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Ferdinand de Saussure : La correspondance de Saussure à Niedermann (1904-1908)

L’École de Saussure : admirer et pourtant ne pas comprendre

Silvia PICCINI

Istituto di Linguistica Computazionale “A. Zampolli”

silvia.piccini@ilc.cnr.it

Je tiens à remercier Giuseppe Cosenza, Daniele Gambarara et Francesca Murano pour leurs précieuses remarques sur une première version de cet article. La responsabilité de ce qui suit reste cependant la mienne.

En feuilletant « Une vie en lettres (1866-1913) » de Claudia Mejía Quijano (2014), l’ouvrage à ce jour le plus complet sur la correspondance de Ferdinand de Saussure, le lecteur peut être surpris par l’absence frappante du nom de Max Niedermann (1874-1954) parmi les correspondants du Maître genevois.

Ce silence suscite encore plus de suspicions si l’on considère la figure de Niedermann. Suisse comme Saussure, il perfectionne ses études à l’École des Hautes Études à Paris comme Saussure, suivant les cours de Michel Bréal, Gaston Boissier, Victor Henry, Sylvain Lévi et surtout Louis Havet et Antoine Meillet, ces deux derniers influençant profondément la forma mentis de Niedermann qui hérite du premier l’attention rigoureuse aux questions philologiques des textes classiques et du deuxième la profonde connaissance de la grammaire comparée. Professeur renommé à l’Université de Bâle et de Neuchâtel, en 1918 Niedermann commence à se consacrer à l’étude d’aspects historiques et lexicographiques lituaniens et de 1926 à 1941 il dirige les premiers volumes du Wörterbuch der litauischen Schriftsprache, en collaboration avec ses collègues de l’Université de Kaunas, Alfred Senn et Franz Brender.

Saussure ne pouvait donc que ressentir une certaine sympathie et une certaine estime pour cet intellectuel compatriote, qui partageait avec lui le grand intérêt et la profonde connaissance non seulement des langues classiques mais également des langues baltiques.

Niedermann ne connait Saussure qu’en 1908, lorsqu’il se rend à l’Université de Genève pour prendre part à la cérémonie intime organisée pour offrir au Maître genevois un recueil de « Mélanges linguistiques », dans la conception duquel il avait lui-même joué un rôle fondamental1.

Aujourd’hui, nous avons également la preuve que les deux savants ont entretenu un échange épistolaire, grâce à la découverte d’une petite correspondance (cote 102MNIE-2.204) parmi les documents appartenant au Fonds Max Niedermann déposé à la Bibliothèque Publique et Universitaire (BPU) de la ville de Neuchâtel. Sauf erreur, ces pièces sont inédites.

Toute la correspondance – consistant en deux lettres et deux cartes de visite – est de la main de Saussure et se concentre dans une période assez brève qui va de 1904 à 1908 ; les lettres envoyées par Niedermann à Saussure n’ont pas encore été retrouvées. Le support de la carte de visite est privilégié pour des messages courts liés à des circonstances spécifiques, tels que, par exemple, les remerciements pour l’envoi de contributions à caractère plus ou moins scientifique. L’espace plus ample de la lettre, comme on le verra, est réservé à des événements qui offrent au Maître genevois la possibilité de traiter – bien que brièvement – des questions théoriques.

Les sujets traités dans les lettres portent tous sur des aspects de phonétique historique du latin, l’un des domaines d’investigation les plus chers à Niedermann qui avait inauguré sa carrière avec une thèse de doctorat intitulée ĕ und ĭ im Lateinischen. Ein Beitrag zur Geschichte des lateinischen Vokalismus, et soutenue en 1897 sous la direction de Jacob Wackernagel, à l’Université de Bâle.

On donne ici une transcription intégrale – mais pas entièrement diplomatique – de cette correspondance. En particulier, la seule abréviation dans le texte a été développée entre crochets. Les annotations marginales ont été incorporées dans le texte et signalées dans les notes en bas de page. Les erreurs d’écriture manifestes ont été corrigées, comme par exemple la répétition d’un même mot, lorsqu’il a été écrit à la fin de la ligne d’une page et de nouveau au début de la ligne dans la page successive. Par contre, les biffures et les soulignements originaux ont été conservés.

Lettre autographe de trois pages du 18 juillet 1904 (BPU 102MNIE-2.204, ff. 1-5)

Vufflens Le-Chateau

18 juillet 1904 (Vaud)

Monsieur

Vous avez bien voulu me faire don du Spécimen d’un Précis de Phonétique hist[orique] latine2 que vous venez de publier, et ce n’est là qu’un des nombreux ouvrages dont je suis redevable à votre attention pour un vieux collègue. Les remerciements que je vous dois remontent, non à des semaines, mais à des années. Ces remerciements, j’aurais eu un grand plaisir à vous les exprimer dans chacune de ces occasions, car les choses que vous écriviez ne m’intéressaient pas seulement par leur valeur intrinsèque, qui est grande, mais j’y trouvais aussi tout l’intérêt particulier qui s’attache par sympathie aux œuvres d’un compatriote, et en second lieu d’un confrère par l’Ecole des Htes Etudes de Paris, d’un élève de notre ami M. Meillet. Toutes ces circonstances étant réunies, c’est cependant aujourd’hui la première fois que je prends la plume pour acquitter ma dette ou pour confesser mes torts. N’accusez que ma déplorable aversion, qui est malheureusement chez moi presque une infirmité, pour tout ce qui ressemble à une correspondance.

Le Spécimen que vous proposez aujourd’hui me fait grandement souhaiter que nous puissions voir achevé jusqu’au bout le Précis dont vous nous donnez un chapitre. En-dehors de toutes les qualités de méthode scientifique qui éclairent l’ouvrage comme3 par-dessous, je crois la méthode pédagogique esquissée dans ce Spécimen très juste. Par exemple se borner le plus possible à un exemple-type, ne rien surcharger, mais faire ressortir les grandes lignes, et en même temps ne pas craindre le détail dans certains cas indiqués. C’est ainsi que vous avez grand raison, selon moi, d’insérer in-extenso, et en plein texte, non au bas de la page, quelques passages classiques de Cicéron, Quintilien, Suétone, mettant en lumière des questions de prononciation. Nul n’y ferait attention en note, tandis que votre façon d’amener le passage peut faire réfléchir plus d’un élève, et être une révélation pour quelques-uns. Si vous me permettiez une très légère remarque, allant dans le même sens que vous recherchez, je dirais (pour exprimer une conviction que j’ai depuis bien longtemps) qu’on ne peut jamais user assez, pour obtenir la clarté pédagogique en phonétique, du procédé consistant à mettre en parallèle les traitements opposés résultant de conditions opposées. Je ne crois pas qu’on doive dire consécutivement que ĭ est devenu ĕ dans dulcĕ, et est resté ĭ dans dulcĭs, mais je crois qu’on doit le dire simultanément pour qu’on aperçoive la valeur des deux choses et leur limites, et dresser les tableaux sur deux colonnes, – ou4 trois colonnes –, quand même il y a naturellement par là danger de méconnaissance d’un fait capital, à savoir que5 a et b représentent des fai événements historiques, ipso facto distincts entre eux, et non une loi anhistorique régissant a et b comme par effet d’un code.

Quoi qu’il en soit de cette question pratique – souvent difficile à résoudre même en pratique parce qu’on peut se demander quel est le phénomène le plus désigné pour former contraste avec un autre – je vous prie, Monsieur, de ne voir dans ma remarque que la preuve du grand intérêt que j’ai pris à la lecture du Spécimen, et d’agréer mes félicitations sur une activité scientifique si pleine de promesses pour l’avenir de la linguistique dans notre Suisse romande.

Agréez, Monsieur, la cordiale expression de tous mes sentiments.

Fd de Saussure

Figure 1 – Le premier feuillet de la lettre autographe du 18 juillet 19046

Page 30, j’ai remarqué que vous mettez la conservation de l’ĕ dans le type dīvĕs sur le compte d’un fait qualitatif (présence du t). N’est-ce pas plutôt la conséquence de la position devant double consonne, car le t comme t7, avait dû disparaître de bonne heure. Plaute mīlēs, à lire selon Havet qui a évidemment raison, mīlĕss. D’où il suit que la cause de conservation est la même que dans haruspĕx8.

Carte de visite autographe du 19 mars 1906 (BPU 102MNIE-2.204 – sans foliotation). Au milieu de la carte de visite figure le nom de Ferdinand de Saussure sans adresse, selon une pratique répandue à l’époque. Le message, entouré d’un cadre à l’encre noire9, s’étend dans tout l’espace au-dessus et au-dessous du nom et dans une partie du verso.

Cher Monsieur

Ce n’est qu’aujourd’hui que je puis vous remercier des articles de la Neue Zürcher Zeitung10 que vous avez eu l’amabilité de m’envoyer et que je viens de trouver au retour d’une absence de trois mois que j’ai faite en Italie11. Je les ai lus avec tout l’intérêt que vous pouvez penser, fort touché en même temps de voir mon nom mis en si bonne compagnie à propos de la nomination au Collège de France12. Agréez, je vous prie mes compliments cordiaux.

F.S.

19 mars 06

Figure 2 – Le recto de la carte de visite autographe du 19 mars 1906

Figure 3 – Le verso de la carte de visite autographe du 19 mars 1906

Carte de visite autographe du 17 mai 1908 (BPU 102MNIE-2.204 – sans foliotation). Au milieu de la carte de visite figure l’écriture « Ferdinand de Saussure Professeur à l’Université », en bas à droite le nom de la ville de Genève. Le message occupe tout l’espace au-dessus et au-dessous du nom et s’étend au verso.

Cher Monsieur, veuillez recevoir tous mes remerciements pour l’envoie du tiré à part de la Glotta13. Je lis toujours avec bien du plaisir vos notes sur les gloses latines, et il y a toujours à y apprendre. Voici quelque temps que je n’ai pas eu l’occasion de voir notre ami commun M. Bally. Il m’aurait sans doute appris votre nomination à l’Académie de Neuchâtel14, que j’ignorais, et dont j’ai eu un extrême plaisir à voir la preuve dans la nouvelle adresse que vous me donnez. Toutes mes félicitations pour cet événement dont je suis bien satisfait, et compliments cordiaux de

F. de Saussure

17 mai 08.

Lettre autographe de deux pages du 25 juillet 1908 (BPU 102MNIE-2.204 – sans foliotation)

Cher Monsieur

Quoique je n’aie pu m’acquitter aussi tôt que je l’aurais voulu envers bien des confrères et des amis qu’il me reste encore à remercier, je tenais particulièrement dès le premier jour à vous dire tout le plaisir que vous m’avez fait en venant si aimablement de Neuchâtel prendre part à la petite fête de linguistes qui nous a réunis. Nous en avons éprouvé tous la plus grande satisfaction, mais j’ai eu encore personnellement celle de pouvoir faire votre connaissance, autrement que par vos travaux si avantageusement connus, – plaisir que je m’étais depuis longtemps promis sans en avoir eu jusqu’à présent l’occasion.

J’ai reçu quelques jours après de mon ami M. Paul Seippel15 à Zürich un numéro de la Neue Zürcher Zeitung16 dans lequel je vois que vous avez voulu donner un écho rétrospectif17 de la petite fête de Genève, et à le donner même d’une manière beaucoup trop élogieuse et aimable pour celui qui en avait été l’objet. Veuillez, malgré mes réserves pour l’importance que vous lui donnez, trouver ici mes remerciements pour ce nouveau témoignage obligeant et cordial de votre part.

Les idées que vous émettez dans les Mélanges Linguistiques, où je suis extrêmement heureux de compter votre nom dans la liste des collaborateurs, m’ont beaucoup frappé comme une solution qu’on n’avait jamais encore proposée pour le singulier problème de lat. vo vu etc.18 Il est certain que des formes tout à fait anciennes et multiples comme ecus en regard d’eqvos ôtent d’avance presque toute foi dans la réalité des certains19 vŏ, uŏ, soi-disant conservés par la langue latine ; c’est pourquoi une explication comme la vôtre qui ne fait intervenir que des circonstances graphiques m’a, je l’avoue, beaucoup séduit d’emblée. Je n’ai pu, naturellement, me faire à l’instant une conviction définitive, mais reste très enclin à croire que vous pouvez avoir raison, ou indiqué en tout cas un des points importants de la question.

Avec mes meilleurs remerciements, veuillez recevoir, Monsieur et cher Collègue, l’expression de mes sentiments distingués

Fd de Saussure

Vufflens-Le-Château, 25 juillet 08.

1. La lettre du 18 juillet 1904 : comment le changement phonétique doit-il être décrit ?

En 1904, annexé au Rapport annuel du Gymnase de La Chaux-de-Fonds, est publié le Spécimen d’une phonétique historique du latin, un petit volume de presque 40 pages, qui constitue le premier chapitre du célèbre ouvrage publié deux ans plus tard, en 1906, par la maison d’édition Klinksieck à Paris, sous le titre Précis de phonétique historique latine. À l’époque Niedermann est professeur de latin et de grec au gymnase de La Chaux-de-Fonds.

Dans le Spécimen, Niedermann illustre succinctement les principaux changements phonétiques subis par le système vocalique latin, en les subdivisant en transformations dues à l’intensité initiale et en transformations indépendantes de l’intensité initiale.

Destiné aux enseignants et aux élèves des classes supérieures des Lycées, Gymnases, et Athénées, comme Meillet le souligne dans l’avant-propos, le Spécimen s’inscrit parmi les « tentatives récentes de vulgarisation linguistique » en se proposant de combler la césure, le « divorce » existant entre les acquisitions désormais établies de la grammaire comparée et l’enseignement des langues classiques dans les écoles secondaires20. Le but est atteint : les résultats principaux de la phonétique historique du latin, jusque-là confinés au monde universitaire, sont mis à la portée du jeune latiniste, avec une rigueur jamais sacrifiée à la clarté. Les élèves peuvent comprendre les causes psychologiques et historiques qui ont déterminé les changements phonétiques, développant ainsi une conscience linguistique et affinant leur esprit critique ; les futurs professeurs peuvent bénéficier également de cet opuscule pour leur formation.

Il s’agit d’un travail révolutionnaire qui aurait pu rencontrer la résistance des collègues. Niedermann en est conscient et c’est pour cela qu’il demande à son ami et collègue Charles Bally le « grand service » de compiler un compte rendu pour La Suisse universitaire de Genève, avant la réunion annuelle des professeurs de gymnase à La Chaux-de-Fonds21. Craignant de rencontrer une attitude hostile de ses collègues, il aurait pu se référer à l’opinion de l’estimé Bally pour renforcer ses positions concernant le rôle de la linguistique dans l’enseignement secondaire.

Ce petit opuscule a certainement suscité un grand intérêt chez le Maître genevois. Comme souligné dans la lettre, il approuve la méthodologie esquissée par le collègue, le bon équilibre dans le choix pondéré des exemples, tous tirés des textes littéraires et épigraphiques et dénotant une attention rigoureuse aux questions philologiques.

Mais l’aspect que Saussure doit avoir apprécié le plus est que pour la première fois l’étude de la phonétique est confinée au latin sans aucune référence à d’autres langues appartenant à la famille indo-européenne et en particulier au grec. La motivation de ce choix est fondamentalement pratique, comme l’explique Meillet dans la préface : Niedermann ne pouvait pas recourir au grec, car les nombreux élèves qui étudiaient le latin ne recevaient pas l’enseignement de la langue grecque.

Cependant, quelle que soit la motivation, Niedermann ne commet pas l’erreur commune à la tradition comparatiste d’établir des équivalences phonétiques en dehors du temps entre formes appartenant à des langues différentes, ainsi que des équations entre des éléments de nature différente.

Au contraire, il réalise le précepte méthodologique que Saussure allait donner quelques années plus tard aux étudiants du premier cours de linguistique générale, à savoir de procéder « d’une manière directe, en comparant entre eux les mots d’un même idiome » (Saussure 1996 : 29). De cette façon seulement, on s’aperçoit de la valeur que les éléments acquièrent dans le rapport d’opposition les uns avec les autres au sein du même système linguistique.

Et en écho aux enseignements du Maître, Meillet écrit dans l’avant-propos : « Il importe que chaque langue soit examinée en elle-même, de manière à ce que ses traits propres et caractéristiques soient mis en pleine évidence ». Et les mots deviennent encore plus « saussuriens » dans la préface de la deuxième édition du Précis :

Avant de recourir à la méthode comparative, il convient toujours de déterminer ce que l’on peut tirer de l’examen d’une langue considérée en elle-même : la phonétique de chaque langue est un système où tout se tient, où, par suite, les faits s’éclairent les uns par les autres, et où chacun des changements qui interviennent durant l’époque historique éclaire l’état général de la langue avant et après le changement. (Niedermann 1931 : IX-X)

La seule observation que Saussure avance dans la lettre semble concerner des aspects portant sur la clarté pédagogique. Mais on peut – à juste titre – se demander s’il s’agit simplement d’une question d’ordre « pratique ».

On le sait, toute méthode est subordonnée à une théorie. Et on le verra, la question que Saussure présente comme mineure par la rhétorique de la litote (« une très légère remarque, allant dans le même sens que vous recherchez »), condense en soi toute la portée révolutionnaire de la distinction entre synchronie et diachronie. La remarque porte en fait en même temps sur un principe méthodologique et sur une opération épistémologique nécessaires dans toutes les sciences qui reposent sur la notion de valeur. En d’autres termes, la question méthodologique, liée aux exigences de « clarté pédagogique », est en fait une question ontologique.

La « conviction » que Saussure a « depuis bien longtemps » concerne l’importance d’une correcte formulation du changement linguistique afin que les deux ordres, l’ordre synchronique et l’ordre diachronique, ne soient pas mêlés dans un être hybride. Sur ce point il insiste dès le premier cours de linguistique :

Qu’il s’agisse de changements spontanés ou combinatoires la formule qu’on leur donne a une grande importance ; il ne faut pas se contenter de la première venue, quand même elle rendrait les mêmes services, car on s’expose à méconnaître par cette négligence la loi et la nature du changement. (Saussure 1996 : 34)22

L’une des erreurs les plus fréquentes est d’utiliser le temps présent pour décrire un changement phonétique qui par nature se produit à un moment donné, et d’interpréter par conséquent comme au-dehors du temps, quelque chose qui par nature se produit dans le temps :

Une autre source d’erreur vient de ce que l’on formule une loi, un changement phonétique au présent. <C’est une tentation irrésistible à laquelle nous succombons inconsciemment.> II y a là une question de principe qui va extrêmement loin. En s’exprimant ainsi on fait la même confusion que lorsque l’on parle de « lois » phonétiques : la loi existe une fois pour toutes et n’est pas subordonnée aux conditions de temps ; de même dès que l’on parle au présent on conçoit les différents phénomènes comme existant en vertu d’un principe, d’un facteur indépendant du temps, comme au fond d’un code. À cette fausse conception il y a d’abord un danger matériel : comme les phénomènes phonétiques se conditionnent dans le temps il en résulte un chaos […]. (Saussure 1996 : 35)

Les termes avec lesquels la question est posée sont très similaires à ceux de la lettre à Niedermann : « […] quand même il y a naturellement par là danger de méconnaissance d’un fait capital, à savoir que a et b représentent des fai événements historiques, ipso facto distincts entre eux, et non une loi anhistorique régissant a et b comme par effet d’un code ».

Niedermann a-t-il commis les erreurs dont Saussure taxe ceux qui font de la phonétique ? Ou encore plus spécifiquement : a-t-il séparé d’une façon explicite l’ordre diachronique propre du changement phonétique et l’ordre synchronique de l’alternance ou les a-t-il mêlés dans un « être hermaphrodite » ?

Contrairement à ce qui se passe dans de nombreux travaux où les auteurs succombaient souvent à la tentation inconsciente et irrésistible de présenter au présent les changements23, dans le Spécimen les lois phonétiques sont formulées au passé et, quand il est possible, circonstanciées et placées dans une époque historique précise.

Le problème se pose lorsque Niedermann exemplifie ces lois phonétiques, en les présentant en fait comme des alternances, c’est-à-dire comme des correspondances régulières entre deux séries de formes coexistantes et en tombant ainsi dans les erreurs de la tradition.

Considérons à titre d’exemple le passage suivant, tiré de la section dédiée à l’apophonie en syllabe intérieure fermée :

En syllabe intérieure fermée, ă est devenue ĕ, quels que fussent les phonèmes voisins. ŏ s’est changé en ŭ dès la fin du troisième siècle a. J.-C., sauf lorsqu’il était précédé de u voyelle ou consonne ; dans cette dernière position, il a persisté jusqu’au siècle d’Auguste.

Exemples :

1° ă > ĕ :

ărceo, « je contiens, j’empêche »

coĕrceo, « je mantiens, je réprime »

exĕrceo, « je dégage, j’exerce »

[…] (Spécimen : 17)

Saussure admet que, en ce qui concerne la clarté pédagogique, l’on peut employer sans restriction « le procédé consistant à mettre en parallèle des traitements opposés qui résultent de conditions opposées ». Placer les faits dans un côté statique permet, en effet, de faire ressortir leur valeur différentielle qui découle de l’opposition des éléments mêmes, car – on le sait – il n’y a pas d’identités dans l’ordre synchronique, mais seulement des différences. Il faut cependant être conscient que – ce faisant – on n’identifie pas, comme le linguiste devrait le faire, des lois phonétiques décrivant le changement intervenu dans le temps, mais on se place dans la perspective propre du sujet parlant en déterminant des alternances entre deux formes dictées par une règle au-dehors du temps, « anhistorique », à savoir un « code ». C’est la conséquence indirecte et grammaticale du changement qui finit par occuper le premier plan et non le changement phonétique lui-même, qui est par nature historique et les deux plans sont confondus en un « être hermaphrodite ».

Pour remédier à ce problème, Saussure conseille à Niedermann une stratégie qu’il adoptera lui-même dans ses trois cours chaque fois qu’il veut montrer les « conséquences grammaticales de l’évolution phonétique » : illustrer le changement phonétique à travers des carrés, à savoir sur deux ou plusieurs colonnes et sur deux axes, la dimension diachronique étant représentée sur l’axe vertical et la dimension synchronique sur l’axe horizontal. L’utilisation des colonnes oblige, en effet, à reconstruire tous les passages et à ne pas laisser de côté des termes capitaux dans l’évolution, à savoir le quatrième élément du changement toujours impliqué, mais rarement exprimé de façon explicite.

Par conséquent, l’illustration de la loi phonétique énoncée par Niedermann et rapportée ci-dessus aurait dû prendre, selon Saussure, la forme suivante24 :

De cette façon la distinction entre le côté synchronique et le côté diachronique devient claire et aucun risque de confusion n’est engendré chez l’étudiant. Sur l’axe horizontal sont présentées les alternances synchroniques, grammaticales qui peuvent être expliquées en invoquant des aspects morphologiques, tels que la composition. La loi qu’on identifie sur ce niveau est une loi indirecte qui peut être formulée de la façon suivante : « le ă de ărceo apparait comme ĕ dans les composés ».

Cette alternance grammaticale s’est cependant développée comme conséquence du changement phonétique illustré sur l’axe vertical : dans une première phase ărceo s’oppose à coărceo et seulement dans un deuxième temps, ărceo s’oppose à coĕrceo. C’est donc le ă de coărceo qui change en ĕ et non le ă de ărceo : de cette façon, un quadrilatère est construit donnant la relation correcte et réelle entre les éléments.

L’introduction du quatrième élément – ici coărceo – permet de reconstruire la vraie nature du phénomène phonétique et d’empêcher tout court-circuit dérivant d’une erreur d’ordre à la fois logique et historique. Cette erreur, trop répandue dans la pratique linguistique, consiste à opérer dans un ordre qui n’est ni synchronique ni diachronique, ni horizontal ni vertical, mais « oblique » et en tant que tel « indéfinissable ».

Parmi les « Anciens Documents » publiés par Bouquet et Engler (2002), dans le texte intitulé « Alternances », on lit le passage suivant :

L’opposition phonétique qui est une coexistence de ces div[ersités] est imaginée comme un mouvement entre deux formes (termes de permutation, échange, etc.) ; ce prétendu mouvement à son tour est confondu avec un changement phonétique ou loi phonétique.

Cette confusion d’ordre logique entraîne forcément avec elle un anachronisme (la substitution d’une seule époque aux deux époques qu’il faudrait distinguer). Confusion d’ordre historique. – a devient i quand il passe dans une syllabe non initiale. – taceoconticeo. C’est faux. Il n’y passe pas, et ne se change. – adamāre – Conception obscure, oblique, indéfinissable, mais qui n’est que trop […]. (Saussure 2002 : 271)

Il s’agit d’aspects théoriques sur lesquels Saussure méditait depuis longtemps, comme il le confesse lui-même dans la lettre à Niedermann et comme le démontrent par exemple les manuscrits connus sous le titre de « De la double essence du langage » (BGE Arch. de Saussure 372/1-7). Ces derniers, découverts en 1996 dans l’orangerie de l’hôtel de Saussure à Genève et datant avec probabilité de décembre 1891-189225, sont parsemées de réflexions portant sur la nécessité méthodologique – en linguistique – de distinguer les deux points de vue, le synchronique et le diachronique et d’adopter une perspective précise lorsqu’on analyse les faits linguistiques, car chaque ordre nécessite des instruments et des terminologies qui lui sont propres (voir à titre d’exemple, Saussure 2011 : 82 et 90-97).

À plusieurs reprises Saussure accuse « l’immixtion perpétuelle et désastreuse de ce qui est successif ou rétrospectif dans ce qui est instantané ou présent », en soulignant qu’« il ne faut pas même songer à définir ce qu’est une forme ni aucune autre chose en linguistique, si l’on commence par laisser s’infiltrer dans un état réel A un autre état réel B, antérieur, donnant par union monstrueuse un état complètement imaginaire A/B » (Saussure 2011 : 136-137).

Une distinction claire entre statique et historique doit précéder toute tentative de définition des objets eux-mêmes de la linguistique, pour éviter la naissance d’êtres monstrueux, tératologiques. Là où il y a un événement, il ne peut y avoir un système et où il y a un système, il ne peut y avoir d’identités, car un système est constitué de valeurs opposées, de différences entre des éléments simultanés. En un mot : là où il y a de la grammaire il ne peut y avoir de phonétique (voir à titre d’exemple, Saussure 2011 : 126-131 ; 166-168 ; 173-181 ; 210-213)26.

L’importance donnée à cette question est démontrée également par l’insistance avec laquelle Saussure y revient de 1908 à 1911 dans chacun des trois cours de linguistique générale. Et dans les trois cours, la description du changement phonétique – initialement liée à des préoccupations sur l’exactitude de sa formulation – se rattache de plus en plus explicitement au grand problème épistémologique sous-jacent, à savoir la distinction entre l’ordre synchronique et l’ordre diachronique. La nécessité méthodologique devient explicitement « une nécessité théorique de premier ordre »27 (Saussure 1993 : 104).

Avant de conclure, une note en marge. Saussure consacre à la terminologie une attention constante, à fin d’effacer le champ de tout malentendu possible tant dans ses pages manuscrites que dans la lettre. Le terme « fait », écrit d’un seul jet, est biffé par Saussure, qui lui préfère le mot plus spécifique et sémantiquement connoté d’« événement »28. Dans la terminologie saussurienne « fait » est utilisé pour indiquer à la fois un phénomène synchronique (« faits coexistants », « faits simultanés »), et un phénomène diachronique (« faits successifs », « faits consécutifs ») ; par contre, le terme « événement » s’oppose toujours à « système » et « mécanisme », indiquant des phénomènes qui relèvent de l’axe diachronique.

Dans la lettre l’opposition synchronique-diachronique est exprimée respectivement à travers les adverbes « simultanément », qui dénote l’« axe des contemporanéités (ou des rapports entre les choses coexistantes) », et « consécutivement », qui se réfère à « l’axe des successivités (ou rapport des choses successives) ».

2. Après la lettre du 18 juillet 1904…

Arrivés à ce stade de la discussion, une question se pose spontanément : les conseils donnés par Saussure ont-ils porté leurs fruits ?

En 1906 le Précis de phonétique historique du Latin est publié et Niedermann en envoie une copie à Saussure29. Cette œuvre connaît une renommée extraordinaire, comme le démontrent les deux éditions successives, la deuxième parue en 1931, où l’on assiste à une réécriture substantielle de certaines parties30 (Constans 1931) et la troisième datant de 1953, qui constitue en fait un livre presque entièrement nouveau (Redard 1955). Le succès de l’œuvre, connue dans le jargon des étudiants comme « le Niedermann », est démontré aussi par les nombreuses traductions réalisées en allemand, néerlandais, anglais, russe, espagnol et italien31.

Au cours des différentes éditions, l’exposé de la matière traitée dans le Précis devient de plus en plus détaillé. En 1906 deux chapitres sont ajoutés, dédiés à l’évolution des consonnes latines et aux groupes consonantiques ; dans la deuxième, plus d’espace est consacré aux changements subis dans le temps par la prononciation, à l’accentuation latine, à la syllabe, à la syncope ; la troisième édition est enrichie d’un index de vingt-six pages et d’une Table des auteurs cités, plusieurs parties subissent un remaniement complet. Malgré tout cela, il n’y a aucune trace d’une réécriture à la lumière des mots de Saussure.

Les mots du Maître – on peut le supposer avec grande probabilité – se révélèrent à certains égards sibyllins pour le linguiste de Neuchâtel, qui n’avait jamais eu l’occasion de suivre les cours de son compatriote. Il était presque impossible de comprendre la portée révolutionnaire de la pensée concentrée en quelques lignes. Il s’agissait d’un ensemble dense de concepts mutuellement impliqués allant de l’opposition entre l’ordre synchronique et l’ordre diachronique, à la distinction entre grammaire et phonétique, entre règles d’alternance et lois phonétiques, en passant par le concept de système et de valeur oppositive des éléments dans un état de langue.

Pourtant les deux dernières éditions du Précis sont apparues après la publication du Cours de linguistique générale édité par Charles Bally et Albert Sechehaye et la lecture de cet ouvrage, bien qu’il ne soit pas né directement de la plume de Saussure, aurait pu éclairer Niedermann sur ces aspects plus obscurs. Mais cela ne s’est pas vérifié, démontrant ainsi que l’enseignement de Saussure ne finira jamais de dire ce qu’il a à dire. Son œuvre nécessite toujours une relecture et chaque relecture constitue une lecture de découverte comme la première. C’est le destin des classiques.

Appendice

On trouvera ici le texte intégral de la rubrique culturelle signée par Max Niedermann datant du 20 juillet 1908, dédiée à Ferdinand de Saussure, dont des extraits ont été mentionnés dans l’article.

Nur die beschränkte Zahl der Fachgenossen wußte bisher, daß unter unsern schweizerischen Mitbürgern ein Gelehrter lebt, der seit seinem einundzwanzigsten Jahr zu den allerersten Vertretern seiner Wissenschaft zählt, der in einem Alter, wo andere zu studieren anfangen, ein Buch geschrieben hat, das noch heute, oder besser gesagt heute mehr denn je das Brevier des Sprachforschers genannt zu werden verdient. Ferdinand de Saussure, geboren in Genf am 26. November 1857, studierte in Leipzig und veröffentlichte hier Ende 1878 sein Mémoire sur le système primitf des voyelles indo-européennes, das für die neue Richtung der vergleichenden Sprachwissenschaft bahnbrechend war, dessen ganze Tragweite aber erst im letztenen Jahrzehnt durch die Arbeiten von Antoine Meillet und Hermann Hirt ins rechte Sicht gerückt worden ist. Am 5. November 1881 zum Maître de conférences an der Ecole des Hautes Etudes in Paris ernannt, entfaltete er hier eine Lehrtätigkeit, deren Samen, wie die gleich zu nennende Festschrift zeigt, herrlich aufgegangen ist. 1891 in die Schweiz zurückgekehrt, um in seiner Vaterstadt die glänzende Tradition der Gelehrtendynastie der Saussure weiterzuführen, hat er es auch hier trotz den viel kleineren Verhältnissen verstanden, im eigentlichsten Sinne des Wortes Schule zu machen. Eine Anzahl derer nun, die das Glück genossen haben, sei es in Paris, sei es in Genf zu seinen Füßen zu sitzen, oder die seine bis anhin der Hauptsache nach mündlich fortgepflanzte Doktrin wenigstens als Schüler seiner Schüler kennen, und endlich einige Linguisten, die, ohne unter seinem Einfluß gestanden zu haben, ihn als ihren großen Landsmann verehren, haben sich kürzlich zusammengetan, um dem Meister in Form eines Sammelbandes wissenschaftlicher Abhandlungen ein Denkmal ihrer Dankbarkeit und ihrer Bewunderung zu stiften. Diese Festschrift, die Herrn de Saussure am 14. Juli, abends 5 Uhr in einer öffentlichen Sitzung im Senatssaal der Universität Genf übereicht worden ist, enthält folgende Beiträge französischer Mitarbeiter: Albert Cuny, Professor an der Universität Boredaux: grec βυκάνη, latin bucina; Georges Dottin, Professor an der Universität Rennes: La formation du prétérit irlandais moderne; Alfred Ernout, Agrégé des lettres, Paris: Remarques sur l’expression du genre féminin en latin; Robert Gauthiot, Professor an der Ecole des Hautes Etudes in Paris: gotique briggan: bràhta; Maurice Grammont, Professor an der Universität Montpellier: La métathèse en arménien; Antoine Meillet, Professor am Collège de France und an der Ecole des Hautes Etudes in Paris: Sur l’aoriste sigmatique; Joseph Vendreyes, Professor an der Sorbonne: A propos du rapprochement de l’irlandais cladeb et du gallois cleddyf. Die Schweiz ist vertreten wie folgt: Charles Bally, Privatdozent an der Universität Genf: Accent grec, accent vèdique, accent indo-européen; Rennward Brandstetter, Professsor an der Kantonschule in Luzern: Die Sprache der Liebe in der makassarischen Lyrik. Eine sprachpsychologische Untersuchung auf sprachvergleichender Grundlage; Ernest Muret, Professor an der Universität Genf: Le suffixe -ing dans les noms de lieu de la Suisse française et des autres pays de langue romane; Max Niedermann, Professor an der Akademie in Neuenburg: Minutiæ latinæ (1. Une loi rythmique prœthnique en latin. 2. Deux conséquences de l’insuffisance de l’alphabet latin. 3. Un cas spécial de dissimilation en latin vulgaire. 4. Remarques sur la langue des tablettes d’exécration latines); Eduard Schwyzer, Privatdozent an der Universität Zürich: Κατηφής als adjektivische Zusammensetzung mit Κατα- und Verbaladjektiv auf -ης; Charles-Albert Sechehaye Privatdozent an der Universität Genf: La stylistique et la linguistique théorique; Rudolf Thurneysen, ein geborner Basler, Professor an der Universität Freiburg i. Br.: Altindisch étavaí; Jakob Wackernagel, früher in Basel, jetzt Professor an der Universität Göttingen: Genetiv und Adjektiv. Der Band umfaßt 341 Seiten Oktavformat. Zu einer auch noch so gedrängten Skizzierung der darin niedergelegten Forschungsergebnisse ist hier nicht der Ort; nur das sei hervorgehoben, dass die Mélanges Saussure sich von den meisten Publikationen ähnlicher Art durch eine bemerkenswerte Homogeneität des Inhaltes unterscheiden, die die Mitarbeiter deutlich als eine um einen gemeinsamen Meister gescharte Familie zu erkennen gibt.

Die mit dieser Huldigung verbundene Universitätsfeier, zu der die Kollegen, Schüler und Freunde de Saussures sich in großer Zahl eingefunden hatten und an der auch seine Gemahlin und sein ältester Sohn teilnahmen, wurde durch den Rektor Prof. Bernard Bouvier präsidiert. Der hervorragendste unter den Schülern de Saussures, der heute selbst das Haupt einer Phalanx jüngerer Linguisten ist, von denen bereits mehrere glänzende Proben ihres Könnens abgelegt haben, Prof. Meillet aus Paris, charakterisierte als der berufenste Beurteiler die wissenschaftlichen Leistungen, die den Ruhm seines Lehrers begründet haben, also namentlich sein Mémoire und seine Entdeckung des wichtigsten Gesetzes der litauischen Betonung. Meillets Rede klang in eine Bitte aus. „Ihre früheren Schüler“, sagte er zu Herrn de Saussure, „sind in der Schweiz und in Frankreich zerstreut, oder, soweit sie in Genf leben, durch berufliche Pflichten daran gehindert, Ihren Universitätsvorlesungen zu folgen und so mit dem Fortschreiten Ihrer Forschung Fühlung zu behalten. Sie hoffen darum, daß der allverehrte Meister ihnen durch baldige Veröffentlichung der im Laufe der Zeit aufgespeicherten Früchte seines Nachdenkens den Weg für ihre wissenschaftliche Weiterentwicklung zeigen werde“.

Im Namen der Genfer Schüler de Saussures beleuchtete Dr. Charles Bally sein Wirken als Universitätslehrer und diese Darstellung war besonders interessant, weil de Saussure bisher fast ganz in seiner Lehrtätigkeit aufgegangen ist. Bally erzählte, wie die in seinen Vorlesungen angelegten Kollegienhefte von Hand zu Hand wandern, wie reife Gelehrte dieselben von jungen Studenten borgen und welche nicht zu ahnende Fülle von Anregungen, von genialen Ideen aus dieser Quelle geflossen ist. Nachdem alsdann Herr Prof. Muret ein Glückwunschschreiben von Michel Bréal verlesen und der Rektor in einer kurzen Ausprache der Genugtuung Ausdruck verliehen hatte, die es ihm bereite, an dem Tage, wo seine amtlichen Funktionen als Rektor zu Ende gingen, diese unvergeßliche Feier leiten zu dürfen, ergriff Herr de Saussure selber das Wort. Mit von tiefer innerer Bewegung zitternder Stimme dankte er für die ihm zuteil gewordene Ehrung, die er als einen Beweis der ihn mit den Verfassern der Mélanges verbindenden Freundschaft, nicht als eine Anerkennung seiner wissenschaftlichen Tätigkeit entgegennehme. Was die letztere betreffe, so seien nicht seine Schüler ihm, sondern er ihnen zu Dank verpflichtet, denn nur durch die Bemühungen seiner Schüler, ganz besonders Meillets, seien die Ergebnisse seiner Forschung in weitere Kreise gedrungen.

An dem sich anschließenden Bankett im Hotel Beau-Séjour in Champel gelangten eine Menge von Briefen und Telegrammen zur Verlesung. Unter den zahlreichen Toasten, sei derjenige des Herrn Prof. Meylan- Faure aus Lausanne auf die Ecole des Hautes Etudes in Paris erwähnt, in dem er jenes Institut, dem dank der Liberalität der französischen Regierung eine Menge schweizerischer Gelehrter die entscheidenden Impulse verdanke, hochleben ließ. Der Vertreter der Ecole des Hautes Etudes, Prof. Meillet dankte und erklärte, dass Frankreich es als eine hohe Ehre betrachte, daß so viele Schweizer trotz der ihnen im eigenen Lande gebotenen vortrefflichen Gelegenheit zu wissenschaftlicher Ausbildung sich nach Paris wendeten, und er sprach die Hoffnung aus, daß auch in Zukunft die Ecole des Hautes Etudes für die Schweizer das bleiben möge, was sie ihnen stets zu sein bemüht gewesen sei.

Neuenburg. Max Niedermann

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1 Niedermann peut être considéré à juste titre l’un des principaux créateurs des Mélanges, comme le démontre l’échange épistolaire avec Charles Bally datant de l’année 1907 et conservé dans les Archives littéraires suisses de la Bibliothèque de Berne (BN). Il prendra part au recueil avec une contribution articulée en quatre parties (cf. note 18). En ce qui concerne la présence de Niedermann à la cérimonie dédiée à Saussure, cf. la lettre du 2 juillet 1908 (BGE Ms. fr. 5003, f. 312), adressée par Niedermann à Bally : « Mon cher ami, M. Meillet m’écrit que notre volume [N.D.R. Mélanges linguistiques] sera très probablement prêt dans la première quinzaine de ce mois et qu’il se rendra lui-même à Genève pour le remettre à M. de Saussure. Désireux d’assister à cette occasion (à moins qu’elle ne soit réservée aux amis genevois de M. de S.), je compte sur votre obligeance pour m’avertir quand elle aura lieu. Je me réjouis infiniment à la perspective de vous revoir et vous envoie d’ici là une cordiale poignée de main ».

2 Cf. Niedermann (1904). Dans la bibliothèque de Saussure il n’y a aucune trace ni du Spécimen ni du Précis de phonétique historique du latin, une copie duquel est envoyée par Niedermann à Saussure en juillet 1906, comme le documente la lettre du Maître genevois à Bally datant du 5 juillet 1906 (cf. Mejía 2014 : 439-440). Il faut également noter que toutes les publications de Niedermann (sa thèse de doctorat et 6 articles) appartenues autrefois à la bibliothèque de Saussure sont conservées aujourd’hui dans le Fonds Bally (cf. Gambarara 1972).

3 « Comme » a été ajouté au-dessus de la ligne.

4 « Ou » a été ajouté ultérieurement au-dessus de la ligne.

5 « Que » est répété deux fois, à la fin de la troisième page de la lettre et au principe de la successive.

6 Les manuscrits sont ici reproduits avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque Publique Univeristaire (BPU) de la ville de Neuchâtel. Je tiens à remercier Mme Martine Noirjean de Ceuninck, responsable de la section Manuscrits de la BPU, qui a grandement facilité mon travail en permettant la numérisation de ces documents. Des remerciements spéciaux vont au Cercle Ferdinand de Saussure, qui a procedé à l’achat des copies numerisées de la correspondance Saussure-Niedermann.

7 « Comme t » a été ajouté ultérieurement dans la marge de la page et signalé dans le texte par le signe ╧.

8 En latin, dans les dissyllabes et les polysyllabes, ĕ a persisté, sauf devant s où il est devenu ĭ (cf. generĭs de *generĕs, gén. de genus « genre, race »). Divĕs semble donc constituer une exception, mais, comme Niedermann l’explique : « Des cas comme desĕs, -sĭdis « indolent, oisif », divĕs, -tĭs, « riche » ne font exception qu’en apparence. En effet, le premier est pour *desĕd-s et le second pour *divĕt-s. L’ĕ des mots de ce type n’était donc pas placé devant s dès le début comme dans les exemples qui viennent d’être cités » (Niedermann 1904 : 29-30). Saussure, par contre, propose de lire divĕs comme divĕss sur la fausse ligne de milĕss et d’expliquer donc la conservation de ĕ comme conséquence de la position devant double consonne, comme dans haruspĕx (de *haruspĕc-s).

9 Il s’agit d’une carte de visite de deuil : le père de Saussure décède le 10 septembre 1905. Selon les règles du savoir-vivre de la société, la durée du deuil de père était de dix-huit mois.

10 Il s’agit de deux rubriques culturelles signées par Niedermann et datant respectivement du 16 février 1906 et du 18 février 1906 (Niedermann 1906b et c). C’est le 13 février 1906 : Antoine Meillet prend la succession de Michel Bréal dans la chaire de grammaire comparée au Collège de France. La nouvelle fait le tour de l’Europe et Niedermann y consacre, trois jours plus tard, deux articles dans le quotidien alémanique Neue Zürcher Zeitung à deux jours d’intervalle l’un de l’autre. La rubrique du 16 février est dédiée à Bréal, « l’un des meilleurs orateurs parmi les professeurs universitaires de la capitale française », auquel va le mérite d’avoir « acclimaté les études linguistiques en France » et d’avoir fortement contribué à la réorganisation du système français d’enseignement supérieur. La rubrique du 18 février, par contre, est entièrement consacrée à la figure de Meillet et se transforme en quelques passages dans un éloge de Saussure, dont Meillet a été disciple et qui a marqué de manière indélébile la vie scientifique du savant français. Les lignes suivantes le démontrent : « Einen trefflicheren Lehrer als den Verfasser des bahnbrechenden Mémoire sur le système primitif des voyelles indo-européennes hätte er auch in der Tat nicht finden können, wie umgekehrt de Saussure schwerlich je einem begabteren Schüler gehabt hat ». À Meillet va le mérite d’être en France ce que Saussure est en Suisse, à savoir un grand Maître, en mesure de créer une école au vrai sens du terme (« im eigentlichen Sinn des Wortes Schule zu machen »), et de former des étudiants devenus vite célèbres. Les mêmes mots dédiés à Meillet seront repris, deux ans plus tard, dans la rubrique culturelle consacrée à Saussure (voir note 16) : « 1891 in die Schweiz zurückgekehrt, um in seiner Vaterstadt die glänzende Tradition der Gelehrtendynastie der Saussure weiterzuführen, hat er es auch hier trotz den viel kleineren Verhältnissen verstanden, im eigentlichsten Sinne des Wortes Schule zu machen » (Niedermann 1908a).

11 Saussure part pour un voyage en Italie fin de 1905 et y reste environ jusqu’au début du mois de mars de l’année suivante.

12 Saussure fait référence ici à la Leçon d’ouverture du cours de grammaire comparée au Collège de France, lue par Meillet le mardi 13 février 1906 et intitulée L’état actuel des études de linguistique générale. Dans son discours, Meillet remercie les maîtres qui furent fondamentaux pour sa formation intellectuelle ; parmi eux et avant eux figure le nom de Saussure. Niedermann, dans sa rubrique du 18 février, remarque la profonde reconnaissance de Meillet envers son professeur, en reportant les mots écrits par Meillet lui-même dans une lettre : « C’est mon principal maître ; je suis, avant tout, disciple de de Saussure ».

13 Il s’agit du tiré à part de sa contribution apparue dans le premier numéro de Glotta (1909) et intitulée Neue Beiträge zur Kritik und Erklärung der lateinischen Glossen. C’est la suite de l’essai que Niedermann avait publié en 1905 sous le titre Contributions à la critique et à l’explication des gloses latines. Fondateur des principes de la critique textuelle des gloses latines, Niedermann reviendra à plusieurs reprises sur ce sujet qui constitue le Leitmotiv de toute sa production scientifique.

14 Max Niedermann est nommé professeur extraordinaire de linguistique générale à l’Académie de Neuchâtel en 1905, après avoir couvert le rôle de privat-docent de linguistique et de philologie classique de 1903 à 1905. De 1909 à 1925 il se partage entre la ville de Bâle où il est nommé professeur extraordinaire (1909), puis ordinaire (1911-1925) de linguistique comparée et de sanscrit, et la ville de Neuchâtel où il devient professeur ordinaire de langue et littérature latines (1909-1944) et de linguistique générale (1925-1944).

15 Originaire du canton de Vaud, Paul Seippel (1858-1926) constitue une figure importante et en même temps très intéressante du panorama intellectuel suisse. Après de brillantes études de droit et littérature suivies dans les principaux centres culturels européens de l’époque (Genève, Leipzig, Berlin et Paris), on le retrouve secrétaire du ministre des Affaires étrangères de Serbie à Belgrade dans les années 1885-1887, journaliste culturel et rédacteur au Journal de Genève dès 1894, et contextuellement à partir de 1898 professeur titulaire de la chaire de littérature française de l’École polytechnique de Zurich, où il se transfère à l’âge de 40 ans. Et c’est grâce à son poste influent au Journal de Genève que Paul Seippel devient le destinataire de nombreuses lettres écrites par des personnalités prestigieuses de l’époque. Parmi les correspondants figure aussi Saussure. L’échange épistolaire entre les deux savants, actuellement conservé à la Bibliothèque de Genève (BGE) et dans les archives de Paul Seippel déposées à la Bibliothèque Nationale (BN) à Berne, fera l’objet d’étude d’une publication séparée dans les Cahiers Ferdinand de Saussure.

16 Il s’agit de la rubrique culturelle du 20 juillet 1908, où Niedermann (1908a) donne une image rétrospective de la cérémonie intime organisée le 14 juillet 1908 en l’honneur du Maître genevois. Durant une séance publique à la salle du Sénat de l’Université de Genève, sous la présidence du recteur M. Bouvier, les disciples de Saussure lui offrent un recueil de Mélanges linguistiques, publié dans la nouvelle « Collection linguistique » éditée chez Champion. Cette rubrique constitue un vrai panégyrique de Saussure. Niedermann souligne dès les premières lignes la précocité typique du génie, qui, alors que tous sont encore au cœur de leurs études, il écrit le Mémoire, un travail révolutionnaire et pionnier qui a donné une nouvelle direction à toute la linguistique comparée (« das für die neue Richtung der vergleichenden Sprachwissenschaft bahnbrechend war »), en un mot un bréviaire de linguistique. (« […] ein Belehrter lebt, der seit seinem einundzwanzigsten Jahr zu den allerersten Vertretern seiner Wissenschaft zählt, der in einem Alter, wo andere zu studieren anfangen, ein Buch geschrieben hat, das noch heute, oder besser gesagt heute mehr denn je das Brevier des Sprachforschers genannt zu werden verdient »). À Saussure revient le mérite d’avoir fondé une école, comme le démontre l’uniformité des contenus des articles collectés dans les Mélanges. On est en présence d’une famille : la graine, lancée et germée à Paris, a pris ses racines les plus profondes à Genève. Le texte intégral de cette rubrique est publié en appendice du présent article.

17 L’adjectif « rétrospectif » a été ajouté ultérieurement, en marge de la lettre.

18 La contribution de Niedermann aux Mélanges (Niedermann 1908b) est articulée en quatre articles, intitulés respectivement : « Une loi rythmique proethnique du latin », « Deux conséquences de l’insuffisance de l’alphabet latin », « Un cas spécial de dissimilation en latin vulgaire. Dissimilation entre un r intervocalique et un r combiné appartenant à deux tranches syllabiques consécutives » et « Remarques sur la langue des tablettes d’exécration latine ». La contribution qui « séduit » Saussure est la deuxième. Ici Niedermann aborde un sujet particulièrement cher à Saussure, à savoir la relation entre la langue parlée et l’écriture, en essayant de démystifier l’une des erreurs les plus fréquentes de la phonétique historique « qui, plus ou moins inconsciemment, est toujours portée à tenir les rapports entre l’une [N.D.R. l’écriture] et l’autre [N.D.R. la prononciation] pour plus étroits et plus simples qu’ils ne le sont en réalité » (Niedermann 1908b : 58). La thèse soutenue par Niedermann est la suivante : dans les mots tels que equŏs, servŏs, mortuŏs etc. la conservation de l’ŏ en syllabe finale est un artifice graphique utilisé pour éviter l’ambiguité inhérente à la successione de deux uu. Il n’y a pas de raisons phonétiques : on continue à écrire uo tout en prononçant uu, vu dès le IIIe siècle av. J.-C. Cette graphie sera abandonée plus tard pour empêcher la confusion entre le nominatif singulier et l’accusatif pluriel. La même explication est proposée pour les deux graphies -icio et -jecio. Tout à fait équivalentes d’un point de vue phonétique, la deuxième est abandonée car entraînant une confusion entre le présent et le parfait.

19 « Certains » a été ajouté au-dessus de la ligne.

20 La prise de conscience de la grande contribution donnée par la linguistique à l’enseignement des langues classiques se retrouve chez de nombreux auteurs de l’époque, par exemple chez l’ami et collègue Bally. Voir à cet égard les deux contributions de Nussbaum (1972) et Perrenoud (1972), parues dans les Mélanges offerts à Max Niedermann à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire.

21 Cf. les lettres adressées par Niedermann à Bally datant du 25 mai 1904 (BGE Ms. fr. 5003, f. 274) et du 16 août 1904 (BGE Ms. fr. 5003, f. 275). Le compte rendu est publié dans La Suisse universitaire de Genève en septembre-octobre 1904.

22 Les italiques ne figurent pas dans le texte original et ont été ajoutés pour emphatiser les passages intéressants. Les mêmes considérations s’appliquent aux citations successives. Il convient de souligner que Saussure reviendra à plusieurs reprises pendant ses cours genevois sur l’importance pour le linguiste de séparer les deux plans. Cf. à titre d’exemple Morphologie (Godel 1969 : 26-38) ou les notes prises Louis Brütsch au cours d’étymologie grecque et latine (Murano 2013).

23 Cf. à titre d’exemple Henry (1888), Lindsay (1894), Hale et Buck (1903), Juret (1921), Meillet (1928), Sommer (1948). La liste ne prétend pas être exhaustive. Ici un passage tiré de la grammaire de Hale et Buck (1903 : 18-19) : « The vowels of medial syllables are subject to certain modifications which do not appear in initial syllables. This is most apparent in the variation of the root-syllable, observable between compounds and the simple words from which they are derived, as faciō, but per-ficiō. […] The principal changes are as follows : I. a becomes i before a single consonant except r, and before ng ; it becomes e before r and before two consonants, and u before l + consonant ».

24 En ce qui concerne l’exemple cité par Saussure dans la lettre, mutatis mutandis, on aurait deux alternances synchroniques, la première, temporellement plus ancienne, entre dulcĭs (nominatif, singulier, masculin et féminin) et dulcĭ (nominatif-accusatif, singulier, neutre) et la deuxième plus récente entre dulcĭs (nominatif, singulier, masculin et féminin) et dulcĕ (nominatif-accusatif, singulier, neutre). La deuxième alternance est le résultat du changement phonétique de ĭ en ĕ en syllabe finale ouverte.

25 Sur la datation de « De la double essence du langage », cf. Gambarara (2009).

26 Cette liste des passages ne prétend pas être exhaustive mais veut donner au lecteur la perception de l’insistance avec laquelle Saussure revient sur ces aspects fondant sa théorie linguistique.

27 La question pratique pose des problèmes, comme le souligne en passant Saussure dans la lettre : « Quoi qu’il en soit de cette question pratique – souvent difficile à résoudre même en pratique parce qu’on peut se demander quel est le phénomène le plus désigné pour former contraste avec un autre – […] ». Sur ce point, il insiste aussi dans « De la double essence du langage » : « Distinguons bien nettement deux choses dans cet invariable schéma : la première sur laquelle nous ne portons aucune appréciation est que, des deux termes en présence, on l’adopte l’un, α, comme le terme donné et normal, pendant que le second, β, est déclaré le remplacement ou le produit du premier. […] » (Saussure 2011 : 224). Et à propos d’une des règles phonétiques fondamentales du sanscrit, Saussure poursuit : « Par exemple, en supposant, puisqu’il le faut, qu’il y ait lieu d’établir une règle pour l’apparition de sanscrit (en reconnaissant en outre, ce qui est évident, que cette règle signifie au fond qu’on étudie non l’apparition de , mais l’échange de s) – pourquoi, ces choses admises, dire que s sanscrit « devient » dans telles circonstances (et nous laissons complètement de côté la grande question de ce mot « devient »), plutôt que de dire inversement que sanscrit « devient » s dans telles autres ? Ici commence toute une série de remarques d’une application générale » (Saussure 2011 : 225).

28 Cf. « le mot de fait reste l’unique ressource de qui veut désigner à la fois les faits statiques et diachroniques, sans donner à croire comme par le mot de phénomène qu’il pense plus spécialement à ces derniers » (Engler 1968 : 24) ; « la condition de tout fait linguistique est de se passer entre deux termes au minimum ; lesquels peuvent être successifs ou synchroniques. L’absence du second terme, si elle semble où que ce soit se produire, n’est qu’apparente » (Engler 1968 : 24) ; « Les faits diachroniques <s’opposent aux synchroniques comme des évènements à un système,> ne sont que des évènements. » (Engler 1968 : 19). Pour informations plus détaillées, cf. Engler (1968 : 23-24) et Godel (1969 : 260).

29 Cf. la lettre que Saussure adresse à Bally le 5 juillet 1906 (Mejía Quijano 2014 : 439).

30 Meillet, dans son nouvel avant-propos, écrit : « Or, voici une nouvelle édition où subsiste tout l’essentiel de la première, mais qui, à plusieurs égards, est un autre livre » (Niedermann 1931 : IX).

31 Dans une lettre adressée à l’ami Bally (BGE Ms. fr. 5003, f. 324), Niedermann révèle la profonde difficulté à se dédier à la traduction en allemand de la deuxième édition du Précis après la parenthèse baltique.