois degrés ne se retrouve pas dans toutes les régions dialectales, les syllabes semi-longues étant difficiles à identifier dans certains cas, Baranauskas déclare que « […] nun ist die zu Grunde liegende Quantität für ganz Litauen gemeinsam […] » (A. Baranowski, H. Weber, Ostlitauische Texte, p. XX). Cette relative uniformité de la quantité vocalique dans toute l’aire linguistique lituanienne, obscurcie par la survenue de circonstances spéciales (« mannigfaltige Umstände besonderer Art »), peut être reconstruite, les différences entre les dialectes se plaçant dans une sorte de relation proportionnelle réciproque (« eine Art gegenseitigen proportionalen Verhältnisses »). Sur l’hypothèse avancée par Bonfante (« Della intonazione sillabica indoeuropea », Memorie della R. Accademia nazionale dei Lincei: Classe di scienze morali, storiche e filologiche, 327, vol. III, 3 (1930), pp. 211-253) portant sur le vocalisme à trois mores de l’indo-européen, cf. B. Stundžia, « Giuliano Bonfantės įnašas į baltų kalbų akcentologiją », in Giuliano Bonfante. Baltistikos raštai. Scritti baltistica, dir. P. U. Dini, B. Stundžia, Vilnius, Vilniaus universiteto leidykla, 2008 (en particulier note 4, pp. 26-27).

22 Il faut remarquer que la description de Baranauskas se révèle très cryptique dans certains passages, car le linguiste lituanien ne distingue pas entre position interne et position finale. On adopte ici la relecture du système de Baranauskas proposée par Saussure (1894), qui introduit la distinction fondamentale entre tranche syllabique finale et tranche syllabique interne. En ce qui concerne les réflexions de Saussure sur l’accentuation lituanienne, cf. aussi J. Joseph, « Why Lithuanian Accentuation Mattered to Saussure », Language and History, vol. 52, 2 (2009), pp. 182-198 et D. Petit, « Ferdinand de Saussure, l’indoeuropeo e il lituano », Res Balticae 13 (2013), pp. 5-33. Pour une comparaison entre les systèmes de Kurschat, Baranauskas et Saussure cf. Ferdinand de Saussure, Baltistikos raštai / Travaux baltistiques, dir. D. Petit, B. Stundžia. Vilnius, Vilniaus universiteto leidykla, 2012.

23 Cf. Jasanoff (2017, p. 18, note 46) : « […]. It is thus in no way peculiar that two short vowels could have combined to yield a longer unit than an ordinary long vowel – especially not in a part of the world where phonetic hyperlenght, despite its typological rarity, is well-attested in Estonian and other nearby Uralic languages ».

24 Sur les réflexions théoriques de Saussure portant sur l’opposition entre l’intonation douce et l’intonation rude, cf. D. Petit, « New insights on Lithuanian accentuation from the unpublished manuscripts of Ferdinand de Saussure (1857-1913) », Baltic Linguistics 1 (2010), pp. 143-166.

25 Cf. A. Baranowski, H. Weber, Ostlitauische Texte, p. XVII.

26 « The contrast between *-VH- and *-VHV- sequences was also inherited on a small scale in non-final syllables » (Jasanoff 20017, p. 78).

27 À propos du système de Baranauskas, Saussure écrit : « L’INTÉRIEUR DU MOT NE CONNAIT QUE DES LONGUES ET DES SEMI-LONGUES. Sont longues, à part les diphtongues : les tranches o, ė, ů, y, ū, c’est-à-dire les anciennes longues. Sont semi-longues : les tranches a e i u (toniques ou atones), soit les ancienne brèves » (F. de Saussure, « À propos de l’accentuation lituanienne », p. 502).

28 Cf. W. Smoczyński, Laringalų teorija ir lietuvių kalba, Vilnius, Vilniaus universiteto leidykla, 2006, pp. 163-164 : « Laringalo išnykimas pozicijoje VHV sukelia hiatą, kuris vėliau pašalinamas kontrakcija. Lietuvių kalbos pavyzdžiai pirmiausia randami gramatinėse morfemose, plg. daiktavardinius -h2- kamienus: gen. sg. *-eh2-es > *ah2as > *a.as > -ās, liet. -os: žmonõs, plg. ved. gnās „žmonos“, lot. (pater) familiās „šeimos“ ir nom. sg. bhā́s, n. „šviesa“ iš *bhaHas < *bheh2-os- (plg. bhānú m. “šviesa, švytėjimas, spindėjimas”) ».

29 Cf. A. Baranowski, H. Weber, Ostlitauische Texte, p. XXVII.

30 Pour une liste riche d’exemples, cf. W. Smoczyński, Laringalų teorija ir lietuvių kalba.

31 Cf. note 9.

32 En ce qui concerne la séquence *-VHV- en position interne, cf. les considérations précédentes.

33 Cf. P. U. Dini, Le lingue baltiche, Scandicci (Firenze), La Nuova Italia Editrice, 1997, pp. 121-124.