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Onze lettres (1884-1893) dans les archives de la société de linguistique de Paris

Ferdinand de Saussure

Pierre-Yves TESTENOIRE

Sorbonne Université / UMR 7597

Histoire des Théories Linguistiques

pytestenoire@yahoo.fr

La période parisienne de la vie de Saussure a longtemps suscité un paradoxe historiographique. Les dix années que Saussure passe à Paris – de fin 1880 à fin 1891 avec une interruption pendant l’année universitaire 1889-1890 – sont indubitablement celles où il est le plus actif et le plus productif scientifiquement. L’intensité de son activité s’observe dans le nombre de ses publications qui tranche avec celui de la période suivante, le rythme de son enseignement à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (deux à quatre conférences par semaine selon les années) et les lourdes responsabilités dont il a la charge (le secrétariat de fait de la Société de linguistique de Paris). Les documents privés témoignent également d’une vie mondaine intense. De ces diverses activités il ressort que le jeune Saussure est alors pleinement intégré dans le réseau social de la linguistique parisienne, ce qui contraste avec l’isolement qu’il connaît à Genève dans les deux décennies suivantes. Or, cette période parisienne a longtemps été, dans la vie de Saussure, la moins documentée. Jusqu’à une date récente, l’article de Michel Fleury (1964) constituait la principale référence sur les activités de Saussure à Paris car le lot des manuscrits du linguiste déposé à la Bibliothèque de Genève dans les années cinquante (Papiers Ferdinand de Saussure, BGE, Ms. fr. 3951-3974) ne contenait presque aucun document datant de cette période. Cet angle mort dans la documentation pouvait être imputé, comme Saussure invitait lui-même à la faire1, au déménagement de Paris à Genève. La découverte en 1996 de nouveaux manuscrits (BGE, Archives de Saussure 366-388) a révélé que de nombreux écrits autographes ont survécu à ce déménagement2. Les travaux sur les manuscrits saussuriens datant de cette période (Saussure 1995, Testenoire 2008, Joseph 2010, Vezzosi 2011, 2015, Marchese 2013, 2015), couplés aux recherches dans les archives françaises de Décimo (1993, 1994, 1999, 2012, 2014) et aux entreprises biographiques de Mejía Quijano (2008, 2011) et de Joseph (2012), ont, depuis une vingtaine d’années, considérablement élargi notre connaissance de la décennie que Saussure a passée à Paris. L’exploration des archives de la Société de linguistique de Paris que nous avons réalisée en 2015 nous a permis de découvrir de nouveaux documents concernant l’activité de Saussure à Paris et spécifiquement son rôle au sein de cette société savante. L’objet de cet article est de présenter et d’éditer ces documents – onze lettres inédites de F. de Saussure – en les restituant, au préalable, dans la documentation disponible.

1. Les documents saussuriens à Paris

Les documents saussuriens conservés à Paris connus à ce jour peuvent se ranger dans quatre catégories.

• De la correspondance

Des lettres scientifiques de F. de Saussure sont conservées dans les différents fonds d’archives de ses collègues parisiens. Les correspondances les plus importantes sont conservées à la BnF dans les fonds Louis Havet (24 lettres, Redard 1976), Gaston Paris (13 lettres, Decimo 1994) et Paul Boyer (3 lettres, Decimo 1994) ainsi que dans le fonds Antoine Meillet du Collège de France (3 lettres, Minassian 1977 et Testenoire 2015)3. Des lettres adressées à des correspondants plus ponctuels – Michel Bréal, Emile Chatelain ou Joachim Menant – se trouvent également dispersées dans différentes fonds d’archives (v. Mejía 2014).

• Des textes scientifiques

Quelques textes scientifiques de la main de Saussure sont aussi conservés à Paris. Il s’agit, non de brouillons, mais de textes mis au propre et envoyés à des tiers. L’un d’entre eux est une liasse d’étymologies, datant vraisemblablement de 1876-1877, envoyée à Bréal pour lecture à la Société de linguistique de Paris. Ces notes conservées dans le fonds Meillet du Collège de France ont été éditées en 1988 par René Amacker et Simon Bouquet. Une autre liasse de huit feuillets a été retrouvée dans le fonds Louis Havet de la BnF par Georges-Jean Pinault qui les a éditées en 2012. Ces feuillets datent de 1879 et complètent la correspondance Saussure-Havet : il s’agit de deux longues notes relatives aux hypothèses développées dans le Mémoire dont Louis Havet vient de livrer un compte rendu.

• Des notes allographes : les cahiers d’étudiants

Au cours de ses dix années d’enseignement à l’EPHE, Saussure a eu, selon le décompte effectué par Marc Décimo (2014 : 140), 196 auditeurs. De cet enseignement capital pour le développement de la linguistique en France, il ne reste essentiellement que les rapports rédigés par Saussure et quelques témoignages4. A ce jour, en effet, seules les notes prises par deux auditeurs à un seul cours ont été retrouvées. Il s’agit des notes de Maurice Grammont (non consultables5) et de Ferdinand Lot, déposées à la Bibliothèque de l’Institut de France (Ms 7256-L), au cours de grammaire gotique de 1890-1891. Un premier aperçu de ces notes a été donné par André Rousseau (2006 et 2009) qui en a livré, après plusieurs années, l’édition intégrale : Saussure 2018.

• Des documents administratifs

Plusieurs pièces administratives, enfin, sont conservées dans le dossier personnel de Saussure aux Archives Nationales (F17 23 170) et dans les archives administratives de la IVe section de l’EPHE. Elles fournissent de précieux renseignements sur la carrière de Saussure dans cette institution – son recrutement, ses promotions, sa démission – qui ont été exploités par Michel Fleury (1964) et Marc Décimo (2014).

2. Les archives de la Société de linguistique de Paris

Les archives administratives de la Société de linguistique de Paris sont conservées à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, qui s’est dotée d’une mission archives en 2010. Ces archives sont à l’heure actuelle ni classées, ni cotées. Le fonds de la Société de linguistique de Paris occupe actuellement vingt-et-une boîtes d’archives dont quinze contiennent des imprimés, des Mémoires et des Bulletins de la SLP principalement. Sept boîtes, qui ont pour cotation provisoire SLP 1 à SLP 7, contiennent les archives de la société. Les documents vont des premières années de la Société6 aux années 1990 environ. Ils ne couvrent cependant pas le siècle d’activité de la SLP, puisqu’une partie des archives de la Société a été perdue pendant l’occupation :

Une perquisition opérée au domicile du trésorier7 par la police de Vichy et la Sicherheitspolizei, le 16 décembre 1941, a privé ce dernier des archives de la Société qui, malgré ses protestations, ont été emportées ainsi que d’autres papiers et documents. Une partie seulement a été récupérée depuis la libération. (BSL 42/1 : IX)

Les documents conservés dans le fonds de la Société de linguistique de Paris sont essentiellement administratifs. On y trouve des catalogues de la bibliothèque de la société, des procès-verbaux et des cahiers d’émargement de séances, des documents comptables (cahiers de compte, factures, échanges avec l’imprimeur, demandes de subventions au CNRS…) ainsi qu’une abondante correspondance à la fois administrative et scientifique8. Les années d’activité de la Société ne sont pas couvertes de façon homogène par ces archives, certaines périodes, comme l’entre-deux-guerres, ne sont pas documentées quand d’autres sont bien représentées : c’est le cas des quarante premières années de la Société jusqu’à environ 1900 et pour les années cinquante, soixante et soixante-dix. La présence de documentation pour une période donnée dépend des savants exerçant des fonctions exécutives au sein de la Société – secrétaire, trésorier, administrateur, bibliothécaire – qui ont versé les papiers liés à cette fonction dans les archives. Aussi la présence des lettres de Ferdinand de Saussure dans les archives de la SLP est-elle liée à Philippe Berger (trésorier de 1874 à 1891), à Jean Psichari (administrateur de 1884 à 1889) et à Louis Duvau (administrateur de 1892 à 1903).

3. Saussure et Psichari au sein de la Société de linguistique de Paris

Saussure est présenté à la Société de linguistique de Paris à l’âge de 18 ans par Michel Bréal et Abel Bergaigne. S’il est élu membre de la Société le 13 mai 1876, il n’assiste pour la première fois à une séance que quatre ans et demi plus tard, au moment de son installation à Paris. Saussure est assidu aux séances pendant son séjour parisien : il y présente trente-deux communications, soit environ trois par an. Fin 1881, il est élu « délégué dans les fonctions de secrétaire adjoint » pour assister le secrétaire délégué, Louis Havet, dans ses fonctions9. Remplissant de fait dès cette année-là les charges de secrétaire, il demande pour continuer à assurer ce travail à être élu secrétaire adjoint l’année suivante, ce qu’il obtient10. Il reste secrétaire adjoint de la SLP de fin 1882 jusqu’à son départ de Paris en 1891. Après cette date, il n’assiste plus à aucune séance de la Société. Les archives de la Société de linguistique de Paris indiquent que Saussure règle régulièrement sa cotisation annuelle qui s’élève, ces années-là, à 11 ou 12 francs. En 1901, il règle une cotisation de 120 francs, accédant ainsi au statut de membre perpétuel.

Neuf des onze lettres retrouvées dans les archives de la SLP sont écrites par Saussure dans ses fonctions de secrétaire adjoint. Leur ton diffère en fonction des correspondants : la lettre adressée à Philippe Berger (1846-1912), alors trésorier, et celle adressée au Comte de Charencey (1832-1916), président de la SLP pour l’année 1885, sont formelles. Les sept lettres adressées à Jean Psichari (1854-1929) témoignent, en revanche, d’une relation de camaraderie.

Jean Psichari est une figure intellectuelle influente de la charnière du XIXe et du XXe siècles, auquel son statut de gendre de Renan confère un prestige particulier. Après des travaux en philologie classique, il se spécialise dans l’étude du grec moderne. Il inaugure, en 1885, la chaire de philologie byzantine et néogrecque de l’EPHE où il est successivement maître de conférences puis directeur d’études. En 1904, il devient également professeur de grec moderne à l’Ecole Nationale des Langues Orientales. Parallèlement à ses travaux linguistiques sur le grec moderne, il est l’auteur d’une importante œuvre littéraire en démotique. Le récit du voyage en Grèce qu’il effectue en 1886, Mon voyage (To taxidi mou), est un manifeste pour la promotion de cette langue. Psichari, enfin, est également connu pour son engagement politique. Ami proche de Havet, il compte parmi les plus actifs dreyfusards : premier secrétaire général de la Ligue des droits de l’homme à sa création, il en devient le vice-président en 190311.

Jean Psichari est élu membre de la SLP le 16 février 1884 sur présentation de Stanislas Guyard et de Saussure. Il est délégué dans les fonctions d’administrateur dès le mois de mai de cette année pour suppléer Emile Ernault qui vient d’être nommé maître de conférences à l’Université de Poitiers. Elu officiellement administrateur fin 1884, il le restera jusqu’à la fin de 1889. La collaboration entre Saussure et Psichari pour le fonctionnement de la Société se situe donc entre 1884 et 1889, selon une répartition des rôles qui incombent à leur fonction respective. Le secrétaire a la responsabilité éditoriale des Mémoires et des Bulletins ; il est également chargé de la rédaction et de la lecture des comptes rendus des séances. L’administrateur, quant à lui, a pour mission de superviser l’envoi des convocations et des publications aux membres de la société12.

La proximité entre Saussure et Psichari est un fait connu : Saussure parle, dans une lettre datée de 1883, de « [son] ami Psichari »13 et Psichari lui écrit en 1889 : « Voici près de dix ans que je vous connais et que je vous aime »14. Cependant, ce que l’on savait de leur relation se résumait jusqu’ici à peu de choses. Les deux hommes sont de la même génération et se sont rencontrés comme auditeurs à l’EPHE. Ils suivent tous deux les conférences de Louis Havet sur la phonétique latine à l’école en 1880-1881. En 1887-1888, Psichari suit la conférence de Saussure sur la grammaire comparée du grec et du latin à l’EPHE. Ses agendas de l’époque, conservés à la Bibliothèque de la Sorbonne (MS 1835), attestent son assiduité à ces conférences ainsi que les contacts réguliers entre les deux hommes15. Après le départ définitif de Saussure à Genève en 1891, en revanche, les témoignages de leurs contacts s’estompent16. Dans les archives de Jean Psichari conservées à la Bibliothèque de la Sorbonne on ne trouve aucune lettre ou document saussurien. Quant aux archives de Saussure, elles ne contiennent que deux traces d’échange épistolaire entre les deux savants :

— une lettre de Psichari à Saussure, datée du 9 novembre 1889, où Psichari cherche à le retenir à Paris et l’exhorte à publier « un beau livre »17.

— un brouillon de lettre de Saussure à Psichari datant vraisemblablement de 1904 pour féliciter son fils, Michel, de la publication de son Index raisonné de la mythologie d’Horace18.

On sait que d’autres lettres ont été échangées entre les deux savants. Claudia Mejía Quijano (2015 : 169) en signale trois, dans l’inventaire de la correspondance reçue par F. de Saussure qui est conservée au Château de Vufflens : « 1 lettre de Jean Psichari : Paris, 29 janvier 1909 ; 1 carte : Paris 2 juillet 1896 ; et un poème du correspondant « Amour et mort » de 1884, dans une enveloppe timbrée 17 janvier 1890 ». Les agendas de Psichari, conservés à la Bibliothèque de la Sorbonne, comptent six fois la mention « lettre à Saussure » dont seulement deux (9 décembre 1889 ; 17 janvier 1890) correspondent à des lettres retrouvées. Les quatre autres (23 décembre 1887, 16 avril 1888, 22 décembre 1888, 2 juillet 1891) indiquent l’existence de lettres perdues.

Les lettres découvertes dans le fonds de la SLP n’apportent pas d’information majeure sur la relation entre Saussure et Psichari. Elles illustrent surtout leurs échanges réguliers pour le bon fonctionnement de la SLP : envoi des ordres du jour et des procès-verbaux, relation avec l’imprimeur, expédition des Mémoires et des Bulletins aux adhérents, mots d’excuse en cas d’absence aux séances… Une des périodes bien représentées par ces échanges est le début de l’année 1886, spécifiquement le mois de mars où Saussure, accaparé par la rédaction d’un essai sur la phonétique germanique qu’il prépare pour le prix Volney19, est souvent absent aux séances. La seule lettre de cette correspondance qui revêt un caractère plus personnel et scientifique est celle datée du 21 août 1885, envoyée de Genthod. Il y est question des travaux de Psichari sur le grec moderne, que Saussure soutient chaleureusement :

Entretenez votre bel enthousiasme pour le champ d’études que vous offre le néo-grec ; vous en serez très certainement récompensé par une de riches et longues moissons, et je me réjouirai de tout cœur de <chacun de> vos succès. Il n’y a que le feu sacré <pour faire quelque chose en ce monde>, je suis complètement d’accord avec vous sur ce point.

Ces encouragements font écho à ceux que Psichari adresse à Saussure, quelques années plus tard, pour ses recherches sur le lituanien :

Je vous en supplie, que ce travail ne demeure pas à l’état de projet. Quand on a votre intelligence, on se doit à la vie. Et la vie, pour vous, c’est la science. Vos facultés y atteindront leur summum d’intensité ; et la vie n’est vécue, que lorsqu’on est arrivé à la sensation totale de cette intensité. Je vous parle en sage ; je vous parle en ami ; je vous parle en philologue épris du progrès de la science. Vous ne pouvez faire autrement que de m’écouter. Le découragement vous est interdit. Faites – et vous pouvez le faire, un beau livre qui parte tout à coup comme un ps[ ] (Lettre de Psichari à Saussure, 9 novembre 1889, BGE, Arch. de Saussure 366, f. 201b)

La lettre du 21 août 1885 confirme la connaissance précise que Saussure a des travaux de son collègue sur la phonétique grecque, ce dont il fait également état dans sa conférence inaugurale à l’Université de Genève à l’automne 1891 :

Il est impossible ici de ne pas remarquer que le linguiste qui s’occupe de grec contemporain comme M. Psichari jouit de l’avantage appréciable, du privilège de n’avoir pas même à commenter une de ces désastreuses distinctions nominales comme celle de français et de latin ; dès sa première leçon on le comprend quand il part du grec parlé au VIIe siècle avant l’ère pour aboutir au grec actuel, avec un intervalle de 2 600 ans : simplement parce que les deux choses sont appelées grec, quoiqu’elles diffèrent entre elles autant, si ce n’est beaucoup plus en bien de points, que le français « diffère du latin ». (Saussure 2002 : 166).

4. Les lettres à Louis Duvau de 1893

Les échanges avec Louis Duvau retrouvés dans le fonds de la SLP datent de 1893 : ils viennent s’ajouter aux quatre autres lettres connues de Saussure à Louis Duvau écrites entre février et août 1888 (v. Décimo 2012). En 1893, Saussure est alors professeur à l’Université de Genève et Louis Duvau, son ancien étudiant à Paris, a récupéré une partie de sa chaire à l’EPHE20 et occupe la fonction d’administrateur de la SLP. C’est à ce dernier titre que Saussure lui écrit au sujet de son article « A propos de l’accentuation lituanienne (intonations et accent proprement dit) » qu’il destine aux Mémoires de la SLP. L’article en question est issu d’une communication faite à la Société de linguistique de Paris le 8 juin 1889, comme Saussure le signale en introduction :

Ce qui suit est le contenu d’une communication faite à la Société de Linguistique il y a quatre ans. Ayant le projet, dès cette époque, de développer les mêmes observations dans un ouvrage spécial, traitant à la fois des intonations du lituanien et de l’accent tonique de cette langue, je n’en avais pas fait l’objet d’un article dans nos Mémoires ; mais quelques pages de M. Bezzenberger (parues dans l’intervalle et qui m’avaient échappé d’abord), sur lesquelles je reviens plus loin, me donnent occasion de reprendre quelques points principaux, en attendant qu’ils soient exposés ailleurs d’une manière complète. (Saussure [1894] 1922 : 490)

Le travail sur cet « ouvrage spécial » commence en 1889 et se poursuit jusqu’en 1894. Malgré le nombre considérable de notes accumulées pour ce projet21 l’ouvrage ne paraîtra pas. Saussure décide en 1892 de publier le texte de sa conférence de 1889 dans les Mémoires de la SLP : il envoie la première partie de son texte en janvier 1893 en annonçant une suite à Duvau (lettre du 16 janvier 1893). La suite tarde à venir comme en témoigne la lettre du 8 mars 1893 où Saussure s’excuse d’un nouveau retard et sur laquelle Duvau a ajouté au crayon à papier « Réclamé 18 avril ». Il y a tout lieu de croire que d’autres relances et d’autres retards ont suivi tout au long de l’année22 jusqu’à ce que Saussure se résolve, fin 1893, à publier son article en deux parties. L’article qui paraît dans les Mémoires en 1894 s’achève sur la mention « à suivre » : il figure dans le sommaire sous l’intitulé « A propos de l’accentuation lituanienne (premier article) ». La seconde partie ne sera jamais publiée dans les Mémoires.

Dans la lettre à Meillet datée du 4 janvier 1894, Saussure annonce la publication prochaine de son article sur le lituanien. L’annonce introduit le passage célèbre sur la nécessité « de montrer au linguiste ce qu’il fait » :

Le commencement de mon article sur l’intonation va paraître. Le 2nd article terminera ce que je veux dire sur l’intonation et contiendra 2° mes remarques sur l’accentuation, ainsi que sur l’intonation lette, qui est (vous l’ai-je dit ?) un effet de l’accentuation – sans rapport avec l’intonation lituanienne !! Mais je suis bien dégoûté de tout cela, et de la difficulté qu’il y a en général à écrire seulement dix lignes ayant le sens commun en matière de faits de langage. Préoccupé surtout depuis longtemps de la classification logique de ces faits, de la classification des points de vue sous lesquels nous les traitons, je vois de plus en plus à la fois l’immensité du travail qu’il faudrait pour montrer au linguiste ce qu’il fait ; en réduisant chaque opération à sa catégorie prévue ; et en même temps l’assez grande vanité de tout ce qu’on peut faire finalement en linguistique. (Saussure in Benveniste 1964 : 95)

C’est à cette urgence du travail épistémologique en linguistique que Saussure attribue son incapacité à envoyer à Duvau la deuxième partie de son article, dont témoignent les lettres découvertes dans les archives de la SLP :

Cela finira malgré moi par un livre où, sans enthousiasme ni passion, j’expliquerai pourquoi il n’y a pas un seul terme employé en linguistique auquel j’accorde un sens quelconque. Et ce n’est qu’après cela, je l’avoue, que je pourrai reprendre mon travail au point où je l’avais laissé.

Voilà une disposition peut-être stupide, qui expliquerait à Duvau pourquoi par exemple j’ai fait traîner plus d’un an la publication d’un article qui n’offrait matériellement aucune difficulté, – sans arriver d’ailleurs à éviter les expressions logiquement odieuses parce qu’il faudrait pour cela une réforme décidément radicale. (Saussure in Benveniste 1964 : 95-96)

5. Edition des lettres de Saussure découvertes dans les archives de la Société de linguistique de Paris

Les onze lettres de Saussure découvertes dans les archives de la SLP sont présentées, non dans l’ordre dans lequel elles figurent actuellement dans ces archives, mais dans l’ordre chronologique reconstitué. Si seulement trois lettres contiennent un millésime, les huit autres peuvent être situées entre 1884 et 1889. Des indices permettent de proposer une datation précise pour sept d’entre elles ; reste une lettre sans datation certaine.

Nous indiquons en notes les éléments de datation et de contexte nécessaires à la compréhension de cette correspondance, tout particulièrement les concordances avec les procès-verbaux des séances de la SLP. Pour la transcription, nous adoptons les conventions éditoriales suivantes :

— XXX indique un texte barré

— XXX indique un texte souligné

— les chevrons <XXX> indiquent un texte marginal ou interlinéaire

[1]

Lettre de F. de Saussure à Philippe Berger, 1e juillet [1884]23

[SLP 2 : Un bifeuillet, deux pages écrites à l’encre noire]

Mardi, 1er juillet

Monsieur et cher confère,

Avant de donner le bon à tirer de la nouvelle Liste des membres de Société de linguistique, je tiens beaucoup à collationner vos corrections et additions. Auriez-vous l’obligeance d’apporter votre exemplaire à la Séance de samedi, si vous y venez24 ?

Dans le cas contraire, je vous prie de bien vouloir me fixer une heure où je pourrais venir faire ce petit travail chez vous, pour un des jours de cette semaine, car je ne serai sans doute plus à Paris la semaine prochaine.

Veuillez agréer, Monsieur et cher confrère, l’expression de mes sentiments tout dévoués.

F. de Saussure

J’aurai aussi à verser la cotisation de M. de Berchem25.

[2]

Lettre de Saussure à Jean Psichari, [30 mai 1885]26

[SLP 4 : Un bifeuillet de deuil, une page écrite à l’encre noire]

Samedi matin

Cher Monsieur Psichari

Je dois vous prier de bien vouloir lire à ma place le procès-verbal de la dernière séance et de m’excuser auprès de nos collègues. Je suis assez souffrant depuis jeudi d’un embarras gastrique qui je l’espère sera vite passé, mais ne laisse pas d’être fort désagréable. Il m’a été impossible hier soir de me rendre au Collège de France comme j’en avais formé le projet, et je ne prévois pas une meilleure soirée pour aujourd’hui.

Votre bien dévoué

F. de Saussure

[3]

Lettre de Saussure à Jean Psichari, 21 août [1885]27

[SLP 4 : Un bifeuillet, deux pages écrites à l’encre bleue]

Genthod, 21 août

Cher Monsieur Psichari

Excusez-moi de ne répondre qu’en courant à votre lettre ou plutôt à vos deux lettres reçues l’une ce matin, l’autre il y a 8 jours. Je pars dans une heure pour un service militaire de 3 semaines, et suis <très> occupé à me munir de tous les désinfectants et de tous les moyens d’ablution possibles. J En renvoyant à l’Imprimerie votre bon à tirer j’ai eu soin d’avertir qu’on eût à conserver la composition pour un tirage à part, en ajoutant que vous donneriez vous-même les indications ultérieures. Quant à l’intermédiaire de Vieweg28 il peut être utile si, comme vous en avez je crois l’intention, vous réunissez plusieurs articles en un volume. S’il s’agit au contraire d’un seul article, d’un tiré à part pur et simple, il vaut mieux n’avoir affaire qu’à l’Imprimerie.

Je ne me rappelle pas avoir vu l’article de M. Krumbacher29 ; est-ce dans le tout dernier fascicule de la Zeitschsift30 ? Dans ce cas il ne me serait pas parvenu. Entretenez votre bel enthousiasme pour le champ d’études que vous offre le néo-grec ; vous en serez très certainement récompensé par une de riches et longues moissons, et je me réjouirai de tout cœur de <chacun de> vos succès. Il n’y a que le feu sacré <, pour faire quelque chose en ce monde>, je suis complètement d’accord avec vous sur ce point.

Encore une fois pardonnez la brièveté de ces lignes. Poignée de main affectueuse.

F. de Saussure

[4]

Lettre de Saussure au comte Hyacinthe de Charencey, 19 décembre 1885

[SLP 4 : Un feuillet, une page écrite à l’encre noire]

19 déc. 85

Monsieur le Président

Un contretemps que je n’ai pas pu éviter m’empêche de me rendre ce soir à la séance de la Société. Je le regrette d’autant plus que, comme membre de la Commission des comptes, j’avais aujourd’hui <un> double devoir à remplir.

En espérant que vous voudrez bien m’excuser, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments bien dévoués

F. de Saussure

Je joins à ce pli le procès-verbal de la séance du 5 décembre31.

[5]

Carte de Saussure à Jean Psichari, [février 1886]

[SLP 4 : Une carte de visite sur laquelle est écrit « Ferdinand de Saussure. 3, rue de Beaune », encre noire]

A la séance du 20 février M. de Charencey lira un travail de M. Ernault sur le basque arloté32.

J’aurais aussi une communication sur le grec πρέπειν33.

Bien à vs

F. S.

[6]

Lettre de Saussure à Jean Psichari, [mars 1886]

[SLP 4 : Un bifeuillet, une page écrite à l’encre noire]

Cher Monsieur Psichari

Voici les communications qu’on m’a annoncées pour la prochaine Séance de la Société et dont je vs transmets les titres :

M. de Charencey – Etymol. basquaises34

M. Berger – Camillus35

M. de Charencey – Nom et situation géographique de Xibalba36

Bien à vous F. de Saussure

[7]

Lettre de Saussure à Jean Psichari, 20 mars [1886]

[SLP 4 : Un bifeuillet, une page écrite à l’encre noire]

20 mars

Cher Monsieur Psichari

Je me vois malheureusement empêché de me rendre ce soir à la Société, et je dois vous prier de bien vouloir m’excuser auprès de nos confrères, et d’être assez aimable pour faire les fonctions de secrétaire.

Je ne veux pas que vous ayez <encore une fois> la peine de rédiger un procès verbal en règle : ayez la bonté de m’adresser vos notes quelles qu’elles soient, et je les mettrai au net, comme c’est mon devoir et mon métier.

Bien à vous et merci d’avance Ferd de Saussure

Ci-inclus le procès verbal du 6 mars37

[8]

Lettre de Saussure à Jean Psichari, 30 [avril 1886]

[SLP 4 : Un bifeuillet, deux pages écrites à l’encre noire]

Paris

Vendredi 30

Cher Monsieur Psichari

Je serai à mon poste demain soir à la Soc. de Ling38. Si vous venez à la séance, comme je l’espère, pourriez-vous peut-être y apporter quelques exemplaires des Mémoires et du Bulletin que me réclame votre confère anglais M. Haverfield39 ? Il paraît que le fascicule VI, 1, des Mémoires et les bulletins 25, 26, 27 et 28 ne lui sont jamais parvenus. C’est évidemment la faute de l’expédition Vieweg, mais nous ne pouvons faire autrement, je crois, que de remplacer les exemplaires dûs à ce monsieur, la Société étant (indirectement) responsable de la manière dont se font les envois.

Bien à vous F. de Saussure

M. W. Meyer40 est dans le même cas que M. Haverfield pour le fascicule VI, 1, des Mémoires. Mais je crois que vous <le> lui avez déjà remis.

[9]

Lettre de Saussure à Jean Psichari, non datée [1884-1887]41

[SLP 4 : Un feuillet, une page écrite à l’encre bleue]

Cher Monsieur Psichari

Il m’est absolument impossible à mon grand regret de me rendre ce soir à la séance de la Soc. de Linguistique ; j’en suis d’autant plus fâché que j’étais inscrit à l’ordre du jour. Veuillez je vs prie m’excuser auprès de nos confrères et m’excuser vous-même, et recevez mles meilleurs souvenirs de

votre dévoué

F. de Saussure

[10]

Carte de Saussure à Louis Duvau, 16 janvier 1893

[SLP 2 : Une carte postale adressée à « Monsieur Louis Duvau. 166 boulevard Montparnasse, Paris », tampon postal du 16/01/1893, encre bleue]

16 janv.

Cher Monsieur Duvau

J’ai mis hier à la poste une suite pr l’Imprimerie, qu’elle a dû recevoir ce matin.

Le reste va être prêt.

A la hâte

Votre dévoué

F. de Saussure

[11]

Lettre à Louis Duvau, 8 mars 1893

[SLP 2 : Un feuillet, une page écrite à l’encre noire sur laquelle un tiers a écrit au crayon à papier « Réclamé 18 avril »]

8 mars 1893

Cher Monsieur Duvau

La fin de mon mscr. ne tardera plus beaucoup ! Je préfère vous envoyer les feuilles en paquet, ce qui a été cause d’une interruption.

Croyez-moi encore une fois très désolé du dérangement que je cause, et bien reconnaissant de votre patience.

Votre affect dévoué

F. de Saussure

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1 Dans un brouillon de lettre à Bally, Saussure écrit : « Il y a bien des années, j’avais fait la statistique complète de l’Iliade et de l’Odyssée quant à la coupe après le 1er pied, dont la fréquence dans certains livres et la rareté dans d’autres, m’avait frappé ; mais bientôt je vis qu’il y avait une relation avec la coupe avant le 5e pied, dont je ne puis plus donner les détails, tous les cahiers de cette statistique étant perdus par un déménagement de Paris à Genève » (Brouillon de lettre à Bally [1906] : Testenoire 2008b : 248). Tous les « cahiers de cette statistique » n’ont pas été perdus dans le déménagement : une partie a été retrouvée et analysée dans Testenoire (2008).

2 Parmi les documents importants qui datent de la période parisienne figurent des notes prises aux cours de Louis Havet et de Gaston Paris (BGE, AdS 370/11-12), des notes préparatoires à des communications ou à des articles publiés à Paris (par ex. BGE, AdS 381, 382/1, 382/3, 383) des notes pour les conférences de l’EPHE ou pour des projets de publication sur les langues germaniques (BGE, AdS 374, 375, 384) dont certaines ont une portée générale (par ex. BGE, AdS 374/1), ou encore des recherches sur l’intonation lituanienne commencées à la fin du séjour parisien (BGE, AdS 376-378 et 385-387).

3 Seules trois lettres de F. de Saussure à Meillet sont conservées dans le fonds Meillet à Paris, la majeure partie de la correspondance ayant été déposée à la Bibliothèque de Genève par Emile Benveniste. Pour un état des lieux archivistique de la correspondance Saussure-Meillet, v. Testenoire (2015).

4 Cf. en particulier les souvenirs éblouis de Meillet (1913 : 118-119). La nature de cet enseignement parisien a été étudiée, sur la base des rapports publiés dans l’Annuaire de l’EPHE, par Benveniste (1964a) et Savatovsky (1999). Benveniste écrit à ce sujet : « Nous devons regretter qu’aucun de ses auditeurs d’alors n’ait fait pour une partie au moins des cours de Saussure ce que Bally et Sechehaye ont fait, il est vrai après la mort de leur maître, pour ses leçons de linguistique générale » (Benveniste 1964 : 27).

5 Ces notes sont en possession de la veuve de Jean Stéfanini, qui en a fourni des photocopies à André Rousseau (Rousseau 2009 : 481).

6 La SLP est officiellement fondée en 1864, même si ses premières réunions informelles datent de 1863 ; elle se dote de ses premiers statuts en 1866. Les documents les plus anciens conservés dans les archives datent de 1865. Sur les premières années de la Société v. Bergounioux (1996), qui ignore toutefois l’existence de ces archives.

7 Il s’agit alors d’Aurélien Sauvageot, qui est écarté, entre 1941 et 1943, de sa chaire de langues finno-ougriennes de l’Ecole nationale des Langues Orientales par le régime de Vichy.

8 Preuve de la richesse de la correspondance conservée, on trouve, pour la fin du XIXe et le début du XXe siècles, des lettres de : Henri d’Arbois de Jubainville, Graziadio Isaia Ascoli, Charles Bally, Jan Baudoin de Courtenay, Philippe Berger, Léon Blum, Paul Boyer, Michel Bréal, Hyacinthe de Charencey, Georges Dottin, Louis Duvau, Emile Ernault, Henri Gaidoz, Robert Gauthiot, Louis Havet, Victor Henry, Antoine Meillet, Paul Meyer, Hermann Osthoff, Salomon Reinach, l’abbé Rousselot, Jules Ronjat, Lazare Sainéan, Ferdinand de Saussure, Wilhelm August Streitberg (liste non exhaustive).

9 Le secrétariat – fonction principale de la SLP – est occupé depuis 1868 par Michel Bréal, qui gardera le titre jusqu’à sa mort. Sous ce magistère, le travail effectif de secrétariat est assuré par d’autres savants : Louis Havet (secrétaire adjoint de 1872 à 1881), Ferdinand de Saussure (secrétaire adjoint de 1882 à 1891), Louis Duvau (administrateur de 1892 à 1903), Robert Gauthiot (administrateur entre 1903 et 1907) et Antoine Meillet (secrétaire adjoint à partir de 1907).

10 Sur cet épisode, v. Joseph (2012 : 306-309).

11 Sur ces différents aspects de l’activité de Jean Psichari, v. Rouillard (1930), Orgeolet (1978) et Perraky (2017).

12 On trouve dans les archives de la SLP, deux lettres d’Emile Ernault à Psichari pour régler la transmission des fonctions d’administrateur. Ernault y détaille les tâches qui incombent à l’administrateur : superviser les envois des publications et convocations qui sont effectués par l’éditeur Vieweg. « En somme, », écrit-il dans une lettre datée du 27 juin 1884, « l’administrateur a une situation assez fausse étant responsable de l’envoi des publications, envoi que jusqu’ici il n’a pas été à même de contrôler. C’est M. de Saussure qui pourrait le mieux régler la question parce qu’il est obligé de voir souvent Vieweg pour surveiller l’impression ; il lui serait plus facile qu’à tout autre de surveiller en même temps les envois. » L’envoi des publications est un des problèmes abordés dans les lettres de Saussure à Psichari découvertes dans les archives de la SLP.

13 « J’ai du moins fait l’autre jour au dîner de Psichari la connaissance de M. Renan qui est un homme charmant et plein de bonhomie. Car mon ami Psichari a épousé cet hiver la fille de M. Renan. Lui est moitié Hellène, moitié français. » (Mejía 2014 : 119). Sur les contacts personnels et théoriques entre Saussure et Renan par l’entremise de Psichari, v. Arrivé (2016 : 157-160).

14 BGE, Arch. de Saussure 366, f. 201b. John Joseph (2012 : 349) assure que Psichari est, de tous les collègues de Saussure à l’EPHE, celui dont il est le plus proche. Il met en avant leur sensibilité littéraire commune.

15 Dans ces agendas qui vont de 1887-1914, avec des interruptions, Psichari consigne chaque jour ses activités. L’année 1887-1888, la mention « cours de Saussure » revient deux fois par semaine, elle est parfois suivie de « au mien personne » car les conférences de Psichari cette année-là n’attirent que trois auditeurs. Psichari note également, dans ses agendas, les contacts amicaux qu’il a avec Saussure. On y lit par exemple : « Diner avec Saussure et Chènevière Quai d’Orsay » (19/04/1888), « Cours de Saussure. Accomp. S. chez lui. Visite » (21/04/1888), « Société de linguistique – […] – Accompagné Saussure. » (9/02/1889), « Voiture. Dîner chez Saussure (Paris, Bréal. Grammont St Didier. Carrière. Chatelain. Louis Leger.) » (6/07/91). Cette dernière mention correspond au dîner que Saussure donne après avoir posé sa démission définitive de l’EPHE.

16 Dans les agendas de Psichari, la seule mention d’une rencontre avec Saussure après 1891 figure à la date du 07 janvier 1909 : « Dîner de Saussure (chez voisins : Meillet, Loth, Boyer, Vendryes, Silvain Lévi) ». Saussure est alors à Paris pour la remise de Mélanges à Louis Havet.

17 BGE, Arch. de Saussure 366, f. 201b-201c. Cette lettre a été éditée par Joseph (2012 : 361-362) et Jovanović (2013 : 187-188).

18 BGE, Arch. de Saussure 366, f. 201c. Ce brouillon a été édité par Testenoire (2008 : 51) et Jovanović (2013 : 193-194).

19 Saussure soumet pour le concours en avril 1886 un essai intitulé « Etudes sur la phonétique germanique. Le vieux haut-allemand ». Le manuscrit, conservé à la Bibliothèque de Genève (Arch. de Saussure 384/1-2) est écarté de la compétition car il est incomplet, v. Joseph (2012 : 314).

20 Saussure a deux successeurs à l’EPHE : Louis Duvau et Antoine Meillet. Ils deviennent tous deux maîtres de conférences de grammaire comparée en 1891, l’un (Duvau) se chargeant des langues germaniques, l’autre (Meillet) se concentrant sur les langues classiques et le slave. Sur l’affaire de la succession de Saussure à l’EPHE, v. Rousseau (2010), Gandon (2014) et Decimo (2014).

21 Ces notes sont conservées à la Bibliothèque de Genève sous les cotes BGE, Ms. fr. 3953 et AdS 376, 377, 378, 385, 386 et 387. Une partie de ces notes a été éditée (v. Saussure 2003). Pour une analyse détaillée des recherches saussuriennes sur le lituanien, v. Joseph (2009) et Petit (2010).

22 Mejía Quijano signale l’existence, au Château de Vufflens, de six lettres de Louis Duvau adressées à Saussure durant cette période : « 28 novembre 1892 ; Paris, 18 mai 1893 ; Paris, 22 décembre 1893, avec billet d’un imprimeur ; Paris, 23 avril 1894 ; Paris, 29 août 1894, au sujet du Congrès de 1894 » (Mejía 2015 : 168). Duvau est présent au Congrès des orientalistes qui se tient à Genève en septembre 1894 et réside chez Saussure à Malagny-Versoix (v. Décimo 2012 : 200).

23 La lettre a été retrouvée dans une enveloppe sur laquelle est écrit « Factures et correspondance. 1884. P. Berger à l’Institut » : elle figure à côté d’autres lettres adressées à Berger en 1884. On trouve également dans cette enveloppe deux notes de la main de Saussure sur ses frais postaux engagés dans le cadre de sa fonction de secrétaire adjoint.

24 Le procès-verbal de la séance du 05/07/1884 mentionne la présence de Berger et de Psichari.

25 Il s’agit de Maximilien van Berchem (1863-1921), cousin de Saussure et spécialiste d’épigraphie arabe, qui est élu membre de la SLP le 14 avril 1883. Sur la relation entre Saussure et van Berchem, v. Louca (1974-1975).

26 La date est proposée sur la base du feuillet de deuil utilisé. Entre 1884 et 1889, la seule période où Saussure utilise des feuillets de deuil dans le reste de sa correspondance est le printemps et l’été 1885, le décès de sa grand-mère maternelle étant survenu le 10 mai 1885. La séance du 30 mai 1885 est la seule pour laquelle Saussure se fait excuser pendant cette période.

27 L’année 1885 est restituée d’après le contenu, spécifiquement d’après l’allusion à l’article de Krumbacher qui paraît dans le Zeitschrift für vergleichende Sprachforschung de 1885. L’année 1886 est exclue car Jean Psichari réalise cet été-là son voyage en Grèce relaté dans Mon voyage (To taxidi mou). La lettre porte sur l’impression dans le volume des Mémoires de SLP de 1885 de l’article de Psichari « Essais de phonétique néo-grecque. Doublets syntactiques, otan ontan ». Cet article fait suite à un article intitulé « Essai de phonétique néo-grecque. Futur composé du grec moderne, tha grapsô – tha graphô » paru l’année précédente dans les Mémoires, d’où l’intention attribuée à Psichari par Saussure de réunir « plusieurs articles en un volume ».

28 Il s’agit de l’éditeur F. Vieweg responsable de l’édition des Mémoires et des Bulletins à l’époque.

29 Karl Krumbacher (1856-1909) est un spécialiste de grec byzantin avec lequel Psichari est en contact étroit. Il fonde en 1892 la Byzantinische Zeitschrift.

30 « La Zeitschrift » sans autre indication désigne, sous la plume de Saussure, la revue Zeitschrift für vergleichende Sprachforschung, principale revue de grammaire comparée de l’époque, plus connue sous le nom de son fondateur Kuhns Zeitschrift. L’article de Krumbacher « Beiträge zu einer Geschichte der griechischen Sprache » paraît dans le fascicule 27 de 1885.

31 Séance du 5/12/1885 : « Sont désignés comme membres de la commission de vérification des comptes : MM. d’Arbois de Jubainville, Duvau, De Saussure » (BSL 6 : LVI). Séance du 19/12/1885 : « M. le Président donne lecture d’une lettre par laquelle M. le secrétaire adjoint s’excuse de ne pouvoir assister à la séance » (BSL 6 : LVII).

32 Séance du 20/02/1886 : « M. de Charencey donne lecture d’une note de M. Ernault destinée à montrer que le basque arloté est emprunté à un dialecte roman. M. de Charencey se range à l’avis de M. Ernault » (BSL 6 : LXXVII). Le manuscrit de cette communication de la main d’Ernault est conservé dans les archives de Saussure (BGE, AdS 388/2).

33 Séance du 20/02/1886 : « M. de Saussure traite de l’étymologie du verbe πρέπω ; il conclut à une parenté avec le latin corpus. Des observations sont faites par M. d’Arbois de Jubainville » (BSL 6 : LXXVI). Des notes préparatoires à cette communication sur πρέπω se trouvent à la Bibliothèque de Genève, AdS 383/8, f. 14, 383/9, f. 21, f. 53 et 383/10, f. 58.

34 La communication est repoussée à la séance suivante, du 3/04/1886 : « M. de Charencey traite de mots basques tirés du roman. Des questions sont faites par M. d’Arbois de Jubainville » (BSL 6 : LXXXII).

35 La communication de Philippe Berger ne figure pas dans le procès-verbal des séances de mars 1886, ni dans les suivantes. En revanche, l’article « Camillus » de Berger est publié dans les Mémoires de la SLP VI, 1886 : 140-149.

36 Séance du 20/03/1886 : « M. de Charencey fait une communication sur le nom et la situation géographique de Xibalba, qui, d’après lui, n’est pas une ville chimérique ; on en peut fixer la fondation vers le Ier siècle de notre ère ». (BSL 6 : LXXX).

37 Séance du 20/03/1986 : « M. de Saussure, secrétaire adjoint, s’excuse par lettre de ne pouvoir assister à la séance » (BSL 6 : LXXIX).

38 « Séances du 1er et du 15 mai 1886 : Les procès-verbaux de ces deux séances ont été égarés et n’ont pu être reconstitués » (BSL 6 : LXXXIII).

39 Francis Haverfield (1860-1919) est un historien et archéologue britannique, spécialiste de la romanisation, qui exerce alors au New College à Oxford. Il est élu membre de la SLP le 18 novembre 1882.

40 Il s’agit du célèbre romaniste Wilhelm Meyer-Lübke (1861-1936) qui est alors privat-dozent à l’Université de Zurich. Arrivé à Paris à l’automne 1885 pour un séjour d’études d’un an, il est élu membre de la SLP le 21 novembre 1885. Gaston Paris lui confie son séminaire de l’EPHE sur la grammaire du latin vulgaire pour l’année 1885-1886 et il suit, cette année-là, les conférences de Psichari sur la langue néo-grecque. Sur les contacts étroits entre Psichari et Meyer-Lübke, on lira la préface chaleureuse de Psichari à l’édition de la Grammatica linguae graecae vulgaris de Simon Portius que Wilhelm Meyer réalise lors de son séjour à Paris.

41 Aucun élément ne permet de situer précisément ce mot d’excuse. Il se situe entre 1884 et 1887. 1888 est, en principe, exclu car les absences de Saussure aux séances ne sont pas signalées par des lectures de lettres en séances.

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Bibliothèque de Genève, Manuscrits français 3951-3974

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