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Ouverture du colloque « linguistica e filosofia del linguaggio » (Cosenza, 14 mars 2018)

Irène FENOGLIO

Institut des Textes et Manuscrits modernes (CNRS/ENS), Paris

irene.fenoglio@ens.fr

Discours prononcé par Irène Fenoglio à l’occasion du Colloque de présentation du volume Linguistica e filosofia del linguaggio. Studi in onore di Daniele Gambarara, Milano, Mimesis, 2018 (v. le compte rendu par P. Brook dans ce même volume). Les trois conférencières plénières étaient Paloma Brook, Irène Fenoglio et Lia Formigari.

Nous voici trois femmes invitées à rendre hommage à Daniele Gambarara… C’est une excellente chose. Et ce fait est tout à l’honneur de Daniele.

On peut être impressionné par la liste des publications de Daniele Gambarara qui inaugure l’ouvrage qui lui est consacré, par leur diversité aussi. Je n’ai pas lu tout ce qu’a publié Daniele, mais je l’ai écouté à de nombreuses reprises ces dernières années.

J’ai connu Daniele Gambarara, avant de le rencontrer, comme le promoteur d’un lien entre, je dirai, la philologie et en particulier la philologie saussurienne et la génétique textuelle. Ce lien m’est apparu sous la forme humaine de Giuseppe D’Ottavi : Daniele Gambarara me l’envoyait, muni d’une bourse européenne, se former auprès des linguistes généticiens de l’ITEM (Institut des textes et des manuscrits modernes, Paris). Je dois le remercier. Giuseppe D’Ottavi a – lentement mais sûrement – contribué aux résultats des travaux de l’équipe linguistique de l’ITEM.

Dans cette foulée, un long et riche échange et compagnonnage s’est engagé entre les spécialistes de Saussure et de l’édition de ses manuscrits et l’ITEM et c’est une très bonne chose. Et cela continue d’ailleurs, au-delà de Saussure.

Ensuite nous nous sommes rencontrés avec Daniele Gambarara à de nombreux colloques en Europe : à Liège en 2011, à Paris à de nombreuses reprises (il est venu faire une séance de notre séminaire à l’ITEM), à Genève, mais aussi au Japon (en 2016) et au Brésil (2016) où, comme le rappelle Pierre-Yves Testenoire, en début de son texte, Daniele Gambarara a tenu à s’exprimer en portugais. Nous l’avons vu durant les pauses alors que nous mangions et buvions, travailler pour que sa contribution soit entendue par tous les étudiants brésiliens : ce fut un très beau geste.

Je l’ai toujours vu élaborer des projets, promouvoir des échanges, proposer des programmes de recherche avec beaucoup d’enthousiasme et d’entrain. Pour les colloques sur le centenaire du CLG, à Paris et à Genève, c’est lui qui a fait en sorte que les équipes se mettent en place et collaborent malgré parfois des lenteurs ou quelques petites dissensions. Il était là présent, calme mais passionné, attentif mais impérieux.

En général, lors de nos différentes rencontres, il parlait de Saussure, je parlais de Benveniste. Il était reconnaissant lorsque j’affirmais et montrais que Benveniste affirme son héritage saussurien.

1. Manuscrits

L’échange sur la façon d’aborder les archives et manuscrits a toujours été très fructueux. Il faut dire que cet échange avec les Saussuriens est arrivé peu de temps après que j’ai réussi a imposer à l’ITEM l’intérêt d’ouvrir les archives de linguistes. Je travaillais personnellement sur ce magnifique ensemble que nous avons à la Bibliothèque nationale de France, le fonds Emile Benveniste. La confrontation avec les chercheurs qui travaillaient sur le fonds Saussure, largement « managé » par Daniele m’a énormément apporté. C’est par cet échange que j’ai pu me formuler précisément des questions méthodologiques et que j’ai, pour ma part, compris réellement le double lien paradoxal entre la philologie, l’édition de textes et la génétique : affinités mais objectifs différents, rigueur semblable mais méthodologies différentes.

Daniele Gambarara connaît tous les manuscrits de Saussure, les a vus, les a lus mais le plus important pour moi est qu’il a une véritable et profonde conscience de ce que représente un document d’archive ou un manuscrit et en particulier de ce que cela peut représenter dans le domaine du savoir linguistique. Qu’est-ce qu’un manuscrit ? Un manuscrit est un support de texte, plus exactement textualité, le support éventuel d’un texte, mais surtout un témoin, le témoignage graphique d’une pensée en train de s’élaborer, d’une théorie en train de se construire. L’analyse d’un tel témoignage est exactement l’objectif de notre équipe de l’ITEM et Daniele Gambarara l’a très bien compris.

2. Des Mélanges. Un ouvrage d’hommage

Dans ce très grand ensemble et très beau livre de production savante qui lui rend hommage, avec une table des matières très ouverte et diversifiée qui va de l’anthropologie à l’éducation, à la faute considérée comme processus linguistique ; de la philosophie à la zoosémiotique, de l’énonciation au langage numérique ; de la question de la traduction à la question de l’écriture ; de la philologie, de l’histoire de la langue italienne et de sa linguistique (avec le bel article de Claudia Stancati qui m’a beaucoup appris) à la psychanalyse, etc. … et je ne dis rien du nombre d’auteurs évoqués, donc, dans ce livre qui constitue exactement ce que l’on appelait autrefois « Mélanges » j’ai opéré des choix. En effet, je ne peux parler de toutes les contributions en détails, je vais donc faire à la fois un survol et des choix et tirer un fil entre les éléments de ces choix, pas tant entre contributions qu’entre points repérés de-ci de-là.

Tout choix est subjectif et je tiens de toute façon à la subjectivité et, en bonne benvenistienne, je pense que je ne me pose, je n’existe, au sens proprement philosophique, existentiel, que si je dis « je » et que du coup, je constitue le « tu » auquel je m’adresse. Un « tu » collectif, vous tous et un « tu » particulier, Daniele Gambarara.

Au cours de ma lecture je me suis arrêtée sur certains points dont je vais faire de vignettes autour desquelles je vais « broder ». Elles ne sont pas classées par ordre d’importance mais de lecture.

3. L’absence

Ma première vignette est celle autour de la notion d’absence. Absence de… quelque chose, d’un objet… d’amour ou d’un cas de déclinaison dans la comparaison de deux grammaires. J’ai énormément aimé l’article de Marie-José Béguelin « Saussure et Proust face aux effets du temps ». Il est merveilleux de finesse et finalement d’audace.

Marie-José Béguelin met en relation l’affirmation sentimentale voire mélancolique de Proust « Or l’absence d’une chose, ce n’est pas un simple manque partiel, c’est un bouleversement de tout le reste, c’est un état nouveau qu’on ne peut prévoir dans l’ancien » (p. 71) et l’analyse pertinente de Saussure : « Il s’agit toujours du jeu de différences ; dès qu’il se perd une des différences, le jeu des autres n’est plus le même » (p. 75). Ce que M.-J. Beguelin appelle « l’illusion de Swann » est une perte et c’est un moment fondamental. Toute perte d’illusion a son côté profondément bénéfique au-delà de son côté immédiatement douloureux. Ici ce moment est fondamental car il est, je dirai structural : ce n’est plus l’objet désigné comme absent qui compte, la personne aimée, une marque linguistique ; continuer de le désigner donne l’illusion de le constituer en soi mais ce qui compte réellement ce sont les liens entre les objets et les pôles, ce sont ces liens qui se transforment et qui constituent, de fait, la dynamique d’un ensemble, d’un système de langage, comme celui des relations humaines.

Sous ce mot-vignette – « absence » –, je pourrai aussi évoquer – de biais – la présence-absence du terme « inconscient » chez Saussure (art. d’A.-G. Toutain). Présence du mot, absence du concept sous sa signification actuelle freudienne. Mais cela nous dit, à part bien entendu tout un développement possible sur les changements de paradigmes représentés par un mot, que le mot « absence » n’est pas une absence, comme le mot « blanc » n’est pas blanc. Une absence est toujours une présence en creux, donc une présence, antérieure, ailleurs, remarquée, sinon marquée. Or, n’est-ce pas de cela, de ce processus que s’occupe la linguistique ?

4. La langue n’est pas fasciste – Un peu de politique

La langue n’est pas fasciste en soi selon le fameux raccourci de Barthes (et toujours repris un peu en raccourci, d’ailleurs) et ce sera ma deuxième vignette. L’analyse que propose, dans l’ouvrage, la contribution de Donata Chiricò a fait rebondir ma pensée sur ce thème. La langue – saussurienne – n’est pas fasciste donc mais le fascisme, en revanche, lui, trouble l’usage de la langue (et je renvoie au très important ouvrage de V. Klemperer, Langue du Troisième Reich : carnet d’un philologue, 1947) ; il en trouble l’usage jusqu’à faire presque que le mot corresponde à la chose, c’est dire qu’il ôte au langage et à son système d’expression qu’est la langue, son caractère spécifiquement symbolique qui fait que non, le mot n’est pas la chose, non la langue n’est pas un simple ensemble lexical mais un système qui permet de faire des phrases et faire des phrases c’est mettre un écart entre le langage et l’agir, entre la vie et la mort. Il n’y a jamais univocité dans une phrase car le sémiotique s’y accompagne d’un sémantique ouvert, subjectif et imprévisible, pour reprendre les données élaborées par Benveniste.

Le langage ce n’est pas l’usage d’un seul lexique c’est l’usage d’un échange verbal. Je cite Gambarara (cité par Giuseppe Cosenza, p. 159) : « La filosofia infatti non vive in un discorso, vive nel discorrere, perché non vive in una mente, vive tra le menti ».

Le discours fasciste veut faire croire que la langue est simple et que signification et sens (pour prendre la partition de Benveniste) ne sont qu’une seule et même chose ; mais la langue non seulement est complexe, mais, comme le remarque Gambarara n’est en fonction que si elle permet de discourir, discourir « tra le menti », d’individu à individu et pas d’une voix univoque vers un ensemble d’oreilles uniformes.

L’introduction du livre nous expose comment Daniele Gambarara s’est identifié, en quelque sorte, à l’Université de la Calabre. Et cela m’est apparu comme un acte politique, le Sud existe autant que le Nord et il a son Université et il faut la faire vivre et il faut l’animer et y faire le meilleur travail possible. C’est maintenant en Calabre que l’on trouve, grâce à Daniele, un centre bibliographique de haute tenue et actualisé sur Saussure ; la contribution, dans le livre, de Giuseppe Cosenza en expose très pertinemment l’enjeu. La démarche est importante. Travailler, imposer Saussure est un acte politique aujourd’hui parce que c’est une résistance, une résistance à la recherche fermée, univoque ; parler de Saussure aujourd’hui, c’est-à-dire rappeler que chaque langue à sa propre structure, qu’il n’y a pas de hiérarchie de valeurs entre les langues (et donc entre les peuples qui les parlent), que le chercheur, en l’occurrence linguiste, doit s’interroger sur son objet de travail, sur sa méthodologie, c’est-à-dire réfléchir et faire de l’épistémologie une prégnance incontournable de ses analyses est une résistance contre la modélisation à tout crin et a priori, contre l’efficacité à tout prix.

Vu de loin, c’est Daniele Gambarara qui a réussi à concentrer autour de lui tant de chercheurs et de recherches autour de Saussure et surtout autour de la complexité du corpus saussurien. Il ne s’est jamais agi de ronronner autour du Cours de linguistique générale, mais de ne rien lâcher à la richesse du corpus, c’est-à-dire des archives et manuscrits et aux difficultés de traitement que cela implique. Et cela aussi pour moi est un acte politique, face à une univocité impérieuse et sectaire que l’on veut nous imposer aujourd’hui, face à l’efficacité neuro-, psycho-, cognitivo-linguistique à laquelle on nous oblige aujourd’hui, Daniele Gambarara ne lâche pas la philosophie du langage, ne lâche pas la réflexion longue, ne lâche pas Saussure, résiste à la mode et aux pressions. En ce sens, il est bien l’héritier de Tullio de Mauro. Je veux vous lire ici un passage d’une de mes dernières lectures qui m’a profondément troublée, qui m’a choquée et qui m’a aussi révoltée. Je l’ai inclus dans l’introduction au livre que Giuseppe D’Ottavi et moi sommes en train de publier aux éditions de la rue d’Ulm sur les 50 ans après les Problèmes de linguistique générale de Benveniste1. Ainsi, dans un ouvrage très récent2, certes non présenté comme linguistique (et qui ne comporte, en effet, aucune mention ou référence d’une question linguistique dans ses 600 pages, même pas dans le chapitre intitulé « Intellectuels et changements sociaux »), mais pour lequel l’auteur, Noam Chomsky, est qualifié de « père de la linguistique moderne » on peut lire ces propos :

Quand j’entends des mots comme « dialectique » ou « herméneutique » et toutes sortes de choses prétendument profondes, alors, comme Goering, « je sors mon revolver »3

[…] si, par exemple, je lis Russell ou la philosophie analytique, ou encore Wittgenstein, il me semble que je peux comprendre ce qu’ils disent et pourquoi cela me paraît faux, comme c’est souvent le cas. Par contre quand je lis Derrida, Lacan, Althusser ou l’un de ceux-là, je ne comprends pas. C’est comme si les mots défilaient sous mes yeux : je ne suis pas leurs argumentations, je ne vois pas d’arguments, tout ce qui ressemble à une description de faits me semble faux. Alors peut-être qu’il me manque un gène ou je ne sais quoi, c’est possible. Mais ce que je crois vraiment, c’est qu’il s’agit de charlatanisme4.

Sans prendre la peine de relever l’hétérogénéité des domaines auxquels les auteurs rejetés par Chomsky appartiennent, il faudrait déjà répondre qu’il n’y a pas de gène de la compréhension conceptuelle, mais qu’en revanche il faut observer, décrire, analyser avec méthode – sans modéliser a priori – si l’on veut, après ce long travail, pouvoir interpréter et proposer une vision d’ensemble pour la compréhension du phénomène, c’est-à-dire proposer une théorie. La théorie ne va pas sans l’empirie « empirique » et non préalablement modélisée. Il ne faut pas « sortir son révolver » devant le mot herméneutique mais revendiquer l’approche que ce mot désigne comme essence même de l’entreprise de connaissance. Qu’est-ce que la grammaire comparée, qu’est-ce que la philologie si ce ne sont pas des pratiques herméneutiques ? La simplification a priori exerce toujours une violence envers la science et le savoir toujours susceptible de plus de précisions et toujours modifiable – jamais terrorisable – ; la linguistique qui est méthodique recherche est toujours herméneutique et épistémologique : elle s’interroge sur les faits de langage, sur l’histoire de la façon dont ils ont été regardés, sur la façon dont elle se constitue elle-même comme science. Si ces démarches peuvent être momentanément séparées par méthodologie, elles ne sauraient aboutir, chacune séparément, à une interprétation suffisamment fondée. La linguistique la plus technique, la plus logique ou mathématisable, ne peut être validée que si elle prend place dans une visée de linguistique générale qui elle-même s’inscrit dans une histoire qui commence avec la philologie et la grammaire comparée.

En enseignant Saussure, en faisant lire Saussure, en imposant de recourir à ses archives et manuscrits qui demande un temps si long de travail, Daniele Gambarara s’oppose à cette terreur du simple et de l’efficace.

Je ne connais pas suffisamment personnellement Daniele pour savoir si il est d’accord avec mon insistance sur cette « couleur » que je donne à sa destinée professionnelle, mais c’est ainsi que moi je le perçois, comme je perçois tous les chercheurs qui, aujourd’hui, ne cèdent pas aux sirènes de la rapidité, de la consommation effrénée de projets, de programmes prétendument immédiatement efficaces (dans le retour de l’évaluation de notre laboratoire ITEM par les instances décisionnaires, il est recommandé à mon équipe « Génétique et théories linguistiques » – tout en remarquant l’excellence du travail – de nous engager à « répondre à la demande sociale » : les bras m’en tombent !). Et je dois dire que ce sont les jeunes qui ont le plus de mérite car nous, les gens de notre âge, comme Daniele ou moi, personne ne nous empêchera de passer notre temps à réfléchir, mais les jeunes sont soumis aujourd’hui à des contraintes destructives pour le travail de fond. Daniele Gambarara a contribué à faire reculer au maximum ces pratiques.

Pour revenir à la fameuse proposition négative de Barthes, « la langue est fasciste », je dirai que malheureusement, ne pas prendre le temps de l’analyse, de l’explicitation, c’est aller directement au « populisme » dont on voit la résurgence profonde et terrifiante aujourd’hui. A force de ne faire des résumés de tant de mots pour expliquer un projet, à force de ne parler et lire qu’une seule langue : l’anglais efficace des affaires plutôt qu’apprendre des langues ou développer la traduction si heuristique pour la compréhension du phénomène langagier (voir les contributions, dans l’ouvrage, de Marco Mazzone et de Susan Petrilli), à force de communiquer socialement par twitter plutôt qu’apprendre aux personnes à prendre le temps d’analyser un discours quel qu’il soit, il n’y a plus d’écart entre le lu et la réalité. Le lu devient vrai, et les populistes flattent cette impossibilité de réflexion qui leur permet d’obtenir le pouvoir.

Vous pensez que je m’éloigne trop des questions de langage et de la linguistique ? Je ne crois pas. Je pense profondément que défendre la linguistique générale est un acte politique, un acte de résistance au populisme, a fortiori au fascisme parce que seule la linguistique générale permet de comprendre ce qui se passe lorsque nous parlons, à comprendre de quelle façon le langage constitue les plus hautes possibilités de l’humain que nous pouvons contribuer à développer plutôt qu’à réduire.

Continuons donc à défendre les titres qui portent ce syntagme « linguistique générale », que ce soit un Cours (Saussure), des Ecrits (Saussure), des Essais (Jakobson), des Eléments (Martinet), des Problèmes (Benveniste)… etc. Le général, ici est l’universel du fonctionnement de toutes les langues, de tous les parlants, l’universel, par exemple, de tous les migrants dont on oublie parfois qu’ils ont une langue et qu’ils ne sont pas que des corps marchant et souffrant, de tous les migrants que nous sommes tous à un moment ou à un autre de notre vie.

La linguistique générale c’est l’universel qui reconnaît qu’il n’est constitué que de particulier : la langue donc toutes les langues, le langage et donc l’énonciation subjective.

5. Epilogue mais non dénouement

L’objet de plus en plus absent, aujourd’hui, dans nos institutions ou dont on voudrait qu’il soit absent sont les Sciences humaines. Je n’arrive pas à me représenter un monde de savoir, ni même une société d’ailleurs, sans cette réflexion profonde que poursuivent l’anthropologie, la philosophie, l’histoire, la sociologie, la linguistique. A mon avis cet ensemble flou et souple mais profond dans le champ du savoir que constituent les sciences humaines ne peut rester longtemps absent. Ma, chi lo sa ?

En tout cas, si ce n’est pas le cas, ce sera grâce à des professeurs comme Daniele Gambarara.

Un jour, Daniele Gambarara sera absent de l’Université de la Calabre. Il l’aura marquée, mais n’en sera plus un des animateurs. Comment va se refaire le jeu ? Comment sa présence – absente – va-t-telle reconfigurer la « culture » (au sens presque agricole du terme) sur laquelle se développe l’enseignement de la philosophie du langage et de la linguistique ? Je paraphrase Marie-José Béguelin : « Dans un paradigme linguistique, comme dans l’économie psychique de l’amoureux, comme dans l’organisation d’un enseignement, en l’occurrence de sciences humaines, il suffit qu’un élément change de statut pour que les autres en soient ipso facto transformés, ce qui conduit à un état nouveau »… Daniele Gambarara est un constructeur de réseaux, réseau de proximité et réseau international, qui réussit à faire « descendre » au fin fond de la Calabre, du Mezzogiorno, les chercheurs pour étudier des choses non urgentes, alors le changement, une fois que Daniele consentira à être absent, risque d’être paradigmatique pour le champ du savoir.

Nous sommes au début du printemps ; laissons les bourgeons gorgés de la nourriture antérieure se développer et voyons quelles fleurs et quels fruits ils nous proposent.

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1 Emile Benveniste. 50 ans après les Problèmes de linguistique générale, éd. par G. D’Ottavi et I. Fenoglio, Paris, Editions rue d’Ulm, 2019.

2 Noam Chomsky, Comprendre le pouvoir. L’indispensable de Chomsky, éd. par P.R. Mitchell et J. Schoeffel, traduit de l’anglais par T. Vanès et H. Hiessler, Montreal, Ed. Lux, 2016.

3 N. Chomsky, Comprendre le pouvoir, p. 359. Les éditeurs américains de l’ouvrage précisent (p. 12 de leur préface) que Chomsky a révisé les textes avant publication : « Dans tous les cas, nous sommes restés fidèles au langage et aux réponses de Chomsky lui-même – il a d’ailleurs révisé le texte – ».

4 Ibid., p. 361.